A. Introduction

En se basant sur la recherche et les expériences précédemment décrites, ainsi que sur les contributions des membres de son conseil consultatif et de ses groupes de discussion étudiants, la CDO a élaboré un cadre permettant d’insérer la problématique de la violence à l’égard des femmes dans le programme d’enseignement des facultés de droit ontariennes. Nous avons délibérément privilégié l’élaboration d’un tel cadre plutôt qu’un programme d’études précis afin de permettre plus de flexibilité, car nous reconnaissons qu’il est important qu’un programme d’études évolue pour tenir compte des changements de circonstances. Notre cadre comporte les éléments suivants :

  1. Les principes régissant sa formation;
  2. Les objectifs de l’intégration de cette matière au programme d’études;
  3. Les principales compétences que les étudiants doivent acquérir;
  4. Le contenu du programme;
  5. Les formats des cours;
  6. Les techniques pédagogiques.

Ce cadre pédagogique propose également des concepts de programmes d’études pour les trois cours suivants : droit de la famille, droit criminel et déontologie.

 

B. Principes régissant la création du cadre proposé

Dans le cadre de cette initiative, nous nous sommes inspirés des principes proposés par la Fédération des ordres professionnels de juristes du Canada dans leurs travaux sur le diplôme canadien de common law, ainsi que des études auxquelles nous avons précédemment fait référence. Nous avons plus particulièrement tenu compte des facteurs suivants :

  • Il est nécessaire de cibler les résultats de l’apprentissage et non nécessairement ou seulement le contexte spécifique dans lequel ces résultats seront atteints.
  • Les facultés de droit doivent elles-mêmes décider comment leurs diplômés acquerront les compétences nécessaires.
  • Il faut tenir compte du principe de la liberté universitaire et des attentes des facultés de droit quant au contenu des cours et aux méthodes d’enseignement.
  • Les étudiants en droit doivent apprendre comment pratiquer le droit et non seulement en maîtriser la théorie.
  • Les étudiants apprennent mieux lorsqu’on leur offre des méthodes et des types d’enseignement diversifiés leur permettant d’appliquer la doctrine enseignée à des situations factuelles.

 

C. Objectifs à atteindre

À l’échelle « macro », l’objectif d’un programme d’études sur la violence à l’égard des femmes est de préparer les étudiants à accéder à la profession juridique avec les compétences suivantes :

  • Une bonne compréhension de la problématique de la violence à l’égard des femmes et de ses implications dans tous les domaines de la pratique du droit;
  • Des aptitudes leur permettant de gérer des dossiers de violence à l’égard des femmes de façon compétente;
  • L’acquisition des connaissances requises pour jouer un rôle dans l’élaboration de politiques sociales répondant à la problématique de la violence à l’égard des femmes;
  • L’acquisition des connaissances requises pour jouer un rôle en tant que membres de leur communauté professionnelle visant à mettre fin à la violence à l’égard des femmes.

 

D. Compétences essentielles

1. Introduction

Pour nous aider à élaborer des modèles de cours à l’échelle « micro », nous avons d’abord établi l’éventail des compétences essentielles que les étudiants en droit doivent maîtriser dans le cadre de leur apprentissage en matière de violence à l’égard des femmes. Pour y parvenir, nous nous sommes inspirés de travaux effectués en Ontario et ailleurs.

Au cours des dernières années, la Direction générale de la condition féminine de l’Ontario a financé une vingtaine de projets de formation et d’études portant sur la violence familiale. Ces projets visent un grand nombre de secteurs, comme la santé, l’éducation, la justice et les services sociaux.[31] En matière de justice, ces programmes s’adressent aux groupes suivants :

  • Les juges (Institut national de la magistrature)[32]
  • Les avocats (Aide juridique Ontario)[33]
  • Les employés du ministère de la sécurité communautaire et des services correctionnels[34]
  • Les procureurs de la Couronne (ministère du Procureur général).[35]

Chaque projet prévoit des compétences essentielles pertinentes au secteur visé qui nous ont permis de cerner celles à enseigner aux étudiants en droit.

 

2. Compétences

Connaissances

Les étudiants en droit devraient acquérir les compétences suivantes afin de maîtriser suffisamment les questions relatives à la violence à l’égard des femmes :

  • Se familiariser avec la dynamique de la violence (comment, quand et où) et les types d’abus et apprendre à reconnaître certains indicateurs chez les clients/dans les dossiers;
  • Comprendre que la violence à l’égard des femmes peut se manifester différemment selon les collectivités touchées[36];
  • Avoir une idée de l’impact de cette forme de violence sur les femmes et les enfants;
  • Comprendre les liens pouvant exister entre cette forme de violence et différents domaines du droit ou questions juridiques;
  • Comprendre l’impact de la violence sur la faculté d’une victime d’interagir avec l’appareil judiciaire;
  • Se familiariser avec les caractéristiques des agresseurs et comment elles influencent leurs réactions par rapport aux questions de droit, à la sphère juridique et à l’appareil judiciaire.

Pratiques exemplaires

Les étudiants en droit devraient acquérir les compétences suivantes par rapport à la mise en œuvre de pratiques exemplaires en matière de violence à l’égard des femmes :

  • Créer des environnements sécuritaires pour leur clientèle afin qu’elle soit à l’aise de parler de cas de sévices, le cas échéant;
  • Créer une relation professionnelle basée sur la confiance avec leur clientèle après la divulgation de sévices;
  • Effectuer une planification des mesures assurant la sécurité physique et morale de la clientèle et de l’avocat(e) et une pratique du droit sécuritaire d’un point de vue général;
  • Appliquer les connaissances acquises en cette matière à la gestion des dossiers.

Habiletés

Les étudiants en droit devraient acquérir des habiletés afin de faire ce qui suit dans des dossiers de violence à l’égard des femmes :

  • dépister la violence à l’égard des femmes/violence familiale;
  • connaître les facteurs de risque applicables en la matière;
  • savoir quand demander une évaluation complète;
  • être en mesure de réagir de façon appropriée lorsqu’un cas d’abus ou de violence est divulgué;
  • orienter efficacement les clients vers des services communautaires appropriés;
  • effectuer une entrevue efficace avec un(e) client(e) ayant souffert de sévices;
  • effectuer une entrevue efficace avec un(e) client(e) ayant commis des sévices;
  • gérer correctement les dossiers de violence à l’égard des femmes;
  • gérer les impacts de ces dossiers à son propre égard.

Rôle(s) professionnel(s)

Les étudiants en droit devraient acquérir les compétences nécessaires afin de traiter de violence à l’égard des femmes dans les rôles suivants :

  • conseillers juridiques auprès de leurs clients;
  • officiers de justice;
  • membres d’un ordre professionnel.

Déontologie

Les étudiants en droit devraient apprendre à adopter un comportement conforme à la déontologie en matière de violence à l’égard des femmes :

  • en reconnaissant cette violence et en y réagissant, quel que soit leur rôle professionnel ou leur domaine de pratique;
  • en abordant les questions de nature déontologique qui se posent lorsqu’ils soupçonnent l’existence (actuelle ou passée) de violence;
  • en comprenant les difficultés de nature déontologique qui se posent lorsqu’ils représentent des victimes/victimes présumées ou des agresseurs/agresseurs présumés;
  • en comprenant les difficultés auxquelles sont confrontés les enfants d’une famille dans laquelle il y a ou il y a eu de la violence.

 

E. Contenu du programme

En se servant des compétences essentielles contenues aux présentes à titre de guides, nous suggérons d’inclure les sujets suivants, qui traitent de violence à l’égard des femmes, au programme des facultés de droit. Bien que la façon de les enseigner relève des facultés de droit et des professeurs eux-mêmes, il nous semble important que les deux premiers sujets proposés servent d’introduction aux sujets suivants et que le plus grand nombre d’étudiants possible y soient exposés, même s’ils ne poursuivent pas leurs études dans ce domaine.

1. Mise en situation

  • Expliquer pourquoi la violence à l’égard des femmes a sa place dans le programme d’études.
  • Proposer une approche fondée sur le caractère multidimensionnel du problème, compte tenu de facteurs tels que la culture, la race, le genre, les habiletés, la religion, l’âge, l’orientation sexuelle, le statut de citoyen, la situation géographique et d’autres caractéristiques propres à la pluralité et à la diversité canadiennes.
  • Expliquer l’importance de faire une analyse comparative entre les sexes.
  • Introduire les pratiques ayant cours ailleurs dans le monde.

2. Qu’est-ce que la violence à l’égard des femmes?

  • Proposer des définitions de la violence à l’égard des femmes.
  • Expliquer et discuter comment le sujet de la violence à l’égard des femmes est traité dans la sphère publique.
  • Expliquer et discuter comment la violence à l’égard des femmes survient au sein des familles.
  • Expliquer et discuter comment ce sujet est traité par la législation ou autrement en droit.
  • Évoquer brièvement ce que les termes « violence à l’égard des femmes » signifient ailleurs dans le monde.

3. Droit de la famille

  • En établir le cadre législatif.
  • Traiter des articles de loi et de la jurisprudence en matière de garde et d’accès.
  • Traiter de la législation relative à la protection de la jeunesse.
  • Expliquer et discuter des impacts de la violence à l’égard des femmes dans les procédures judiciaires en matière familiale.
  • Expliquer et discuter des questions qui se posent lorsque l’on représente des agresseurs ou des agresseurs présumés.
  • Expliquer et discuter d’autres méthodes utilisées pour tenir compte des conséquences de la violence à l’égard des femmes (p. ex., la médiation).
  • Expliquer les liens existant entre la Cour de la famille, la Cour criminelle et le Tribunal pour l’instruction des causes de violence conjugale.

4. Droit criminel

  • Fournir un aperçu du droit criminel en matière de violence à l’égard des femmes.
  • Préciser les enjeux importants en matière de violence familiale (p. ex., mise en accusation obligatoire, réactions de la victime aux accusations/à la poursuite, libération sous caution) et violence sexuelle (p. ex., production de dossiers appartenant à des tiers, consentement, trafic de femmes et d’enfants).
  • Expliquer et discuter le rôle de la « victime ».
  • Expliquer et discuter les questions qui se posent lorsque l’on représente une personne accusée d’avoir commis un acte de violence à l’égard d’une femme.
  • Expliquer la négociation d’un plaidoyer dans un contexte de violence à l’égard des femmes.
  • Préciser certains problèmes de preuve pertinents dans des dossiers de violence à l’égard des femmes.
  • Préciser et discuter des différentes peines possibles.
  • Préciser et discuter des procédures de justice réparatrice.

5. Droit de l’immigration et du statut de réfugié

  • En établir le cadre législatif et règlementaire.
  • Expliquer et discuter des différences, des similitudes et des liens entre violence individuelle et étatisée.
  • Expliquer et discuter le rôle de la violence dans le pays d’origine d’un(e) demandeur(eresse) du statut de réfugié(e).
  • Expliquer comment se produit la violence à l’égard des femmes, quelles sont les réactions possibles et quelles difficultés existent dans les collectivités d’immigrants au Canada.

6. Droit de la protection sociale

  • Expliquer et discuter des questions en matière de protection sociale relatives aux victimes de violence à l’égard des femmes.
  • Expliquer et discuter des problèmes de logement propres aux victimes de violence à l’égard des femmes.
  • Expliquer et discuter des prestations d’invalidité que peuvent recevoir les victimes de violence à l’égard des femmes.

7. Droit de la responsabilité délictuelle

  • Expliquer comment s’applique le droit de la responsabilité délictuelle dans des cas de violence sexuelle, y compris en établissement.
  • Fournir une analyse coûts-bénéfices du droit de la responsabilité délictuelle dans des dossiers de violence familiale.
  • Expliquer et discuter des défis et des obstacles à l’application du droit de la responsabilité délictuelle aux dossiers de violence familiale.

8. Droit international

  • Préciser à quels instruments et organismes internationaux l’on peut avoir recours au sujet de la violence à l’égard des femmes (p. ex., le Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes, le protocole des Nations Unies pour prévenir, supprimer et punir la traite des êtres humains, particulièrement les femmes et les enfants [le protocole de Palerme], la Commission interaméricaine des droits de l’homme et la Cour internationale de Justice).
  • Expliquer et discuter de leur application possible au Canada, en particulier en cas de violence envers des femmes autochtones, ainsi qu’en cas de trafic de femmes ou d’enfants.
  • Expliquer et discuter des défis et des obstacles existant à cet égard.

9. Recours quasi judiciaires

  • Préciser les recours aux codes ou aux commissions des droits de la personne.
  • Préciser les recours et les types de redressements existant en droit administratif.
  • Préciser quand s’applique la législation en matière de santé et de sécurité au travail (p. ex., Loi sur la santé et la sécurité au travail, partie III.0.1)
  • Préciser le rôle de la Commission d’indemnisation des victimes d’actes criminels.
  • Traiter de l’applicabilité des procédures régies par les écoles professionnelles.

10. Mode alternatif de règlement des conflits

  • Préciser et discuter des modes suivants de résolution des conflits dans des dossiers de violence à l’égard des femmes, y compris leurs avantages et inconvénients le cas échéant et les particularités à souligner :
    o médiation;
    o arbitrage;
    o droit de la famille collaboratif;
    o négociation d’un plaidoyer.

11. Politiques gouvernementales

  • Discuter de collaborations possibles avec le gouvernement pour agir en matière de violence à l’égard des femmes et modifier les politiques existantes.
  • Expliquer et discuter de problèmes de nature non juridique qui devraient faire l’objet de nouvelles politiques (p. ex. logement, sécurité du revenu).
  • Expliquer et discuter des questions qui se posent lorsque l’on représente des femmes qui ne souhaitent pas faire valoir leurs droits.
  • Expliquer et discuter du rôle de la société pou prévenir la violence à l’égard des femmes et y réagir (p. ex., initiatives telles que « Voisin-es, ami-es et famille »[37]).

12. Violence à l’égard des femmes et autres domaines du droit

  • Expliquer les éléments suivants dans des cours tels que le droit des biens, les contrats, les successions ou le droit administratif :
    o quand la violence à l’égard des femmes peut survenir;
    o comment la reconnaître;
    o comment gérer son dossier.

13. Considérations déontologiques et pratiques

  • Expliquer l’importance d’être ouvert à la possibilité qu’un(e) client(e) présente des indices de violence à l’égard des femmes et/ou de violence familiale.
  • Expliquer comment dépister la violence à l’égard des femmes/violence familiale sans la « chercher ».
  • Expliquer l’obligation de faire rapport et les circonstances dans lesquelles on peut déroger au privilège avocat-client.
  • Expliquer l’obligation de faire rapport aux instances de protection de la jeunesse incombant aux procureurs de la Couronne et aux policiers.
  • Proposer et discuter des conseils pratiques à ceux qui devront travailler avec des agresseurs ou des survivants.
  • Préciser et discuter de considérations particulières applicables en matière de conflits d’intérêts ou de confidentialité.
  • Faire état des particularités dont il faut tenir compte en matière de gestion de dossier.
  • Traiter du besoin pour l’avocat(e) et ses employés de mettre en place des mesures de sécurité et des éléments dont il faut tenir compte à cet égard.

 

F. Format des cours

Il existe de nombreuses façons d’intégrer l’enseignement en matière de violence à l’égard des femmes dans les programmes des facultés de droit. Chacune de ces méthodes comporte à la fois des avantages et des inconvénients et devrait être évaluée en fonction des objectifs (c.-à-d., s’assurer que tous les étudiants obtiennent une formation de base en matière de violence à l’égard des femmes afin d’exercer leurs futurs rôles d’avocats). Chaque faculté a sa procédure d’approbation du programme d’études. Afin de s’assurer que tous les étudiants reçoivent une formation de base (peut-être par le biais des modules « Mise en situation » et « Qu’est-ce que la violence à l’égard des femmes? »), il faut mettre en place un processus formel afin de créer, par exemple, une semaine de formation intensive pendant laquelle traiter de la problématique ou inclure les questions d’éthique dans un cours portant sur les aspects déontologiques de la pratique du droit. Pour aborder le sujet de façon plus approfondie, les professeurs pourraient intégrer des questions pertinentes dans leurs plans de cours existants. Cela ne devrait cependant pas suffire en soi pour que les étudiants acquièrent tous des notions à ce sujet. Ainsi, afin d’être efficaces, les facultés de droit devraient adopter une démarche systémique pour inclure la violence à l’égard des femmes dans le cadre de leurs programmes, et s’assurer que les professeurs maîtrisent la matière et qu’ils soient adéquatement outillés pour l’enseigner et en discuter avec leurs étudiants. Ces questions peuvent être intégrées aux programmes d’études de diverses façons, y compris comme suit :

  • Intégrer des références à cette problématique au programme d’études même et/ou dans tous les cours de première année de droit.
  • Créer un cours obligatoire à part entière en première année de droit portant sur la violence à l’égard des femmes.
  • Intégrer le sujet au programme d’études général de 1re année et/ou l’intégrer à des cours spécialisés obligatoires qui adoptent différents points de vue, comme en offrent déjà certaines facultés de droit canadiennes.
  • Créer un programme d’études intensif obligatoire d’une semaine ou d’un mois traitant de questions relatives à la violence à l’égard des femmes.
  • Intégrer ces questions au programme d’études et/ou dans certains cours de second cycle.
  • Créer, à même le cadre du programme d’études, des cours spécialisés pour les étudiants intéressés à étudier la problématique de façon plus détaillée.

On a demandé au conseil consultatif réuni dans le cadre de cette initiative et aux étudiants ayant participé à nos groupes de discussions dans certaines facultés de droit ontariennes d’intégrer le sujet de la violence à l’égard des femmes dans leur programme de droit (voir l’annexe B, qui contient les notes des groupes de discussion étudiants). Aucun consensus ne s’est dégagé de leurs réponses, même si certains thèmes en émergent dans les deux cas.

Il ne fait aucun doute que les gens étaient convaincus que tous les étudiants en droit devraient être formés en la matière. Cependant, les opinions divergeaient quant à la qualité des apprentissages et de l’enseignement lorsqu’une matière devient obligatoire. Certains étudiants, surtout, étaient fermement convaincus que des cours obligatoires seraient traités avec mépris par certains de leurs camarades, qui ne considèrent pas que la violence à l’égard des femmes devrait occuper une place importante dans leur formation juridique universitaire. Quelques professeurs se demandaient si certains de leurs collègues considéreraient l’obligation de traiter ce programme d’études comme une violation de leur liberté d’enseignement.

La plupart des membres du conseil et des étudiants croyaient qu’une partie de la matière devrait être introduite dans le programme de 1re année de droit, puisqu’il est obligatoire. Des cours plus spécialisés pourraient également être offerts par la suite, pour ceux qui s’intéressent au sujet.

La création de ressources pédagogiques pour les professeurs a également été perçue de façon positive. Une telle initiative peut s’avérer précieuse pour les professeurs qui n’ont pas acquis d’expérience en la matière, mais qui sont intéressés à intégrer de la jurisprudence, des articles de doctrine ou d’autres sources ou méthodes pertinentes dans des cours existants. Comme cela a été mentionné précédemment, le fait d’intégrer la violence à l’égard des femmes parmi les problématiques traitées dans le cadre d’une clinique d’enseignement peut être une option.

La réaction à l’idée d’intégrer du contenu concernant la violence à l’égard des femmes dans les cours de déontologie a généralement été positive, afin que les étudiants en droit réalisent à l’amorce de leur carrière qu’il existe une obligation déontologique d’être au courant de cette problématique, quelque soit son domaine de pratique.

Il semble qu’ultimement, une approche mixte soit à privilégier, qui se déclinerait par exemple comme suit :

  • Intégration de thématiques liées à la violence à l’égard des femmes dans les cours de 1re année de droit
  • Ajout aux cours spécialisés déjà existants les années suivantes
  • Création d’une ressource d’enseignement abordant tous les principaux domaines du droit pour aider les professeurs à intégrer la violence à l’égard des femmes dans les programmes existants
  • Inclusion de discussions portant sur la violence à l’égard des femmes dans les cours de déontologie.

 

G. Techniques pédagogiques

Lors de nos discussions avec des professeurs, des praticiens et des étudiants, les concepts suivants, qui chevauchent parfois les idées de l’ABA auxquelles nous avons précédemment fait référence, ont été suggérés quant à la façon d’enseigner la matière de façon efficace :

  • placements cliniques
  • législation et jurisprudence
  • scénarios factuels/études de cas
  • développement des habiletés (p. ex., techniques d’entrevue)
  • conférenciers
  • ressources communautaires
  • enjeux et questions éthiques soulevés à plusieurs reprises dans un cours
  • jeux de rôles
  • films et vidéos
  • conférences
  • liste de lecture
  • techniques interactives sur le Web
  • sources numériques de renseignements
  • articles de presse et documents de réflexion.

L’un des modèles étudiés fut celui des cours portant sur la violence familiale offerts aux juges par l’Institut national de la magistrature. La matière est enseignée d’un point de vue de développement des habiletés et de gestion de procès. Il s’agit de périodes de formation intensive de trois ou quatre jours, auxquelles assistent un petit groupe de juges (30 à 40) qui travaillent ensemble tout au long du cours. Les juges font une étude de cas et ont à traiter avec la famille à différentes étapes au cours du processus judiciaire (en droit de la famille ou en droit criminel). Des vidéos, avec des acteurs dans les rôles de l’homme et de la femme et des avocats et des juges dans ceux des avocats et des juges montrent des procédures précises et sont parsemées de conférences données en personne, de commentaires en provenance d’un panel d’experts et de travaux en petits groupes.

Les réactions générales aux méthodes d’enseignement employées ont été très positives. Elles pourraient être utilisées dans un contexte étudiant, cette formule s’avérant certainement plus efficace dans le cadre d’une formation intensive à durée limitée. L’Institut national de la magistrature offrent ses outils pédagogiques (ainsi que d’autres, conçus dans le cadre de cours portant sur les victimes) aux professeurs de droit qui souhaitent les intégrer à leurs plans de cours.

Les étudiants d’un des groupes réunis par la CDO ont eu une discussion intéressante sur le recours aux conférenciers. Ils ont tous convenu que l’expertise qu’offrent des conférenciers (comme des gens ayant survécu à la violence, des praticiens spécialisés en violence à l’égard des femmes, des personnes travaillant dans les refuges, des procureurs de la Couronne, des personnes travaillant à l’aide aux victimes ou des policiers) enrichirait leur formation. Des préoccupations furent toutefois exprimées à l’idée que certains étudiants en droit prendront moins au sérieux les conférenciers non avocats ou qu’ils pourront avoir l’impression que ces derniers sont « biaisés » et que cela les empêche de présenter leur sujet de façon « objective ».

Bien qu’il n’y en ait aucune dans les facultés de droit canadiennes, il existe certaines cliniques de violence familiale dans des facultés de droit américaines. Camille Carey a étudié le rôle de ces cliniques dans l’avancement de la pratique du droit dans le domaine et prône un élargissement du rôle que jouent ces cliniques à cet égard :

[TRADUCTION] Alors que des services de représentation en droit de la famille répondent à un important besoin de la part des victimes de violence familiale, il ne s’agit que de l’un de leurs multiples besoins. Le fait que nous ciblions le droit de la famille a rendu la pratique en violence familiale plus routinière et bloqué notre compréhension de ses effets et des possibilités offertes au sens large. Pour faire progresser le droit de la violence familiale et la défense des victimes, nous devons nous engager plus intensément dans un dialogue portant sur les priorités de la défense des droits civils des victimes de violence familiale et prendre des mesures plus braves et plus importantes au nom des victimes.[38]

Madame Carey résume les priorités d’un certain nombre de cliniques universitaires spécialisées en droit de la violence familiale. Ces dernières s’inspirent d’une grande variété de modèles. Certaines sont des cliniques étudiantes autonomes, internes à une faculté. D’autres relèvent de partenariats entre facultés de droit et cliniques juridiques communautaires existantes (qui ressemblent un peu à la relation entre Osgoode Hall et la clinique Parkdale Community Legal Services de Toronto sauf que, dans les cas américains, le partenariat ne vise que le droit relatif à la violence familiale). Dans de tels cas, les étudiants participent à des stages externes dans la collectivité, comprenant également un colloque et/ou un travail écrit qui leur permettent de réfléchir à leurs expériences cliniques. Dans d’autres cas, les étudiants travaillent de concert avec des organismes communautaires spécialisés en violence familiale qui ne seraient pas autrement en mesure d’offrir un soutien juridique à leur clientèle (comme des refuges, par exemple).

Bien qu’il ne s’agisse pas d’un modèle de clinique universitaire, la faculté de droit de l’Université de Toronto est associée avec la Barbra Schlifer Commemorative Clinic, une clinique juridique établie au centre-ville de Toronto qui fournit des conseils juridiques et d’autres services exclusivement à des femmes qui ont vécu de la violence. Un petit nombre d’étudiants y travaillent et peuvent y obtenir des crédits universitaires dans le cadre d’un placement considéré comme un stage externe.

Pro Bono Students Canada (PBSC) offre des projets à des étudiants qui s’inscrivent à un stage externe. Chaque faculté de droit ontarienne a au moins un projet PBSC traitant de violence à l’égard des femmes. Les étudiants sont associés à des organismes communautaires où on leur confie un rôle juridique, comme faire de la recherche, rédiger des textes, aider à l’élaboration de politiques, fournir de la formation, etc.

Des stages internes offrent d’autres possibilités d’apprentissage aux étudiants. L’Université d’Ottawa offre déjà des stages de recherche où les étudiants sont placés ailleurs qu’à la faculté de droit et obtiennent 3 crédits pour 125 heures de travail. L’Institut national de la magistrature embauche 3 étudiants dans le cadre de ce programme et s’est engagé à en avoir au moins un oeuvrant exclusivement en violence familiale. Il s’agit d’un modèle qui pourrait être adopté par d’autres facultés de droit.

Les centres de justice familiale de l’Ontario pourraient offrir des postes d’internat juridique, donnant aux étudiants l’occasion de traiter des dossiers juridiques en matière de violence à l’égard des femmes dans un cadre communautaire et de se familiariser avec les mesures prises par les organismes communautaires et sociaux pour répondre à la problématique de la violence familiale.

Un autre modèle est celui des crédits d’intérêt public de la faculté de droit Osgoode Hall. Les étudiants doivent compléter un minimum de quarante heures de bénévolat d’intérêt public lié au droit avant d’obtenir leur diplôme. Des étudiants d’Osgoode ont été placés auprès des organismes suivants, qui se consacrent aux questions de violence à l’égard des femmes ou qui ont le potentiel d’en traiter : Flemington Community Legal Services; Community Advocacy & Legal Centre (Belleville); Barbra Schlifer Clinic; CLASP; Metropolitan Action Committee on Violence Against Women and Children (METRAC); No Means No; Action ontarienne contre la violence faite aux femmes et Parkdale Community Legal Services.

Il existe un certain nombre d’avantages pédagogiques évidents à l’apprentissage en clinique, comme le rappellent Camille Carey et la commission de l’ABA. Dans un tel cadre, les étudiants peuvent en outre :

  • apprendre des techniques d’entrevue et d’autres habiletés importantes en situation réelle;
  • comprendre la complexité et le caractère multidimensionnel de la violence familiale par rapport au droit;
  • s’informer au sujet des ressources et des services communautaires autres que juridiques offerts aux personnes ayant survécu à la violence familiale;
  • développer leur sens critique en droit;
  • développer leurs habiletés à élaborer des stratégies et à participer à des résolutions de problèmes concrètes, à la fois en situation d’urgence et à plus long terme;
  • apprendre l’importance d’utiliser un modèle de prise en main personnelle lorsque l’on travaille avec cette clientèle.

Ces cliniques offrent également d’importants services juridiques à une clientèle vulnérable et sous-représentée, ce qui fournit l’occasion de tisser des liens entre les deux milieux.

Comme le conclut madame Carey, dans un commentaire que l’on pourrait généralement appliquer à l’enseignement de la problématique de la violence à l’égard des femmes aux étudiants en droit :

[TRADUCTION] Les facultés de droit et les Barreaux canadiens songent à élargir le rôle des cliniques juridiques étudiantes, ce qui semble une occasion idéale pour discuter de la création de cliniques ciblant les besoins juridiques des personnes ayant survécu à la violence à l’égard des femmes.[39] Nous notons que certaines facultés de droit, comme celle de l’Université Queen’s, ciblent plus particulièrement les clientèles âgées ou handicapées dans le cadre de leurs cliniques. Également, la faculté de droit de l’Université Western Ontario mentionne spécifiquement que, parmi les services offerts, leur clinique juridique communautaire prépare des testaments ou des procurations pour ces deux clientèles.[40]

 

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