A.    Introduction

Dans la partie précédente de ce document, nous avons fourni un bref aperçu de certains des principaux aspects de la relation entre les personnes handicapées et la loi. Ce survol général des façons dont la loi façonne, facilite et limite la vie des personnes handicapées constitue la pierre angulaire du cadre d’analyse de la CDO relatif aux personnes handicapées et à la loi. 

En se basant sur l’analyse mentionnée ci-dessus, la CDO a précisé une série de principes qui permettront d’asseoir son cadre d’analyse. Ces principes devraient aider les législateurs et les décideurs à créer et à modifier des lois et des politiques de façon juste et efficace par rapport aux personnes handicapées.

 

B.    Importance des principes 

Le cadre d’analyse de la CDO sera basé sur une série de principes applicable aux lois touchant les personnes handicapées. Ces principes serviront de base à une série de questions qui aideront les législateurs et les décideurs à créer et à évaluer les lois et les politiques qui peuvent toucher les personnes handicapées. 

Le fait de préciser une série de principes-guides pour les lois touchant les personnes handicapées peut permettre de s’assurer que ce domaine du droit est constant et cohérent dans son ensemble, que les objectifs de la loi s’harmonisent avec les aspirations des personnes handicapées et que l’approche de la loi par rapport aux besoins et aux expériences des personnes handicapées est efficace.  

Une méthode d’analyse et d’évaluation de la loi fondée sur des principes a l’avantage de préciser des normes générales, tout en demeurant suffisamment flexible pour qu’elles s’appliquent à de multiples contextes et à des normes sociales en évolution. Ces principes pourront avoir un effet catalyseur permettant de changer les attitudes par rapport aux personnes handicapées.  

Cependant, en adoptant une méthode fondée sur des principes, on risque de proposer un cadre trop abstrait par rapport à la complexité des expériences vécues par les personnes handicapées. Les principes doivent s’ancrer dans ces expériences et dans la réalité d’un contexte juridique complexe, toujours en évolution.

 

C.     Sources des principes

La vie et le point de vue des personnes handicapées elles-mêmes doivent être la source principale afin de définir et de comprendre les principes applicables aux lois touchant les personnes handicapées. Les consultations approfondies menées par la CDO au printemps 2010 auprès de personnes handicapées et d’organismes qui les desservent, les représentent ou les défendent ont permis à la CDO de préciser grandement sa méthode et certains des principaux résultats obtenus apparaissent à la partie précédente.

Qui plus est, des efforts importants ont été déployés au cours des 40 dernières années, à la fois au pays et à l’étranger, pour définir des principes fondamentaux applicables aux politiques et aux programmes touchant les personnes handicapées. Parmi les sources principales, citons : 

  1. Documents internationaux : Le plus important de ces documents est la nouvelle Convention relative aux droits des personnes handicapées [CRDPH], mais il existe également un grand nombre d’autres instruments et documents, comme la Convention relative aux droits de l’enfant, le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels et de nombreux autres.
  2. Cadres juridiques nationaux : La Charte canadienne des droits et libertés s’est avérée une importante source de droits et de principes applicables aux personnes handicapées, surtout par le biais de l’analyse du droit à l’égalité proposé en vertu de son article 15. Également, le Code des droits de la personne de l’Ontario et ses politiques connexes et la Loi de 2005 sur l’accessibilité pour les personnes handicapées de l’Ontario [LAPHO] précisent les principes d’inclusion, de participation et de dignité relatifs aux personnes handicapées. 
  3. Cadres stratégiques nationaux : Les gouvernements canadiens ont proposé un certain nombre de documents stratégiques en matière d’incapacité, dont le plus important pour les présentes serait À l’unisson : une approche canadienne concernant les personnes handicapées, qui prévoit un plan détaillé visant à promouvoir l’intégration des personnes handicapées dans la société canadienne, en leur accordant la citoyenneté à part entière et en proposant une approche coordonnée par rapport à la fourniture de services et d’avantages sociaux aux personnes handicapées. 

 

D.    Les principes

En ce fondant sur les éléments mentionnés aux présentes, la CDO a dégagé six principes qui serviront de guide par rapport aux lois touchant les personnes handicapées.  

L’égalité réelle est la valeur fondamentale qui sous-tend les six principes. En d’autres mots, l’objectif ultime de ces six principes est de promouvoir l’égalité réelle des personnes handicapées et cette valeur devrait influencer la manière d’interpréter tous ces principes.  

Le concept de l’égalité, bien qu’incluant la non-discrimination, est plus large et ne se limite pas à une méthode comparative. L’égalité réelle peut s’interpréter de façon à créer une norme qui reconnaît, permet et encourage la participation la plus complète possible. Cela peut signifier qu’on traitera différemment certaines personnes ou certains groupes pour atteindre la norme; le test n’est pas de regarder comment l’on traite autrui, mais comment le traitement accordé à une personne ou à un groupe donné se rapproche de la norme. Un grand nombre de récits entendus par la CDO au cours de ses consultations portaient sur le manque d’égalité réelle des personnes handicapées. Leur marginalisation sociale et économique, les attitudes négatives et stéréotypes à leur égard et les obstacles institutionnels et systémiques tenaces illustrent certaines des sources d’inégalité et pourquoi il est essentiel de trouver des façons d’y répondre pour que les personnes handicapées atteignent l’égalité réelle et qu’elles jouissent d’une « citoyenneté » à part entière dans la société canadienne. 

Les six principes sont étroitement liés et doivent être compris les uns par rapport aux autres. On ne peut pas en respecter un à la fois, même s’il arrive parfois qu’il puisse y avoir des tensions entre eux. 

 

1.     Respecter la dignité et la valeur des personnes handicapées

[Traduction] Pour obtenir du financement, vous devez sacrifier toute minitrace de dignité que vous pourriez éprouver, hum, vous savez… de… vous devez vous dépouiller d’à peu près toute votre dignité et ouvrir complètement votre espace privé, même en allant jusqu’à risquer des conséquences judiciaires – je me demande, je me demande si cette information pourrait resurgir lorsqu’il est question d’agression, de violence ou d’abus et de ce genre de choses, si le genre de renseignements que vous finissez par donner pour documenter votre cas et obtenir de l’aide pour vous protéger de vous-même, pour retrouver votre dignité et votre autonomie, pourrait être utilisé contre vous plus tard.

Groupe de discussion de la CDO, 11 mai 2010, Toronto
Organismes
 

Au cours des consultations menées par la CDO, des personnes handicapées ont partagé de nombreux récits où elles furent traitées avec indifférence ou mépris, stéréotypées ou rejetées, et d’idées reçues selon lesquelles elles valaient moins ou étaient moins compétentes que d’autres pour sentir les choses, apprendre ou contribuer à la société, et ce, à cause de leur handicap.  

Le principe de la dignité est reconnu dans les articles 1 et 3a) de la CRDPH,[30] dans le préambule du Code,[31] et dans la jurisprudence de la Cour suprême du Canada qui se rapporte à l’article 15 de la Charte, [32] tout en étant plus généralement un principe sous-jacent de la Charte.[33] 

Dans l’arrêt Law c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), la Cour a indiqué que la dignité humaine « signifie qu’une personne ou un groupe ressent du respect et de l’estime de soi. Elle relève de l’intégrité physique et psychologique et de la prise en main personnelle ».[34]  La Cour a également mis l’accent sur les stéréotypes et les préjugés politiques et sociaux, qui peuvent avoir un impact négatif sur la dignité d’une personne.[35]  Elle a également considéré que le principe de la dignité était central lors de la fourniture de services aux personnes handicapées[36] et de l’application de l’obligation d’accommodement dans un contexte d’emploi.[37]  

Observer le principe du respect de la dignité et de la valeur des personnes handicapées s’oppose directement à la « discrimination fondée sur la capacité physique », soit à la tendance de lier les attentes aux déficiences plutôt qu’à la personne intrinsèque. 

Le principe de respect de la dignité et de la valeur des personnes handicapées reconnaît la valeur intrinsèque, égale et inaliénable de chaque être humain, y compris chaque personne handicapée. Tous les membres de la grande famille humaine sont des personnes à part entière qui jouissent d’une capacité de croissance et d’expression, du droit d’être valorisés, respectés et pris en considération, dont les contributions et les besoins sont reconnus.

  

2.     Répondre à une diversité d’habiletés et d’autres caractéristiques humaines

[Traduction] Si l’on n’est pas en mesure de s’exprimer et d’être affable, il est très facile de ne pas être respecté et qu’on parle par-dessus nous; ce n’est pas tout le monde qui a l’aptitude de s’exprimer ou qui s’estime alors, bien souvent, quelque chose sera dit ou fait au sujet de quelqu’un qui ne sera pas capable de se défendre, comme : « Oh, c’est une personne fêlée et alcoolique ». Ou si une personne handicapée physique attrape une grippe ou autre chose, le personnel s’arrête parfois à la déficience et en tient compte lors du diagnostic et du traitement. Il s’agit de réhumaniser le système et cela prend plus de temps. Si quelqu’un reste plus longtemps auprès d’une personne, les résultats futurs seront meilleurs, mais le premier contact peut prendre beaucoup de temps.

Groupe de discussion de la CDO, 17 juin 2010, Thunder Bay
Organismes
 

[Traduction] J’ai agi à titre de chef dans ma communauté pendant deux ans environ. Nous ne recevions aucun service pour les personnes handicapées… Lorsque des gens avaient besoin de service, on les envoyait à Thunder Bay et l’urbanisation créait de grands défis. Il y a des obstacles en matière de langue; en plus, s’ils avaient vécu de façon traditionnelle presque toute leur vie, la structure même de la vie urbaine pouvait les choquer… Les Autochtones qui déménagent en ville sont habitués à une certaine source de nourriture. Ils ne sont pas habitués à cette nourriture de luxe. Ils mangent du poisson, de la sauvagine, de l’orignal, des cerfs, des baies qui viennent de la terre. Et lorsqu’ils demandent de la nourriture traditionnelle dans les maisons pour personnes âgées ou à l’hôpital, on rit d’eux. Une personne âgée a dit qu’une infirmière lui avait dit que c’était de la nourriture pour les hommes des cavernes. Le personnel décourageait le recours à la nourriture traditionnelle, plutôt que l’encourager. 

Groupe de discussion de la CDO, 16 juin 2010, Thunder Bay
Organismes desservant des Autochtones

On a tendance à considérer le « handicap » comme une expérience exceptionnelle et homogène. Cela tend à obscurcir la diversité des expériences et des besoins individuels des personnes handicapées. Et c’est particulièrement vrai lorsqu’on tient compte des expériences vécues au cours d’une vie. 

La CRDPH compte le respect de la diversité et de la différence parmi les principes généraux qui guident l’application de la méthode des droits de la personne aux droits des personnes handicapées.[38] Le Code propose une autre source pour ce principe par la reconnaissance implicite de l’importance de la « valeur de chacun » et des obligations d’accommodement sans contrainte excessive.[39] Une dernière source pour ce principe est la jurisprudence de la Cour suprême du Canada, et plus particulièrement celle ayant trait à l’article 15 de la Charte et à l’obligation de prendre des mesures d’accommodement en matière d’éducation et d’emploi.[40]

Aptitude et déficience en continuum : Les aptitudes de tous les êtres humains varient. On peut considérer le « handicap » comme une partie intégrante de cette variation normale. Des obstacles sociaux et environnementaux peuvent créer des expériences handicapantes chez certaines personnes, à certains endroits le long de ce continuum d’aptitudes.[41]  Certaines déficiences peuvent ne pas constituer un handicap (dans le sens d’avoir une incidence sur la vie quotidienne de quelqu’un). L’exemple le plus évident est celui de la vue : un grand nombre de personnes dont la vue est basse portent des lunettes qui corrigent suffisamment leur condition pour leur permettre de fonctionner dans la plupart des sphères de la vie sans difficulté. Sans verres correcteurs cependant, leur problème pourrait alors constituer un handicap.

Cette reconnaissance du caractère quasi universel du handicap fait ressortir la façon selon laquelle la démarcation entre handicap et absence de handicap est tracée, à la fois socialement et politiquement.[42] Le principe de la diversité exige donc un élargissement de la gamme considérée comme « normale » dans un contexte d’aptitudes humaines, obligeant à plus de flexibilité et d’adaptation par rapport aux structures sociales, politiques et physiques.[43] Afin d’appliquer ce principe, une stratégie-clé serait une conception universelle ou inclusive, doublée d’un engagement pro accès, pour assurer une inclusion optimale de tous les êtres et de leurs aptitudes, qui peuvent varier à l’infini.[44] La CRDPH prévoit l’obligation générale de promouvoir une conception universelle lors de l’établissement de normes et de lignes directrices.[45]

Une conception inclusive a été invoquée relativement à l’obligation de prendre des mesures d’accommodement.[46] Ainsi, des mesures d’accommodement convenables sont nécessaires pour s’assurer d’une reconnaissance intégrale de l’amplitude de variation des aptitudes humaines. Comme la Commission ontarienne des droits de la personne (CODP) le rappelait : « [l’]adaptation avec dignité appartient à un principe plus général selon lequel notre société devrait être structurée et conçue pour favoriser l’appartenance ».[47]  

Diversité des expériences du handicap : Ce principe nous rappelle également que le « handicap » peut se manifester de maintes façons différentes. Les personnes ayant un type de déficience ont des besoins que n’ont pas celles qui en ont un autre genre; ainsi, une personne ayant une déficience visuelle aura des besoins différents de ceux d’une personne à mobilité réduite[48] ou que quelqu’un ayant une déficience intellectuelle ou développementale. Ce principe reconnaît également que des gens qu’on peut décrire comme étant « aptes » aujourd’hui peuvent devenir handicapés demain; par exemple, en vieillissant, notre vue ou notre aptitude à marcher peuvent se détériorer au point de devenir un handicap, ou quelqu’un peut avoir un accident et devenir paraplégique. 

Identités multiples : Qui plus est, les gens sont différents à cause de leur sexe, de leur communauté culturelle, de leur âge, de leur orientation sexuelle et d’autres caractéristiques. Leurs besoins diffèrent également en fonction de facteurs tels que le fait de vivre en milieu urbain ou rural, de vivre en famille, dans un milieu communautaire ou seul. À l’unisson 2000 souligne cet aspect de la diversité :

[Le cadre d’analyse proposé aux présentes] (…) reconnaît également qu’il est important de mettre au point des solutions souples afin de répondre aux besoins individuels. Chaque personne handicapée est unique et ses besoins, ses aspirations et les défis qu’elle doit relever sont influencés par la nature de l’incapacité, la période de la vie, le contexte familial, communautaire et culturel et d’autres caractéristiques. Les Autochtones handicapés, par exemple, envisagent les enjeux de l’incapacité selon des cadres qui reflètent leurs propres principes culturels.[49] 

Le principe d’avoir à répondre à une diversité d’habilités et d’autres caractéristiques humaines exige qu’on reconnaisse et qu’on soit sensible au fait que nous sommes tous dans un continuum d’aptitudes, que les aptitudes varient au cours d’une vie, que chaque personne handicapée est unique en ce qui concerne ses besoins, sa situation et ses identités et enfin, que les identités multiples et entrecroisées des personnes handicapées augmentent parfois la discrimination à leur égard et leurs désavantages. 

 

3.     Encourager l’autonomie et l’indépendance

[Traduction] Je me hérisse lorsque j’entends les gens dire : « je dois passer par mon travailleur social ». Je me hérisse parce que je suis… autonome. Je veux penser ma vie, et non pas qu’elle soit jugée ou déterminée par une décision prise par un tiers. Ça devrait être moi qui décide. 

Groupe de discussion de la CDO, 17 juin 2010, Thunder Bay
Personnes handicapées
 

L’importance d’encourager l’autonomie et l’indépendance est reconnue de façon explicite dans plusieurs articles de la CRDPH.[50] Même si la Charte n’en traite pas explicitement, la Cour suprême du Canada a fait un lien entre le principe d’autonomie et d’indépendance et le droit à l’égalité de l’article 15[51], ainsi qu’à la vie, à la liberté et à la sécurité de la personne de l’article 7.[52]

Prise de décision : L’« autonomie » s’entend souvent du « droit de décider » et s’exprime en réponse au paternalisme tenace qui ressort des choix juridiques et stratégiques relatifs aux personnes handicapées. Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), l’autonomie est « [traduction] l’aptitude perçue de pouvoir contrôler et s’occuper de ses décisions personnelles quotidiennes quant à son mode de vie, selon ses propres règles et préférences. »[53] Dans le contexte de l’article 7, la Cour suprême du Canada a indiqué que le principe de l’autonomie comprend les « décisions d’importance fondamentale pour sa personne » et surtout celles portant sur l’intégrité corporelle.[54] Disability Rights Promotion International (le DRPI) définit l’autonomie comme étant : 

[Traduction] le droit d’une personne de faire ses propres choix. L’autonomie, ou l’autodétermination, signifie que la personne est placée au centre de toutes les décisions qui la concerne et qu’elle peut avoir recours à des formes de prise de décision assistée.[55] 

Alors que la reconnaissance de l’autonomie est considérée depuis longtemps comme centrale à l’avancement des droits des personnes handicapées, dans certains cas, le fait de limiter les choix ou de permettre à d’autres de les faire à la place des personnes handicapées a semblé justifié afin de parvenir à d’autres fins, dont la sécurité des personnes handicapées ou des autres membres de la société. On peut citer, à titre d’exemple, les lois portant sur la capacité juridique et le consentement et celles sur l’imposition de traitements. Aussi, certaines lois existent afin de reconnaître les vulnérabilités propres aux personnes handicapées dans le cas, par exemple, où le soutien approprié fait défaut. Même si certaines restrictions peuvent sembler en accord avec d’autres principes, il est essentiel de rester autant que possible axés sur le respect de l’autonomie des personnes handicapées et que les restrictions ne soient pas motivées par des relents de paternalisme.

Reconnaître le rôle des relations humaines pour atteindre l’autonomie : Il pourrait être utile, non seulement de mettre les gens au centre du processus de prise de décision, mais également de reconnaître les aspects relationnels de l’autonomie. Jennifer Nedelsky avance que ce sont les liens de proximité qui permettent aux gens de gagner en autonomie; les relations entre « [traduction] parents, professeurs, amis et êtres chers » nous « fournissent l’aide nécessaire et nous guident dans le cadre de l’acquisition de l’autonomie et de son expérience ».[56] Cette méthode est axée sur les « [traduction] relations structurantes qui permettent d’engendrer l’autonomie. »[57] L’autonomie relationnelle reconnaît que personne ne prend de décision seul, mais qu’on le fait après avoir consulté les autres et que le fait de fournir de l’aide aux personnes handicapées dans un contexte de prise de décision ne porte pas atteinte à leur autonomie.

L’indépendance assistée : L’« indépendance », bien qu’elle soit proche de l’autonomie, est souvent définie comme le « droit de faire les choses soi-même ». L’OMS définit l’indépendance comme étant « la capacité à s’acquitter des tâches quotidiennes, c’est-à-dire à vivre de manière indépendante dans son environnement habituel sans aide extérieure ou avec une aide extérieure minime ».[58] Dans l’arrêt Via Rail, la Cour suprême du Canada a jugé le principe de l’indépendance central à sa conclusion selon laquelle le défaut par Via Rail d’accommoder les utilisateurs de fauteuils roulants personnels violait le droit des personnes à mobilité réduite d’exercer leur indépendance.[59] À l’unisson 2000 met l’accent sur le fait que la promotion de l’indépendance, de la « citoyenneté » et d’autres principes mis de l’avant par la CDO est liée à l’objectif d’améliorer les mesures de soutien liées au handicap :  

Les mesures de soutien pour les personnes handicapées sont des outils d’inclusion. Elles jouent un rôle essentiel lorsqu’il s’agit d’aider les personnes handicapées à mener des vies enrichissantes et à s’intégrer pleinement à la collectivité. Sans elles, de nombreuses personnes handicapées seraient incapables d’exploiter leur potentiel socio-économique.[60] 

Le principe de l’indépendance fait donc en sorte que les personnes handicapées reçoivent des mesures d’aide appropriées pour faire les choses elles-mêmes dans la plus grande mesure possible.

Le principe de l’autonomie et de l’indépendance s’applique à toutes les sphères de la vie d’une personne handicapée. Il englobe des décisions fondamentalement personnelles et constitue un atout important pour des mesures d’aide accrues en lien avec le handicap et le revenu des personnes handicapées. Qui plus est, l’autonomie et l’indépendance guident l’obligation de prendre des mesures d’accommodement, car elles requièrent des adaptations qui maximisent l’aptitude des personnes handicapées à faire leurs propres choix et à faire les choses elles-mêmes.

Les principes d’encouragement de l’autonomie et de l’indépendance exigent que des conditions soient mises en place pour s’assurer que les personnes handicapées puissent faire des choix qui ont une incidence sur leur vie et qu’elles puissent en faire aussi souvent que possible ou souhaité, grâce à des mesures d’aide appropriées et adéquates.  

 

4.     Promouvoir l’inclusion sociale et la participation

[Traduction] Les occasions offertes à mon fils pour s’intégrer l’été ont disparu parce qu’il est devenu trop vieux pour participer aux programmes… Plus il vieillit, plus son monde rétrécit, parce qu’il est censé avoir un certain âge, qu’il a atteint chronologiquement parlant, mais pas dans son développement. Les moyens n’existent pas : ça ne rentre pas sur le formulaire.

Groupe de discussion de la CDO, 13 mai 2010, Toronto
Organismes
 

Les personnes handicapées peuvent être exclues du reste de la société de bien des façons. Comme la Cour d’appel de l’Ontario le mentionnait dans l’arrêt Eaton c Conseil scolaire du comté de Brant : « [traduction] l’historique des personnes handicapées, que la Charte a cherché à réparer et prévenir, en est un d’exclusion ».[61] Comme nous l’avons mentionné ci-dessus, cela découle en partie d’obstacles liés à l’attitude et en partie d’obstacles plus larges, institutionnels et systémiques. Par conséquent, les personnes handicapées ont tendance à être reléguées au second plan dans un bon nombre de sphères sociales, comme l’emploi et l’éducation.

Le principe de la participation et de l’inclusion vise ce problème d’exclusion. Il apparaît dans la CRDPH dans différents contextes.[62] Le Code le reconnaît également dans son préambule.[63] Divers autres instruments législatifs ontariens en font également la promotion. La LAPHO[64], en particulier, cherche à l’insérer dans un cadre législatif.[65] Finalement, la jurisprudence de la Cour suprême du Canada l’applique par rapport aux personnes handicapées.[66] 

Participation et droit d’être entendu : La participation peut se rapporter aux choix de la vie quotidienne, à l’accès aux programmes sociaux et récréatifs, au fait de voter aux élections et à d’autres activités. Elle peut également faire référence au droit de participer à la collectivité, celui d’être consulté et entendu lorsqu’un choix a des répercussions sur sa vie de personne handicapée. Comme l’écrivait Frédéric Mégret, la participation, selon l’acception utilisée dans la CRDPH, constitue « [traduction] une demande plus générale, qui ne s’adresse pas seulement à l’État, mais aussi à la société, afin de permettre aux personnes handicapées de devenir membres à part entière de la collectivité et des différents groupes auxquels elles appartiennent ».[67] Chacune de ces manifestations de participation peut toucher différemment des sous-groupes distincts. Par exemple, les personnes ayant des déficiences intellectuelles, cognitives ou psychosociales sont parfois empêchées de prendre part à des décisions qui ont des répercussions sur leur vie quotidienne si l’on juge qu’elles n’en ont pas la capacité juridique. Les personnes à mobilité réduite peuvent trouver difficile l’accès à des programmes sociaux ou récréatifs ou à des bureaux de vote lorsque les lieux ne sont pas physiquement accessibles. La participation fait donc entrer en ligne de compte des considérations différentes, selon le type d’expérience du handicap de chacun.

Inclusion des personnes handicapées dans la collectivité : L’inclusion peut également avoir des significations différentes pour chacun des sous-groupes de la collectivité des personnes handicapées, comme cela fut évoqué par certains membres des groupes de discussion de la CDO. Les personnes culturellement sourdes, par exemple, croient que l’inclusion signifie accorder respect et espace pour que puisse se maintenir une communauté linguistique ou culturelle donnée.[68] D’autres sous-groupes de la communauté des personnes handicapées, comme ceux des personnes ayant des déficiences intellectuelles ou des difficultés d’apprentissage penseraient plutôt que le principe de l’inclusion englobe l’intégration des personnes handicapées dans tous les aspects de la société en général.[69] Ces points de vue ne sont pas forcément mutuellement exclusifs; cependant, les moyens servant à atteindre l’inclusion peuvent différer entre sous-groupes de personnes handicapées en fonction du point de vue de chacun par rapport à l’inclusion.

Les principes visant à encourager l’inclusion sociale et la participation font référence à un concept de société visant à promouvoir l’aptitude de toutes les personnes handicapées à être actives dans leurs communautés, en enlevant les obstacles physiques, sociaux, systémiques et liés aux attitudes des tiers pour qu’elles puissent exercer les attributs de leur citoyenneté et que l’on facilite leur participation dans la mesure du possible.

  

5.     Faciliter le droit de vivre en toute sécurité

[Traduction] À un certain point, il y a environ 10 ans, on m’a inscrit sur un Formulaire 1, ce qui veut dire constituer un danger pour soi-même ou les autres. Je n’étais pas un danger pour les tiers, alors c’était donc que j’en étais un pour moi-même. Lorsqu’un policier est venu m’arrêter, il m’a ordonné de m’agenouiller devant lui et de mettre mes mains dans mon dos, puis il s’est mis à me menotter; après l’avoir fait, il s’est approché de mes yeux et m’a aspergé de poivre en aérosol pendant environ 3 secondes. Ce poivre, c’est comme le rodéo, chaque seconde semble une éternité. Ils veulent être à la fois juges, jury et bourreaux lorsqu’ils sont en devoir. Je ne sais pas ce qui les encourage à abuser des personnes handicapées vulnérables ou à profiter d’elles; je ne sais vraiment pas d’où ça sort.

Groupe de discussion de la CDO, 16 juin 2010, Thunder Bay 
Organismes autochtones 
 

Ce principe provient des dispositions de la CRDPH qui affirment le droit à la liberté et à la sécurité de sa personne; celui de ne pas être soumis à la torture ou à un traitement cruel, inhumain ou dégradant; de ne pas être exploité, soumis à de la violence ou victime d’abus; ainsi que les mesures de protection relatives aux normes du niveau de vie adéquat, de la protection sociale et de l’atteinte d’un niveau de santé optimal.[70] La CRDPH mentionne une préoccupation spéciale quant à l’abus et à l’exploitation des femmes et des filles handicapées.[71] Le droit à la sécurité de sa personne en vertu de l’article 7 de la Charte et celui de ne pas en être privé sauf conformément aux principes de justice fondamentale s’appliquent également. Le principe affirmant le droit de vivre de façon sécuritaire exige que l’on tienne compte des obstacles socio-économiques auxquels les personnes handicapées sont confrontées, ainsi que les taux d’abus et d’exploitation plus élevés que la moyenne qu’elles connaissent[72] et les défis auxquels les personnes handicapées victimes d’abus ou d’exploitation sont confrontées lorsqu’elles cherchent à obtenir de l’aide ou des mesures de soutien.[73]

Le récit de la façon dont on peut paralyser la vie de personnes handicapées avec des interventions parfois bien, mais d’autres fois (plutôt) mal intentionnées rendent mal ce principe controversé. Il existe un risque que le principe du droit de vivre en sécurité soit interprété de manière à encourager les interventions paternalistes dans la vie des personnes handicapées. Quoi qu’il en soit, il est essentiel que les lois et les politiques soient conçues et que les actes privés soient pris de façon à ne pas mettre en péril la sécurité des personnes handicapées. La protection à l’encontre de l’abus de ce principe se retrouve dans l’application des autres principes.

Le principe de faciliter la vie en toute sécurité fait référence au droit des personnes handicapées de vivre sans craindre l’abus ou l’exploitation et dans un milieu où elles peuvent recevoir l’aide dont elles ont besoin pour faire des choix qui peuvent avoir un impact en matière de sécurité.  

 

6.     Reconnaître que nous vivons tous en société

[Traduction] Notre société nous a créés; maintenant, c’est son devoir de prendre soin de ce qu’elle a créé. Tous les jours, nous décidons de ne pas protéger des enfants et, lorsque nous le faisons, nous devons être prêts à les accueillir à bras ouverts lorsqu’ils deviennent des adultes ingérables. Je ne dis pas que toutes les personnes ayant des déficiences de santé mentale ont vécu de l’abus, mais les études démontrent que c’est le cas pour une grande majorité d’entre nous; et notre société, et la communauté juridique doivent accepter une partie de la responsabilité pour cet état de fait et retrousser leurs manches. Vous êtes une victime et vous méritez qu’on vous traite en victime; vous n’êtes pas l’ennemi; l’ennemi, c’est ceux qui vous ont fait ça.                                                                                                                              

Groupe de discussion de la CDO, 11 juin 2010, Toronto
Personnes ayant des déficiences de santé mentale
 

Comme cela a clairement été mentionné précédemment, comme nous tous, les personnes handicapées ont des identités et des liens multiples et elles font partie de plusieurs communautés; leurs expériences comme personnes handicapées ne sont qu’une partie de cette réalité. Pour préciser notre pensée à ce sujet, les personnes handicapées font partie de la société dans son ensemble et elles y sont rattachées de nombreuses façons; leurs droits et obligations sont réciproques. Le bien-être des personnes handicapées – en tant que citoyens, parents, membres de leurs famille, ou travailleurs et bénévoles, contribuables et prestataires de services – est étroitement lié au bien-être de la communauté en général. Évidemment, l’invers est également vrai. Les personnes handicapées, et les lois qui les concernent ne peuvent pas être considérées isolément de ce contexte plus large. 

La CRDPH rappelle, dans son préambule « que l’individu, étant donné ses obligations envers les autres individus et la société à laquelle il appartient, est tenu de faire son possible pour promouvoir et respecter les droits reconnus dans la Charte internationale des droits de l’homme ».[74] À l’unisson définit la citoyenneté comme comprenant « des droits et des responsabilités. L’inclusion des personnes handicapées à toutes les sphères de la société canadienne — la capacité de participer activement aux activités de la collectivité. La citoyenneté à part entière passe par l’égalité, l’inclusion, les droits et responsabilités, la responsabilisation et la participation ».[75] 

Un principe qui reconnaît les différentes collectivités auxquelles les personnes handicapées appartiennent peut renforcer la reconnaissance des différences et de la diversité et ajouter des dimensions au droit de participation et d’inclusion. Il peut également fournir un moyen utile pour exprimer clairement les tensions qui peuvent surgir entre les droits des personnes handicapées et ceux des autres membres de la société et les analyser. 

Ce principe reconnaît également qu’un grand nombre d’exigences visent les gouvernements et les acteurs du secteur privé et qu’il n’est pas toujours possible d’y répondre. Beaucoup de ces exigences se rapportent aussi à l’objectif d’inclusion à la société. Ce principe ne vise pas à subordonner les demandes des personnes handicapées à celles des autres; l’on cherche plutôt à reconnaître que les réclamations et les droits des personnes handicapées touchent parfois les autres membres de la société, comme le contraire est également vrai. Lorsqu’on évalue ces différentes réclamations, il est important de faire référence aux autres principes pour s’assurer que les besoins des personnes handicapées ne sont pas moins considérés que ceux des autres pour reconnaître quand elles ont plus d’importance. 

Le principe de reconnaître que nous vivons tous en société nous rappelle que les personnes handicapées font partie de cette société, avec des droits et des responsabilités, tout comme en ont les autres membres de la société. 

 

E.     Répondre aux défis applicables lors de la mise en oeuvre de ces principes

Comme ces principes sont relativement abstraits et qu’ils reflètent des aspirations, des défis peuvent se poser lors de leur mise en application. Les ressources ne sont pas illimitées, par exemple, ce qui fait qu’il n’est peut-être pas possible d’appliquer entièrement tous ces principes immédiatement. Dans certains cas, les principes peuvent suggérer des solutions différentes pour un même problème. La CDO suggère donc les méthodes d’application suivantes à leur égard. 

Réalisation progressive : Bien entendu, même si on aspire à mettre ces principes en œuvre dans la plus grande mesure possible, des contraintes peuvent nous empêcher de le faire, comme des ressources limitées, des besoins concurrents ou des priorités stratégiques. Une application progressive de ces principes devrait alors être de mise, afin qu’ils soient implantés dès maintenant dans la plus grande mesure possible et que l’on identifie et planifie les étapes concrètes d’améliorations futures.[76]

Conception inclusive : Même si, dans certains cas, il est plus avisé ou nécessaire de concevoir des lois, des pratiques, des politiques ou des programmes spéciaux pour répondre aux besoins des personnes handicapées, il arrive souvent qu’une méthode de conception inclusive qui tient compte des personnes handicapées lors de la conception générale de la loi soit la méthode la plus efficace. Nous pouvons tous tirer avantage d’une vision axée sur la dignité, l’autonomie, l’inclusion, la sécurité et la diversité dans le cadre de la conception des lois. De nombreuses mesures nécessaires pour respecter les principes énoncés et pour rendre la loi plus équitable, plus accessible et plus juste pour les personnes handicapées, sinon toutes, rendront également cette loi plus équitable, plus accessible et plus juste pour tous.[77]

Protéger, respecter, accomplir : Dans le domaine du droit international des droits de la personne, le cadre d’analyse « protéger, respecter, accomplir » est utilisé pour analyser et promouvoir la mise en œuvre des obligations en matière de droits de la personne. Grâce à ce cadre d’analyse, les États gèrent leurs obligations de trois façons :[78] 

  1. L’obligation de respecter : Les gouvernements doivent s’abstenir de se mêler de la jouissance des droits. Ils ne doivent pas, par exemple, empêcher les gens d’avoir accès à l’emploi ou à l’éducation à cause d’un handicap.  
  2. L’obligation de protéger : Les gouvernements doivent prévenir la violation de ces droits par des tiers. Ainsi, les États doivent exiger que les employeurs privés s’abstiennent de faire de la discrimination en emploi en fonction d’une déficience.  
  3. L’obligation d’accomplir : Les gouvernements doivent prendre des mesures législatives, administratives, budgétaires, judiciaires et autres appropriées pour parvenir à l’application complète de ces droits. Ils peuvent, par exemple, créer des programmes spéciaux afin de fournir des mesures d’aide aux personnes handicapées qui sont confrontées à des obstacles particuliers dans le cadre de la transition entre fin des études et marché de l’emploi. 

Résoudre les tensions entre principes : Dans certains cadres juridiques ou politiques, des tensions peuvent exister entre deux principes ou plus. Par exemple, on perçoit souvent que l’autonomie des personnes handicapées entre en conflit avec la protection de leur sécurité. 

  1. Tenir compte du contexte : Il faut tenir compte du contexte global dans lequel on perçoit une tension. Souvent, la difficulté ne découle pas de tensions irréductibles entre deux principes, mais d’un contexte plus global dans lequel des ressources limitées, des attitudes sociétales ou des structures institutionnelles empêchent la réalisation simultanée des deux principes. 
  2. Analyser la tension : Lorsqu’il existe une véritable tension entre deux principes, il faut soigneusement examiner la tension d’une façon holistique et nuancée. Quels sont les droits précis ou les résultats en cause? Qui risque d’être touché? Quel impact la mise en œuvre réduite d’un principe a-t-elle sur la réalisation des autres principes?
  3. Tenir compte de l’effet des autres principes sur la tension : Lorsqu’une tension semble exister entre deux principes, il est important de tenir compte de la façon dont les autres principes jouent sur la dynamique et comment différentes façons de résoudre la tension peuvent jouer sur la réalisation des autres principes. 
  4. Maximiser la mise en œuvre des principes : Il faut se demander s’il existe des solutions qui permettent l’expression des deux principes, au moins en partie. 
  5. Promouvoir l’égalité réelle : Il faut garder à l’esprit que les principes ont pour but d’aplanir les obstacles à l’égalité vécus par les personnes handicapées. Comment résoudre la tension entre principes de la façon la plus susceptible de répondre à cet objectif général?

 

VERS UN CADRE D’ANALYSE : VOS COMMENTAIRES

  1. Les principes proposés sont-ils ceux sur lesquels devrait reposer notre cadre d’analyse? Saisissent-ils valablement les expériences et les aspirations des personnes handicapées? 
  2. Souhaitez-vous ajouter quelque chose à l’interprétation et à la définition des six principes mentionnés aux présentes? Saisissent-ils valablement les expériences et les aspirations des personnes handicapées? 
  3. Comment un cadre d’analyse fondé sur des principes, applicable aux lois touchant les personnes handicapées devrait-il régir les tensions qui pourraient survenir entre principes lors de leur mise en œuvre?
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