A. Compétence constitutionnelle

 

Dans le cadre du fédéralisme canadien, qui est complexe, la règlementation de l’emploi est surtout du ressort provincial relatif à la « propriété » et aux « droits civils ».[71] Cependant, des questions de compétence restent à trancher en matière de règlementation et de politiques d’emploi. Ainsi, toute étude portant sur la capacité de l’Ontario d’aborder le problème de l’emploi précaire doit tenir compte de l’impact des politiques et des programmes fédéraux, comme ceux relatifs aux travailleurs migrants temporaires, au moment d’évaluer le pouvoir d’agir du gouvernement ontarien. Seule une conclusion satisfaisante des conflits de compétence relatifs aux enjeux politiques permettra de s’attaquer à la problématique de l’emploi précaire.

 

Il est donc essentiel que les représentants fédéraux et provinciaux travaillent ensemble à cette question, qui touche les travailleurs venant au Canada dans le cadre de programmes variés. Comme d’autres provinces, l’Ontario a conclu des accords avec le gouvernement fédéral au sujet des travailleurs étrangers temporaires. La province a signé le premier accord fédéral-provincial canadien portant sur l’immigration en novembre 2005, dans le but de se faire transférer des fonds fédéraux pour faciliter l’intégration des nouveaux arrivants. Un accord subséquent visant spécifiquement les travailleurs étrangers temporaires prévoit ce qui suit : « [c]ette disposition confère à l’Ontario le pouvoir de recommander l’entrée de TET dont la présence en Ontario peut contribuer à promouvoir les priorités de la province en matière de développement économique », y compris en faisant des investissements commerciaux ou industriels, en accroissant la compétitivité et la productivité des entreprises, en faisant progresser la recherche et le développement scientifiques et en encourageant la commercialisation de la recherche; en d’autres mots par le biais d’immigrants hautement spécialisés ou financièrement à l’aise.[72] De plus, le Canada, l’Ontario et la ville de Toronto ont conclu un protocole d’entente dans le but d’« améliorer la situation des immigrants sur plusieurs aspects intéressant les trois niveaux de gouvernement, y compris la citoyenneté et l’engagement civique, et à faciliter l’accès à l’emploi, aux services, à l’enseignement et à la formation ».[73] Ce protocole note qu’au cours des cinq années précédentes, « près de 50 % des immigrants au Canada sont arrivés chaque année dans la seule région de Toronto », proportion qui pourrait décroître, à mesure que les immigrants choisiront de s’installer ailleurs.

 

Bien que les politiques d’immigration fédérales puissent jouer un grand rôle relativement à l’ampleur ou aux circonstances du « travail précaire » ou à l’augmentation du nombre de travailleurs vulnérables, notons que le mandat de la CDO s’inscrit dans le cadre des lois et des politiques provinciales. La Commission peut toutefois étudier l’influence des lois et des politiques fédérales sur l’aptitude d’agir de l’Ontario et l’utilisation possible des compétences fédérales en collaboration avec celles de la province pour se pencher sur la situation des travailleurs vulnérables.

 

Il faut également noter que la Charte canadienne des droits et libertés[74] peut être pertinente, non seulement en ce qui concerne les exclusions à la négociation collective, mais également pour la différence de traitement par rapport aux normes d’emploi minimales ou à leurs effets comme, par exemple, lorsque les travailleurs vulnérables sont surtout des femmes, ou qu’ils proviennent de certains groupes ethniques, nationaux ou racialisés, ou lorsqu’existe une combinaison de ces facteurs.

 

B. Droit international

 

Ce document d’information ne traitera pas de l’application du droit international. Cependant, une analyse du droit international sera comprise dans le rapport d’étape. Des recommandations seront préparées après les nouvelles consultations et recherches dans ce projet. Bien que le Canada n’ait pas signé toutes les conventions internationales traitant de la situation des travailleurs, ces dernières fournissent un étalon permettant d’évaluer comment les travailleurs vulnérables sont traités. Un exemple à ce titre serait la Convention internationale sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille, que le Canada n’a pas signée.[75] L’Organisation internationale du Travail a promulgué huit conventions fondamentales qui visent les droits des travailleurs,[76] dont cinq ont été ratifiées par le Canada.[77] La Déclaration de l’OIT relative aux principes et droits fondamentaux au travail de 1998 prévoit que tous les membres de l’OIT ont l’obligation « de respecter, promouvoir et réaliser (…) les principes concernant les droits fondamentaux qui sont l’objet desdites conventions », même s’ils ne les ont pas ratifiées.[78] Parmi les catégories de droit citées se trouvent la liberté d’association, la reconnaissance effective du droit de négociation collective et l’élimination de la discrimination en matière d’emploi et de profession.

 

C.    Régimes nationaux régissant l’emploi et les relations de travail

 

1.                 Historique

 

En Amérique du Nord, les juristes et les théoriciens, notamment, font la distinction entre « droit de l’emploi » et « droit du travail », le premier référant aux relations entre employeurs et employés et le second, aux relations entre employeurs et syndicats. De façon plus spécifique, le droit du travail s’intéresse aux circonstances menant à l’accréditation d’un syndicat à titre de représentant unique d’un groupe défini d’employés et des modalités d’emploi établies selon une convention collective entre un employeur et un syndicat.[79] Ainsi, on considère souvent que la distinction entre droit de l’emploi et droit du travail engendre des ensembles de règles juridiques différentes selon qu’il s’agit d’un cadre de travail non syndiqué pour l’un ou syndiqué pour l’autre. Cependant, selon une explication plus exacte, les lois de l’emploi s’appliquent autant aux employés non syndiqués que syndiqués, même si, dans certains cas, comme pour les normes minimales, elles peuvent être plus généralement applicables aux employés non syndiqués qu’à ceux évoluant dans un milieu syndiqué. Pris ensemble, ces régimes juridiques d’emploi couvrent un domaine complexe comportant un grand nombre de lois applicables interdépendantes et un cadre règlementaire compliqué. 

 

Toute étude portant sur l’emploi précaire nécessite une analyse qui dépasse la distinction traditionnelle entre un milieu de travail non syndiqué et syndiqué. Elle nécessite également de s’engager dans une analyse multiniveaux, qui s’intéresse à la fois au travail, au travailleur, à son foyer et à sa collectivité.[80] Il est important de ne pas considérer l’étude de la règlementation juridique du marché du travail indépendamment de la situation réelle ou matérielle des gens. Les liens d’emploi sont au cœur de l’identité individuelle, du fonctionnement des foyers et de la vie sociale et communautaire.

 

Le contrat d’emploi en common law, pierre d’assise de la norme de l’emploi typique, a été codifié en Ontario dans la Master and Servant Act de 1847.[81] En règlementant l’échange de gages contre de la force de travail, le contrat d’emploi repose sur le principe d’une entente consensuelle ou volontaire entre parties officiellement égales négociant librement. Il établit les engagements et les obligations mutuels pouvant être appliqués par des tribunaux de common law. À l’opposé, la critique la plus importante du contrat d’emploi, qui ressort clairement des politiques visant le marché du travail, est qu’il y a bel et bien inégalité entre les pouvoirs de négocier des parties contractantes.[82] Compte tenu de la position dominante qu’occupent les employeurs, et du flot d’information asymétrique qui en découle dans la relation d’emploi, la plupart des employés sont désavantagés dans le cadre du processus de négociation contractuelle. On présume que cet écart entre les pouvoirs de négociation existe de façon générale dans la plupart des relations d’emploi,[83] mais qu’il ressort plus évidemment lorsque les modalités contractuelles sont excessivement déséquilibrées ou abusives.[84]

 

Les faiblesses du contrat d’emploi en common law ont entraîné la création de mesures de protection statutaires à l’encontre des excès des employeurs. Par exemple, une des premières interventions législatives de l’Ontario fut d’inclure des dispositions permettant de réclamer le paiement de gages à l’employeur dans la Master and Servant Act du milieu du XIXe siècle. Ces réclamations débouchaient souvent en jugements en dommages sans garantie de paiement, qui contrastaient avec les sanctions plus sévères d’amendes et d’emprisonnement pour les employés ayant manqué à une obligation contractuelle.[85]

 

La première loi ontarienne traitant explicitement des normes minimales d’emploi apparut presque quarante ans plus tard, après que les premières normes aient été créées. L’Ontario Factories Act, édictée en 1884, établit l’âge minimum d’admissibilité au travail et les heures de travail maximales pour les garçons et les filles en usine.[86] D’autres normes suivirent[87] et, au cours du XXe siècle, et surtout pendant les décennies ayant suivi la première loi sur les normes d’emploi exhaustive, des mesures de protection législatives supplémentaires furent ajoutées pour traiter de plusieurs aspects importants des conditions de travail, comme la santé et la sécurité au travail, la discrimination en emploi et un type particulier de discrimination, l’égalité de rémunération pour des fonctions équivalentes. Par exemple, la loi ayant précédé le Workplace Safety and Insurance Act, introduite en 1914, structurait la rémunération et les mesures de réadaptation pour accidents du travail et maladies professionnelles.[88]

 

Pour contrebalancer le pouvoir des employeurs, on effectua une nouvelle série d’interventions législatives dans le domaine des relations de travail. Avec le temps et après des contestations et des négociations difficiles naquit un régime juridique unique, désigné « pluralisme industriel ».[89] Ce régime intégrait la liberté d’association dans un format de négociation collective pour en faire un mécanisme formellement acceptable de résolution des différends en milieu de travail. Le syndicat était dès lors considéré comme une institution légitime responsable de relations de travail et, en échange, des obligations rigoureuses étaient imposées aux dirigeants syndicaux pour qu’ils s’assurent de responsabiliser leurs membres. Dans ce contexte, un modèle connexe d’organisation et de représentation collective des travailleurs vit le jour, le syndicalisme industriel.[90] Ce modèle était fondé sur l’organisation collective des travailleurs d’une industrie, plutôt qu’en fonction de compétences partagées ou d’une profession. 

 

On dit que le régime juridique du pluralisme industriel fut un compromis historique en relations de travail.[91] Il s’est traduit en éléments-clés que l’on retrouve aujourd’hui dans la Loi de 1995 sur les relations de travail (LRT de 1995) :[92] l’obligation pour l’employeur de reconnaître un syndicat accrédité selon la loi puisqu’il a le soutien de la majorité et de négocier avec lui de bonne foi; l’obligation pour l’employeur de prélever les cotisations syndicales de tous les employés de l’unité de négociation et de les remettre au syndicat; [93] les limites imposées aux grèves et aux lockouts et la création d’un processus interne de grief.

 

Ce modèle a connu certaines variations depuis, par exemple dans le secteur de la construction et dans la fonction publique. De façon générale cependant, on s’est peu écarté de la structure juridique de base. Comme il s’agit du seul véritable modèle de syndicalisation offert, le syndicalisme industriel s’avéra incontournable. La loi encadre donc maintenant l’organisation collective des travailleurs et leur représentation d’une façon prévisible. Il faut également souligner que le lien d’emploi typique ne s’appliquait pas universellement à tous, la plupart des travailleurs n’ayant pas tiré avantage de leurs droits de négociation collective. Même à son apogée, le régime de pluralisme industriel ne s’appliquait pas à plus de cinquante pour cent de la population active canadienne.[94]

 

En résumé, durant l’après-guerre, il y eut un accès accru aux normes minimales d’emploi, à l’indemnisation pour certains accidents du travail et maladies professionnelles, ainsi que l’instauration d’un régime formel de négociation collective. Cette évolution continue des normes protectrices et règlementaires en matière d’emploi et de travail reflète les changements de circonstances et d’expectatives sociales et elle s’avère d’importance considérable dans l’étude de remèdes adaptés à la situation des travailleurs vulnérables.

 

2.                 Régimes législatifs contemporains

 

La règlementation actuelle en matière d’emploi comporte trois éléments : le contrat d’emploi en common law, les normes minimales statutaires et la négociation collective régie par la loi. Un aperçu de la structure existante du droit de l’emploi ontarien intégrant les plus récents amendements sert à comprendre comment le cadre juridique actuel, malgré son étendue, a négligé l’emploi précaire et dans quelle mesure il pourrait répondre à l’évolution du marché du travail et de la population active.

 

a)      Contrat d’emploi en common law

 

En common law, pour faire valoir un contrat d’emploi, on se fie au litige civil. Les employés qui exercent un contrôle important au travail compte tenu de leur expertise particulière en forte demande dans le marché par exemple peuvent être en mesure d’intenter un recours ou même de négocier. Pour la plupart des autres travailleurs, l’exécution forcée par le biais des tribunaux de common law coûte trop cher. Les coûts économiques liés aux poursuites judiciaires, qui sont relativement élevés et auxquels s’ajoutent d’autres restrictions d’« accès à la justice » ont tendance à exclure les employés vulnérables.

 

Qui plus est, le contrat d’emploi en common law met les travailleurs en situation inhérente d’insécurité. Cela ressort particulièrement de l’interprétation du congédiement dans le cadre de la relation d’emploi en common law. La question juridique relative au congédiement consiste à savoir si un employeur est débiteur d’une obligation de préavis raisonnable ou d’une indemnité en tenant lieu.[95] La common law n’accorde pas la réintégration comme remède au congédiement. En ce qui concerne l’emploi précaire, il y a eu peu, sinon pas, d’innovations pertinentes en common law dans l’interprétation du contrat d’emploi.

 

b)      Normes minimales

 

En imposant des normes minimales en milieu de travail, ces mesures de protection statutaires établissent un seuil minimum de droits servant à solidifier le marché intervenu entre les parties contractantes dans le cadre du lien d’emploi. Ainsi, les lois de l’emploi contiennent d’importants éléments protecteurs prenant la forme de droits et d’obligations.

 

Normes d’emploi

 

Aujourd’hui, la Loi de 2000 sur les normes d’emploi fixe les droits des employés en matière de salaire minimum, versements salariaux, heures supplémentaires, congés payés, jours fériés, congés de maternité, congés parentaux et en cas d’urgence.[96] La LNE de 2000 constitue une refonte importante de la loi antérieure, plus particulièrement dans le cas des heures de travail et des mesures anti-représailles.

 

Les heures de travail jouent beaucoup dans l’emploi précaire. Certains travailleurs ne peuvent obtenir suffisamment d’heures dans un seul emploi et doivent les cumuler pour gagner leur vie alors que d’autres doivent travailler de longues heures par jour ou par semaine contre leur gré. Un accès restreint aux congés est un autre aspect récurrent de la précarité. Par exemple, la disposition de la LNE accordant un congé non payé d’urgence de dix jours en cas d’urgence familiale et d’urgence médicale personnelle ne s’applique qu’aux employés dont le milieu de travail compte 50 employés ou plus.[97]

 

La LNE de 2000 a été améliorée relativement au travail effectué pour des agences de placement temporaire.[98] Auparavant, on présumait que ces agences étaient les employeurs des personnes envoyées dans les entreprises clientes, ce que l’article 74.3 de la loi prévoit maintenant expressément. Les employés des agences de placement ont également droit à de nouvelles mesures de protection. La loi interdit aux agences d’imposer des frais aux travailleurs pour effectuer des tâches de préparation à l’emploi comme la rédaction de curriculum vitae et elle exige que les agences informent les employés de leurs nouveaux droits. La Loi prévoit également que les travailleurs des agences de placement temporaire puissent obtenir des emplois permanents lorsque les clients veulent les engager et elle leur garantit l’accès à l’information relative à leurs affectations, comme les grilles salariales et les descriptions de postes. Ces travailleurs ont maintenant droit à une indemnité de départ, ainsi qu’à des congés payés (changement effectué antérieurement en vertu des règlements sur les normes d’emploi).

 

Le gouvernement ontarien a également créé une loi accordant des mesures de protection aux aides familiaux par rapport à leurs employeurs et aux agences de recrutement, qui pourrait ensuite s’appliquer à d’autres travailleurs étrangers.[99] Les inspecteurs cibleront les employeurs pour que ces lois soient appliquées.[100]

 

Santé et sécurité

 

La Loi sur la Santé et la sécurité au travail de l’Ontario (« LSST »)[101] met l’accent sur la prévention des accidents de travail et des maladies professionnelles. En adoptant une approche dite de « système interne de responsabilité », la LSST considère que toutes les parties en milieu de travail sont solidairement responsables de la santé et la sécurité. Les travailleurs peuvent maintenant participer à la résolution des problèmes en santé et sécurité, par le biais de représentants ou d’un comité de santé et sécurité si l’entreprise a plus de cinq employés. Les travailleurs ont le droit de refuser un travail qu’ils estiment non sécuritaire ou dangereux. Ils ont également le droit d’être informés des risques potentiels auxquels ils pourraient s’exposer.

 

En juin 2006, le gouvernement ontarien a étendu la protection de la LSST aux travailleurs agricoles rémunérés effectuant certains types d’activités agricoles provinciales, même si tous les règlements en vigueur ne s’appliquent pas à eux.[102]La LSST ne vise cependant pas les travailleurs œuvrant dans une résidence privée ou sur des terrains connexes.[103]

 

Indemnisation pour maladie ou accident

La Loi de 1997 sur la sécurité professionnelle et l’assurance contre les accidents du travail (« LSPAAT de 1997 »)[104] règlemente le droit à une indemnisation ou à une réadaptation en cas de maladie professionnelle ou d’accident du travail, par le biais d’un mécanisme d’assurance sans égard à la faute financé par les employeurs, en fonction d’un système de classification industrielle tenant compte des taux d’accidents et de risques associés à chaque industrie. Le Commission de la sécurité professionnelle et de l’assurance contre les accidents du travail (« CSPAAT ») gère le programme d’indemnisation des travailleurs, en décidant les réclamations, en versant les indemnités et en surveillant la réadaptation et le retour au travail. La LSPAAT de 1997 exige de l’employeur qu’il fasse immédiatement rapport à la CSPAAT après un accident du travail ou une maladie professionnelle.

 

Alors que la plupart des travailleurs ontariens sont automatiquement protégés en vertu de cette loi, certains, comme les entrepreneurs indépendants, ne le sont pas. Ces derniers peuvent choisir d’adhérer au programme, mais ils doivent payer leurs propres primes.

 

Alors que les statistiques relatives aux blessures avec ou sans absence acceptées par la CSPAAT ont varié depuis 1999 (les statistiques sont diffusées conjointement par le ministère du Travail et la CSPAAT), on constate une baisse générale de ces absences depuis 1999.[105]

 

Équité salariale

Afin « d’éliminer la discrimination fondée sur le sexe en matière de rétribution des employés », la Loi sur l’équité salariale (« LES ») oblige les employeurs du secteur public, et ceux du secteur privé ayant plus de dix employés, à accorder un traitement égal pour du travail de valeur équivalente exécuté par des employés dans des catégories d’emploi où les femmes dominent et dans d’autres, où les hommes dominent.[106] L’étendue réelle de l’obligation dépend de la taille de l’employeur. La LES prévoit un mécanisme de plainte pour les employés eux-mêmes, pour des groupes d’employés ou pour leur agent-négociateur, le cas échéant, au sujet de la mise en oeuvre du plan ou de son caractère inapproprié si les circonstances ont changé.[107]

 

Le concept d’équité salariale ne tente pas de remettre en question les raisons pour lesquelles les hommes ou les femmes dominent dans certains emplois au départ ni les relations sociales ou les stéréotypes sous-jacents comme la dévaluation du travail domestique non rémunéré ou le fait que de nombreux emplois à dominance féminine sont des métiers d’aide ou de soins dépendant de qualités soi-disant « naturelles » des femmes.

 

Interdiction de discrimination en emploi

Le Code des droits de la personne de l’Ontario (« CDP ») interdit la discrimination en emploi selon quinze motifs, dont la race, la couleur, le lieu d’origine, l’origine ethnique, la citoyenneté et le sexe.[108] L’interdiction s’applique à tous les aspects de l’emploi, du recrutement à la cessation d’emploi. Le Code impose également aux employeurs une obligation d’accommodement pour les travailleurs handicapés, sans aller jusqu’à la contrainte excessive.[109]

 

c)      Démarches d’application des lois

 

Un aspect-clé du seuil de droits minimaux fixé par la loi est sa mise en application. La plupart des démarches d’application des lois ontariennes en matière d’emploi dépendent de plaintes d’employés, même si certaines lois vont plus loin et proposent d’autres méthodes d’exécution.

 

Le programme de la LNE reposant sur les plaintes est géré par la Direction des normes d’emploi du ministère du Travail. Le processus est mis en branle par le dépôt d’une plainte par un employé à l’encontre d’un employeur, alléguant la violation d’une ou de plusieurs normes contenues à la loi. Après le dépôt de la plainte, un agent des normes d’emploi doit faire enquête et décider des conflits en cause. Pour l’application proactive de la loi, des agents ministériels effectuent des inspections sélectives en milieu de travail, surtout dans des secteurs à haut risque et chez des récidivistes.[110] Entre 2003 et 2007, il y eut plus de 15 000 enquêtes en moyenne sur les revendications de droits par exercice.[111] En 2007-2008 et en 2008-2009, ces enquêtes ont augmenté à 18 533 d’une part et à 21 304 d’autre part. En revanche, les inspections sélectives effectuées entre 2003 et 2009 ont varié de 151 (pour l’exercice 2003-2004) à 2 713 (pour l’exercice 2006-2007), avec 2 135 en 2008-2009. Les motifs principaux de plainte et les violations recensées lors des inspections sélectives de 2007-2008 concernaient un salaire impayé.[112] En 2008, le ministère a poursuivi 480 personnes, dont des sociétés, pour des manquements à la LNE. Il s’agissait d’une hausse par rapport aux cinq poursuites de 2003 et confirmait une tendance constante à la hausse, sauf pour 2007.[113] La Direction des normes d’emploi a également créé un programme de formation destiné aux employeurs en avril 2009 pour leur faire part de leurs obligations selon la LNE[114] et, en août 2010, elle mit sur pied un Groupe de travail en matière de normes d’emploi pour traiter des plaintes en suspens dans ce domaine.[115]

 

Certaines lois sur l’emploi prévoient des mesures d’application proactives de façon plus explicite. La Loi sur l’équité salariale combine une démarche reposant sur les plaintes avec une approche proactive, en imposant des obligations d’indemnisation aux employeurs de taille moyenne ou grande pour corriger les effets d’une discrimination avant même qu’un employé dépose une plainte.[116] Le ministère du Travail compte environ 430 inspecteurs en santé et sécurité à temps plein pour l’application de la LSST, deux fois plus qu’en 2005, et il a annoncé que « [d]epuis le lancement de Sécurité au travail Ontario en 2008, les inspecteurs du ministère ont mené plus de 130 000 inspections proactives sur le terrain, donné plus de 200 000 ordres de conformité et entrepris 18 campagnes éclair d’application de la loi. » [117] Les inspections éclair s’attardent à des industries et des dangers précis.[118]

 

Le système interne de responsabilité de la LSST incorpore des éléments de mise en application proactive. Fondé sur le concept de responsabilité individuelle, ce système exige que les travailleurs, les superviseurs et l’employeur anticipent toutes les questions prévisibles de santé et de sécurité en milieu de travail et qu’ils s’en occupent, y compris celles concernant les plus récentes dispositions législatives visant le harcèlement et la violence en milieu de travail.[119] De plus, la LSST prévoit des inspections proactives pour améliorer le système actuel relatif au droit de refus en cas de travail non sécuritaire, qui repose principalement sur les plaintes.

 

Un cas récent et tristement célèbre d’incident lié à la santé et à la sécurité survint en décembre 2009, alors que quatre travailleurs migrants furent tués et un gravement blessé, lorsqu’ils tombèrent d’un échafaudage alors qu’ils travaillaient sur le balcon d’un édifice résidentiel. En mai 2010, le gouvernement ontarien annonça l’augmentation des inspections sur les chantiers et rappela l’obligation d’y respecter les exigences en santé et sécurité.[120] En août 2010, le ministère du Travail poursuivit deux sociétés et leurs représentants selon la LSST[121] et des accusations furent déposées au pénal en octobre 2010.[122]

 

Dans un contexte antidiscriminatoire, le régime repose principalement sur les plaintes. Le nouveau Tribunal des droits de la personne de l’Ontario reçoit toutes les plaintes à ce sujet et en décide, alors que le nouveau Centre d’assistance juridique en matière de droits de la personne fournit des conseils juridiques ou de l’aide aux plaignants, y compris aux travailleurs temporaires ou occasionnels, et il les représente.[123] Cela dit, depuis les modifications de 2008, les mécanismes provinciaux de droits de la personne comprennent également une composante éducative.[124] La Commission ontarienne des droits de la personne est responsable des programmes de formation destinés au public et d’autres mesures proactives comme la recherche, les analyses stratégiques et l’élaboration de politiques.

 

Faire appliquer des normes minimales en comptant sur le dépôt de plaintes ne peut servir aux travailleurs qu’à condition qu’ils ne craignent pas de représailles de la part des employeurs. Certaines dispositions législatives les protègent s’ils exercent des droits prévus aux lois ontariennes du travail et de l’emploi. Ainsi, la LNE comprend une disposition anti-représailles efficace interdisant aux employeurs d’intimider leurs employés, de les congédier ou de leur imposer des sanctions, s’ils s’informent au sujet de la loi ou s’ils exercent leurs droits à ce sujet.[125] D’autres lois contiennent des mesures semblables (comme l’article 50 de la LSST, par exemple). Malgré cela, des travailleurs font toujours l’objet de représailles.[126] Bien que les dispositions anti-représailles s’appliquent à tous les travailleurs (et non seulement à ceux occupant des emplois précaires), celle de la LNE a rarement servi depuis son entrée en vigueur en 2001.[127]

 

3.                 Négociation collective

 

Les mécanismes de négociation collective imposent une obligation de nature générale à l’employeur : celle de reconnaître un syndicat qui a obtenu une accréditation. Les parties ont l’obligation de négocier de bonne foi, tout en conservant un libre choix quant au contenu de leurs négociations, pourvu que soient respectées les limites du régime législatif, sauf en cas d’arbitrage d’une première convention collective.[128]

 

Un aspect-clé de l’emploi précaire est le manque de contrôle dans le cadre du processus de travail. Ceci ressort en outre du niveau de représentation syndicale. Alors que les taux de syndicalisation en Ontario avoisinent les trente pour cent, la plupart des travailleurs ne profitent pas d’une négociation collective encadrée par la loi.[129] Qui plus est, la révision du processus d’accréditation syndicale en 1995 a peut-être compliqué la tâche des travailleurs détenant des emplois précaires souhaitant s’organiser et négocier ensemble. La vérification des cartes de membres à des fins d’accréditation, introduite en 1950, processus par lequel il suffisait d’obtenir la signature de cinquante pour cent plus un des travailleurs d’un milieu de travail pour permettre au syndicat d’être accrédité et reconnu selon la LRT, prit fin en 1995. Ce processus fut remplacé afin d’exiger la signature d’au moins quarante pour cent de membres éventuels du syndicat, et, après un certain temps, la tenue d’un vote supervisé exigeant que le syndicat soit soutenu par cinquante pour cent des travailleurs plus un. Même si la vérification des cartes de membres aux fins de l’accréditation fut réintroduite dans le domaine de la construction en 2005, les travailleurs visés par la Loi de 1995 sur les relations de travail peuvent toujours faire l’objet d’intimidation et de coercition par leur employeur en cours de processus d’accréditation.[130]

 

4.                 Autres régimes

 

Cette partie du document traite du cadre juridique régissant le travail rémunéré en Ontario. Cela dit, d’autres lois provinciales et fédérales touchent l’emploi précaire. Par exemple, les indemnités reçues par le biais du système d’aide sociale provincial ainsi que les indemnités d’assurance-emploi du gouvernement fédéral sont essentielles pour les travailleurs. Qui plus est, comme cela a déjà été mentionné, la loi et les politiques fédérales d’immigration jouent un rôle important dans la création d’emplois précaires pour les travailleurs migrants temporaires, les nouveaux travailleurs immigrants et ceux qui ne détiennent aucun statut. À tous ces points de vue, la présente analyse ne constitue pas une étude exhaustive des sources législatives et politiques visant l’emploi précaire, mais elle devrait permettre de préciser la toile de fond des lois ontariennes.

 

 

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