Proposer l’introduction d’un programme d’études ciblant un sujet précis à contexte social peut poser certains défis, même si ces derniers peuvent différer d’une faculté de droit ou d’un professeur à l’autre. Ainsi, l’on peut s’opposer à cette nouvelle orientation pour des motifs comme la liberté d’enseignement, l’objectivité ou l’importance de prioriser les règles de droit immuables. L’intégration d’un contenu non traditionnel dans un programme d’études imprégné d’histoire n’est jamais facile, même si (et ce surtout depuis les vingt-cinq dernières années) les efforts déployés par les facultés de droit pour traiter de contexte social sont de plus en plus probants. Dans certaines universités, ou pour certains professeurs, un programme d’études abordant la violence à l’égard des femmes peut être perçu comme un atout permettant d’apporter une nuance importante au programme d’études et de placer le droit dans un cadre collectif. Dans d’autres cas cependant, l’on peut penser qu’ajouter encore une autre problématique à « contexte social » porte atteinte au programme « légitime ».

Beaucoup de professeurs de droit comprendront que former de futurs avocats à saisir la dynamique de la violence à l’égard des femmes et à répondre adéquatement à des clients ayant été victimes de violence (ou qui le sont toujours) ou à des clients accusés ou trouvés coupables d’avoir commis des actes de violence leur permettra de représenter leur clientèle de manière compétente et de respecter leurs obligations déontologiques. Une représentation compétente dans ce contexte exige d’être en mesure d’expliquer les comportements d’un(e) client(e) autrement difficiles à comprendre ou qui peuvent influencer la réaction de l’avocat; savoir comment une expérience de violence peut affecter la présentation du dossier; et être sensibilisé(e) à la possibilité de diriger ce(cette) client(e) vers des ressources non juridiques, parmi d’autres exemples. Un(e) avocat(e) qui ne reconnaît pas les indices de violence familiale ou conjugale peut donner des conseils qui ne sont pas appropriés dans les circonstances. Il(elle) doit détenir assez de connaissances pour savoir s’il(elle) n’est pas suffisamment compétent(e) pour se charger de l’affaire (voir la Règle 2.01 du Code de déontologie du Barreau du Haut-Canada). L’incidence de violence familiale peut influencer la décision d’un(e) avocat(e) d’avoir recours à un règlement extrajudiciaire du différend conformément à la Règle 2.02(3).

Comme c’est le cas ailleurs, les professeurs détiendraient une certaine latitude quant à la façon d’enseigner la matière, en gardant à l’esprit les attentes habituelles des facultés de droit quant à leurs responsabilités en matière d’enseignement et en s’assurant d’enseigner les notions principales. Les critères des facultés de droit varient quant à l’obligation qu’ont les professeurs de s’en tenir à un certain plan de cours, par exemple. Cette initiative n’envisage pas de modifier les attentes des facultés de droit. Nous suggérons, comme c’est le cas pour les autres cours, que les méthodes d’enseignement reflètent l’état actuel des connaissances universitaires, statistiques, législatives et jurisprudentielles et qu’elles encouragent les débats exhaustifs, ouverts et respectueux entre étudiants.

Cela dit, la violence conjugale n’est pas un sujet facile à aborder, même pour ceux qui connaissent la problématique et en maîtrisent les outils pédagogiques. Des professeurs peuvent être réticents à l’idée de soulever cette question en classe ou se sentir mal outillés pour gérer les débats souvent difficiles que suscite le contenu de tels cours. Qui plus est, l’omniprésence de la violence à l’égard des femmes dans la société rend inévitable le fait que certains étudiants (et professeurs) en aient eux-mêmes vécu ou y aient été exposés dans leur famille ou parmi leurs amis. Cette réalité exige des compétences particulières de la part des professeurs – que cette expérience soit vécue du point de vue de la victime ou de l’agresseur. Cela peut laisser des traces sur le plan émotif chez ceux qui enseignent la matière, comme c’est le cas pour les étudiants qui participent à des activités cliniques dans le domaine.

Les professeurs doivent être bien outillés, grâce à des ressources, des outils pédagogiques et des guides de discussion, lorsqu’ils enseignent cette nouvelle matière. À cet égard, le fait de mettre en relation des professeurs pour qui il s’agit d’un terrain inconnu avec d’autres ayant déjà de l’expérience en la matière peut s’avérer extrêmement utile. Les facultés de droit qui offrent des cliniques ou des ateliers internes (comme le fait la faculté de droit Osgoode Hall, par exemple) pourraient consacrer l’une de ces formations à l’enseignement de questions relatives à la violence à l’égard des femmes.

Des cours ou colloques « spécialisés » en violence à l’égard des femmes et d’autres, s’intéressant à un aspect particulier de ce vaste sujet, sont susceptibles d’attirer des étudiants ayant déjà une bonne connaissance de la matière ou qui sont au moins intéressés à en apprendre plus. Il est donc important que des questions pertinentes à cet égard soient traitées, au moins partiellement, dans des cours introductifs obligatoires pour tous les étudiants.

Des questions relatives à la violence à l’égard des femmes peuvent être enseignées à même « l’enveloppe fiscale » actuelle des facultés de droit. Une faculté peut aussi obtenir de nouveaux fonds par le biais de subventions ou de bourses de recherche pour professeurs, ou attirer la candidature de nouveaux étudiants ou les dons de bailleurs de fonds privés intéressés par ce domaine d’études.

Si l’on reconnaît le besoin d’enseigner la problématique de la violence à l’égard des femmes, c’est que l’on en comprend la prévalence et le besoin qu’ont les étudiants de quitter la faculté de droit suffisamment outillés pour comprendre le contexte social de leurs futurs dossiers, y compris celui de la violence à l’égard des femmes, afin de respecter des normes déontologiques minimales. Comme c’est le cas pour un grand nombre de sujets, ces modules n’enseignent pas seulement des données factuelles, mais également des aptitudes, comme l’art de l’entrevue, celui de percer les apparences d’un dossier ou d’être en mesure de discuter de sujets délicats avec l’avocat(e) de la partie adverse, et ils permettent de saisir quand les obligations d’un(e) avocat(e) vont au-delà des évidences d’un dossier juridique. Il s’agit d’aptitudes utiles dans bien d’autres domaines de pratique.

 

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