Au début du présent projet, la CDO a déterminé que sa démarche à l’égard du droit touchant les personnes âgées reposerait sur un ensemble de principes s’inspirant des Principes des Nations Unies pour les personnes âgées[199] et du CNV[200]. Même si la définition et l’établissement de principes présentent certaines difficultés, une démarche fondée sur des principes offre la possibilité d’établir un ensemble de normes à l’aune desquelles on pourra évaluer les lois, les politiques et les programmes actuels ou potentiels.
À partir des résultats des consultations qu’elle a menées, la CDO a décidé que les principes s’inscriraient dans une démarche anti-âgiste à l’égard du droit et viseraient la promotion d’une égalité réelle pour les personnes âgées, c’est-à-dire que les normes établies à partir des principes devraient aborder de manière proactive les approches et les attitudes négatives (à l’échelle des individus et des systèmes) envers les personnes âgées telles qu’elles se manifestent dans le droit. Les travaux de recherche et les consultations ont permis à la CDO de dégager six principes directeurs relativement au droit touchant les personnes âgées.
Conformément à cette approche, le présent chapitre du rapport décrit certaines des principales caractéristiques de l’âgisme ainsi que les valeurs sur lesquelles un cadre du droit axé sur l’égalité réelle devrait s’appuyer. La deuxième partie du chapitre s’appuie sur ces valeurs pour analyser et définir les principes en matière de droit touchant les personnes âgées, et examiner brièvement certaines conséquences de leur application.
A. Comprendre l’âgisme
Un cadre systémique du droit touchant les personnes âgées doit montrer une compréhension des obstacles auxquels les aînés font face, autant dans le droit que dans la société en général, et doit déboucher sur une démarche fondée sur une attitude bienveillante et empreinte de respect envers les personnes âgées pour éliminer ces obstacles.
Le concept de l’âgisme fournit un point de départ pour comprendre comment les personnes âgées peuvent être marginalisées, exclues ou défavorisées dans l’élaboration ou l’application du droit.
1. Le concept de l’âgisme
Le concept de l’âgisme est apparu assez récemment. Robert Butler, un Américain, a mis de l’avant à la fin des années 1960 une approche de cette question qui a fait école. Il a défini l’âgisme comme étant :
[Traduction]
un processus par lequel des personnes sont stéréotypées ou discriminées de façon systématique en raison de leur âge, tout comme la couleur de la peau et le sexe dans le cas du racisme et du sexisme. L’âgisme permet aux jeunes générations de voir les personnes âgées comme étant différentes d’elles; c’est ainsi qu’elles cessent subtilement de s’identifier à leurs aînés en tant qu’êtres humains[201].
Robert Butler explique que l’âgisme prend diverses formes, y compris les stéréotypes, les attitudes négatives, les comportements discriminatoires, l’évitement et l’exclusion sociale. L’âgisme peut être dû à l’ignorance – le manque de contacts entre les jeunes et les aînés – ou à une crainte profonde du vieillissement et de la mort. Il peut aussi servir un objectif rationnel, par exemple justifier un traitement préférentiel accordé aux jeunes ou exclure les personnes âgées du partage des ressources sociétales[202].
L’âgisme peut aussi se manifester sous forme de désavantage et d’exclusion systémiques des personnes âgées dans les institutions sociales. La CODP définit l’âgisme comme « une construction sociale de l’esprit qui fait percevoir les personnes âgées à partir de stéréotypes négatifs sur le vieillissement, ainsi que la tendance à structurer la société comme si tous étaient jeunes[203] ».
Aux fins du présent projet, l’âgisme peut désigner un ensemble de croyances semblables à celles qui se rattachent au racisme, au sexisme ou au capacitisme, qui attribue des qualités et des capacités précises aux personnes en fonction de leur âge. L’âgisme peut se manifester à l’endroit des personnes âgées dans des attitudes selon lesquelles une personne âgée est moins digne d’être traitée avec respect et égard, moins apte à contribuer et à participer à la société et moins importante intrinsèquement que les membres des générations plus jeunes. L’âgisme peut se produire de façon consciente ou inconsciente et se fondre dans les institutions, les systèmes ou la culture élargie.
Des efforts considérables ont été consacrés, au Canada et à l’échelle internationale, à cerner et à résoudre les problèmes liés à l’âgisme et à la discrimination fondée sur l’âge. Les Nations Unies ont déclaré 1999 l’Année internationale des personnes âgées, et il existe maintenant quantité de documents internationaux ayant pour but d’inculquer le respect envers les personnes âgées et de se pencher sur leurs besoins[204]. Des organismes comme la Canadian Association for the Fifty Plus (CARP)[205] défendent vigoureusement les points de vue et les besoins de leurs membres, tandis que l’ACE en Ontario a grandement contribué à la promotion d’une réforme du droit relatif aux personnes âgées. En 2000, la CODP a entrepris une initiative importante pour mieux faire respecter les droits des personnes âgées, sensibiliser davantage la population à cette question et promouvoir des réformes des lois et des politiques[206]. Le Comité sénatorial spécial sur le vieillissement vient de terminer un projet pluriannuel sur les personnes âgées au Canada[207]. Des changements sont en cours, et les attitudes envers les personnes âgées continuent d’évoluer.
Cependant, l’âgisme et la discrimination fondée sur l’âge sont encore souvent traités moins sérieusement que d’autres formes de préjugés et de discrimination. On a observé que :
[Traduction]
[c]’est le cas […] la discrimination fondée sur l’âge ne suscite pas toujours la même indignation que nombre d’autres formes de discrimination. Cela peut être dû en partie au fait que nous serons tous vieux un jour, mais que nous ne serons pas tous membres des autres groupes visés par des motifs de discrimination illicite. De plus, la discrimination fondée sur l’âge est souvent justifiée dans l’esprit de certains parce qu’elle signifie davantage de possibilités pour les autres, comme les possibilités d’emploi ou d’avancement là où, par exemple, la retraite est obligatoire[208].
La CODP s’est dite « très préoccupée par le fait que l’âgisme et la discrimination fondée sur l’âge ne semblent pas provoquer le même sentiment d’indignation ni les mêmes condamnations que les autres formes de traitement inégal[209] ».