A.    Introduction

1.     Les principes des cadres et le problème de l’utilisation abusive ou impropre des pouvoirs de décision au nom d’autrui

Les enjeux liés à l’abus et à l’exploitation forment un thème persistant dans les lois régissant la capacité juridique, la prise de décision et la tutelle et dans les débats qui les entourent. Ces lois sont nées, du moins pour une part, du désir de prévenir l’exploitation des personnes exposées à un risque par suite de l’affaiblissement de leurs capacités cognitives. On peut en fait considérer que la nature même des déficiences qui provoquent une perte ou une diminution de l’« aptitude à comprendre et à évaluer » et, partant, entraînent la nomination d’un mandataire spécial augmente le risque que des individus sans scrupules exploitent ces personnes sans être découverts et sans que leurs victimes soient conscientes de l’existence de recours ou capables de s’en prévaloir. Comme l’a mentionné Community Living Manitoba dans une recherche sur l’exploitation des femmes ayant des déficiences intellectuelles :

[traduction] Les restrictions cognitives chez les femmes ayant une déficience intellectuelle grave peuvent leur enlever toute conscience des risques qu’elles courent. Autrement dit, elles sont incapables de déceler, dans le comportement des autres, les indices pouvant leur révéler l’existence d’une menace, d’une tentative d’exploitation ou d’un danger potentiel. De plus, elles peuvent même, après coup, ne pas être en mesure de comprendre qu’elles ont été maltraitées[618].

De même, comme la déficience est souvent associée à la marginalisation, les personnes ayant des déficiences touchant leur capacité juridique peuvent se retrouver en situation de vulnérabilité économique ou sociale, ce qui augmente le risque qu’elles soient victimes d’abus. Comme on peut le voir dans Vulnerable Adults and Capability Issues in BC: Provincial Strategy Document (projet Vanguard) :

[traduction] Plus grand est le niveau de vulnérabilité ou d’incapacité sociale, plus l’adulte en cause dépend d’autrui. Et plus grande est sa dépendance, plus il court le risque d’être victime d’abus ou de mauvais traitements[619].

Toutefois, comme les lois sur la capacité juridique, la prise de décision et la tutelle confèrent à certains des pouvoirs sur d’autres, elles créent elles-mêmes des occasions d’abus. Comme le note le rapport du projet Vanguard :

[traduction] La confiance et le pouvoir occasionnent toujours des possibilités d’abus. Curieusement, les instruments conçus pour protéger une personne contre certaines formes d’abus créent eux-mêmes des occasions de lui infliger de mauvais traitements[620].

Compte tenu des restrictions assez considérables sur l’autonomie qu’impose la prise de décision au nom d’autrui et des déséquilibres de pouvoirs qu’elle occasionne entre la personne représentée et son mandataire, il est essentiel que tout régime de capacité juridique, de prise de décision et de tutelle comprenne des mécanismes sérieux pour prévenir les abus et y remédier s’ils se produisent. L’imposition d’un régime de prise de décision au nom d’autrui et, en particulier, d’un régime de tutelle sans garanties suffisantes pourrait soulever d’importants problèmes touchant les droits fondamentaux de la personne. L’article 12 de la Convention relative aux droits des personnes handicapées (CDPH) traite précisément des préoccupations que suscitent les abus possibles dont peuvent être victimes les personnes assujetties aux lois sur la capacité juridique et la prise de décision au nom d’autrui. On trouve en effet ce qui suit au paragraphe 4 de l’article 12 :

Les États Parties font en sorte que les mesures relatives à l’exercice de la capacité juridique soient assorties de garanties appropriées et effectives pour prévenir les abus, conformément au droit international des droits de l’homme. Ces garanties doivent garantir que les mesures relatives à l’exercice de la capacité juridique respectent les droits, la volonté et les préférences de la personne concernée, soient exemptes de tout conflit d’intérêts et ne donnent lieu à aucun abus d’influence, soient proportionnées et adaptées à la situation de la personne concernée, s’appliquent pendant la période la plus brève possible et soient soumises à un contrôle périodique effectué par un organe compétent, indépendant et impartial ou une instance judiciaire. Ces garanties doivent également être proportionnées au degré auquel les mesures devant faciliter l’exercice de la capacité juridique affectent les droits et intérêts de la personne concernée.

Le Cadre du droit touchant les personnes âgées de la CDO a adopté le principe reconnaissant l’importance de la sécurité, qui établit « le droit d’être protégé contre la violence ou l’exploitation physique, psychologique, sexuelle ou financière » ainsi que le droit au soutien de base, par exemple en matière de services de santé et de services juridiques et sociaux. Le Cadre du droit touchant les personnes handicapées comprend le principe de l’avancement du droit à la sécurité, qui met en évidence « le droit des personnes handicapées de vivre dans un milieu où elles n’ont pas à craindre d’être victimes de mauvais traitements ou d’exploitation et où elles peuvent recevoir le soutien dont elles ont besoin pour prendre des décisions qui peuvent influer sur leur sécurité ». Les discussions et les consultations publiques qui ont abouti aux deux cadres ont révélé l’existence d’une certaine opposition entre les principes de sûreté et de sécurité, d’une part, et l’avancement de l’autonomie et de l’indépendance, de l’autre : on souhaitait éviter que les premiers ne soient invoqués comme prétextes pour réduire l’autonomie et l’indépendance des personnes âgées et des personnes handicapées, afin que ces personnes puissent, comme tout le monde, choisir d’accepter un certain degré de risque dans leur vie sans ingérence indue des autres.

Comme nous l’avons déjà noté, les abus, la négligence et l’exploitation dont peuvent être victimes les personnes âgées et les personnes handicapées sont, du moins pour une part, attribuables à la marginalisation et à la dévalorisation des membres de ces groupes. Les attitudes négatives, la honte, l’isolement social, la précarité économique qui réduit les possibilités de choix, tous ces facteurs peuvent intensifier le risque d’abus. Ainsi, le problème de l’exploitation liée à l’application des lois sur la capacité juridique et la tutelle se rattache étroitement au fait plus vaste que la société n’a pas réussi à promouvoir suffisamment les principes de dignité, de respect, de participation et d’inclusion. Ce contexte indique également que, même s’il est vrai qu’une bonne loi est importante pour prévenir, déceler et combattre les abus et l’exploitation, la loi toute seule ne peut constituer qu’un élément de la solution.

 

2.     Situer le problème de l’abus dans les lois sur la capacité juridique, la prise de décisions et la tutelle

Le présent chapitre traite essentiellement de l’utilisation abusive et impropre des pouvoirs de décision au nom d’autrui, des garanties pouvant protéger contre une telle utilisation et des modifications qu’il serait possible d’apporter à cet égard à la législation sur la capacité juridique, la prise de décision et la tutelle. Le problème de l’exploitation des personnes vulnérables est lié à de nombreuses questions plus vastes de droit et de politique, dont la prestation de services sociaux adéquats, les mécanismes de surveillance et de contrôle des services publics et le système de justice pénale. L’examen de ces autres domaines du droit déborde le cadre tant de ce chapitre que de l’ensemble du projet.

Il ne faudrait pas perdre de vue que la Loi de 1992 sur la prise de décisions au nom d’autrui (LPDNA) et la Loi de 1992 sur le consentement au traitement (qui a précédé la Loi de 1996 sur le consentement aux soins de santé) avaient à l’origine était élaborées parallèlement à la Loi de 1992 sur l’intervention, comme nous l’avons mentionné au chapitre I de la partie Un. Cette dernière loi établissait un important régime à financement public pour soutenir les personnes assujetties à la législation sur la capacité juridique et la tutelle et défendre leurs droits. Certains croient que l’abrogation de la Loi de 1992 sur l’intervention a « déséquilibré » la législation, donnant lieu à quelques-uns des problèmes de mise en œuvre et d’abus que nous connaissons. Le soutien et la défense des droits des personnes qui n’ont pas ou pourraient ne pas avoir la capacité juridique de prendre des décisions dans un domaine particulier sont des questions primordiales sur lesquelles insistent fortement les deux cadres de la CDO et que nous abordons au chapitre suivant du présent document de travail.

Les problèmes d’exploitation attribuables à l’utilisation abusive ou impropre de la loi se rattachent à tous les aspects de la