A.              Contexte

1.               Le projet de la CDO sur le droit et les personnes âgées

Le présent document représente le rapport final découlant du projet de la CDO sur le droit et les personnes âgées, et il présente les résultats des travaux de recherche et de consultation de la CDO.

Ce projet est basé en partie sur une proposition transmise à la CDO peu après sa création par David Freedman, professeur de droit des aînés à la faculté de droit de l’Université Queen’s. 

Les changements démographiques des dernières années ont mis davantage en évidence les besoins et les réalités des personnes âgées. Comme il a souvent été souligné et comme il est décrit plus en détail au chapitre II du présent rapport, la population du Canada (et celle de l’Ontario) est vieillissante, tout comme celle de nombreux autres pays. Le nombre de Canadiens âgés de plus de 65 ans devrait passer de 4,2 millions, en 2005, à 9,8 millions, en 2036, et leur proportion au sein de la population doublera presque, en passant de 13,2 % à 24,5 %[1]. Ce changement démographique a des répercussions importantes sur tous les domaines de la politique stratégique. C’est justement ce qu’a constaté le Comité sénatorial spécial sur le vieillissement.

Le rapport reconnaît que l’adaptation au vieillissement de la population dépasse de loin les limites des attributions du gouvernement fédéral telles qu’elles sont définies dans la Constitution. Le problème concerne tout le monde, particuliers, provinces, territoires et municipalités, entreprises, petites et grandes, organisations bénévoles et ONG[2].

Au fur et à mesure que la population du Canada vieillit, l’élaboration d’une démarche rigoureuse à l’égard du droit et des politiques publiques touchant les Canadiens du troisième âge prend une importance croissante. 

Malgré les travaux avant-gardistes réalisés par des organismes comme l’Advocacy Centre for the Elderly (ACE) et le Canadian Centre for Elder Law (CCEL), la question des rapports entre les personnes âgées et le droit au Canada a été peu traitée jusqu’ici. Des travaux importants ont été menés sur certains aspects du droit des aînés, comme les lois ayant trait à la capacité et au consentement, la retraite obligatoire, et les mauvais traitements à l’égard des personnes âgées. Toutefois, au Canada, il existe peu de recherches sur l’accès des personnes âgées au droit et les obstacles à cet accès ainsi que sur les améliorations requises pour accroître l’efficacité, l’équité et l’accessibilité du droit pour les personnes âgées. En outre, dans les recherches et les politiques consacrées aux rapports entre les personnes âgées et le droit, on s’est davantage concentré sur les lois qui concernent explicitement ou manifestement les aînés de manière disproportionnelle, comme celles sur les exigences du permis de conduire fondées sur l’âge ou sur les soins de longue durée, que sur la façon dont les lois d’application générale peuvent avoir des effets différents sur les personnes âgées.

Le Conseil des gouverneurs de la CDO a donc conclu que ce domaine du droit bénéficierait d’une analyse exhaustive ainsi que de la mise au point d’une méthode plus holistique et fondée sur des principes. Une analyse évaluative cohérente de ce domaine du droit peut contribuer à mieux faire connaître les enjeux négligés et à stimuler et à appuyer la réforme du droit dans les nombreux domaines où cette mesure s’impose.

Dans son Guide sur les politiques relatives aux aînés, le Comité fédéral-provincial-territorial des hauts fonctionnaires pour les ministres responsables des aînés souligne ceci : 

La mise en application d’une grille d’examen des politiques à l’intention des aînés permet de s’assurer que :

  • les besoins et les valeurs des aînés sont respectés;
  • les contributions des aînés à tous les aspects de la vie sont reconnues;
  • la diversité de la population des aînés est prise en compte;
  • les questions qui touchent les aînés sont abordées d’une manière holistique pour examiner les liens et les interactions avec d’autres politiques et programmes;
  • l’incidence cumulative des changements et les répercussions sur les aînés ont été scrutées à la loupe;
  • les préoccupations et les problèmes des aînés d’aujourd’hui et des générations à venir sont abordés[3].

En se fondant sur la proposition et les recherches menées à l’interne par la CDO, le Conseil des gouverneurs de cette dernière a approuvé un projet pluriannuel visant à définir un cadre cohérent pour le droit touchant les personnes âgées. Le projet de la CDO sur le droit et les personnes âgées n’a pas pour but de faire des recommandations précises à propos de la réforme des lois touchant les personnes âgées, bien qu’une telle réforme soit nécessaire dans plusieurs cas. Le projet vise plutôt à énoncer un ensemble de principes et de considérations pouvant servir de fondement à l’élaboration d’un cadre d’analyse cohérent de ce domaine du droit, qui est à la fois vaste et hétérogène. Compte tenu des obstacles qui entravent l’accès des personnes âgées à la justice, les principes et les considérations adoptés doivent servir non seulement à systématiser ce domaine du droit, mais également à accroître son équité, son accessibilité et son efficacité. Le but ultime de ce projet est de prendre appui sur les travaux déjà réalisés pour établir une base solide qui permettra d’élaborer ou d’évaluer des lois et des politiques en s’assurant que celles-ci tiennent compte des droits et des réalités des personnes âgées. 

Le cadre issu de ce projet pourrait être utile pour les responsables de l’élaboration des lois et des politiques, comme les législateurs, les décideurs et les intervenants du secteur privé chargés d’établir les politiques et les programmes touchant les personnes âgées; pour les responsables de l’interprétation des lois, comme les cours et les tribunaux; et pour les personnes qui cernent les besoins et qui défendent les réformes.

Comme il est décrit ci‑dessous, ce projet est étroitement lié à un projet similaire de la CDO sur le droit et les personnes handicapées[4]. En effet, une minorité appréciable de personnes âgées ont une ou plusieurs incapacités avec lesquelles elles ont vécu toute leur vie ou qu’elles ont développées avec l’âge. De plus, les nombreux travaux publiés dans le domaine des études critiques sur l’incapacité et le droit, ainsi que les théories de l’égalité en général peuvent fournir certains éléments utiles pour élaborer une démarche anti-âgiste dans le domaine du droit. Ainsi, bien qu’ils se distinguent sur plusieurs points, ces deux projets sont menés de front et s’éclairent mutuellement.

 

2.               Préparation du projet : le processus

Étant donné l’ampleur et les enjeux aux facettes multiples qu’il soulève, ce projet s’échelonne sur plusieurs années et comporte plusieurs étapes.

Les personnes âgées forment un groupe très hétérogène, composé d’individus ayant des antécédents, des identités et des réalités très variés. Toutes les lois qui concernent l’ensemble de la population touchent également les personnes âgées. Parfois les effets sont les mêmes, peu importe l’âge, mais souvent, ils sont différents pour les personnes âgées et peuvent même varier grandement selon les divers groupes d’aînés. Le droit des aînés, qui concerne exclusivement ou disproportionnellement les personnes âgées, est un domaine du droit très complexe en lui-même. À titre d’exemple, il suffit de mentionner les multiples projets de réforme et les nombreux rapports volumineux consacrés aux lois relatives à la capacité juridique et à la prise de décisions au nom d’autrui.

Consciente des défis qui l’attendaient, la CDO a donc amorcé son projet par un processus de consultation préliminaire visant à cerner les thèmes, les enjeux et les approches de l’ensemble du projet. En mai 2008, elle a entrepris ce processus en produisant un document de consultation sur la préparation du projet[5]. Ce document a été publié sur le site Web de la CDO et distribué à un éventail d’intervenants issus des milieux universitaires et de la recherche, des cliniques juridiques, et des organismes communautaires et gouvernementaux. Il présentait un aperçu des thèmes et des enjeux cernés dans la recherche préliminaire, et invitait les intervenants à donner leur avis sur la portée et la conception du projet, y compris sur les enjeux et les principes clés. La CDO a reçu des observations écrites de 21 organismes et a rencontré six organismes de même qu’un certain nombre d’intervenants.

En décembre 2008, la CDO a publié un deuxième document de consultation sur les résultats de cette consultation préliminaire et de ses premiers travaux de recherche[6]. Dans ce document, elle énonçait cinq principes préliminaires, soit l’indépendance et l’autonomie, la dignité et le respect, la participation et l’inclusion, la sécurité, et le respect de la diversité. Le rapport relevait également plusieurs thèmes d’intérêt particulier, dont l’âgisme et le droit, les relations des personnes âgées, et leurs milieux de vie. La recherche d’envergure entreprise par la CDO pour ce projet s’appuie sur les résultats de ce rapport.

En janvier 2009, la CDO a diffusé une demande de propositions de recherche sur les thèmes retenus afin d’obtenir des recherches complémentaires à ses propres travaux et de recueillir divers points de vue sur les enjeux clés. À l’issue de ce processus, la CDO a financé trois rapports de recherche : l’un de l’ACE sur l’accès au droit et les habitations collectives; un autre de Margaret Hall sur l’élaboration d’une démarche anti-âgiste dans le domaine du droit dans le contexte des cadres juridiques qui régissent la prévention des mauvais traitements envers les personnes âgées et la prise de décisions au nom d’autrui; et, enfin, un dernier de Charmaine Spencer sur l’âgisme et la discrimination fondée sur l’âge dans le droit de la santé et de l’habitation. Ces rapports sont accessibles sur le site Web de la CDO, à l’adresse http://www.lco-cdo.org.

À l’automne 2010, la CDO a été l’hôte de la Conférence canadienne 2010 sur le droit des aînés, en partenariat avec le CCEL (affilié au British Columbia Law Institute) et l’ACE. Lors de cette conférence, qui réunissait des universitaires, des experts, des professionnels, des fournisseurs de service ainsi que des représentants d’organismes communautaires et de défense des droits, les participants ont examiné les thèmes de l’âgisme et du droit, de la réforme du droit et des personnes âgées, et de l’accès des aînés à la justice. Quelque 100 présentateurs et conférenciers ont fait part de leurs recherches et de leurs idées, produisant un grand nombre de nouveaux documents qui sont accessibles sur le site Web de la CDO, à http://www.lco-cdo.org.

Afin d’obtenir une orientation pour ces travaux, la CDO a formé un groupe consultatif chargé de lui donner des conseils sur la sensibilisation et sur les approches à adopter à l’égard des enjeux considérables qui sont en cause. La liste complète des membres de ce groupe se trouve dans les pages liminaires du présent rapport. La CDO souhaite adresser ses remerciements les plus sincères aux membres du groupe consultatif pour l’aide précieuse qu’ils ont fournie dans le cadre de ce projet et pour le dévouement dont ils ont fait preuve, malgré leurs nombreuses autres responsabilités. 

À l’été 2011, la CDO a publié un rapport préliminaire renfermant un cadre provisoire pour une démarche anti‑âgiste dans le domaine du droit. Ces documents ont circulé à grande échelle, et la CDO a mené des consultations publiques à l’automne 2011. Ces consultations ont porté notamment sur :

  1. la réception des observations par écrit de plusieurs intervenants et organismes;
  2. la distribution d’un questionnaire de consultation à différentes personnes à l’échelle de la province et la réception subséquente de près de 300 réponses;
  3. les six groupes de discussion (composés en tout de 90 personnes) ainsi que les différents groupes de personnes âgées représentant, entre autres, les nouveaux arrivants, les résidents des maisons de soins de longue durée, les personnes âgées vivant en région rurale, les femmes, les aidants naturels ainsi que les personnes âgées gaies, lesbiennes, bisexuelles, transsexuelles et transgenres (GLBTTT);
  4. une réunion des intervenants qui a duré toute une journée et qui a regroupé environ 30 spécialistes et représentants d’organismes ayant divers points de vue;
  5. quelques entrevues individuelles;
  6. une réunion avec les membres du Groupe de liaison du Secrétariat aux affaires des personnes âgées de l’Ontario.

L’annexe B du présent rapport renferme la liste complète des organismes et des spécialistes qui ont participé aux consultations. 

Dans le cadre de ce processus, la CDO a recueilli des renseignements approfondis sur le droit et les personnes âgées. Il était impossible de mentionner directement l’ensemble de l’information recueillie et des points de vue transmis dans le présent rapport, mais ils sont mis en évidence dans les résultats ultimes du projet.

 

3.               Projet jumeau – Le droit et les personnes handicapées

Parmi les autres principaux projets initiaux de la CDO approuvés par le Conseil des gouverneurs, citons un projet sur le droit et les personnes handicapées. Ce projet avait comme objectif de mettre au point un cadre cohérent lié au droit et aux personnes handicapées en énonçant un ensemble de principes et de considérations reposant sur les expériences concrètes des personnes handicapées, et pouvant servir de fondement à l’élaboration d’un cadre d’analyse cohérent de ce domaine du droit, qui est à la fois vaste et important.

La similarité des objectifs du projet sur le droit et les personnes âgées ainsi que de celui sur le droit et les personnes handicapées a fait en sorte que ces deux projets ont été considérés comme des « projets jumeaux » et attribués au même chef de projet, de sorte qu’il soit possible d’assurer la cohérence sur le plan de la démarche à adopter, de tirer les conclusions d’un projet et de les appliquer à l’autre projet, et de bien prendre en considération les questions se chevauchant.

Les travaux préliminaires du projet sur le droit et les personnes handicapées se sont mis en branle au début de 2009, à savoir plusieurs mois après le début des travaux du projet sur le droit et les personnes âgées. Les deux projets se sont déroulés parallèlement et ont pris fin à quelques mois d’intervalle. Par conséquent, ils ont pu s’appuyer l’un sur l’autre.

Comme il est décrit de façon plus détaillée au chapitre II du présent rapport, il existe un lien intéressant entre la déficience, l’incapacité et le vieillissement. On observe une tendance consistant à confondre inadéquatement le vieillissement et l’incapacité, et à « normaliser » la déficience pendant le vieillissement; par conséquent, la déficience n’entraînera pas nécessairement la perception d’« incapacité » chez les personnes âgées comme elle le ferait chez des jeunes. On observe également une tendance consistant à négliger les expériences des personnes ayant vécu toute leur vie avec une ou des incapacités ainsi que la différence entre les expériences de ces personnes et celles vécues par les personnes qui développent une ou des incapacités avec l’âge. 

Il existe des liens parallèles notables entre les expériences des personnes âgées au chapitre du droit et celles des personnes handicapées (on les considère comme des groupes distincts). Les deux groupes se caractérisent chacun par une grande variabilité malgré les hypothèses générales d’homogénéité. Ils sont aux prises avec un éventail d’attitudes négatives à leur endroit, ils sont stigmatisés et ils connaissent une expérience disproportionnée de la faiblesse et de la marginalisation. Également, les deux groupes sont assujettis à une bureaucratie et à des lois de grande ampleur qui traitent des expériences qui leur sont propres, et ils doivent donc faire face à la complexité, à la fragmentation et aux obstacles involontaires qui se rattachent à ces lois de même qu’aux programmes et aux politiques. On retrouve aussi bien sûr des différences de premier plan entre ces groupes. Les deux groupes sont exposés à la stigmatisation et aux stéréotypes, mais on constate des différences importantes entre les attitudes et les obstacles particuliers auxquels ils sont chacun confrontés. On ne peut pas faire abstraction des répercussions du parcours de vie sur les réalités et l’identité des membres de ces groupes, surtout dans le cas des personnes qui n’avaient jamais vécu la discrimination ou la marginalisation avant d’être âgées.

Les cadres doivent donc tenir compte minutieusement des similitudes et des différences entre les deux groupes, et il faut résister à la tendance fréquente de les confondre. Les cadres doivent toutefois traiter des personnes qui font partie des deux groupes en même temps, c’est‑à‑dire celles ayant vécu toute leur vie avec une ou des incapacités et celles qui développent une ou des incapacités avec l’âge, et ils doivent reconnaître les différences entre ces deux types d’expérience. Enfin, les cadres doivent rejeter tant la discrimination fondée sur la capacité physique que l’âgisme, et ils doivent être axés sur les possibilités, le cas échéant, d’appliquer des approches ou des concepts nouveaux ou efficaces d’un groupe à l’autre.

 

4.               But principal : la promotion d’une égalité réelle pour les personnes âgées dans le droit

Le concept d’« âgisme » est relativement récent, tout comme l’idée connexe selon laquelle les personnes âgées peuvent connaître un handicap systémique. On attribue généralement ce concept au Dr Robert Butler, qui fut le premier à utiliser ce terme à la fin des années 1970. Il est de plus en plus admis que les attitudes négatives et les stéréotypes jouent un rôle dans les expériences des personnes âgées et la façon dont on les traite, et qu’il est important de s’attaquer à ces attitudes et à ces stéréotypes pour promouvoir une égalité réelle pour les personnes âgées.

S’inspirant des travaux réalisés sur le droit et l’incapacité ainsi que le droit et le sexe, certains ont commencé à conceptualiser l’âgisme comme un phénomène à l’œuvre autant dans les attitudes individuelles que dans les structures, les systèmes et les institutions. L’âgisme peut se manifester dans certains enjeux abordés ou négligés par le droit de même que dans les a priori présents dans le droit et dans les structures établies pour l’application des lois.

Par conséquent, les personnes âgées, tout comme les autres groupes aux prises avec des attitudes négatives, une stigmatisation ou un handicap systémique, peuvent bénéficier de démarches visant à promouvoir une égalité réelle pour eux.

Compte tenu du mandat de la CDO, qui consiste à examiner la pertinence, l’efficacité et l’accessibilité du droit, l’étude des manifestations de l’âgisme dans le droit et son application, et l’examen des méthodes de promotion d’une égalité réelle pour les personnes âgées sont essentiels à l’élaboration d’un cadre du droit touchant les personnes âgées. Cette question est donc abordée au chapitre III du présent rapport.

 

5.               Le rapport final et le cadre

Le Cadre du droit touchant les personnes âgées de la CDO, qui représente l’aboutissement du projet, est joint en annexe au présent rapport. Il vise à contribuer à l’élaboration et à l’évaluation des lois, des politiques et des pratiques afin de garantir que les réalités et les expériences des personnes âgées sont prises en compte, et que les lois, les politiques et les pratiques ont des retombées positives pour ces membres de la société. Il se compose de principes et de facteurs à prendre en considération dans l’application de ces principes, et il propose une démarche par étapes.

Le présent rapport énonce les résultats des travaux de recherche et d’analyse, qui constituent le fondement du cadre, et il donne des exemples étendus de ses répercussions et de son application. Il est le fruit des travaux de recherche et de consultation d’envergure de la CDO, tel qu’il est mentionné ci‑dessus. Il présente en détail les éléments clés de la démarche proposée par la CDO pour le droit et les personnes âgées. Ces éléments sont les suivants :

  • l’étude des réalités et des caractéristiques des personnes âgées en vue de concevoir des programmes inclusifs et ciblés;
  • des approches visant à relever et à corriger dans les lois les manifestations des stéréotypes et des attitudes négatives à propos des personnes âgées;
  • les principes de la promotion d’une égalité réelle pour les personnes âgées;
  • une analyse des effets du droit sur les personnes âgées;
  • des stratégies pour améliorer l’accès au droit des personnes âgées.

Ce cadre d’analyse est ensuite appliqué, à titre d’exemple, au droit ontarien concernant l’accès aux soins à domicile.

Afin de situer l’analyse et le cadre proposé dans leur contexte, et d’y apporter des nuances, on a inclus des exemples détaillés de certains enjeux du droit touchant les personnes âgées, lesquels illustrent des obstacles courants du droit ou des pratiques exemplaires à suivre pour adopter une démarche de promotion d’une égalité réelle dans le domaine du droit. Ces exemples sont puisés parmi les enjeux prioritaires concernant les personnes âgées qui ont été mentionnés par les participants aux travaux de recherche et de consultation.

 

B.              Approches utilisées dans l’élaboration du Cadre du droit touchant les personnes âgées

Pour élaborer le Cadre du droit touchant les personnes âgées, la CDO a eu recours à plusieurs approches, qui lui ont servi de point de départ.

1.               Le mandat de la CDO et l’accès à la justice

La CDO a pour mandat, notamment, de recommander des mesures de réforme de la loi visant à accroître la pertinence, l’efficacité et l’accessibilité de celle-ci; ainsi que d’améliorer l’administration de la justice en simplifiant et en clarifiant la loi; bref, d’accroître l’accès à la justice.

Dans l’élaboration du Cadre du droit touchant les personnes âgées, la CDO doit donc accorder une attention particulière à la cohérence, à la clarté et à l’efficacité du droit et se poser les questions ci‑dessous.

  • Le droit traite-t-il des questions qui importent aux personnes âgées? Si c’est le cas, le fait-il de manière efficace?
  • Le droit tient-il réellement compte des besoins et des réalités des personnes âgées? Quels sont les principes et les démarches les plus susceptibles de garantir la prise en considération des besoins et des réalités des personnes âgées au sein du droit? Les lacunes du droit proviennent-elles de sa conception ou de son application?
  • Que signifient l’« accès au droit » et l’« accès à la justice » pour les personnes âgées? Quelles sont les barrières qui entravent l’accès au droit des personnes âgées? Quelles sont les pratiques exemplaires susceptibles de favoriser l’accès au droit des personnes âgées?
     

2.               Initiatives servant d’assise au projet

Ces dernières années, plusieurs initiatives importantes ont été entreprises concernant le droit et les personnes âgées. La CDO a cherché à inclure et, s’il y a lieu, à synthétiser les idées et les cadres établis lors de ces initiatives afin de donner une assise à son projet. Elle s’est inspirée notamment des initiatives ci‑dessous.

Cadre national sur le vieillissement (CNV)[7] et Guide sur les politiques relatives aux aînés : Le CNV a été élaboré conjointement en 1998 par les ministres fédéral, provinciaux et territoriaux responsables des aînés. Un complément intitulé Le guide sur les politiques relatives aux aînés a été publié en 2009. Le CNV énonçait la vision suivante : « Le Canada, une société pour tous les âges, qui favorise le bien-être et la participation des aînés dans tous les aspects de la vie »; et proposait cinq principes interreliés, soit la dignité, l’autonomie, la participation, l’équité et la sécurité. 

Principes des Nations Unies pour les personnes âgées[8] : Ces principes, adoptés en 1991, et le Plan d’action international de Madrid sur le vieillissement[9] (PAIMV) constituent les deux documents internationaux les plus importants sur les personnes âgées. Les principes fournissent un vaste cadre général qui peut s’appliquer à une multitude de cultures et de contextes, et dont les États peuvent se servir pour élaborer des politiques et des programmes. 

Rapport du Comité sénatorial spécial sur le vieillissement[10] : Dans son rapport final publié au printemps 2009, le Comité examine les programmes et les services publics destinés aux personnes âgées. Il en relève les lacunes quant à la satisfaction des besoins des personnes âgées et étudie les répercussions sur la prestation de services à l’avenir, au fur et à mesure que s’accentuera le vieillissement de la population. Afin de produire son rapport, le Comité a tenu de vastes consultations à la grandeur du pays auprès des personnes âgées et des organismes qui les soutiennent ou les représentent. 

Projet de la Commission ontarienne des droits de la personne (CODP) sur les droits des personnes âgées : En 1999, afin de souligner l’Année internationale des personnes âgées, la CODP a lancé un projet sur les droits des personnes âgées. Les recherches et les consultations publiques menées par la CODP dans le cadre de ce projet ont donné lieu à des recommandations, à un rapport de consultation intitulé Il est temps d’agir[11] et à la Politique sur la discrimination fondée sur l’âge à l’endroit des personnes âgées[12]. Ces documents proposent un cadre d’analyse de l’âgisme et de la discrimination fondée sur l’âge à l’égard des personnes âgées dans le contexte des droits de la personne.  

Advocacy Centre for the Elderly (ACE)[13] : Fondé en 1984, l’ACE a été la première clinique juridique canadienne dotée d’un mandat et d’une expertise dans le domaine du droit des aînés. Il conseille et représente autant les individus que les groupes, et exerce des activités de réforme du droit et de sensibilisation du public. Dans le cadre de son mandat, l’ACE applique un principe fondamental selon lequel les personnes âgées sont avant tout des « personnes », aptes à prendre des décisions par elles-mêmes et ayant même le droit de faire des choix farfelus, si elles le souhaitent. L’ACE a concentré ses efforts sur le phénomène du « mauvais exercice du droit » ainsi que sur la violation ou l’application paternaliste généralisées des lois visant à protéger les droits des personnes âgées. 

Canadian Centre for Elder Law (CCEL)[14] : Créé en 2003, le CCEL est affilié au British Columbia Law Institute, l’organisme de réforme du droit de la Colombie-Britannique. Cet organisme national à but non lucratif explore les questions de droit qui touchent en particulier les personnes âgées au Canada et il a réalisé des projets de recherche et de réforme du droit portant notamment sur les règlements d’assurance viatique, les lois régissant la tutelle des adultes, les prêts hypothécaires inversés, les pratiques de prêt à des conditions abusives et la médiation chez les personnes âgées. 

Outil d’évaluation en matière d’inclusion de la Fonction publique de l’Ontario (FPO) : Cet outil d’analyse a été mis au point par le Bureau de la diversité de la FPO dans le but d’aider le personnel de la fonction publique à prendre en considération divers aspects de la diversité lors de l’élaboration, de la mise en œuvre et de l’examen de politiques, de programmes ou de services. L’outil recense dix-sept aspects de la diversité, dont l’âge (chez les jeunes et les personnes âgées), l’incapacité, le sexe et la situation socioéconomique. 

Outil d’Évaluation de l’impact sur l’équité en matière de santé (EIES) : Le ministère de la Santé et des Soins de longue durée (MSSLD) a créé cet outil en collaboration avec les réseaux locaux d’intégration des services de santé (RLISS) de l’Ontario pour favoriser l’équité en matière de santé et réduire les disparités qui peuvent être évitées entre les groupes de population. Il offre une démarche étapiste d’analyse des répercussions différentes qu’une politique ou un programme particulier peut avoir sur les groupes de population[15]. 

En plus des initiatives décrites ci-dessus, il faut mentionner les projets importants entrepris par plusieurs organismes canadiens de réforme du droit relativement à diverses questions touchant les personnes âgées. Parmi ceux‑ci se trouvent celui de la Commission du droit du Canada sur les rapports entre les générations et le droit; ceux de la Commission de réforme du droit de la Nouvelle‑Écosse sur les droits des grands‑parents et les résidences pour personnes âgées; et celui de la Western Conference of Law Reform Agencies sur les procurations perpétuelles[16]. 

En particulier, le travail réalisé par les ministres fédéral, provinciaux et territoriaux responsables des aînés en vue d’élaborer le CNV, et, plus récemment, l’Outil d’évaluation des politiques en matière de santé mentale des aînés fournit une excellente assise pour élaborer une démarche cohérente et fondée sur des principes à l’égard des politiques publiques concernant les personnes âgées. De plus, l’Outil d’évaluation en matière d’inclusion de la FPO et l’outil d’EIES constituent des exemples de la façon dont les considérations en matière de diversité peuvent être mises en pratique.

Le projet de la CDO s’appuie sur l’ensemble des travaux mentionnés ci-dessus pour examiner en profondeur et de manière holistique les enjeux du droit touchant les personnes âgées et leurs conséquences sur la conception et la mise en œuvre des lois et des politiques d’application générale comme particulière.

 

3.               Une démarche holistique et contextuelle

Conformément à son Plan stratégique[17], la CDO réalise autant des projets ciblés et techniques à portée restreinte que des projets d’envergure à vocation sociale qui requièrent une démarche multi et interdisciplinaire ainsi qu’un processus de consultation et de collaboration à grande échelle. Le présent projet appartient à la seconde catégorie.

Afin de cerner les expériences des personnes âgées vis-à-vis du droit, la CDO a fait appel non seulement aux travaux pertinents de recherche en droit, mais également à ceux réalisés dans les domaines des sciences sociales, de la médecine, de la gérontologie et des politiques publiques. Elle a cherché à comprendre les contextes social, économique et médical au sein desquels les personnes âgées ont des interactions avec le droit, ainsi qu’à trouver des approches qui permettraient au législateur et aux décideurs de tenir compte de ces contextes lors de la conception et de l’application de lois et de politiques susceptibles d’avoir une incidence sur les personnes âgées.

Ces initiatives comprennent la prise en compte d’une démarche axée sur le parcours de vie qui s’applique aux expériences des personnes âgées, comme il est décrit dans l’annexe C du présent chapitre.

 

4.               Une démarche fondée sur des principes

Afin d’établir l’ensemble de principes sur lesquels repose sa démarche dans le domaine du droit touchant les personnes âgées, la CDO s’inspire du CNV et des Principes des Nations Unies pour les personnes âgées, ainsi que des travaux réalisés pour élaborer l’Outil d’évaluation des politiques en matière de santé mentale des aînés et l’Outil d’évaluation des politiques et programmes en matière de prévention des mauvais traitements à l’égard des personnes âgées[18]. Les principes permettent de définir un cadre normatif du droit et de déterminer les buts que devraient viser les lois et les politiques concernant les personnes âgées. Un cadre fondé sur des principes fournit une orientation générale tout en demeurant souple et adaptable à diverses situations.

L’établissement de ces principes est une étape importante, mais elle constitue le point de départ de la démarche, pas sa finalité. Le plus difficile reste à faire, soit définir avec précision la portée éventuelle et souhaitée de ces principes dans la vie des personnes âgées, et élaborer un guide pratique pour la mise en pratique de ceux-ci dans le domaine du droit. 

En outre, il est important de bien comprendre les principes l’un par rapport à l’autre ainsi qu’en quoi, dans une situation particulière quelconque, ils peuvent s’appuyer ou ne pas s’appuyer l’un et l’autre. Dans certaines situations, il est possible que des principes entrent en conflit et qu’il faille trouver des moyens de les concilier. Tel est le défi d’une démarche fondée sur des principes, qui permet par ailleurs de cerner et d’analyser les complexités du droit touchant les personnes âgées. 

Enfin, dans le cadre d’une telle démarche, il faut reconnaître que le respect des principes ne représente pas un processus statique et que les lois et les politiques doivent évoluer au même rythme que la compréhension et les situations. Il faut reconnaître également que, même lorsqu’on souhaite mettre en œuvre l’ensemble des principes dans toute la mesure possible, certaines contraintes, comme des priorités stratégiques divergentes ou un financement limité, peuvent entraver la capacité du législateur et des décideurs à le faire. Dans ces circonstances, il faudra peut-être adopter une approche progressive visant à mettre en œuvre l’intégralité des principes en plusieurs étapes concrètes, planifiées et ciblées, qui se succéderont à l’intérieur d’une période relativement courte. En même temps, la reconnaissance des principes permet d’établir ce qu’il reste à accomplir pour promouvoir une égalité réelle pour les personnes âgées.

 

5.               Les expériences et les points de vue des personnes âgées

Si les principes constituent des éléments normatifs essentiels à l’établissement du cadre, ils doivent néanmoins s’appuyer sur les expériences et les réalités concrètes des personnes âgées. Autrement, ils entraîneront l’élaboration de programmes, de politiques et de lois inefficaces. Ainsi, la prise en compte des expériences et des points de vue des personnes âgées joue un rôle central dans le cadre lui-même et dans son application pour élaborer certains aspects particuliers du droit.

Les consultations menées à l’automne 2011 par la CDO et, en particulier, les questionnaires de consultation, les entrevues individuelles et les activités des groupes de discussion, ont témoigné de l’engagement de la part de la CDO de voir à ce que le projet reflète directement les opinions et les points de vue des personnes âgées lors de l’élaboration du cadre. Les commentaires présentés par les personnes âgées ainsi que par les organismes qui les représentent, servent leurs intérêts ou les défendent figurent dans le présent rapport.

 

6.               L’écart entre la visée et la mise en œuvre du droit – adoption d’une vision globale du droit

Il existe des lois dont les dispositions ont des répercussions négatives sur les personnes âgées, soit parce que leur contenu reflète des attitudes âgistes, soit parce qu’elles ne tiennent pas compte des réalités des personnes âgées. Dans bien des cas, toutefois, le droit est rigoureux sur papier, mais problématique dans les faits. Les lois, les politiques et les pratiques qui semblent avoir un effet neutre ou même favorable sur les personnes âgées peuvent faillir à leurs objectifs ou avoir des conséquences négatives non désirées. Cette situation peut être attribuable à de nombreux facteurs, dont les attitudes négatives des responsables de la mise en œuvre de la loi ou de la politique, le défaut de rendre les programmes et les services accessibles aux personnes âgées, les processus contradictoires adoptés pour la mise en place des programmes, les ressources limitées, ainsi que le manque de surveillance, de transparence et de reddition de comptes. 

Cette réalité souligne l’importance d’adopter une vision globale « du droit » lorsqu’on applique les principes. Il est tout aussi nécessaire de mener une analyse approfondie du libellé des lois et des politiques que d’acquérir une bonne compréhension des conséquences du droit tel qu’il est mis en œuvre. Par conséquent, pour les besoins du cadre, la CDO a employé le terme « droit » dans son sens large, lequel englobe non seulement les lois et les règlements, mais aussi leurs politiques d’application ainsi que les stratégies et les pratiques par lesquelles ils sont mis en œuvre.

Il est évident que pour comprendre les conséquences du droit, on doit prêter l’oreille à ceux qui sont touchés par celui-ci, c’est‑à‑dire les responsables de sa mise en œuvre et les personnes dont la vie est façonnée par le droit. Ainsi, la nécessité de combler l’« écart entre la visée et la mise en œuvre du droit » souligne encore une fois l’importance d’inclure les personnes âgées au processus d’élaboration et de réforme du droit et de respecter leurs points de vue.

 

7.               Mesures prises pour faire évoluer les discussions

Le droit des aînés est un domaine assez récent. Les États-Unis ont précédé le Canada en cette matière, notamment avec la Older Americans’ Act qui attirait l’attention, dès 1965, sur des enjeux touchant les personnes âgées comme la nutrition, la socialisation et le logement. Cependant, ce n’est qu’en 1979 que l’American Bar Association a créé sa commission sur les problèmes juridiques des personnes âgées, et au milieu des années 1980 qu’a eu lieu la fondation de la National Academy of Elder Law[19]. Il s’agit toutefois d’un domaine qui évolue rapidement[20]. 

Au Canada, les écoles de droit offrent très peu de cours sur le droit des aînés, et la question est assez peu abordée dans les travaux universitaires sur le droit. De plus, il existe peu de praticiens du droit spécialisés dans le domaine, et, jusqu’à récemment, l’ACE était la seule clinique juridique canadienne vouée aux besoins et aux expériences des personnes âgées.

Cela étant dit, la situation est en voie de changer. Les personnes âgées se font entendre de plus en plus dans la société en général, et leurs rapports avec le droit font l’objet d’une attention accrue. Grâce à la concertation, des organismes de défense des droits des personnes âgées ont réussi à faire abroger des lois autorisant la retraite obligatoire en Ontario et en Colombie-Britannique, et ont fait ressortir la nécessité de tenir compte des besoins, des droits et des réalités des personnes âgées dans les lois. Une nouvelle clinique juridique destinée aux personnes âgées vient d’ouvrir ses portes en Colombie‑Britannique, et un certain nombre de projets sont en cours au pays afin d’améliorer l’accessibilité de celles-ci au droit. Enfin, grâce au CCEL, les besoins des personnes âgées sont considérés sous l’angle de la réforme du droit.

Ainsi, comme on peut le constater, le droit des aînés est un domaine en pleine évolution. Le cadre illustre peut‑être les connaissances actuelles, mais la CDO est consciente que son projet ne peut faire le tour de la question. C’est pourquoi elle reconnaît que le cadre et son application doivent évoluer au fil du temps, et elle espère que les utilisateurs adapteront le cadre de façon qu’il réponde à leurs besoins à mesure qu’ils changeront.

 

C.              Approches théoriques pour comprendre le vieillissement au sein du droit

Étant donné la relative nouveauté du domaine du droit des aînés et du concept de l’âgisme, on a fait peu de travaux jusqu’à récemment pour élaborer une approche théorique cohérente du droit des aînés[21]. Cependant, un certain nombre d’approches mises au point dans d’autres domaines pourraient être utiles pour fonder une approche du vieillissement au sein du droit. Il ne s’agit pas de faire un examen exhaustif de toutes les approches théoriques possibles pouvant s’appliquer aux personnes âgées et au droit, mais de cerner certaines approches utiles qui sont compatibles avec les points de départ déterminés par la CDO. 

Les modèles sociaux : L’expérience du vieillissement est généralement perçue comme un processus biologique inévitable, et les difficultés auxquelles les personnes âgées font face, comme l’isolement et l’exclusion sociale, la difficulté de trouver un emploi ou d’avoir accès à des services, ou la nécessité de quitter son foyer pour avoir accès à du soutien, sont vues comme les effets malheureux, mais incontournables de ce processus. Ce point de vue tend à cacher les effets de l’environnement social sur l’expérience du vieillissement et de la vieillesse. Le recours au modèle social, qui a joué un rôle important dans des mouvements, comme les mouvements féministe, antiraciste et des droits des personnes handicapées, peut offrir une perspective plus large pour comprendre les expériences des personnes âgées[22].

Alors que l’expérience de la vieillesse est liée dans une certaine mesure aux aspects biologiques du vieillissement, elle est aussi profondément déterminée par les environnements sociaux dans lesquels le vieillissement se produit, à savoir les attitudes qu’on a à propos du vieillissement et des personnes âgées, les soutiens sociaux qui sont offerts ou non aux personnes âgées et à leur famille, les milieux physiques dans lesquels les personnes âgées travaillent, vivent et utilisent des services, etc. Les obstacles auxquels les personnes âgées font face en matière d’emploi, dans les milieux de vie et pour participer à la vie de leur collectivité viennent autant de leur environnement que des changements physiques et mentaux qui peuvent survenir pendant le processus de vieillissement. Sous cet éclairage, les problèmes associés au vieillissement sont des problèmes de société, et non seulement des problèmes individuels.

La citoyenneté : Le concept de « citoyenneté » offre un autre moyen de concevoir la participation notable et l’inclusion dans la collectivité. Dans ce contexte, la citoyenneté peut se définir de diverses façons, mais on la conçoit généralement comme une participation et une inclusion pleines et entières dans l’ensemble de la collectivité.

La citoyenneté est un statut accordé à ceux qui sont des membres à part entière de la collectivité. Tous ceux qui possèdent ce statut sont égaux en ce qui concerne les droits et les devoirs qui l’accompagnent. Il n’y a pas de principe universel qui détermine ce que devraient être ces droits et ces devoirs, mais les sociétés dans lesquelles la citoyenneté est une institution en développement se forment une image d’une citoyenneté idéale à l’aune de laquelle les réalisations peuvent être mesurées et vers laquelle les aspirations peuvent être dirigées[23].

La Charte, en particulier dans ses dispositions sur les droits à l’égalité, a profondément modelé la vision qu’ont les Canadiens de la citoyenneté, bien que la diversification de la société canadienne vienne compliquer cette vision[24]. Michael J. Prince, en recourant à un discours sur la citoyenneté pour mettre de l’avant une réforme des politiques liées aux droits des personnes handicapées, propose cinq dimensions de la citoyenneté : la citoyenneté, les droits juridiques et à l’égalité, les droits démocratiques et politiques, les droits fiscaux et sociaux, et l’intégration économique[25]. 

Les approches fondées sur les droits : Les analyses du droit des aînés au Canada ont porté en bonne partie sur les personnes âgées en tant qu’usagers des services de santé et bénéficiaires de soins. Cela a favorisé une vision des personnes âgées comme des personnes dépendantes et des usagers passifs plutôt que comme des titulaires de droits, et la défense de leurs intérêts a porté plus souvent sur l’amélioration de la prestation des services que sur leur habilitation et la protection de leurs droits. Certains ont avancé que les efforts de réforme actuels pourraient être renforcés en considérant davantage les droits des aînés sous l’angle des droits civils ou des droits de la personne. Une telle approche présente un potentiel pour changer les attitudes envers les personnes âgées, promouvoir une participation active au sein de ce groupe et exercer le droit à un choix éclairé[26]. 

L’universalisme : La conception universelle (ou inclusive) consiste à élaborer des environnements, des produits et des politiques « utilisables par tout individu, dans la plus grande mesure possible, sans nécessité d’adaptation ou de design spécialisé. La conception universelle a pour objet de simplifier la vie de tous en faisant en sorte que les produits, les communications et le milieu bâti soient utilisables par le plus grand nombre de personnes possible, moyennant des coûts supplémentaires modestes ou nuls[27]. » La conception universelle doit profiter aux personnes de tous âges et de toutes capacités. 

Le modèle universaliste, exploré surtout dans le contexte du mouvement des droits des personnes handicapées, pose comme postulat que toutes les personnes se situent le long d’un continuum de capacités et que la position de chacun sur ce continuum varie à différentes étapes de la vie[28]. Cette reconnaissance de la quasi-universalité de la détérioration met en évidence la manière dont la frontière entre la capacité et l’incapacité se construit socialement et politiquement[29]. Cette approche exige un élargissement de la notion de « normalité » relativement aux capacités humaines, le résultat étant qu’il faut plus de souplesse et d’adaptation dans les structures sociales, politiques et physiques[30]. Dans l’application de ce principe, la conception inclusive, avec un engagement concomitant envers l’accessibilité, joue un rôle clé pour assurer une inclusion maximale de toutes les personnes en fonction de l’infinie variété de leurs capacités[31]. Certains soutiennent que cette approche, et l’importance qu’elle accorde à la conception inclusive et à la « normalisation » des différences, peut donner un nouvel élan à la réforme systémique du droit touchant les personnes âgées, et favoriser une indépendance et une participation optimales de celles-ci dans tous les secteurs de la société, y compris l’emploi, le logement et les soins de santé[32].

Il y a bien sûr des limites à la capacité de l’universalisme et de la conception inclusive de supprimer ou de prévenir les obstacles. Dans certains cas, une adaptation individuelle pourra être nécessaire pour assurer un accès égal à un immeuble, à l’information ou à un programme[33]. Il y a aussi des situations où des besoins concurrents rendent difficile la tâche de trouver des solutions de conception inclusive. Pour prendre un exemple bien simple, les bateaux de trottoir, qui améliorent l’accès pour les personnes à mobilité réduite et les familles utilisant des poussettes, accroissent les difficultés, par contre, pour les personnes ayant une vision partielle, qui ont besoin d’une forme de démarcation entre la chaussée et le trottoir.

L’analyse multidimensionnelle : Étant donné la plus grande proportion de femmes parmi les personnes âgées, la CDO reconnaît l’importance de recourir à une analyse comparative entre les sexes pour traiter la question du droit et du vieillissement[34]. La rencontre entre l’incapacité et la vieillesse rend essentielle une démarche anticapacitiste dans ce domaine du droit. De même, consciente de la diversité des personnes âgées, la CDO a utilisé des approches antiracistes et antihétérosexistes.

Analyse du parcours de vie : Les expériences vécues par les personnes âgées dans leur enfance, leur jeunesse et leur maturité ont une influence inévitable sur leur santé, leur bien‑être ainsi que leur sécurité financière et sociale dans leur vieillesse. Par exemple, selon l’Organisation mondiale de la Santé (OMS), les politiques sur la santé et le vieillissement devraient prendre en compte le fait que les facteurs de risque des états chroniques comme le diabète et les maladies cardiaques émergent dès la petite enfance, et sont influencés par d’autres facteurs pendant le parcours de vie, comme la situation socioéconomique. Par conséquent, on devrait évaluer le risque de maladie non transmissible tout au long du parcours de vie afin que les personnes âgées aient de meilleures chances de vivre une vieillesse en santé et active[35]. Le CNV recommande aux décideurs de considérer les effets cumulatifs sur les personnes âgées de demain des politiques et des programmes destinés aux groupes d’âges plus jeunes[36]. 

Pour bien comprendre les répercussions des lois, des programmes et des politiques, il est important de tenir compte du parcours de vie en entier des personnes âgées. Les expériences que tous les individus vivent déterminent leurs ressources et leurs perspectives à chaque étape de leur existence. Les obstacles ou les possibilités qui se présentent à un moment de leur vie auront des répercussions sur le reste de leur existence. Si le parcours de vie d’une personne influence son rapport avec les lois, l’inverse est aussi vrai. Les lois ont des effets déterminants sur le parcours de vie d’une personne. On doit donc examiner l’incidence des lois pour chaque étape de la vie des personnes, de la naissance jusqu’à la mort, en tenant compte des liens entre chacune de ces étapes.

Reconnaissant que l’adoption d’une approche du vieillissement fondée sur le parcours de vie peut améliorer la compréhension des expériences et des réalités des personnes âgées, et favoriser l’élaboration de politiques plus efficaces, la CDO analyse, au besoin, les lois et les politiques relatives au vieillissement. Par exemple, lors de la Conférence canadienne 2010 sur le droit des aînés, l’honorable juge Murray Sinclair, président de la Commission de vérité et de réconciliation, qui a pour mandat de découvrir la vérité concernant ce qui s’est passé dans les pensionnats autochtones et d’en informer tous les Canadiens, a effectué une telle analyse en soulignant la façon dont les rapports des personnes âgées autochtones avec le droit et le gouvernement sont façonnés par leur expérience des pensionnats dans leur jeunesse, et par la nature des relations entre les Canadiens d’origine autochtone et la loi au cours de l’histoire.

L’analyse du parcours de vie permet de se concentrer sur l’unité d’analyse liée aux individus la plus appropriée en regard de la prise de décisions; d’effectuer un suivi des politiques au fil du temps; et d’examiner les rôles des gens par rapport à diverses institutions sociales[37]. 

Il est important de prendre en considération l’influence de divers facteurs sur le parcours de vie, notamment le sexe, le niveau de scolarité, la racialisation, le lieu de naissance, l’orientation sexuelle et l’incapacité. Par exemple, la participation des femmes au marché du travail diffère encore de celle des hommes en raison des responsabilités accrues de celles‑ci à titre de pourvoyeuses de soins[38]. Ce facteur a des répercussions importantes sur le type de retraite, de sécurité du revenu et de réseaux sociaux dont disposent les hommes et les femmes à un âge avancé. Ainsi, les politiques publiques doivent donc tenir compte des parcours de vie distincts des hommes et des femmes.

L’analyse du parcours de vie permet également de tenir compte de la diversité des personnes âgées. Étant donné l’influence des particularités du parcours de vie, la diversité des individus tend à s’accroître plutôt qu’à diminuer avec l’âge. Comme les personnes âgées ne forment pas un groupe homogène, il est essentiel de saisir les nuances de l’influence que peuvent avoir sur leur expérience du droit des facteurs comme le statut économique, le lieu de résidence, le niveau de scolarité, l’expérience de travail, l’âge, le sexe et la racialisation.

 

D.             Utilisation du cadre

Sur la base des recherches et des consultations menées par la CDO, le projet avait comme objectif d’élaborer un cadre qui orienterait l’élaboration et l’évaluation des lois, des politiques et des pratiques afin de veiller à ce que les réalités et les expériences des personnes âgées soient prises en compte, et que les lois, les politiques et les pratiques aient des retombées positives pour ces membres de la société.

Le cadre a été élaboré à l’intention :

  • des décideurs, des tribunaux et du législateur;
  • des organismes de défense des droits et des groupes communautaires qui collaborent avec les personnes âgées et traitent des questions touchant ces dernières;
  • des intervenants des secteurs public et privé qui élaborent ou administrent des politiques ou des programmes susceptibles d’avoir des répercussions sur les personnes âgées.  

Le cadre s’applique à l’ensemble des lois et des politiques, y compris celles qui ciblent précisément les personnes âgées ou qui ont une incidence sur les aînés en tant que membres de la population en général. Compte tenu de cette portée générale, certaines personnes pourraient souhaiter l’adapter à leur propre domaine du droit ou secteur de politique.

L’étendue des questions liées aux personnes âgées et au droit, et l’évolution constante des réalités et de la compréhension font en sorte que le cadre ne vise pas à fournir des réponses simples et définitives à l’ensemble des questions difficiles. Il vise plutôt à s’assurer que le législateur et les décideurs :

  • examinent et appliquent un ensemble cohérent de principes lorsqu’ils élaborent des lois, des politiques et des pratiques pouvant toucher les personnes âgées;
  • relèvent et éliminent les obstacles potentiels ainsi que les éventuelles sources de discrimination fondée sur l’âge dans les lois et les politiques;
  • tiennent compte des principaux aspects de la relation des personnes handicapées avec la loi.
     

L’intention de la CDO était de produire un cadre qui : 

  • serait holistique, c’est‑à‑dire qui réunirait les divers principes et éléments pertinents en un tout;
  • serait large et suffisamment souple pour s’appliquer à l’éventail de contextes de façon à pouvoir traiter de l’étendue des expériences des personnes âgées, et aux nombreux contextes différents au sein desquels ces dernières doivent interagir avec la loi;
  • refléterait la diversité des expériences et des identités des personnes âgées;
  • serait suffisamment pratique et précis pour fournir une orientation utile à l’élaboration des lois et des politiques, et pour aider les usagers à comprendre concrètement les répercussions des principes;
  • serait utilisable sur les plans de la structure, de la présentation et du langage de manière à servir d’outil pratique et convivial.
    Le cadre préconise le recours à une démarche graduelle d’évaluation, notamment pour le contexte, les questions et les exemples pratiques.

Le présent rapport appuie le cadre en présentant :

  1. un compte rendu général des aspects essentiels des expériences des personnes âgées pouvant façonner leurs rapports avec le droit, et particulièrement des considérations concernant la diversité et l’individualité des personnes âgées;
  2. une description des concepts de l’âgisme et du paternalisme ainsi que de la façon dont ceux-ci se manifestent dans les lois et les politiques;
  3. une description détaillée des sources ainsi qu’une signification des principes qui pourraient façonner les lois et les politiques touchant les personnes âgées;
  4. une description des différentes répercussions du droit sur les personnes âgées;
  5. une analyse des divers obstacles auxquels les personnes âgées sont confrontées lorsqu’elles tentent d’accéder au droit, ainsi que des stratégies visant à lever ces obstacles.

 

E.               Quelques commentaires sur la terminologie

Il n’existe aucun terme généralement reconnu pour désigner les personnes « plus âgées ». On emploie couramment les termes « aînés », « personnes âgées » et « personnes du troisième âge », et plus rarement « personnes du quatrième âge »[39]. 

Le terme « aînés » est très répandu. C’est probablement celui qui est le plus utilisé dans le langage courant. Les gouvernements l’emploient abondamment, en particulier en ce qui a trait aux programmes gouvernementaux destinés à ce groupe d’âge, comme les pensions et les mesures de soutien du revenu. Le terme est donc fréquemment associé à une conception chronologique du vieillissement et sert à identifier les personnes qui ont atteint l’âge d’admissibilité à certains programmes importants comme la Sécurité de la vieillesse (SV) et le Régime de pensions du Canada (RPC). C’est pourquoi Statistique Canada l’utilise précisément pour désigner les personnes de 65 ans et plus[40]. 

Le terme « anciens » désigne plus rarement les personnes âgées en tant que groupe, notamment pour éviter la confusion avec les Anciens chez les Autochtones, et parce qu’il revêt une connotation péjorative susceptible de renforcer les stéréotypes à l’égard de la fragilité et de la dépendance des personnes âgées. 

L’expression « personnes âgées » est de plus en plus répandue, en particulier au sein des organismes internationaux et dans le domaine des droits de la personne. Elle met l’accent sur l’aspect relatif du vieillissement et évite les connotations péjoratives associées à d’autres termes. 

Dans le cadre du présent rapport, le terme « anciens » désignera uniquement les personnes qui occupent le rôle culturel et communautaire associé à celui des Anciens au sein des collectivités autochtones. Le terme « aînés » sera employé pour parler du vieillissement d’un point de vue chronologique, par exemple, lorsqu’il sera question de l’admissibilité à un programme ou à un avantage en fonction de l’âge (habituellement 65 ans). Dans tous les autres cas, la CDO utilisera le terme « personnes âgées ». 

Selon la définition qu’on lui donne, la « vieillesse » peut s’échelonner sur une très longue période, pouvant dépasser trente années. Au cours de cette période, la situation d’une personne est susceptible d’évoluer considérablement, ce dont ne rend pas compte le terme « vieillesse ». C’est pour cette raison que l’on répartit souvent les personnes âgées en trois catégories : les personnes du troisième âge ou les « vieux jeunes », qui ont de 65 à 74 ans, celles du quatrième âge ou les « personnes moyennement âgées », qui ont de 75 à 84 ans, et celles du cinquième âge ou les « personnes très âgées », qui ont au moins 85 ans. Cette distinction vise à rendre compte des différences importantes entre les trois groupes d’âge sur les plans de la santé, de la participation à la vie active, du revenu, des conditions de vie et d’autres facteurs clés[41]. Néanmoins, certains ont émis des réserves à propos de cette classification, faisant valoir que, contrairement à son objectif, qui est de réduire les stéréotypes à propos des personnes âgées, celle-ci estompe les particularités individuelles du processus de vieillissement et ne fait que reporter les stéréotypes et les attitudes âgistes sur les personnes du cinquième âge[42]. Par conséquent, la CDO a adopté cette classification, même si elle convient que les obstacles et les expériences peuvent continuer d’évoluer pendant la période de la vieillesse.

 

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