Alors que la compétitivité à l’échelle planétaire et la flexibilité du marché du travail continuent d’influencer grandement les politiques gouvernementales, de nouvelles formes et façons d’organiser l’emploi précaire continuent d’être rapportées. Cette dynamique a entraîné une plus grande complexité dans les relations d’emploi propres aux personnes nées au Canada, aux résidents permanents, aux « nouveaux » citoyens et aux travailleurs migrants que la règlementation et les politiques actuelles du marché du travail ne sont pas encore prêtes à aborder. Il est clair que l’emploi précaire accorde un degré moindre de protection contre les salaires impayés et des conditions de travail moins intéressantes, par exemple, mais il existe une variété de points de vue quant aux réformes requises pour aborder ces problèmes et une variété de critères d’évaluation pour les départager.

 

Cette Partie passe en revue les réponses stratégiques et législatives proposées par des tiers relativement à l’impact du travail précaire sur les travailleurs. Il ne s’agit pas de recommandations de la CDO à ce stade (et pourrait ne jamais le devenir).

 

A. Considérations stratégiques

 

1.                 Établissement de critères d’évaluation

 

Il existe une myriade de réponses règlementaires potentielles à la problématique de l’emploi précaire. Une de nos premières tâches sera de créer une série de critères pour évaluer ces options. La CDO souhaite obtenir des commentaires spécifiquement au sujet des critères d’évaluation qu’il faudra utiliser. Par exemple, nous pourrions nous fier aux objectifs stratégiques du gouvernement provincial, comme la Stratégie de réduction de la pauvreté du gouvernement de l’Ontario. De façon alternative ou supplémentaire, nous pourrions nous intéresser à l’objectif de la « flexibilité » retenu par la communauté des affaires ou aux désirs collectifs ou individuels des employés. Enfin, les critères pourraient être déterminés en se fiant à des sources externes, comme le concept international du « travail décent », proposé par l’Organisation internationale du Travail.

 

La norme du travail décent reconnue internationalement peut être utile à l’élaboration de critères d’évaluation. Dans un contexte fédéral d’emploi, le « principe de la décence » a été expliqué de la façon suivante :

 

Les normes du travail devraient faire en sorte que, quelles que soient les limites de son pouvoir de négociation, un employé (…) ne puisse se voir offrir ou n’accepte des conditions de travail que les Canadiens ne considèrent pas comme « décentes », ou travaille dans de telles conditions. Aucun travailleur ne devrait donc recevoir un salaire insuffisant pour vivre; être privé du paiement du salaire ou des avantages sociaux auxquels il a droit; faire l’objet de coercition, de discrimination, d’atteintes à la dignité ou de risques injustifiés dans le milieu de travail; ou être obligé de travailler un nombre d’heures tel qu’il soit effectivement privé de vie personnelle ou communautaire.[201]

 

Le concept de travail décent aborde l’emploi de façon positive, puisqu’il en établit les caractéristiques souhaitées, alors que le concept de l’emploi précaire, du moins à cet égard, peut être considéré comme une approche négative.[202]

 

2.                 Politique gouvernementale ontarienne : réduction de la pauvreté

 

On associe depuis longtemps règlementation juridique de l’emploi et initiatives de réduction de la pauvreté en Ontario,[203] y compris la Stratégie de réduction de la pauvreté, lancée en décembre 2008.[204]  En mai 2009, la Loi de 2009 sur la réduction de la pauvreté obtint la sanction royale.[205]   Selon son préambule, la stratégie de réduction de la pauvreté du gouvernement ontarien « s’inspire de la vision d’une province où toute personne pourra développer son plein potentiel et contribuer et participer à la prospérité et à la santé de l’Ontario ». Cette loi « [r]econna[ît] que la réduction de la pauvreté soutient le développement social, économique et culturel de l’Ontario ». Une des caractéristiques principales de la stratégie provinciale est la reconnaissance du « risque accru couru par des groupes tels que les immigrants, les femmes, les mères célibataires, les personnes handicapées, les peuples autochtones et les groupes victimes de racisme ».[206] La réduction de la pauvreté était un objectif-clé de politique publique de la loi adoptée en 2009 visant à étendre la portée des mesures de protection statutaires aux travailleurs à bas salaire des agences de placement temporaire.

 

3.                 Besoin de flexibilité

 

La prolifération de l’emploi précaire au Canada et ailleurs est parfois vue comme le produit de forces du marché qui imposent des obligations aux employeurs y compris, d’abord, la flexibilité dans la répartition des ressources humaines. Vue sous cet angle, la flexibilité sert à caractériser les besoins en ressources humaines envisagés par les employeurs lors de périodes de restructuration économique contemporaines. On met alors l’accent sur la façon dont la flexibilité de la main d’œuvre facilite la concurrence dans le marché des denrées, celui des services et celui du travail, tous mondialisés et hypercompétitifs.

 

La flexibilité en emploi peut également être attrayante pour ceux qui ne souhaitent pas détenir d’emploi permanent ou à temps plein. Ainsi, l’emploi à temps partiel ou autonome peut parfois être perçu comme un choix permettant aux femmes de faciliter l’équilibre travail/famille, tout en étant soutenues dans certaines tâches familiales comme la garde d’enfants. La flexibilité de la main-d’oeuvre s’est imposée en réponse au désir d’accroître son indépendance par l’exercice d’un travail rémunéré et à celui de combiner les responsabilités travail/famille. Alors qu’il s’agit d’un choix véritable pour certaines, d’autres peuvent se sentir obligées de restreindre leur engagement au travail afin d’effectuer leurs tâches domestiques, surtout lorsqu’elles ont de jeunes enfants, peut-être à défaut d’avoir des options de rechange pour la garde des enfants ou l’aide d’un conjoint.[207]

 

Ceux qui considèrent que l’employé est celui qui choisit de travailler à temps partiel ont tendance à croire que les préoccupations liées à l’impact de la flexibilité de la main-d’oeuvre sont exagérées; ils s’inquiètent du fait qu’une intervention politique puisse entrer en conflit avec les stratégies du marché du travail pour améliorer les perspectives économiques des entreprises. Ils ont peur que les rajustements règlementaires soient trop exigeants pour assurer la croissance de l’économie et de l’emploi et l’adaptation des entreprises et des travailleurs au marché du travail.

 

D’un tout autre point de vue, la flexibilité de la main-d’oeuvre est considérée comme étant surtout à l’avantage des employeurs, plutôt que des employés.[208] Même s’il existe diverses formes de travail flexible, dont certaines sont à l’avantage personnel des travailleurs, la plupart ont d’abord été imaginées pour répondre aux besoins des employeurs. Les tenants de ce point de vue dénoncent l’augmentation des pressions et des mesures incitatives exercées pour encourager les heures supplémentaires ou pour travailler moins d’heures. Ils notent également un glissement important sur le plan de la répartition des risques dans le marché du travail. Aujourd’hui, les coûts, les obligations et les risques globaux de la relation de travail sont souvent dévolus aux travailleurs et surtout à ceux qui ont le moins les moyens de les assumer.

 

La flexibilité de la main-d’oeuvre peut être décrite avec plus de justesse comme une question plutôt que comme un questionnement sur la nécessité de réglementer ou non les marchés du travail. Même les marchés les plus flexibles ont besoin d’un cadre juridique.[209] La question fondamentale se rapporte plutôt à la forme de règlementation juridique la plus appropriée aux objectifs de politique publique au sens large. En reconnaissant l’importance de la flexibilité à la fois pour les employeurs et les employés et de la sécurité des employés, le commissaire Arthurs a énoncé les dispositions requises pour en arriver à ce qu’il appelle la « flexicurité » : « Cela demandera une contribution de la part des employeurs, des programmes d’assurance sociale (…) et des programmes financés par les gouvernements ou par les employeurs dans le but de préparer les travailleurs à occuper de nouveaux emplois ».[210]

 

B. Propositions précises de politiques pour l’emploi précaire

 

Lorsqu’une série de critères d’évaluation aura été choisie et que les impératifs stratégiques auront été déterminés, on pourra les appliquer aux réformes stratégiques proposées. Dans cette Partie, on précisera les propositions suggérées dans des études et par des experts et des porte-parole du domaine pour s’attaquer au problème de l’emploi précaire. Compte tenu de l’étendue des propositions existantes, seulement quelques-unes des réformes proposées seront étudiées dans ce document. Elles doivent servir à illustrer les options proposées par différents commentateurs et ne devraient pas être vues comme des recommandations de la CDO.

 

Les propositions juridiques relatives à l’emploi précaire se divisent habituellement en trois catégories, celles de nature contractuelle, législative ou de représentation collective, qui correspondent aux régimes juridiques d’emploi utilisés comme outils d’organisation pour faciliter la réflexion, et non pour écarter le potentiel d’une approche intégrée ou à plusieurs volets. Le problème que représente l’emploi précaire ne se limite pas à une seule catégorie.

 

Même si l’utilisation de ces catégories pourrait soutenir la pensée conformiste relative à la distinction entre droit de l’emploi et droit du travail mentionnée plus haut, il faut que l’ordre du jour politique transcende les frontières ou les limites distinctes. À cet égard, ces catégories de propositions ne s’excluent pas mutuellement. Il s’agit d’élaborer une gamme complète de recommandations devant servir à améliorer les caractéristiques et les ramifications du travail précaire, afin d’améliorer de ce fait la vie des travailleurs vulnérables.

 

On aura ultimement besoin de politiques et d’actions découlant de l’évaluation des propositions juridiques qui permettront, non seulement d’examiner les conséquences projetées, mais également d’anticiper celles qui pourraient survenir, ce qui est tout aussi important. La capacité de se fier à des critères d’évaluation solides et bien articulés pourrait, en fin de compte, faciliter la création de nouvelles initiatives stratégiques qui répondront aux conséquences imprévues.

 

1.                 Amélioration des mesures de protection existantes

 

Une option serait d’améliorer les normes et les mesures de protection existantes. L’amélioration des principales normes d’emploi fut suggérée pour parfaire l’équilibre travail-famille et tenir compte du travail non rémunéré effectué à domicile. De façon plus précise, les travailleurs vulnérables semblent plus à risque quant au non-respect de leurs droits en matière de salaire minimum, d’heures de travail ou d’autres normes de base. La loi ontarienne de 2009 relative aux agences de placement temporaire et modifiant la LNE de 2000 traite de certains cas de différence de traitement juridique entre employés engagés par le biais d’agences de placement temporaire et employés engagés par les entreprises clientes, qui effectuent souvent du travail comparable, même s’il n’est pas identique. Un des domaines ayant suscité de la confusion et qui fut éliminé en janvier 2009 fut celui des congés payés pour les travailleurs d’agences.[211] Un tel élargissement de la protection législative aura toutefois un effet limité s’il n’existe pas de mécanismes d’application efficaces. Même si la portée de normes-clés d’emploi est élargie, on peut prétendre qu’il existe encore d’importantes préoccupations pour certains employés au statut précaire. La nature multidimensionnelle de la précarité diminue la portée des efforts déployés pour préciser et raffiner les normes les plus importantes.

 

2.                 Élargissement des mesures de protection législatives

 

Beaucoup d’universitaires et de défenseurs des droits des travailleurs se demandent si le statu quo dans la relation d’emploi est viable du point de vue des employés vulnérables. Un large consensus se dégage parmi ces groupes, selon lequel l’idée d’affermir ou d’universaliser les mesures de protection statutaires d’emploi aiderait à réduire l’insécurité présente dans le marché du travail.

 

Une façon d’étendre les mesures de protection statutaires serait d’élargir ou d’étendre la définition d’« employé » ou de « travailleur » dans les lois de l’emploi. La définition de « travailleur » prévue à la LSST, par exemple, qui est plus englobante que celle contenue dans d’autres lois comme la LNE, pourrait être utilisée pour revoir les définitions contenues ailleurs, en y incluant l’emploi autonome.[212]

 

Une approche semblable suggère d’harmoniser la définition d’employé et de travailleur dans tous les régimes juridiques. On croit alors que cela pourrait concorder avec des définitions utilisées dans d’autres contextes comme le droit fiscal fédéral. De façon alternative, les lois sur l’emploi pourraient être révisées de façon à inclure des dispositions permettant de déterminer si la définition d’employé dans un contexte pourrait s’appliquer ailleurs.

 

Il serait également nécessaire d’aborder le lien entre l’emploi indépendant autonome et la sous-traitance, mentionné plus haut. L’existence de sous-traitants crée une relation d’emploi triangulaire qui soulève la question de la responsabilité des employeurs. Des propositions ont été suggérées afin d’introduire des dispositions statutaires prévoyant la responsabilité solidaire des employeurs et (surtout) des sous-traitants.[213]

 

On peut soutenir de façon convaincante que seule la protection la plus large possible garantit un traitement égal en emploi.[214] Par exemple, le rapport final québécois portant sur les personnes en situation de travail non traditionnel reconnaît que le plus grand nombre de travailleurs possible doit avoir accès aux mesures de protection statutaire.[215] On y conclut également qu’en matière de politique publique, des disparités de traitement liées au statut d’emploi sont socialement inacceptables. Selon cette conception, un point de départ structuré permettrait à tous les gens détenant un travail rémunéré en Ontario à bénéficier de la protection intégrale accordée par les lois de l’emploi, et ce, quel que soit leur type de travail ou leur statut comme travailleurs. Le fait que les mesures de protection législatives fournissent un seuil minimum de droits s’appliquant autant aux travailleurs syndiqués que non-syndiqués, laisse entendre qu’elles devraient être d’application générale, sinon universelle, pour garantir qu’aucun emploi ne tombe en dessous des normes minimales. Toute exception à cet égard devrait satisfaire une norme très stricte ou un seuil très élevé.

 

3.                 Augmentation des mesures d’aide sociale

 

Certains tenants du principe de la flexibilité des entreprises considèrent que l’emploi précaire découle de déficiences hétérogènes du marché plutôt que de déficiences systémiques et donc, même s’il ne s’agit pas d’un effet désiré du marché, la réponse la plus efficace ne passe pas par le biais d’interventions stratégiques ou règlementaires explicites, car elles interfèrent avec la flexibilité de la main-d’oeuvre. Ils suggèrent alors plutôt que la réaction la plus appropriée serait d’accorder aux employeurs une plus grande flexibilité lorsqu’ils engagent ou renvoient des employés, tout en fournissant aux employés de généreuses mesures de protection sociale. Un des meilleurs exemples de ce genre d’aide sociale est la « prime de précarité », décrite comme une prime payée aux travailleurs temporaires afin de reconnaître l’absence de sécurité liée à l’emploi précaire. (La « précarité » est le terme utilisé dans certains pays pour faire référence aux conditions des travailleurs vulnérables.) Un exemple serait le paiement d’une prime de départ (ou « prime de précarité ») équivalant à 10 % de la rémunération gagnée en cours de contrat par les travailleurs temporaires français à qui l’on n’offre pas de poste permanent.[216] Cela s’avérerait particulièrement utile pour les travailleurs âgés, ceux ne gagnant pas un salaire naturel, ceux qui n’ont pas choisi leurs conditions d’emploi, ceux dans des environnements de travail non syndiqués et ceux qui ne bénéficient pas d’une assurance collective ou privée et qui ne contribuent pas à un REER. Une autre option serait le revenu garanti.

 

C. Application des lois sur l’emploi

 

Une discussion portant sur les approches juridiques visant la réduction de l’emploi précaire est impossible si l’on ne traite pas des questions d’application et de respect des lois. Du point de vue des employeurs, l’existence de mécanismes d’application plus puissants et plus efficaces neutralise la concurrence déloyale. Tous les employeurs bénéficient de l’uniformisation des règles du jeu. Pour les travailleurs, ce sera grâce à l’application forcée de leurs droits qu’ils pourront s’assurer qu’ils soient systématiquement respectés.

 

Un appel populaire à l’engagement propose des mesures d’application proactives soutenues plus fermement et plus explicitement. Selon une récente estimation, le ministère du Travail n’emploie que vingt agents chargés d’effectuer des inspections proactives du respect des normes d’emploi pour plus de six millions de travailleurs dans plus de 350 000 milieux de travail dans la province.[217] Depuis 2003-2004 cependant, l’année où le ministère du Travail effectua 153 inspections ciblées, le nombre d’inspections effectuées à l’initiative du Ministère a augmenté à plus de 2 000[218] et les poursuites sont passées de cinq en 2003 à 480 en 2008.[219]

 

On pourrait améliorer l’application des lois en mettant l’accent sur les inspections proactives, en augmentant la surveillance des contrevenants récidivistes et en étendant les enquêtes effectuées à la suite de plaintes aux collègues de travail ou aux autres employés d’un employeur visé. Ceci requiert un engagement beaucoup plus important sur le plan des ressources économiques et humaines pour les services d’application des lois du ministère du Travail. Une façon d’y parvenir serait d’augmenter les amendes, surtout celles des récidivistes chroniques. Une nouvelle répartition des frais visant l’application et le respect des lois pourrait contribuer à améliorer l’efficacité des mécanismes existants d’application des lois. Dans d’autres provinces et territoires, comme en Colombie-Britannique et en Alberta, un employeur reconnu coupable d’avoir violé les normes d’emploi doit payer tous les coûts encourus par le Directeur dans le cadre de ses inspections et de ses enquêtes élargies effectuées à la suite de plaintes.[220] Les revenus supplémentaires provenant de ces amendes seraient ensuite redirigés afin de permettre l’utilisation de mesures d’application proactives plus complètes. 

 

La tâche d’améliorer l’application des lois exige non seulement plus de ressources, mais également une volonté politique d’innover pour s’assurer que les lois sont appliquées. Un perfectionnement des outils juridiques mis à la disposition des agents d’application des lois et des enquêteurs de première ligne et du terrain, par exemple afin d’intensifier les poursuites visant les employeurs en infraction qui se sont ensuite départis de leur entreprise, pourrait aider à cet égard. Un véritable engagement envers l’innovation créative dans les approches et les techniques d’application des lois aiderait grandement tous les employeurs et les employés de la province, et surtout les employés les plus vulnérables.

 

Pour que les lois puissent être appliquées, il faut notamment pouvoir se mettre à l’abri des représailles. Même si les lois de l’emploi comprennent déjà des mesures de protection explicites à l’encontre de la perte d’un emploi en guise de représailles, on peut se demander si ces dispositions tiennent compte de toutes les possibilités de représailles ou de punitions infligées aux travailleurs. On dit que les représailles déguisées en mises à pied constituent un obstacle au bon fonctionnement des mesures anti-représailles. Une réponse proposée à ce phénomène serait la création d’un article de loi relative au congédiement injustifié, qui pourrait ressembler à celui prévu au Code canadien du travail.[221]

 

Pour les travailleurs migrants engagés grâce aux mécanismes de migration temporaire, la question des représailles est encore plus aiguë. Les travailleurs agricoles saisonniers, par exemple, peuvent faire l’objet d’un rapatriement unilatéral de la part de leur employeur, un pouvoir découlant de la structure des politiques fédérales de migration. Le droit d’un employeur de rapatrier un travailleur et les limites à la mobilité des travailleurs dans le marché du travail découlant du programme fédéral visant les travailleurs étrangers excluent dans les faits les travailleurs agricoles migrants de la protection des dispositions anti-représailles.[222] De la même façon, la nature privée du lien d’emploi en vertu du Programme concernant les aides familiaux résidants a grandement réduit l’efficacité des mesures anti-représailles contenues aux lois de l’emploi. En ce qui concerne les travailleurs sans statut, les mesures anti-représailles existantes ont peu d’effet, car c’est le statut d’immigrant qui sert de levier pour leur imposer des sanctions et leur faire des menaces de représailles. Même si le ministère du Travail fait appliquer la LNE, les travailleurs vulnérables, peut-être surtout les travailleurs migrants, et certainement les travailleurs sans statut, sont confrontés à des difficultés d’ordre pratique pour déposer une plainte ou ne se rendent pas compte qu’ils peuvent en faire.

 

D. Représentation collective

 

Une autre solution juridique pour réduire l’emploi précaire passe par la représentation collective. La négociation collective prévue à la loi crée un contre-poids en tant qu’instrument de règlementation du marché du travail qui peut aider les travailleurs qui ne détiennent autrement aucun contrôle dans leur cadre de travail.

 

La LRT de 1995 refuse à certains travailleurs comme les domestiques qui travaillent dans des résidences privées d’avoir recours à la négociation collective.[223] D’autres sont exclus de la LRT de 1995, mais sont assujettis à un régime d’organisation collective distinct. Les travailleurs agricoles sont visés par la Loi de 2002 sur la protection des employés agricoles qui ne leur accorde pas de droits intégraux de négociation collective.[224] Une cause cherchant à déterminer si l’absence de droits de négociation collective constitue une violation du droit à la liberté d’association garanti par la Charte a été prise en délibéré par la Cour suprême du Canada.[225] En novembre 2010, le Bureau international du Travail (BIT) a décidé que la Loi de 2002 sur la protection des employés agricoles violait les droits de la personne selon les Conventions des Nations Unies portant sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical et sur le droit d’organisation et de négociation collective.[226]

 

Ces exclusions de la LRT de 1995 risquent d’aller à l’encontre des récentes tendances soulignant l’importance de la négociation collective formelle dans un contexte de droit constitutionnel à la liberté d’association pour « la dignité humaine, la liberté et l’autonomie des travailleurs ».[227] Comme la Cour suprême du Canada l’a récemment affirmé, « le droit de négocier collectivement avec l’employeur [donne aux travailleurs] l’occasion d’exercer une influence sur l’adoption des règles régissant leur milieu de travail et, de ce fait, d’exercer un certain contrôle sur un aspect d’importance majeure de leur vie, à savoir leur travail ».[228] 

 

Quelle que soit la forme que prenne ce travail, il est nécessaire de se demander si la structure existante de négociation collective prévue à la LRT de 1995 convient aux vulnérabilités propres à ces travailleurs. Cela exige une analyse individualisée de la situation propre à différentes catégories de travailleurs et à différentes sortes d’emploi précaire. Pour l’emploi indépendant autonome où le travail est effectué pour plusieurs employeurs dans des endroits divers, et où sont assumés des risques plus élevés liés à la sous-traitance, le modèle existant selon la LRT de 1995 n’est probablement pas adéquat.[229] Pour les domestiques travaillant dans des résidences privées qui traitent individuellement avec leur employeur et pour les employés agricoles qui travaillent dans des fermes avec peu d’employés ou qui sont des migrants présents au Canada de façon temporaire seulement, la négociation collective effectuée « un milieu de travail à la fois » pourrait s’avérer appropriée.[230] Des innovations en représentation collective, qui prendraient au sérieux certaines formes de vulnérabilité, seraient nécessaires. On a mentionné, par exemple, que permettre des formes « minoritaires » de représentation collective, qui ne dépendraient pas du soutien de la majorité des travailleurs dans un lieu de travail donné, tiendrait compte des difficultés inhérentes au régime actuel de négociation collective pour certains travailleurs,[231] même s’il peut s’avérer difficile de diviser les travailleurs et de diminuer le pouvoir syndical en milieu de travail, d’une part, et de compliquer les négociations et l’organisation du milieu de travail pour les employeurs, d’autre part.

 

E.    Autres stratégies pour adoucir l’emploi précaire

 

La CDO souhaite obtenir des commentaires quant aux stratégies et aux politiques à privilégier pour réduire l’emploi précaire en dehors de celles mentionnées ci-dessus, y compris celles qui pourraient remplacer des initiatives législatives majeures. Dans certains milieux de travail syndiqués, par exemple, les employeurs et les syndicats ont convenu de politiques pour convertir des catégories d’employés vulnérables à des types d’emploi plus sûrs. Les travailleurs d’agences pourraient avoir l’occasion d’acquérir la permanence. Les travailleurs migrants temporaires pourraient bénéficier d’un raccourci vers le statut de résident permanent si leur employeur propose leur nomination au Programme de désignation des candidats de la province.

 

Même si ce document met l’accent sur les solutions législatives pour s’attaquer à l’emploi précaire, nous souhaitons également obtenir des commentaires sur les pratiques exemplaires des employeurs, qu’elles soient réelles ou proposées, pour faciliter l’engagement et la rétention des travailleurs les plus touchés par l’emploi précaire. Un exemple serait l’affichage d’emplois disponibles dans les journaux communautaires des communautés ethniques.

 

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