A.   La CDO dans son contexte

La réforme du droit en tant que telle remonte au XVe siècle, mais l’idée moderne d’une réforme bien pensée remonte, aux États-Unis, à la Commission de révision du droit de 1925 et, en Angleterre, au Comité de révision du droit de 1934, qui, après l’interruption de la Seconde Guerre mondiale, a refait surface sous le nom de Comité de réforme du droit en 1952.[1] Le procureur général de l’Ontario a constitué un comité de révision du droit en 1941 et un comité consultatif sur l’administration de la justice en 1956. Selon Murphy, ce dernier organisme a « abattu un volume imposant de travail, qui portait essentiellement sur des questions techniques » et ses recommandations ont souvent été adoptées par le gouvernement.

En 1964, l’Ontario mettait en œuvre la première commission « moderne » de réforme du droit au Canada. La Commission de réforme du droit de l’Ontario, créée par le législateur, devait examiner toute question dont la saisissait le procureur général tout en ayant le pouvoir d’étudier tout aspect qu’elle jugeait pertinent et de faire des recommandations à son propos. Son personnel se composait de quatre chercheurs juridiques sous la direction d’un chercheur juridique principal et elle faisait par ailleurs appel à des chercheurs contractuels provenant des facultés de droit ontariennes. Elle s’était également dotée d’un comité consultatif regroupant des juristes et des non-juristes. Elle fut abolie en 1996 après avoir publié un nombre important de rapports, dont un bon nombre a, selon Hurlburt, influé sur le cours du droit en Ontario et ailleurs.[2] 

Un peu plus de dix ans après l’abolition de la Commission de réforme du droit de l’Ontario, la Commission du droit de l’Ontario a vu le jour le 25 juin 2007. En novembre 2006, des doyens de facultés de droit, des membres des barreaux, les membres déjà nommés du conseil des gouverneurs et du comité consultatif sur la recherche de la Commission et des fonctionnaires du ministère du Procureur général ont participé à un colloque de création pour discuter des questions liées à la constitution d’une commission de réforme du droit en Ontario.

La Commission est un partenariat dans l’ensemble composé du ministère du Procureur général de l’Ontario, du doyen de la faculté de droit Osgoode Hall, des doyens des facultés de droit ontariennes, de la Fondation du droit de l’Ontario et du Barreau du Haut-Canada ; le ministère, la Fondation, le Barreau et Osgoode Hall lui fournissent un appui financier et en nature pendant cinq ans, à compter du 1er janvier 2007. La Commission est un organisme sans but lucratif et sans personne morale qui tire son existence de la convention de fondation conclue par ses fondateurs et non d’un texte de loi. La CDO a été inaugurée officiellement lors d’une cérémonie publique tenue à la faculté de droit Osgoode Hall le 7 septembre 2007. Sa directrice exécutive est entrée en fonction le 15 septembre 2007.

La nouvelle Commission du droit de l’Ontario rejoint les rangs de ses pendants provinciaux de la Nouvelle-Écosse, du Manitoba, de la Saskatchewan, de l’Alberta et de la Colombie-Britannique. Ces organismes varient en termes d’origine, de structure et de ressources. La Law Reform Commission of Nova Scotia, la Commission de réforme du droit du Manitoba et la Law Reform Commission of Saskatchewan ont toutes été créées par une loi provinciale particulière. Le British Columbia Law Reform Institute a été constitué en personne morale sous le régime de la loi intitulée Provincial Society Act en 1997 pour succéder à la Law Reform Commission of British Columbia, constituée en 1969, dont le ministère du Procureur général avait aboli le financement. L’Institute of Law Research and Reform a été mis sur pied par la province de l’Alberta, l’Université de l’Alberta et le Barreau de l’Alberta en novembre 1967, puis rebaptisé Alberta Law Reform Institute en 1989. Les Commissions de la Nouvelle-Écosse, du Manitoba et de la Saskatchewan sont toutes financées par le ministère de la Justice et la fondation du droit de leur province respective. L’institut albertain est financé par le ministère de la Justice et par l’Alberta Law Foundation en plus de recevoir un apport en nature de l’Université de l’Alberta (l’Université de Calgary héberge deux avocats rattachés à l’institut) et celui de la Colombie-Britannique l’est par la British Columbia Law Foundation et, plus récemment, par la Notary Foundation et la Real Estate Foundation.  

La Commission de réforme du droit du Canada fut créée par une loi de 1971. Elle était étroitement liée au gouvernement et le mandat que lui confiait sa loi habilitante était de revoir les lois en vigueur, mais également d’élaborer de nouvelles approches en matière de droit, volet qu’elle prenait très au sérieux. Bien qu’il ait fallu longtemps avant que le gouvernement ne donne suite à ses recommandations (ce qui, d’après Hurlburt, n’est survenu qu’en 1983 à propos d’une question relativement mineure, à savoir l’abolition de l’immunité relativement à la saisie-arrêt des salaires des fonctionnaires fédéraux), la Commission a vu un plus grand nombre de ses recommandations enchâssées dans la loi pendant la décennie qui a suivi. Elle fut abolie en 1993, puis reconstituée en 1996 sous le nom de Commission du droit du Canada, avant de voir son financement aboli de nouveau en 2006. 

La CDO s’inscrit donc dans le paysage diversifié de la réforme du droit au Canada. Certes, la majorité des provinces disposent d’une commission de réforme du droit, mais leurs ressources varient, ainsi que leur capacité d’étudier des sujets de grande ampleur et la quantité d’études qu’elles sont en mesure d’entreprendre simultanément.

À l’échelle internationale, la réforme du droit est une fonction de réflexion qui a cours dans bien des pays. L’Angleterre et le Pays de Galles, l’Écosse, l’Irlande, l’Australie (les États tout comme le gouvernement fédéral), la Nouvelle-Zélande, l’Afrique du Sud, des États des États-Unis, Hong Kong, Fidji et la Tanzanie, entre autres, comptent tous des commissions dont les documents de réflexion et les rapports se trouvent sur Internet.

 

B.   La démarche de la CDO

Après avoir mis l’accent sur des questions étroites, ciblées et souvent techniques comme les premières commissions du droit ou les premiers organismes de réforme du droit, les commissions du droit ont commencé à s’intéresser à de grandes questions sociales qui requièrent des recherches multi/interdisciplinaires et empiriques ainsi que des compétences non juridiques. Les commissions de réforme du droit actuelles s’occupent généralement des deux genres de « réforme ». Le rapport du colloque de création souligne que l’éventail des démarches en matière de réforme du droit va du philosophique (axé sur l’information, l’examen et les fondements) au politique (immédiatement pertinent et en prise sur la réalité). Les commissions canadiennes ont eu tendance à se focaliser sur certains domaines du droit ou des lois, même si on peut très adéquatement affirmer que la Commission du droit du Canada s’est tenue à une démarche « philosophique ». La CDO a tenté de tirer les enseignements que lui ont livrées les démarches et les expériences d’autres commissions. Elle adopte une démarche novatrice et visionnaire, en même temps que pragmatique, en matière de réforme du droit en cherchant à combiner les meilleurs aspects des deux tendances.  

La Commission sait également que la réforme du droit ne relève pas uniquement des commissions qui en sont nominalement chargées. Le droit évolue ou « se réforme » de bien des façons. Il devient démodé ou s’atrophie, il n’est plus observé ou mis à exécution sans même être abrogé. Les gouvernements proposent de nouvelles lois que les assemblées législatives adoptent en remplaçant souvent explicitement des lois en vigueur, mais souvent en s’aventurant dans des terrains inconnus. Les tribunaux font le droit en même temps qu’ils l’interprètent. La nécessité de la réforme du droit naît de diverses causes : des événements spectaculaires qui font ressortir le besoin d’adopter de nouveaux textes ou de modifier ceux qui existent, des recherches qui analysent les problèmes posés par les textes en vigueur, les pressions exercées par des groupes ayant des intérêts particuliers ou les progrès sociétaux ou technologiques qui appellent de nouvelles réglementations, pour n’en citer que quelques-unes. Elle peut être planifiée ou, au contraire, découler de besoins immédiats et imprévus.

Bien que les commissions du droit ne soient qu’un des moyens de réforme, voire de transformation du droit, elles sont particulièrement bien équipées pour participer à ce processus. Elles ont les moyens d’analyser à fond de problèmes juridiques difficiles et de proposer des solutions innovatrices qui englobent des recommandations dans des domaines autres que le droit, leur domaine d’action premier. Elles peuvent peser les avantages et les inconvénients de différentes options. Elles disposent de plus de temps pour se livrer à des recherches que les services juridiques ou d’élaboration des politiques du gouvernement ou même que les tribunaux. Bien que les universitaires aient les moyens de mener des recherches poussées, il leur manque souvent les liens avec les pouvoirs publics et le mandat spécifique de s’intéresser à la réforme du droit qui caractérise les commissions de réforme du droit. 

Bien qu’elles n’aient pas l’autorité politique ou juridique du pouvoir exécutif/législatif ou des tribunaux, les commissions de réforme du droit qui sont connues pour leur excellence et leur pragmatisme ont une autorité « morale » qui dépasse leur vocation juridique. Elles doivent tenir compte de la réalité pratique et politique en fondant leurs recommandations tant sur des recherches de qualité et une vraie réflexion philosophique que sur un solide pragmatisme : ces recommandations doivent pouvoir être mises en œuvre, même si elles ne plaisent pas à un gouvernement donné. Les commissions de réforme du droit ne seront efficaces et ne gagneront la confiance du public que si elles restent indépendantes et non partisanes, toujours prêtes à relever des défis et à se saisir de questions difficiles et controversées.

Pour devenir légitimes et le rester, les commissions de réforme du droit doivent adopter une démarche fondée sur des principes ; par conséquent, leur programme de recherche ne cadrera pas nécessairement toujours avec les priorités du gouvernement en place ; il leur faut donc savoir que leurs recherches et leurs recommandations pourront ne produire des effets que dans un avenir plus ou moins éloigné. Comme nous le soulignons ci-dessous, la seule mesure de la réussite d’une commission du droit n’est pas toujours l’enchâssement de ses recommandations dans une loi, voire leur adoption par le gouvernement : elle a également un rôle à jouer dans le dialogue social et dans la sensibilisation à la notion même de réforme et à des problèmes sociaux donnés.

De plus, un organisme de réforme du droit doit préserver son indépendance non seulement à l’égard du gouvernement, mais aussi des groupes d’intérêt. Sa légitimité est ancrée dans la certitude que ses travaux sont indépendants et fondés sur des compétences et sur une culture qui comprend les procédés et les répercussions de recommandations issues d’une étude objective d’un problème donné. Comme le fait remarquer l’ancien président et directeur exécutif de la Commission de réforme du droit de la Nouvelle-Galles-du-Sud, les commissions de réforme du droit excellent à l’analyse et à l’élaboration des politiques[3].  

En résumé, comme l’indique Murphy : 

Une commission de réforme du droit doit fonctionner sur un plan différent des législateurs et des juges, puisqu’elle doit évaluer les répercussions des réformes objectivement et sans prêter démesurément attention aux considérations politiques à court terme.  Parmi les avantages d’une commission du droit figurent l’indépendance, l’expertise, la concentration et la continuité.[4]   

Adams et Hennessey, de la Commission de la N.-G.-S., ont également décrit le modèle contemporain de la commission de réforme du droit comme étant particulièrement apte à mener des recherches poussées et fondées sur des principes dans les divers domaines du droit. Il s’agit, selon eux, d’organismes indépendants, permanents, capables de coordonner de grands projets de recherche, de se livrer à des consultations publiques poussées et d’étayer de façon claire et raisonnée les recommandations qu’ils présentent aux pouvoirs publics.[5]   

L’ancien président de la Commission de réforme du droit de l’État australien de Victoria a pu affirmer que la création d’organismes de réforme du droit permanents s’appuie sur le fait que l’idée même de la réforme du droit est reconceptualisée.[6] La première Commission de réforme du droit du Canada, particulièrement à ses débuts, estimait que son mandat était de se pencher sur les grandes questions sociales et l’évolution des attitudes, et non d’élaborer des recommandations « techniques ». Nombre de ses rapports étaient, pour reprendre l’expression de Hulburt, profondément philosophiques[7]. Dans sa dernière incarnation, elle a abandonné les branches habituelles du droit pour le structurer selon de nouvelles catégories axées sur les rapports personnels, les rapports sociaux, les rapports économiques et les rapports de gouvernance.    

La démarche de la Commission en matière de réforme du droit est de se pencher sur des questions particulières lorsqu’il est justifié de le faire et de s’attaquer aux grands enjeux sociaux qui conviennent si bien aux commissions du droit. Elle proposera même, lorsque cela s’imposera, cette nouvelle conceptualisation du droit que Neave considère comme la raison d’être même d’un organisme distinct de réforme du droit. Elle sait que, si le droit est au cœur même du processus de réforme du droit, il ne peut s’évaluer que dans le contexte d’autres disciplines et compétences telles que la sociologie, l’économie, la psychologie et les sciences naturelles, par exemple. Elle aura recours, au besoin, aux outils de recherche les plus modernes et aux méthodes d’analyse qualitative et quantitative. Ses chercheurs consulteront des universitaires et ceux qui ont une connaissance directe des problèmes pour se faire une idée de la question étudiée en puisant à tout un éventail de points de vue différents. Les commissions du droit actuelles font partie de ce monde, qu’il soit juridique ou non, et doivent donc se doter des procédés de consultation, de collaboration et de communication les plus poussés. Elles ne peuvent se soucier seulement des sujets qu’elles choisissent d’étudier, mais également de leurs procédés de recherche, de consultation et de communication.

Au moment où elle élaborait les valeurs et les principes qui régissent son travail – comme l’indiquent la section III et la démarche qui y figure – la Commission s’est posée comme une commission contemporaine de réforme du droit, car elle était consciente du besoin de replacer le droit dans un contexte et de profiter des perspectives et expériences des nombreuses communautés qui procèdent à des échanges mutuels dans divers domaines du droit.

 

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