A.    Introduction

La notion de « capacité » est fondamentale dans le droit concernant la prise de décision. Aux termes de la Loi de 1992 sur la prise de décisions au nom d’autrui (LPDNA) et de la Loi de 1996 sur le consentement aux soins de santé (LCSS), dans les cas où il faut prendre une décision et la personne visée est déclarée « incapable » de prendre cette décision ou ce type de décision, il appartient au mandataire spécial de le faire à sa place. De façon générale, les personnes considérées comme capables ont le droit de décider par elles-mêmes et sont tenues responsables de leurs décisions, y compris de celles pouvant paraître irréfléchies ou peu judicieuses à des tiers. En revanche, les personnes dont l’incapacité a été reconnue dans un domaine particulier ou pour une décision en particulier peuvent perdre le droit de décider par elles-mêmes dans ce domaine : d’autres personnes seront responsables de décider à leur place et peuvent théoriquement être tenues responsables de leur façon de décider. Les conséquences de la détermination de la capacité juridique sont donc capitales.

 

1.     La notion de capacité

Complexe, cette notion prête à controverse. Le terme a été compris de diverses façons, selon les époques et les lieux. On a écrit qu’« [i]l existe autant de définitions opérationnelles de la capacité ou de l’incapacité mentale qu’il y a de territoires de compétence »[112]. Pour obscurcir davantage encore notre propos, il existe une multiplicité de termes, « capacité mentale », « compétence », « aptitude à décider » (et leur contraire, notamment « incapacité mentale » et « incompétence »), parfois employés en synonymes ou presque de « capacité », parfois employés pour établir des distinctions notionnelles majeures. Le terme « compétence » par exemple peut désigner le comportement « acceptable », l’aptitude à accomplir des tâches, la qualité pour agir ou le processus cognitif décisionnel[113].

En droit, il faut comprendre la capacité comme une notion « socio-juridique », pour reprendre le terme du Rapport Weisstub[114]. Selon le professeur Lawrence Frolik, [traduction] « l’incapacité n’existe qu’après que nous l’avons défini[115] ». Autrement dit, l’État réglemente le sens de « capacité » aux fins d’atteindre des objectifs dictés par les besoins et les valeurs de nos sociétés : il s’agit d’une notion fonctionnelle, pour laquelle les critères varient. La compréhension et la conception de la notion de capacité ont varié selon les époques, et sans nul doute continueront d’évaluer.

La notion de capacité est étroitement liée à d’autres notions importantes et difficiles, par exemple celles d’autonomie et d’indépendance, en ce que la capacité a des liens intimes avec la faculté de prendre des décisions en autonomie et d’accepter la responsabilité de leurs conséquences. Selon Margaret Hall,

[traduction] La capacité, en droit, constitue le seuil réel de l’autonomie; elle distingue d’une part la personne autonome, et la personne qui ne l’est pas, de l’autre, selon la capacité de la personne à se livrer à un processus de pensée rationnelle (et donc, autonome), défini comme la capacité d’exercer sa propre volonté afin de réfléchir, de choisir parmi ses désirs et de faire « siens » les choix que l’on retient[116].

En termes pratiques, la constatation d’incapacité légitime d’intervenir dans la vie de la personne visée. Sabatino et Wood prétendent que la capacité est une « fiction juridique » nécessaire pour [traduction] « nous indiquer quand l’État peut en toute légitimité s’immiscer dans les affaires des particuliers et prendre des mesures pour restreindre les droits de ceux-ci de décider de leur personne ou de leurs biens[117] ». Elle est étroitement liée à notre appréciation non seulement du risque, mais aussi du préjudice réel à des personnes marginalisées ou défavorisées, ainsi qu’à notre tolérance de ce risque et de ce préjudice. Elle est à ce titre également liée à des notions relatives à la fonction de l’État de protection des personnes vulnérables. Ainsi que le souligne Hiltz et Szigeti, [traduction] « quand notre incapacité devient telle qu’elle risque de nuire gravement aux autres ou à nous-mêmes, l’État a envers nous l’obligation de protéger nos intérêts et ceux de la collectivité. Les lois [dans ce domaine] régissent la façon dont ces protections sont fournies aux incapables[118] ». 

Il convient d’aborder la notion de capacité en la situant dans la vie des personnes qu’elle touche le plus profondément : celles, jeunes ou âgées, qui vivent avec une déficience touchant leur capacité de recevoir, de comprendre, d’apprécier et de retenir des informations par elles-mêmes, et celles qui sont présumées présenter des déficiences dans ces capacités. De par le paternalisme, les préjugés négatifs sur les personnes handicapées et sur les personnes âgées ainsi que sur leur indépendance qui ont lourdement marqué, et continuent de marquer lourdement, la vie de celles-ci, la notion de capacité et les modes particuliers dont elle est concrétisée sont lourdement connotés. Les mouvements pour les droits des personnes handicapées et des personnes âgées sont en partie inspirés par la tentative d’affirmer le droit de celles-ci de contrôler leur vie et de réaffirmer leur dignité et la pleine valeur. La notion de capacité acquiert de ce fait une importance fondamentale, de façon pratique et en tant que représentation des droits de ces groupes de personnes et du statut qui leur est accordé.

 

2.     La capacité juridique et les principes des cadres

La brève introduction ci-dessus vient de le préciser, la notion de capacité est intimement liée à tous les principes des cadres parce qu’elle touche les aspirations à la dignité, à l’autonomie, à l’intégration, à la diversité, à la sécurité ainsi que la façon dont elles sont comprises, et conditionne nos rapports avec les autres et la perception de nos responsabilités envers eux.

Comme nous l’avons déjà discuté, les débats sur la capacité et les façons dont on la définit sont souvent situés du point de vue de l’antinomie des principes d’autonomie et de bienfaisance ou de sécurité. Il est certes utile d’étudier les tensions entre des principes, mais il peut être stérile de réduire la question à une opposition nulle entre ceux-ci, l’accent mis davantage sur la sécurité réduisant inévitablement l’autonomie, et vice-versa. Une telle optique détourne l’attention des façons dont l’autonomie et la sécurité sont profondément liées, et des importantes contributions des autres principes pour comprendre les problèmes dans ce domaine. Le principe de participation et d’intégration par exemple peut nous aider à réfléchir aux effets de la marginalisation sociale et économique des personnes âgées et des personnes handicapées par rapport à leurs possibilités d’accéder à des soutiens pour faire des choix et de recourir à des personnes concernées et intéressées en vue de surveiller pour éviter les mauvais traitements et l’exploitation.

Les principes de diversité (dont la définition varie quelque peu dans les deux cadres), ainsi que l’accent que ceux-ci placent sur l’importance du vécu pour comprendre les principes, nous rappellent que les expériences et les besoins des personnes que ce domaine du droit peut concerner varieront énormément : autant que possible, il convient de tenir compte de ces différences, au moment d’adopter des conceptions de la capacité et des normes pour celle-ci.

Les deux cadres insistent par ailleurs sur l’importance de l’écart dans la mise en application, à la fois pour comprendre comment fonctionne le droit dans la vie des personnes visées et pour concevoir la réforme du droit. Les discussions et les consultations préliminaires de la CDO ont mis en lumière l’écart colossal qui peut exister entre les notions abstraites de la loi et la façon dont les personnes peuvent comprendre et mettre celle-ci en application au quotidien. Ce sont les besoins pratiques du quotidien et les façons dont le « bon sens » populaire comprend le droit qui animent dans une large mesure la mise en application actuelle de celui-ci. Puisque ce domaine du droit s’appuie tellement sur les actions et les idées des particuliers, l’écart entre la loi et le vécu est large, ce qui constitue un défi pour la réforme du droit.

 

  • QUESTION À ABORDER : quelles sont les conséquences les plus importantes des principes des cadres pour les conceptions et les normes de la capacité juridique en droit ontarien?

 

3.     Définition de quelques termes

Comme on l’a déjà brièvement souligné, la notion de capacité est difficile; sa genèse ayant été tortueuse, il ne faut peut-être pas se surprendre que sa terminologie soit complexe. Les termes sont souvent connotés et peuvent eux-mêmes susciter des controverses. Démêler les termes revient à démêler les diverses conceptions de la notion. Quelques-uns des principaux termes sont brièvement expliqués ci-dessous.

« Capacité juridique » : selon les documents internationaux, la « capacité juridique » comporte deux aspects : 1) la capacité d’avoir des droits et des obligations, 2) la capacité de les exercer[119]. Ces deux éléments sont parfois appelés « capacité d’avoir des droits » et « capacité d’agir ». On peut considérer que le premier aspect est de nature « statique », autorisant la personne à être reconnue en droit comme titulaire de droits et d’obligations précis, dont une grande variété de droits établis dans les traités internationaux et dans les lois constitutionnelles des pays – droits à l’égalité, à la liberté, à l’instruction, liberté de circulation et d’établissement, et ainsi de suite[120]. Historiquement, des groupes, y compris les femmes, ont été exclus de la capacité d’avoir des droits et des obligations[121].

Dans les régimes de common law comme celui du Canada, il y a normalement présomption de l’état de capacité juridique (le premier élément), et l’expression « capacité juridique » est réservée à l’exercice de cette capacité (le second élément expliqué ci-dessus, soit la « capacité d’agir »). L’élément « statique » n’étant pas en cause dans ce projet, sauf mention contraire, le présent document de travail emploie l’expression « capacité juridique » pour désigner les deux éléments (ce que l’on entend parfois par « capacité juridique complète ». L’emploi de cette expression plutôt que celui du mot « capacité » (selon le libellé actuel de la LPDNA et de la LCSS) permet de plus de souligner les aspects socio-juridiques de la notion.

« Capacité mentale » : l’expression est parfois employée pour établir une distinction par rapport à la « capacité juridique ». Employée dans ce sens, « capacité juridique » désigne la « capacité juridique complète » définie ci-dessus, c’est-à-dire avoir le droit d’avoir et d’exercer des droits et des responsabilités, tandis que « capacité mentale » désigne les facultés mentales ou cognitives qui ont été définies comme des prérequis de l’exercice de la capacité juridique[122].

« Compétence » : employés autrefois en Ontario, le terme « compétence » ou l’expression « compétence mentale » sont toujours en usage dans d’autres administrations. Dans son rapport, Weisstub a explicitement rejeté le terme « compétence », afin de [traduction] « minimiser l’ingérence non voulue et non délibérée de la stigmatisation sociale et d’attirer plus clairement l’attention sur les paramètres fonctionnels et les facultés de la personne dans le contexte de la décision à prendre[123] ». La CDO n’emploie pas ce terme pour parler du système ontarien, mais s’en sert s’il y a lieu dans la discussion sur d’autres administrations qui emploient toujours le terme.

 

4.     Les conceptions de la capacité

Les conceptions de la capacité sont généralement classées en trois grandes catégories (même si les régimes législatifs peuvent combiner des éléments des diverses conception) : celle fondée sur l’état, celle fondée sur le résultat, et la conception fonctionnelle[124].  Les deux premières catégories ont longtemps prédominé. Dans la plupart des lois modernes sur la capacité et la tutelle, le législateur adopte une version quelconque de la conception fonctionnelle, même si dans la pratique, des éléments des conceptions fondées sur l’état et sur le résultat continuent sans doute d’influer sur l’évaluation de la capacité. Une quatrième conception, celle fondée sur « la volonté et l’intention » a été évoquée pour se substituer aux précédentes, qui sera discutée plus avant au présent chapitre.

La conception fondée sur l’état

Selon la conception de la notion de capacité qui se fonde sur l’état, la capacité se définit par la présence ou l’absence de conditions ou d’incapacités particulières. La présence par exemple de démence, de schizophrénie ou de trisomie 21 serait associée par exemple à l’incapacité juridique. La conception fondée sur l’état sous-tend très souvent les anciennes lois sur la tutelle, l’état de « folie » ou d’« idiotie » donnant lieu à la nomination d’un tuteur quelconque[125]. Selon cette conception, la capacité est souvent corrélée au diagnostic médical et à l’établissement de l’incapacité. C’est une conception du tout ou rien, qui n’est pas propre à des types précis de décision et n’aide pas à s’occuper de conditions épisodiques ou dans lesquelles les aptitudes peuvent fluctuer. Cette conception était autrefois courante. Elle l’est moins aujourd’hui, quelques administrations conservant malgré tout des conceptions associées qui comportent le diagnostic de déficience dans la définition générale de l’incapacité[126]. Le Rapport Weisstub a rejeté cette conception, et le libellé des lois ontariennes ne lui est pas favorable. Il est difficile de concevoir comme, sous une forme non atténuée, elle pourrait être rendue conforme aux dispositions de la Convention relative aux droits des personnes handicapées, ainsi que le chapitre I de la partie Un l’a brièvement discuté. Dans la pratique, des idées qui perdurent sur certains types de déficience peuvent entraîner des présomptions inadéquates de l’incapacité, et ainsi influencer l’application de l’évaluation de la capacité.

 

La conception fondée sur le résultat

La conception de la capacité fondée sur le résultat s’attache au point de savoir si la personne concernée prend de « bonnes » décisions – c’est-à-dire si elles sont dans les limites de ce que l’on pourrait considérer comme raisonnable. Généralement rejetée comme conception juridique en raison de son paternalisme inhérent, cette conception n’est pas à la base des régimes modernes de capacité et de tutelle. Dans la pratique toutefois, des membres de la famille ou des prestataires de services peuvent parfois appliquer une variante du critère du résultat pour évaluer la capacité de décider, de sorte que des idées arrêtées fondées sur le résultat peuvent influer sur l’application de la loi, ce dont plusieurs intéressés se sont inquiétés lors des consultations initiales de la CDO.

 

La conception fonctionnelle et cognitive

Les conceptions contemporaines de la capacité suivent en général une version de la conception « fonctionnelle » ou « cognitive », que la Commission de réforme du droit du Queensland définit ainsi :

[traduction] La conception fonctionnelle est fondée sur la capacité cognitive (fonctionnelle) de prendre une décision précise, notamment un type précis de décision, au moment où celle-ci doit être prise. Elle privilégie le processus de raisonnement qui a lieu à la prise de la décision. Il s’agit d’un condensé des facultés de comprendre, de retenir et d’évaluer les renseignements propres à la décision (dont ses conséquences possibles), et d’en tenir compte pour arriver à décider[127].

C’est la conception qui domine dans les critères contemporains de détermination de la capacité. La législation ontarienne en reflète une version élaborée, comme on va l’exposer.

 

B.    Normes et critères de détermination relatifs à la capacité en droit ontarien

1.     Principaux éléments de la conception ontarienne actuelle de la capacité juridique

La conception ontarienne de la capacité juridique trouve son fondement dans le Rapport Weisstub[128] de 1990, brièvement présenté au chapitre I de la partie Un. Ce rapport a présenté les recommandations suivantes à l’égard de cette conception[129], finalement traduites dans les dispositions de la LPDNA et de la LCSS.

  1. Présomption légale de capacité : codification de la présomption de capacité qui existe en common law, la charge de la preuve appartenant à la partie qui affirme l’incapacité, avec la norme de preuve par prépondérance des probabilités. La LPDNA tout comme la LCSS prévoient expressément la présomption de capacité[130]. La capacité juridique peut être retirée uniquement par des mécanismes spécifiques précisés dans les lois, sous réserve de garanties procédurales solides. En cas de doute sur la capacité, la présomption doit lui être favorable, jusqu’à l’achèvement de ces processus.
  2. Base fonctionnelle de l’évaluation de la capacité : fonder l’évaluation de la capacité décisionnelle sur les exigences fonctionnelles propres à la décision en cause, plutôt que sur les capacités en théorie, sur l’état de la personne ou sur le résultat probable du choix de celle-ci.
  3. Capacité propre au domaine ou à la décision : éviter une conception globale de la capacité, afin que la détermination de celle-ci se limite à l’évaluation de l’aptitude à prendre une décision précise ou un type précis de décision. Comme on va l’exposer, la LPDNA et la LCSS prévoient des critères de détermination de la capacité pour la gestion des biens, le soin à la personne, la création de procurations relatives aux biens et au soin à la personne, le consentement au traitement, les services d’aide personnelle dispensés en foyer de soins de longue durée et l’admission à des soins de longue durée.
  4. Le critère « comprendre et évaluer » : le professeur Weisstub a recommandé que les critères de détermination de la capacité soient basés sur l’aptitude à comprendre l’information propre à la décision à prendre, et à apprécier les conséquences de la prise de la décision. Il faut souligner que le critère « comprendre et évaluer » est axé sur l’aptitude à analyser l’information et à l’évaluer, par opposition au résultat de ce qui a été compris et évalué[131]. Diverses raisons, n’ayant peut-être aucun rapport avec la capacité de comprendre ou d’apprécier, peuvent expliquer l’absence de compréhension ou d’appréciation réelles. Le professeur Weisstub souligne l’importance de cette distinction pour des « malades qui seraient en mesure de mieux comprendre leur situation si on leur administrait moins de sédatifs ou, bien sûr, dans le cas de ceux qui n’ont pas été entièrement informés de leur situation[132] ». 
  5. Caractère temporaire de la détermination de la capacité : puisque celle-ci peut varier ou fluctuer, le professeur Weisstub a recommandé de restreindre la durée de validité de la détermination de la capacité à la période pendant laquelle aucune modification majeure de celle-ci n’est susceptible de surgir.

 

2.     Critères de détermination de la capacité prévus dans les lois ontariennes

La LPDNA et la LCSS prévoient de multiples critères de détermination de la capacité, qui reflète la conception propre au domaine ou à la décision prônée dans le Rapport Weisstub. Même si tous ces critères sont des variantes du critère « comprendre et évaluer », les exigences pour y satisfaire peuvent dans la pratique s’avérer très différents : l’information qu’il faut comprendre et évaluer pour établir une procuration relative au soin de la personne est très différente par exemple (moins rigoureuse) que celle qu’il faut comprendre et apprécier pour gérer des biens. Le critère « comprendre et évaluer » peut ainsi fonctionner avec beaucoup de souplesse, dans des contextes différents et à des fins différentes. Il demeure que le fondement du critère – l’exigence de comprendre et d’évaluer des informations précises – est cohérent et uniforme dans les divers domaines.

Il convient de préciser que quelques dispositions renvoient à la capacité et d’autres, à l’incapacité. Les professionnels de la santé par exemple ont l’obligation positive de prendre des mesures raisonnables pour s’assurer de la capacité de la personne et de son consentement. C’est pourquoi la LCSS définit la « capacité ». De même, le mandant doit, aux termes de la LPDNA, jouir de la capacité afin d’établir une procuration valide. En revanche, pour la gestion des biens et du soin à la personne, la tutelle et la procuration relative au soin de la personne prévues par la loi prennent effet uniquement s’il y a eu évaluation et constatation d’incapacité, et les définitions de la loi visent l’incapacité, ce qui révèle la différence de dynamique de ces domaines décisionnels.

Les critères de détermination de la capacité et de l’incapacité juridique que prévoit la législation ontarienne sont exposés ci-dessous.

Gestion des biens (LPDNA) : la personne est incapable de gérer des biens si elle n’est pas en mesure de comprendre l’information pertinente pour décider de la gestion de ses biens ou d’évaluer les conséquences raisonnables prévisibles de la décision ou de l’absence de décision[133].

Procuration relative aux biens (LPDNA) : la capacité d’établir une procuration relative aux biens est conditionnée à ce que la personne visée :

  • sache quel genre de biens elle possède et en connaisse la valeur approximative;
  • soit consciente des obligations qu’elle a envers les personnes à sa charge;
  • sache ce que le procureur pourra faire;
  • sache que le procureur doit rendre compte des mesures qu’il prend à l’égard de ses biens;
  • sache qu’elle peut, si elle est capable, révoquer la procuration;
  • se rende compte que si le procureur ne gère pas ses biens avec prudence, leur valeur pourrait diminuer;
  • se rende compte de la possibilité que le procureur peut abuser des pouvoirs qu’elle lui donne[134].

Procuration relative au soin de la personne (LPDNA) : la personne doit être en mesure, pour donner une procuration valide relative à son soin, de comprendre si le procureur proposé s’intéresse réellement à son bien-être, et de se rendre compte qu’elle peut avoir besoin que ce dernier prenne des décisions pour elle[135].  

Soin de la personne (LPDNA) : « une personne est incapable de prendre soin d’elle-même si elle ne peut pas comprendre les renseignements qui sont pertinents à la prise d’une décision concernant ses propres soins de santé, son alimentation, son hébergement, son habillement, son hygiène ou sa sécurité, ou si elle ne peut pas évaluer les conséquences raisonnablement prévisibles d’une décision ou d’une absence de décision[136] ».

Traitement, admission à des soins de longue durée, services d’aide personnelle (LCSS) : pour être capable de décider à ces égards, il faut « comprendre les renseignements pertinents à l’égard de la prise d’une décision » concernant le traitement, l’admission à des soins de longue durée ou l’aide personnelle, et évaluer les conséquences raisonnablement prévisibles d’une décision ou de l’absence de décision[137].

 

3.     Difficultés de mise en application de cette conception de la capacité

La notion de « capacité » est complexe, il ne faut donc pas se surprendre qu’elle soit difficile à mettre en application[138]. Comme on l’a souligné tout au long des consultations préliminaires de la CDO, sa mise en application peut différer considérablement de la théorie juridique et des exigences légales. La présente section analyse les difficultés de mise en application qui sont sans doute inhérentes à la conception que l’Ontario a privilégiée. Le chapitre suivant détaillera les systèmes et les exigences en vigueur pour le processus d’évaluation de la capacité.

Distinguer « capacité » de la compréhension et de l’évaluation « concrètes » : la distinguer entre l’aptitude à comprendre et à évaluer, et la compréhension et l’évaluation concrètes est « subtile mais importante[139] ». En théorie, l’emploi de la locution verbale auxiliaire « être capable » dans le libellé du critère de détermination de la capacité permet à plus de malades de satisfaire aux conditions de celui-ci, puisqu’ils ou elles doivent seulement prouver la possibilité de comprendre et d’évaluer, sans devoir atteindre le degré de la compréhension et de l’évaluation concrètes. Cette interprétation du critère de détermination vise donc à protéger les malades de l’incapacité de comprendre l’information si le médecin l’explique mal[140] ou à les rendre davantage capables de comprendre s’ils sont moins tranquillisés[141]. La personne peut juger les renseignements d’une manière différente de celle du spécialiste ou ne pas leur accorder la même valeur, et ne pas être d’accord avec le traitement recommandé, pour autant qu’elle montre qu’elle comprend les paramètres de la décision à prendre, cela équivaut à la capacité d’évaluer[142].

Ainsi que l’affirme la Cour suprême du Canada dans son arrêt Starson c. Swayze,

Bien que la différence entre l’aptitude à comprendre et à évaluer et le résultat de ces opérations soit facile à formuler, elle est peut-être moins facile à appliquer dans les faits.  La capacité est un concept abstrait.  Le principal moyen de déterminer la capacité ou l’aptitude d’une personne, et ce dans quelque contexte que soit, consiste à examiner ses propos et ses gestes[143].

En pratique, la question se pose de savoir si l’évaluation peut toujours distinguer correctement entre les deux[144]. Selon Jessica Berg, quand il s’agit d’examiner la « capacité » de comprendre, les cliniciens examinent en réalité la compréhension concrète[145]. Les patients sont interrogés sur les risques, les avantages, les solutions autres que le traitement, et le médecin fournit toujours plus de renseignements tout en s’efforçant de remarquer si les patients les comprennent[146]. Il semble difficile de reconnaître dans ces conditions la différence entre la capacité de comprendre et la compréhension concrète. Puisque le même processus d’examen est employé pour la capacité d’évaluer, se pose la même difficulté de distinguer « capacité » et « concret »[147]. 

Évaluer les conséquences : quelques commentateurs se sont inquiétés de la possibilité d’appliquer efficacement dans la pratique le volet « évaluation » du critère. La Cour suprême du Canada a analysé et exposé en détail dans Starson l’exigence d’« évaluation ». Le professeur Starson avait demandé à la CCC de réviser la constatation d’incapacité juridique établie par un médecin à l’égard de son traitement, puis a demandé le contrôle de la décision de la CCC de confirmer la constatation du médecin. Il s’agissait de la capacité de Starson d’évaluer les conséquences de sa décision à l’égard de son traitement. La CSC a conclu que ce volet du critère de détermination exige que « cette personne doit être apte à appliquer les renseignements pertinents à sa situation et à évaluer les risques et les avantages prévisibles découlant d’une décision ou de l’absence de décision[148] ». La personne doit donc être apte à appliquer les renseignements pertinents à sa situation et à évaluer les risques et les avantages prévisibles découlant d’une décision ou de l’absence de décision. Il n’est pas obligatoire que la personne soit d’accord avec le diagnostic afin d’appliquer les renseignements pertinents à sa situation, mais elle doit être apte à reconnaître la possibilité d’être affectée par les manifestations de sa condition.

Les juges majoritaires de la CSC ont conclu que Starson était capable à l’égard du traitement au motif que même s’il ne percevait pas son état comme une maladie, il était parfaitement conscient que son cerveau ne fonctionnait pas normalement et comprenait les effets escomptés du médicament proposé. Les juges minoritaires ont affirmé en revanche que même si Starson ne niait pas tous ses problèmes ni ses symptômes, il ne les considérait pas comme une maladie ou un problème pertinent à l’égard des traitements qu’on lui proposait.

L’universitaire Monique Dull a fait valoir que l’examen de la jurisprudence postérieure à l’arrêt Starson indique qu’en pratique, même si dans plusieurs jugements, le raisonnement de la majorité dans Starson n’a pas été explicitement abandonné, les juges ont appliqué un critère plus élevé que celui de la « capacité d’évaluer » appliqué par les juges de la CSC. Dull soutient que l’examen établit que les juges ayant appliqué le critère de détermination de la capacité justifient leur conclusion d’incapacité en s’efforçant de dégager des distinctions factuelles de l’arrêt Starson alors qu’il n’en existe aucune. Elle soutient que les décisions postérieures suivent au fond le critère supérieur affirmé par les juges minoritaires dans l’arrêt Starson, tout en prétendant suivre le critère de la majorité[149].

Une partie intéressée a fait part à la CDO du risque que l’exigence d’« évaluation » soit ramenée au critère de détermination de la capacité fondé sur les résultats, car dans la pratique, il peut s’avérer difficile de distinguer entre l’inaptitude à évaluer les conséquences d’une décision, et l’évaluation de la nature et du degré du risque qui diffère de celui de l’évaluateur.

Difficultés inhérentes à la fluctuation des degrés de capacité : telle qu’elle est définie et comprise en Ontario, la capacité juridique peut varier : la personne n’ayant pas la capacité juridique à un moment donné peut en jouir à un autre moment. Ceci reflète le rejet de la conception fondée sur l’état, ce dont on se félicite en général, et la reconnaissance que la capacité est de nature spécialisée et contextuelle. Cette conception de la capacité a toutefois notamment pour effet qu’il est difficile de l’employer comme critère juridique pour les domaines décisionnels. Le problème n’est pas du même degré pour le consentement aux soins de santé, pour lequel la capacité, au moins selon le libellé actuel de la loi, est généralement évaluée à chaque décision, mais il se pose dans les domaines où l’incapacité juridique a des conséquences à plus long terme, par exemple quand elle déclenche le fonctionnement d’une procuration ou la nomination d’un tuteur. La tutelle est de par sa nature relativement coûteuse et complexe. Dans les cas de perte temporaire ou épisodique de la capacité juridique, il peut être relativement difficile de garantir que les structures pour la prise de décision au nom d’autrui soient en place uniquement quand elles sont véritablement nécessaires.

La mise en application par l’Ontario de sa conception de la capacité peut donc être inégale, et conserver dans la réalité des aspects des conceptions fondées sur l’état ou sur le résultat qu’en théorie, le législateur rejette sans ambiguïté.

 

4.     Critiques du point de vue des droits de la personne

La conception cognitive de la capacité a été en partie adoptée parce qu’elle adhérait davantage aux notions des droits de la personne, et parce surtout qu’elle s’écartait des préjugés et des idées reçues de nature médicale qui sous-tendent la conception fondée sur l’état et de ce que beaucoup considèrent comme le paternalisme outrancier de la conception fondée sur le résultat. La conception fonctionnelle et cognitive adoptée dans le régime législatif ontarien actuel fait elle aussi l’objet de critiques du point de vue des droits de la personne, et l’on prétend même qu’elle est incompatible avec les dispositions de la CRDPH, présentée au chapitre I de la partie Un.

Selon quelques-uns, toute conception fonctionnelle de la capacité est incompatible avec le point de vue des droits des personnes handicapées, en ce que le droit de décider ne devrait pas être restreint sur la base de la diversité de quelques capacités associées à quelques types de déficience, et que ces types de distinction sont de nature discriminatoire[150].

Selon d’autres, le type de critère cognitif de détermination de la capacité adopté en Ontario défavorise de façon disproportionnée les personnes atteintes de déficiences intellectuelles, linguistiques, cognitives et psychologiques, et se fonde incorrectement sur des capacités cognitives définies par la profession médicale (conservant en ce sens nombre des aspects problématiques de la conception fondée sur l’état).

Comme on vient de le souligner, le critère « comprendre et évaluer » établit une norme fondée sur les capacités cognitives pour les personnes qui peuvent décider par elles-mêmes et pour celles qui ne le peuvent pas. Malgré qu’il ne soit pas fondé sur la déficience, ce critère aura ainsi un effet disproportionné sur les personnes dont la déficience touche leurs capacités cognitives, celles atteintes par exemple de déficiences intellectuelles, mentales ou neurologiques. Les personnes non handicapées seront certainement touchées, mais les personnes reconnues incapables de comprendre et d’évaluer les renseignements requis pour un type particulier de décision seront en majorité celles ayant un type de déficience dont les effets sur leur cognition sont récurrents ou permanents[151].

On prétend encore que les conceptions cognitive et fonctionnelle ne tiennent pas compte que nous tendons à l’interdépendance, à la prise de décision en consultation avec ceux en qui nous avons confiance et qui nous sont proches et avec leur soutien. Bach et Kerzner expliquent que [traduction] « les personnes n’exercent pas leur autodétermination de façon isolée et personnelle, mais plutôt de façon “relationnelle”, interdépendante et intersubjective avec les autres ». Ces relations et ces soutiens visant l’autonomie sont certes importants pour nous tous, mais ils le sont tout particulièrement pour les personnes dont les déficiences sont liées à la communication et à la compréhension. On fait valoir que des personnes peut-être incapables d’obtenir un processus décisionnel apte peuvent le faire grâce à ces relations et à ces soutiens, avec la coopération des autres. De ce point de vue, la conception cognitive isole la personne et ignore le réseau des soutiens et des relations susceptible de soutenir un processus décisionnel solide.

On prétend aussi que la conception cognitive ne valorise pas assez d’autres éléments dont on se sert pour décider, les préférences, les émotions, l’intuition par exemple. Bach et Kerzner ont fait valoir que l’intention est le fondement de nos actions, qu’elle reflète notre intervention, et que le fondement de la capacité de décider devrait être non pas dans la cognition, mais dans la capacité des personnes d’exprimer leur intention ou leur volonté de façon qu’elles guident ceux qui les connaissent bien. Le langage tout autant que le comportement peut communiquer la volonté et l’intention[152].

 

C.    Normes et critères de détermination relatifs à la capacité juridique : options de réforme

Étant donné ces difficultés vis-à-vis de la conception et des critères ontariens de détermination de la capacité, quelles sont les options de réforme? Il y a deux grandes façons de procéder : modifier la conception cognitive en vigueur, ou adopter d’autres conceptions qui tentent de tenir compte des critiques fondamentales de la conception cognitive. Il faut se rappeler que l’Ontario a la possibilité d’intégrer plusieurs conceptions à sa législation. Autrement dit, il se peut que dans certaines situations, la conception cognitive est celle qui convient le mieux, alors que dans d’autres, une autre conception sera le meilleur moyen d’atteindre les objectifs de la loi. Certes, ceci ajouterait encore de la complexité à un régime législatif déjà compliqué, mais l’Ontario dispose déjà de différents critères de détermination de la capacité pour différents types de décision.

1.     Adapter les critères cognitifs de détermination de la capacité

Le critère « comprendre et évaluer », ainsi que d’autres marques distinctives de la conception fonctionnelle de la capacité – évaluation selon le type de décision, présomption de capacité, accent mis sur les capacités plutôt que sur les résultats – existe dans de nombreux pays, dont les États-Unis, l’Australie, le Royaume-Uni, ainsi que les provinces et les territoires du Canada.

Comme on vient de l’analyser, même si tous les critères ontariens de détermination de la capacité sont fondés sur le critère « comprendre et évaluer », la législation prend soin de préciser exactement quels renseignements sont à « comprendre et à évaluer ». Quelques administrations n’incluent pas dans leur législation d’obligation particulière sur ce qui doit être compris et évalué, mais prévoient simplement l’obligation générale que la personne comprenne l’information pertinente pour la décision et évalue les conséquences raisonnablement prévisibles de celle-ci ou de l’absence de décision, l’application du critère à des contextes précis se faisant pendant l’évaluation[153]. Ceci a l’avantage de la simplicité et de la souplesse, mais la détermination de quelle information est à comprendre et à évaluer est laissée à l’expertise et au jugement des évaluateurs.

Quelques pays détaillent davantage dans leur législation les obligations quant à la « compréhension » ou à l’« évaluation ». Au Royaume-Uni par exemple, la Mental Capacity Act 2005  précise que la personne est incapable de prendre une décision si elle n’est pas apte à :

  • comprendre les renseignements pertinents pour la décision;
  • retenir ces renseignements;
  • les utiliser ou évaluer dans le cadre du processus décisionnel[154].

Ceci éclaire un peu le critère, surtout quant à ce que vise la capacité d’« évaluer » les renseignements pertinents. Dans la même veine, il pourrait être souhaitable de modifier le critère ontarien de façon à inclure précisément l’aptitude « à appliquer les renseignements pertinents à sa situation et à évaluer les risques et les avantages prévisibles découlant d’une décision ou de l’absence de décision », pour reprendre le libellé of la Cour suprême du Canada dans Starson c.  Swayze.

Les Lignes directrices en matière d’évaluation de la capacité du ministère de la Procureure générale de l’Ontario, qu’en vertu de la LPDNA, les évaluateurs sont tenus d’employer dans leurs évaluations, amplifient et éclairent considérablement le critère de détermination de la capacité que prévoit celle-ci (comme on va le voir au chapitre suivant). Les Lignes directrices comportent les éléments fondamentaux de l’évaluation de la capacité et précisent les termes « comprendre » et « évaluer ». Elles précisent par exemple que l’évaluateur « doit non seulement tenir compte de ce que la personne peut accomplir, mais il doit déterminer si la personne reconnaît avoir des limites personnelles, si elle est au courant des options à sa disposition et si elle a examiné les avantages qu’il y aurait à demander l’aide appropriée pour répondre à ses besoins en matière de prise de décisions[155] ». Autre exemple : « [l]orsqu’il évalue une personne qui présente une déficience des connaissances factuelles, l’évaluateur doit déterminer si la personne a été exposée aux occasions de formation ou d’apprentissage nécessaires pour saisir les faits pertinents[156] ». Du fait que les Lignes directrices s’appliquent uniquement aux évaluateurs en vertu de la LPDNA, et du fait de l’importance de l’évaluation de la capacité et de la confusion que nombre des interlocuteurs de la CDO ont signalée à propos de la capacité, on peut se demander si quelques-uns des éclaircissements des critères de détermination de la capacité apportés par les Lignes directrices pourraient être avec profit intégrés à la loi ou au règlement ou appliqués à d’autres mécanismes d’évaluation de la capacité.

 

  • QUESTION À ABORDER : des moyens particuliers existent-ils pour éclaircir le critère actuel « comprendre et évaluer » de détermination de la capacité juridique, afin d’en améliorer l’application? Ou d’autres moyens existent-ils, qui permettraient de guider utilement la bonne application du critère? Des moyens particuliers existent-ils pour modifier le critère législatif de sorte qu’il reflète mieux les aspects sociaux et contextuels de la capacité juridique?


2.     Conception non cognitive : le critère de détermination fondé sur la volonté et l’intention

On a recensé d’autres conceptions possibles de la capacité selon lesquelles seraient apportées au critère « comprendre et évaluer »non seulement des modifications, mais aussi une orientation et différente. La notion de capacité y est conservée, mais on tente de la remanier de façon à l’élargir et à inclure les personnes dont les déficiences peuvent toucher de façon disproportionnée leur statut aux termes de la législation actuelle concernant la capacité juridique et la tutelle.

Michael Bach et Lana Kerzner ont proposé dans leur élaboration d’un changement de paradigme du droit relatif à la capacité et à la tutelle de s’éloigner du critère rationnel « comprendre et évaluer » pour adopter un critère axé sur la notion de « volonté et d’intention » qui serait à la base de nos interventions et de nos actions. Selon Bach et Kerzner, les critères de détermination de l’aptitude à décider qu’ils proposent ont deux volets et se définissent ainsi :

[traduction]

1)      Mon aptitude à exprimer ma volonté ou mes intentions, au moins à ceux qui me connaissent bien et qui peuvent ensuite m’attribuer mes actions et les concrétiser quand ils parlent de moi aux autres;

2)      Mon aptitude à exprimer « qui » je suis, ce que j’ai vécu, mes valeurs, mes objectifs, mes besoins et mes défis, en sachant et en appréciant que les autres font cela pour moi, et en utilisant cette cohérence narrative de ma vue pour aider à orienter les décisions qui donnent effet à mes intentions. […]

Nous pourrions définir ainsi ce seuil minimum de l’intervention humaine : agir de sorte qu’au moins une autre personne connaissant personnellement la personne visée puisse raisonnablement lui imputer ses actions, sa volonté et ses intentions personnelles, sa mémoire, sa cohérence dans la durée et ses aptitudes à communiquer à cet effet[157].

Dans la même veine ou presque, la Representation Agreement Act de la Colombie-Britannique prévoit que pour décider de l’incapacité de conclure, de modifier ou de révoquer un accord type de représentation, il faut tenir compte de tous les facteurs pertinents, notamment les suivants :

[traduction]
a) l’adulte communique-t-il un désir qu’un représentant prenne des décisions, ou aide à les prendre ou arrête de les prendre?

b) l’adulte communique-t-il des choix ou des préférences, ou est-il apte à exprimer des sentiments d’approbation ou de désapprobation des autres?

c) l’adulte sait-il que le fait de conclure l’accord de représentation, ou de modifier ou de révoquer ses dispositions, signifie que le représentant peut prendre des décisions ou faire des choix qui le touchent, ou qu’il peut arrêter de les prendre ou de les faire?

d) l’adulte a-t-il avec le représentant une relation que caractérise la confiance?[158] 

Essentiellement non cognitive, cette norme se fonde sur l’aptitude à exprimer des choix et des préférences, ainsi que de la confiance. Elle nécessite que la personne « ait connaissance » de quelques-uns des effets possibles de l’accord de représentation. Elle est ainsi plus rigoureuse ou exclusive que la norme proposée par Bach et Kerzner, tout en ayant avec elle quelques similitudes.

Le critère de détermination de la capacité juridique fondé sur une forme de volonté et d’intention marquerait un changement radical de la conception cognitive en vigueur en Ontario. Il faudrait réfléchir soigneusement à qui aurait la charge d’évaluer selon ce critère et aux types de garanties procédurales et de soutiens qui seraient appropriés. Les conséquences seraient plus vastes pour les parties au processus décisionnel ainsi qu’à l’égard des garanties nécessaires pour détecter et réprimer les abus. Comme on va en discuter au chapitre II de la partie III, cette conception pose des problèmes à l’égard des personnes n’ayant pas de relations proches et de confiance, car celles-ci sont fondamentales dans cette proposition. Les propositions touchant le critère de détermination de la capacité juridique fondé sur « la volonté et l’intention » appartiennent souvent aux théories plus générales militant pour inclure des conceptions de la décision assistée dans la législation concernant la capacité juridique, la prise de décision et la tutelle. Ces conceptions et leurs conséquences sont détaillées au chapitre I de la partie Trois.

 

  • QUESTION À ABORDER : conviendrait-il d’adopter un critère de détermination de la capacité juridique fondé sur « la volonté et l’intention » pour quelques-uns ou pour tous les aspects des lois ontariennes sur la prise de décision et la tutelle? Si oui, dans quels cas ce critère conviendrait-il, et comment évaluerait-on cette norme concernant la capacité?


3.     Considérations pratiques à l’égard de la réforme

Il importe de ne pas perdre de vue, si l’on réfléchit à des réformes de la conception ou des critères ontariens pour la capacité, tant les avantages de la simplicité et de l’intelligibilité réunies en une seule conception que les possibilités de traiter la diversité et de nuancer des conceptions ou des critères adaptés à des circonstances particulières.

Dans l’examen du bien-fondé des critères de détermination de la capacité, il faut tenir compte des conséquences de la mise en application. Étant donné un critère en particulier, comme serait-il mesuré? Qui aurait la charge de l’évaluation? Quels types de processus conviendraient? La présentation des mécanismes d’évaluation de la capacité en vigueur en Ontario au chapitre suivant met en évidence les complexités et les difficultés qui apparaissent quand il s’agit de concrétiser des notions de la capacité.

Il faut par ailleurs garder à l’esprit que les interprétations de la capacité sont intimement liées à celles de la déficience, du vieillissement, de l’autonomie et de la responsabilité. Les lois peuvent certes influencer l’évolution des normes, mais la situation avec la législation ontarienne actuelle met en évidence les difficultés : les intéressés ont souligné la lenteur et les lacunes qui perdurent du processus pour passer des conceptions fondées sur l’état et le résultat aux conceptions fonctionnelle et cognitive. Il faudra modifier les mentalités pour obtenir des changements réels des conceptions ou des critères pour la capacité, il faudra aussi former et éduquer en profondeur et avec persévérance, ainsi que soutenir le changement vers des mentalités culturelles plus ouvertes.

 

D.   Questions à aborder

  1. Quelles sont les conséquences les plus importantes des principes des cadres pour les conceptions et les normes de la capacité juridique en droit ontarien?
  2. Des moyens particuliers existent-ils pour éclaircir le critère actuel « comprendre et évaluer » de détermination de la capacité juridique, afin d’en améliorer l’application? Ou d’autres moyens existent-ils, qui permettraient de guider utilement la bonne application du critère? Des moyens particuliers existent-ils pour modifier le critère législatif de sorte qu’il reflète mieux les aspects sociaux et contextuels de la capacité juridique?
  3. Conviendrait-il d’adopter un critère de détermination de la capacité juridique fondé sur « la volonté et l’intention » pour quelques-uns ou pour tous les aspects des lois ontariennes sur la prise de décision et la tutelle? Si oui, dans quels cas ce critère conviendrait-il, et comment évaluerait-on cette norme concernant la capacité?

 

 

 

 

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