Le présent chapitre examinera la façon dont les personnes handicapées interagissent avec la loi en se fondant sur les processus et les approches mentionnés dans le chapitre précédent. Dans un premier temps, la signification du terme « droit » tel qu’il s’applique au présent projet sera expliquée. Les documents les plus importants traitant du droit et des personnes handicapées seront mentionnés et décrits brièvement. Le contexte au sein duquel les personnes handicapées interagissent avec le droit sera examiné succinctement. Finalement, ce chapitre s’intéressera aux principaux thèmes du droit qui touchent les personnes handicapées et qui doivent être pris en compte lorsqu’il s’agit de déterminer, de définir et d’interpréter les principes liés à ce domaine du droit.

A.              Ce que nous entendons par « le droit touchant les personnes handicapées »

Pour saisir le lien entre les personnes handicapées et le droit, il est essentiel en premier lieu de comprendre que chaque loi d’application générale qui touche la population générale a également une incidence sur les personnes handicapées. Les lois relatives à la protection des consommateurs, à la formation et à la dissolution de la famille, au zonage, au droit de vote, aux logements locatifs, à la protection des renseignements personnels et à l’accès à l’information, aux relations de travail ainsi que de nombreuses autres lois forment le droit touchant les personnes handicapées. Certaines de ces lois d’application générale peuvent avoir des effets différents sur les personnes handicapées ou sur un groupe d’entre elles. Dans certains cas, cela peut être attribuable au fait que le droit ne prend pas en considération les besoins particuliers des personnes handicapées. Par exemple, si les lois relatives au vote et aux élections ne tiennent pas compte des obstacles en matière d’accessibilité, les personnes handicapées peuvent avoir plus de difficultés que les autres à exercer leurs droits démocratiques. Comme les personnes handicapées sont souvent absentes du processus d’élaboration des lois d’application générale, elles peuvent ainsi être involontairement désavantagées sur le plan du droit.

Il existe toutefois un très grand nombre de lois ciblant expressément les personnes handicapées ou certains groupes de personnes handicapées. Ces lois visent à reconnaître expressément les circonstances particulières de l’expérience du handicap et à en tenir compte. Un examen réalisé par la CDO dès le début de ce projet a permis de répertorier plus 150 lois et règlements ontariens faisant référence aux personnes handicapées en général ou à un groupe particulier de personnes handicapées. Le Document de consultation préliminaire produit par la CDO en juin 2009 fournit un aperçu de ces lois ciblées[42]. Celles-ci se rapportent à un large éventail de domaines sociaux, du soutien au revenu à l’éducation en passant par les appareils et accessoires fonctionnels et la prise de décisions. Certaines lois portent essentiellement sur les besoins des personnes handicapées, tandis que d’autres ciblent la population en général, mais proposent des mesures de soutien ou d’adaptation précises pour les personnes handicapées. Certaines lois prévoient des mesures de soutien ou visent à ouvrir des perspectives, alors que d’autres limitent les rôles ou les possibilités en fonction de capacités particulières. Bon nombre de ces lois ont une très forte incidence sur les possibilités offertes aux personnes handicapées et sur leur bien-être, la Loi sur l’éducation et la Loi de 1997 sur le Programme ontarien de soutien aux personnes handicapées, qui ont des dispositions axées sur l’éducation spécialisée, sont deux exemples frappants. Plusieurs de ces lois sont mises en œuvre dans le cadre de politiques et de pratiques très complexes et par d’importants appareils administratifs.

Afin de comprendre le droit touchant les personnes handicapées, l’analyse centrale met souvent l’accent, tout naturellement, sur l’examen minutieux de la formulation de la législation et de la réglementation. Cependant, dès le début de ce projet, la CDO a été informée que, alors que les dispositions de certaines lois soulèvent des préoccupations, il est également important de prêter attention aux différentes façons dont les lois sont mises en œuvre. Les lois peuvent paraître neutres ou même avantageuses à première vue, mais peuvent avoir des répercussions négatives sur les personnes handicapées en raison d’une mise en œuvre problématique. Il s’agit de l’un des principaux facteurs ayant motivé la CDO à tenir de vastes consultations auprès de la collectivité au printemps 2010 : sans connaître l’opinion des personnes directement touchées par la loi ou des personnes jouant un rôle direct dans sa mise en œuvre, il aurait été impossible de comprendre le fonctionnement et les effets du droit touchant les personnes handicapées.

Les préoccupations quant à la capacité des personnes handicapées d’exercer leurs droits et leurs responsabilités aux termes de la loi constituent un autre aspect lié à cette notion. L’accès au système de justice pour les personnes handicapées est l’un des facteurs expliquant l’écart entre la visée et la mise en œuvre de la loi. Une loi a peu de sens pour ceux à qui elle est censée profiter, à moins d’être mise en œuvre et appliquée comme il se doit et d’avoir des effets concrets. L’un des aspects de l’accès au droit est l’accès au système de justice, ce qui comprend la capacité d’une personne d’obtenir des renseignements sur ses droits et responsabilités juridiques, de bénéficier de conseils et d’une représentation juridiques de la part d’une personne compétente, au besoin, et de recourir aux modes de règlement de conflits juridiques en place. Cependant, il est possible d’accéder au droit de bien d’autres façons, par exemple, par l’entremise d’organismes de défense des droits, comme les bureaux de protecteurs des citoyens, et au moyen de mécanismes administratifs de présentation de plaintes ou de systèmes de contrôle et de vérification proactifs.

Par conséquent, le présent projet comprend, au titre du droit touchant les personnes handicapées, à la fois les lois d’application générale et celles ciblant particulièrement les personnes handicapées. Il englobe les lois énoncées par écrit et celles mises en œuvre dans le cadre de politiques et de pratiques ainsi que les facteurs liés à la capacité des personnes handicapées d’exercer leurs droits ou leurs responsabilités aux termes de la loi. 

Compte tenu du mandat de la CDO en tant qu’organisation provinciale, le présent projet porte principalement sur les lois ontariennes. La CDO a tout de même examiné les lois fédérales pour autant qu’elles avaient un lien avec les lois provinciales et a, bien sûr, pris en considération les principaux documents internationaux appropriés. En raison du plan conceptuel de ce projet, il est possible que le cadre soit applicable ou exerce une influence au-delà des frontières de l’Ontario.

Les exemples suivants illustrent de quelle façon un examen du droit touchant les personnes handicapées doit porter non seulement sur les dispositions des lois et des règlements, mais aussi sur les situations concrètes de la mise en œuvre de la loi afin de saisir pleinement l’incidence du droit sur les personnes handicapées et, de ce fait, la mesure dans laquelle il favorise une égalité réelle pour ce groupe.

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EXEMPLE : MISE EN ŒUVRE DU DROIT

Modalités du Programme ontarien de soutien aux personnes handicapées 

Le Programme ontarien de soutien aux personnes handicapées (POSPH), tel qu’il est régi par la Loi de 1997 sur le Programme ontarien de soutien aux personnes handicapées, son règlement et les lignes directrices de politiques détaillées, offre des mesures de soutien essentielles aux personnes handicapées qui sont souvent exclues de la population active ou sont victimes de marginalisation sur ce plan en raison de divers obstacles, notamment les attitudes négatives et les stéréotypes, le manque d’accessibilité et de mesures d’adaptation et l’effet cumulatif des obstacles sur le plan de l’éducation. Les mesures de soutien offertes dans le cadre du POSPH sont essentielles à la sécurité fondamentale de nombreuses personnes handicapées et à leur capacité de vivre dans un minimum de dignité. De plus, la Loi reconnaît la responsabilité partagée du gouvernement, des familles, des collectivités et des individus en matière de prestation de ces mesures de soutien[43].

Cependant, le programme, en visant divers objectifs, englobe de nombreuses exigences procédurales, ce qui peut limiter sa capacité à atteindre son but, lequel consiste à fournir un programme qui « sert efficacement les personnes handicapées qui ont besoin d’aide[44] ». Dans son rapport de 2004 sur le système d’aide sociale de l’Ontario (y compris le POSPH et le programme Ontario au travail), Deb Mathews a souligné que : 

Il existe à l’heure actuelle environ 800 règles et règlements dans le système qui doivent être appliqués avant que l’on puisse déterminer l’admissibilité d’une personne et le montant à lui verser. […] Étant donné leur nombre, les règles coûtent cher à administrer et sont souvent appliquées de manière inégale d’un agent à l’autre, même dans un seul bureau. De plus, les règles sont tellement compliquées qu’elles sont pratiquement impossibles à communiquer à la clientèle, et il faut des années pour former une agente ou un agent chargé de cas[45].

La complexité des exigences et des procédures peut constituer pour les personnes handicapées un obstacle important à l’accès aux mesures et aux programmes de soutien qui visent à les appuyer, ainsi qu’à leur compréhension. Le gouvernement a créé la Commission d’examen du système d’aide sociale de l’Ontario, qui réalisera un examen approfondi dudit système afin de rendre l’aide sociale financièrement viable et plus facile à comprendre[46]. La Commission a considéré qu’il s’agissait d’un obstacle et recherche des solutions pour simplifier le système et le rendre plus facile à comprendre[47].

Ces obstacles procéduraux ont une incidence sur de nombreux aspects du programme. Par exemple, le processus auquel les personnes handicapées ont recours pour présenter une demande d’admissibilité au POSPH a été critiqué, non seulement quant au fond, mais également parce qu’il s’agit d’un mécanisme long, rigoureux et à plusieurs niveaux, que les personnes handicapées peuvent considérer comme humiliant et décourageant.[48] 

Les exigences en matière de production de rapports et de surveillance liées au maintien du revenu d’emploi sont un exemple du type d’aspects procéduraux pouvant entraîner des problèmes sur le plan de la mise en œuvre[49]. Le POSPH permet aux personnes handicapées de toucher un revenu d’emploi ou d’entreprise et d’en conserver une partie, une mesure qui offre la possibilité d’accroître la participation et l’inclusion des personnes handicapées, tout en reconnaissant leur capacité à contribuer à la collectivité et à améliorer leur sécurité économique[50]. Le traitement du revenu d’emploi aux fins du POSPH est une source constante de débats et soulève des questions importantes excédant la portée de cet exemple que nous examinons. Cependant, les aspects procéduraux que représentent la surveillance et le rapprochement du revenu d’emploi ont été décrits comme une source de grande frustration pour les personnes handicapées durant les consultations tenues par la CDO en 2010. 

Les bénéficiaires du POSPH qui touchent régulièrement ou occasionnellement un revenu d’emploi ou d’entreprise doivent envoyer tous les mois un rapport afin que leurs prestations soient ajustées en conséquence. Le processus du POSPH exigeant la production d’un rapport mensuel et l’ajustement des prestations pose problème à de nombreux bénéficiaires du POSPH, puisque leur soutien du revenu peut faire l’objet de fréquents ajustements ou être considéré comme un trop-payé. Par conséquent, ces personnes ne peuvent compter sur une source de revenu stable[51]. Par exemple, bon nombre d’employeurs paient leurs employés toutes les deux semaines. Cela entraîne des difficultés pour les bénéficiaires du POSPH, puisque leur revenu est trop élevé les mois où ils reçoivent trois chèques de paye. Le mois suivant, ils ne toucheront que deux chèques de paye, mais une déduction plus élevée sera retenue en application du POSPH sur ce revenu plus faible en raison du salaire gagné au cours du mois précédent. Ce genre de fluctuation peut créer des problèmes budgétaires continus[52]. Ce problème est particulièrement grave pour les travailleurs saisonniers ou temporaires dont le salaire versé au cours du dernier mois d’emploi sera déduit du salaire le moins élevé qu’ils recevront pendant le premier mois sans travail.

Si certaines personnes ne touchent aucun revenu au cours d’un mois donné, il est possible qu’elles ne sachent pas qu’elles doivent tout de même envoyer un rapport. Le personnel du POSPH peut toutefois s’attendre à recevoir un rapport et, dans le cas contraire, envoyer une lettre pour signaler la suspension des prestations. Il est également possible que le personnel du POSPH ait reçu un rapport, mais qu’il l’ait égaré. La réception d’une lettre signalant la suspension des prestations peut être très troublante pour les prestataires, même si elle a été envoyée par erreur. Comme nous l’a mentionné un participant lors des consultations publiques tenues par la CDO :

[traduction]
Là où les bénéficiaires du POSPH éprouvent de réels problèmes, c’est dans la compréhension de leurs obligations à l’égard du système et des exigences du système à leur égard – s’inscrire pour obtenir ceci ou déclarer cela – c’est ce qui pose vraiment problème à ces personnes. Les difficultés ne résident pas tant dans la compréhension de leurs droits existants, mais plutôt dans la compréhension de leurs obligations à l’égard du système. […] Le problème est que, si vous ne comprenez pas ce que vous devez faire si vous êtes employé – si vous occupez un emploi, vous devez déclarer votre rémunération, et ce, dans un délai précis ainsi que plusieurs autres choses , et ajoutez à cela la latitude permise dans le cadre de ces programmes et services, il est possible que vous obteniez une réponse telle que : « Ah, je suis désolé! Vous présentez votre demande vraiment trop tard et je ne peux pas l’accepter ce mois-ci. » Vous êtes alors démuni.
Groupe de discussion de la CDO, personnes handicapées, Owen Sound, 31 mai 2010

Les calculs se rapportant au revenu d’emploi sont suffisamment variables et compliqués pour que les bénéficiaires du POSPH aient l’impression que le revenu qu’ils gagnent échappe à leur contrôle. Un bénéficiaire a fait remarquer :

[traduction]
Lorsque je travaillais, mon agent ne m’expliquait pas la façon dont il appliquait les dispositions de récupération. Je n’ai jamais su le montant réel qu’il me restait. Je ne connaissais pas la différence entre le montant que je gagnais et le montant qu’il allait me rester. Comprendre les calculs m’aurait donné l’impression que je savais ce qui se passait[53].

Durant les consultations tenues par la CDO, des personnes handicapées ont commenté le changement de rôle des agents de première ligne du POSPH, lequel consistait auparavant à fournir une aide et des mesures de soutien personnalisées et qui est maintenant devenu un rôle plus passif, de sorte que les bénéficiaires doivent naviguer dans le système par leurs propres moyens. Ainsi, malgré la complexité des règles et du système, il existe peu de mesures de soutien pour aider ces personnes à naviguer dans le système. À cela s’ajoute la perception d’une approche préjudiciable adoptée par le système qui peut donner aux bénéficiaires l’impression d’être victimes de soupçons incessants et d’attitudes humiliantes, ce qui porte atteinte au principe du respect de la dignité et de la valeur.

Cette situation représente des défis particuliers pour les personnes handicapées qui éprouvent de la difficulté à toujours défendre vigoureusement leurs propres intérêts, par exemple les personnes ayant des déficiences mentales. Ces personnes peuvent avoir besoin d’autres mesures de soutien pour tirer parti des avantages prévus du programme. À la lumière de l’expérience qu’elles ont vécue, certaines personnes handicapées peuvent conclure que les obstacles sont trop difficiles à surmonter et renoncer à ces avantages par frustration[54].

Cela illustre la façon dont les lois, les politiques et les programmes ayant des visées positives peuvent ne pas atteindre leurs résultats souhaités en raison de problèmes liés à leur mise en œuvre, et l’importance d’acquérir une large compréhension de la « loi ».

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B.              Documents fondamentaux sur le droit touchant les personnes handicapées

Pour comprendre le droit touchant les personnes handicapées, il est important de jeter un coup d’œil à certains documents fondamentaux qui définissent ou entravent d’autres lois ou politiques. Les textes législatifs les plus importants sont la Charte canadienne des droits et libertés (la Charte), le Code des droits de la personne de l’Ontario (le Code) et la Loi de 2005 sur l’accessibilité pour les personnes handicapées de l’Ontario (LAPHO). Ces documents (particulièrement la Charte et, dans une moindre mesure, le Code) ont une valeur particulière sur le plan juridique. Le document international le plus important est la Convention relative aux droits des personnes handicapées (la Convention ou CDPH) des Nations Unies. Ces documents sont décrits très brièvement ci-dessous.

En plus d’être des documents fondamentaux qui définissent ou entravent d’autres lois, politiques et pratiques, il s’agit de documents énonçant un idéal et fondés sur des principes qui reflètent la vision de dignité, d’égalité et d’inclusion des personnes handicapées. Par conséquent, ils constituent des sources de première importance dans l’affirmation des principes de ce cadre. Pour obtenir une analyse de ces documents en tant que sources des principes et des valeurs du cadre, veuillez consulter l’annexe B du présent rapport final.

Charte canadienne des droits et libertés : Les lois ontariennes touchant les personnes handicapées sont régies par la Charte et doivent être comprises en tenant compte de la visée de celle-ci. L’article 15 de la Charte, qui est entrée en vigueur en 1985, garantit que la loi ne fait acception de personne et s’applique également à tous, et que tous ont droit à la même protection et au même bénéfice de la loi, indépendamment de toute discrimination, notamment des discriminations fondées sur les déficiences mentales ou physiques (termes que la Charte ne définit pas). Le paragraphe 15(2) protège les lois, les programmes ou les activités destinés à améliorer la situation d’individus ou de groupes défavorisés, notamment du fait de leurs déficiences mentales ou physiques[55].Les dispositions des droits à l’égalité de la Charte ont été déterminantes pour promouvoir les droits des personnes handicapées, en énonçant le droit à l’inclusion et à la participation et en mettant de l’avant le principe des mesures d’adaptation[56].

La Charte est une loi fondamentale qui s’applique à toute entité exerçant un pouvoir conféré par la loi ou résultant des objectifs du gouvernement. Selon l’article 52, la Charte est la loi suprême du Canada; elle rend inopérantes les dispositions incompatibles de toute autre règle de droit. Lorsque le gouvernement agit en vertu de la common law ou de sa prérogative, la Charte s’applique également à ses actions. Le paragraphe 24(1) stipule que toute personne, victime de violation ou de négation des droits ou libertés qui lui sont garantis par la Charte, peut s’adresser à un tribunal compétent pour obtenir la réparation que le tribunal estime convenable et juste eu égard aux circonstances. 

Code des droits de la personne de l’Ontario : Le Code des droits de la personne[57] de l’Ontario a inclus l’incapacité (initialement désignée sous l’appellation « handicap ») comme motif protégé depuis 1982. Aux termes du Code, les personnes handicapées ont droit à un traitement égal sans discrimination dans les domaines de l’emploi, du logement, des biens, des services et des installations, des contrats et de l’adhésion à des associations professionnelles ou syndicales. Le Code fournit des mécanismes proactifs et réactifs pour assurer le respect de ces droits[58]. Il convient de faire remarquer que, au cours des dernières années, l’incapacité a été le motif du Code le plus souvent mentionné dans les cas de plaintes de discrimination, ayant été en cause dans plus de la moitié des plaintes portées devant la Commission ontarienne des droits de la personne et dans un pourcentage semblable de requêtes présentées au Tribunal des droits de la personne dans le cadre du système réformé[59].

Le paragraphe 47(2) du Code énonce la primauté de ce dernier en prévoyant que, lorsqu’une disposition d’une loi ou d’un règlement se présente comme exigeant ou autorisant une conduite qui constitue une infraction au Code, celui-ci prévaut, à moins que la loi ou le règlement visé ne précise expressément qu’il s’applique malgré le Code. Par conséquent, le Code permet aux personnes handicapées de contester les obstacles à leur égalité et a le potentiel de transformer des lois, des politiques et des normes relatives aux personnes handicapées. 

Loi de 2005 sur l’accessibilité pour les personnes handicapées de l’Ontario : Le droit ontarien relatif aux personnes handicapées est unique en raison de l’application de la Loi de 2001 sur les personnes handicapées de l’Ontario (LPHO)[60] et de la loi subséquente, la LAPHO[61].Ces lois ont pour objectifs centraux la reconnaissance des personnes handicapées en tant que groupe défavorisé et l’élimination des obstacles auxquels elles sont confrontées afin de permettre leur entière égalité et leur participation. Elles exigent des organisations qu’elles adoptent des mesures proactives dans divers secteurs pour assurer l’accessibilité et l’inclusion des personnes handicapées. La LPHO (qui sera abrogée éventuellement) ne s’applique qu’au secteur public élargi, ce qui comprend les fournisseurs de transport, les établissements d’enseignement et les municipalités. Elle prévoit l’élaboration de plans d’accessibilité, mais ne comporte aucune disposition d’exécution. Bien que la LAPHO s’appuie sur la LPHO, elle représente un pas en avant appréciable par rapport à celle-ci. Comme dans le cas de la LPHO, la LAPHO vise à éliminer systématiquement les obstacles physiques, comportementaux, technologiques, informationnels ou communicationnels pour les personnes handicapées, mais sa portée est beaucoup plus large que celle de la LPHO. Elle a pour objet d’assurer, d’ici 2025, une accessibilité complète pour les personnes handicapées aux biens, aux services, aux installations, aux logements, à l’emploi, aux bâtiments, aux constructions et aux locaux. Elle s’applique à la fois au secteur privé et public et elle décrit, parmi les mesures qu’elle propose, un processus d’élaboration de normes d’accessibilité à l’intention d’industries, de secteurs économiques et de catégories de personnes ou d’organismes en particulier. Les normes prévoient des étapes clés qui doivent être réalisées au plus tard cinq ans après l’étape précédente, et qui doivent être régulièrement réexaminées et révisées en vue de l’atteinte de l’objectif à long terme. Des normes ont été élaborées pour tenir compte de plusieurs secteurs, y compris le service à la clientèle, l’information et les communications, l’emploi et les transports, et la définition d’une norme relative au milieu bâti est sur le point d’être achevée. Elle comporte des dispositions d’exécution pour les cas de non-conformité[62].

Convention relative aux droits des personnes handicapées : Plusieurs documents internationaux traitent des situations vécues par les personnes handicapées, mais le plus récent et le plus exhaustif de ces documents est la CDPH[63]. Plus particulièrement, la CDPH a codifié l’engagement de la communauté internationale à reconnaître les droits des personnes handicapées. La CDPH a été ratifiée par le Canada le 11 mars 2010[64] et elle a pour objet de « promouvoir, protéger et assurer la pleine et égale jouissance de tous les droits de l’homme et de toutes les libertés fondamentales par les personnes handicapées et de promouvoir le respect de leur dignité intrinsèque[65] ». La CDPH ne confère pas de « nouveaux » droits aux personnes handicapées, puisque celles-ci jouissent de tous les droits conférés par les autres conventions des Nations Unies, mais elle reconnaît [traduction] « qu’en l’absence d’un traité juridiquement contraignant qui énonce clairement leurs droits, les personnes handicapées sont susceptibles d’être légalement “invisibles” dans leur collectivité, et même sur la scène internationale ».[66]

Les États signataires sont tenus de « respecter, protéger et mettre en œuvre » les droits aux termes de la CDPH. Le respect des droits sous-entend que l’État doit s’abstenir d’entraver la réalisation des droits, tandis que la protection des droits sous-entend que l’État doit empêcher la violation de ces droits par des tiers. La mise en œuvre des droits signifie quant à elle que l’État [traduction] « doit prendre des mesures législatives, administratives, budgétaires, judiciaires ou autres en vue d’assurer le plein exercice de ces droits[67] ». 

L’article 33 de la CDPH prévoit une « application et un suivi au niveau national », y compris la désignation par les États parties d’« un ou de plusieurs points de contact […] au sein de leur administration » pour donner suite aux questions relatives à l’application de la Convention et l’examen de la création d’un dispositif de coordination chargé de faciliter les actions liées à cette application dans différents secteurs de l’administration. En outre, les États parties doivent créer un cadre (ou renforcer les cadres existants) « de promotion, de protection et de suivi de l’application » de la CDPH qui tient compte des régimes actuels de protection des droits de la personne. Les organismes de la société civile, et en particulier les personnes handicapées, doivent participer aux activités de suivi de la CDPH[68].

 

C.              Comprendre le contexte dans lequel les personnes handicapées interagissent avec le droit

Pour élaborer un cadre du droit touchant les personnes handicapées, il est important de comprendre le contexte dans lequel les personnes handicapées interagissent avec le droit. Combien de personnes en Ontario se désignent-elles comme étant handicapées? De quelle façon l’incapacité est-elle liée à d’autres aspects de l’identité, comme le sexe, l’âge, le statut d’autochtone ou autres? Quelle est la place occupée par les personnes handicapées sur le plan du revenu, de l’emploi, de l’éducation et d’autres facteurs socioéconomiques? Toutes ces questions ont une incidence sur la façon dont les personnes handicapées interagissent avec le droit, et nous aident à comprendre l’« écart entre la visée et la mise en œuvre du droit ».

Il ne relève pas de la portée du présent rapport final de fournir une réponse exhaustive aux questions susmentionnées. Cette section soulignera très brièvement certains aspects importants de la vie des personnes handicapées qui sont pertinents pour déterminer la place qu’elles occupent par rapport à la loi en général. Il est toutefois nécessaire que les législateurs et les décideurs mènent les recherches appropriées pour s’assurer qu’ils comprennent la place que les personnes handicapées occupent dans un projet de loi ou de politique ou dans les lois ou les politiques faisant l’objet d’un examen.

L’expérience du handicap a une profonde incidence au Canada, particulièrement en Ontario. Selon les résultats de l’Enquête sur la participation et les limitations d’activités de 2006 réalisée par Statistique Canada, 4,4 millions de Canadiens ont déclaré, en 2006, avoir connu une limitation d’activités, ce qui laisse entendre qu’un peu plus de 14 % de la population est atteinte d’une incapacité[69]. Le taux d’incapacité en Ontario était légèrement supérieur et atteignait 15,5 %[70]. Fait intéressant, le taux d’incapacité augmente à la fois dans l’ensemble du Canada et en Ontario. Le vieillissement de la population n’est qu’une explication partielle, car les taux d’incapacité augmentent dans tous les groupes d’âge[71].

En plus des répercussions que subissent les personnes handicapées, les législateurs et les décideurs doivent également tenir compte des effets qui ont une incidence sur les époux, les parents, les enfants et les autres êtres chers des personnes handicapées. Par exemple, les parents d’enfants handicapés font état de lourdes conséquences sur leur sécurité financière[72] et les possibilités d’emploi[73], d’un degré de stress élevé[74] et de dépression[75], particulièrement en l’absence de mesures de soutien[76]. 

Comme cela a été mis en évidence tout au long du présent rapport final, les efforts en faveur d’une égalité réelle pour les personnes handicapées découlent des principes fondamentaux du respect de la dignité humaine et de la valeur tels qu’ils sont reconnus dans de nombreux instruments, y compris la CDPH, la Charte, le Code et bon nombre d’autres documents stratégiques gouvernementaux. Compte tenu de l’ampleur de l’incidence du handicap, il a été avancé que les désavantages et la marginalisation auxquels font face les personnes handicapées ont d’importants effets négatifs sur la société en général au chapitre de la perte de talents et de contributions, et de nombreuses personnes ont fait valoir que l’inclusion, l’accessibilité et les mesures d’adaptation sont amplement justifiées du point de vue commercial[77].

Comme cela a été mis en évidence tout au long du présent rapport final, l’expérience du handicap n’est pas homogène. La gravité des déficiences et les limitations d’activités connexes varient considérablement. De plus, il existe de nombreux types d’incapacités qui touchent notamment les fonctions sensorielles, intellectuelles ou cognitives, la communication, la mobilité, l’agilité et l’apprentissage, en plus de la déficience psychologique et de l’incapacité liée à la douleur[78]. Certaines personnes qui sont atteintes de différents types d’incapacités peuvent être confrontées à différents types d’obstacles comportementaux, physiques ou institutionnels. Par conséquent, les possibilités et les expériences de ces personnes varient considérablement. 

L’expérience du handicap variera également selon la façon dont elle est liée à d’autres aspects de l’identité. Les femmes, par exemple, sont beaucoup plus susceptibles que les hommes de déclarer être atteintes d’une incapacité[79], et sont plus sujettes à souffrir d’une incapacité grave ou très grave[80]. Cependant, un plus grand nombre de femmes atteintes d’incapacités occupent un emploi au Canada comparativement à leurs homologues masculins[81]. Un autre exemple est celui des Autochtones qui courent beaucoup plus de risques que les autres Canadiens d’être atteints d’une incapacité[82]. De plus, les Autochtones handicapés sont plus susceptibles de toucher un faible revenu que les autres Autochtones ou que les Canadiens non autochtones handicapés[83]. Il importe, par conséquent, que les législateurs et les décideurs prennent en considération les différences au sein de la collectivité des personnes handicapées ainsi que les différences entre les personnes handicapées et celles qui ne le sont pas.

Les réflexions sur la façon dont les personnes handicapées interagissent avec le droit portent souvent avant tout sur les conséquences de certaines déficiences et les mesures d’adaptation connexes, par exemple, s’assurer que le matériel d’information est fourni dans des formats accessibles aux personnes atteintes d’une déficience sensorielle, que les organismes chargés d’administrer et d’appliquer les lois sont physiquement accessibles et que les fournisseurs de services sont formés pour offrir des services aux personnes ayant des troubles de communication. Il ne fait aucun doute que ces réflexions sont fondamentales. Malgré les progrès réalisés depuis les dernières décennies et les mesures de protection mises en place aux termes du Code et de la LAPHO, il reste beaucoup à faire avant de pouvoir affirmer que ces aspects liés à une incapacité ont été dûment pris en considération. Cependant, une compréhension de l’expérience du handicap qui porte uniquement sur l’accessibilité et les mesures d’adaptation est incomplète. 

Malgré les différences entre les personnes handicapées, celles-ci font confrontées en général aux mêmes obstacles sur le plan de l’inclusion et, par conséquent, aux désavantages qui en résultent et à la marginalisation. Les niveaux de revenu des personnes handicapées sont nettement inférieurs à ceux des personnes non handicapées. Par exemple, parmi les Canadiens âgés de 25 à 34 ans, les personnes non handicapées touchent un revenu moyen de 33 078 $, alors que les personnes handicapées gagnent un revenu inférieur d’environ un tiers, soit 23 087 $. Au fur et à mesure que l’âge augmente, les écarts entre les niveaux de revenu continuent de s’accroître. Par exemple, chez les personnes âgées de 45 à 54 ans, le revenu moyen des personnes non handicapées est de 38 967 $, alors qu’il est de 20 319 $ pour les personnes qui se définissent comme handicapées[84]. L’ampleur de l’écart entre les niveaux de revenu varie selon divers facteurs, notamment le statut d’autochtone, le sexe, la gravité et le type d’incapacité. Puisqu’il est très fréquent que les personnes handicapées touchent un faible revenu, cela aura une incidence sur chacun des autres aspects de leur vie, de la santé au logement en passant par la sécurité personnelle. Cette situation a de nombreuses répercussions sur la relation des personnes handicapées avec la loi. Par exemple, le fait de toucher un faible revenu crée divers obstacles à l’accès au droit, y compris bien sûr l’absence de ressources pour obtenir des conseils juridiques et se faire représenter. Cela signifie également que les personnes handicapées sont concernées de manière disproportionnée par les lois, les programmes et les politiques qui traitent des problèmes liés au faible revenu, comme les programmes de soutien du revenu et les logements sociaux, et que ces personnes disposent généralement de moins de ressources pour faire face aux adversités de la vie. 

Ces faibles niveaux de sécurité du revenu sont bien évidemment liés aux faibles taux de participation au marché du travail chez les personnes handicapées. En 2006, le taux de chômage au Canada chez les personnes handicapées était de 10,4 % comparativement à 6,8 % chez les personnes non handicapées[85]. Ce taux grimpe en flèche chez les personnes atteintes d’une déficience intellectuelle ou mentale ainsi que chez les Autochtones et d’autres groupes sous-représentés de personnes handicapées[86]. Ces dernières sont aussi plus susceptibles d’être sans emploi ou encore d’occuper un emploi à faible revenu ou un poste précaire[87]. En 2006, le revenu d’emploi constituait la principale source de revenu pour seulement 52,1 % des personnes handicapées. Par contre, 81,2 % des personnes non handicapées ont affirmé que le revenu d’emploi constituait la plus grande partie de leur revenu. Finalement, les personnes handicapées sont beaucoup plus susceptibles que les personnes non handicapées à compter sur l’aide sociale comme source de revenu (données désagrégées par sexe : trois fois plus dans le cas des femmes et cinq fois plus dans le cas des hommes)[88]. Puisque, dans notre société, l’emploi est un facteur important d’accès à de nombreux avantages (tels que les prestations de maladie, les prestations du Régime de pensions du Canada et de nombreux autres) ainsi qu’à l’inclusion sociale et à la participation, un faible taux de participation au marché du travail a des répercussions sur tous les aspects de la vie.

Il a été clairement démontré que, malgré les exigences aux termes de la Loi sur l’éducation et certains investissements importants en matière de ressources, les personnes handicapées continuent d’être confrontées à divers obstacles majeurs sur le plan de l’éducation[89].Il n’est donc pas surprenant que les personnes handicapées aient des niveaux d’alphabétisation et d’instruction plus faibles que les personnes non handicapées. En 2006, du nombre d’adultes en âge de travailler (25 à 64 ans), 25 % des personnes handicapées ne détenaient aucun diplôme d’études secondaires comparativement à 13,5 % des Canadiens non handicapés. Seulement 8 % des personnes handicapées détenaient un baccalauréat par rapport à 15 % des personnes non handicapées[90]. Les contraintes sur le plan de l’alphabétisation et de l’éducation ont évidemment des conséquences importantes sur l’emploi et la sécurité financière. Elles ont également une incidence sur la capacité des personnes handicapées à obtenir et à comprendre l’information sur la loi, à déterminer les options dont elles disposent pour protéger leurs droits et à défendre efficacement leurs propres intérêts. 

Comme il en est fait mention au chapitre II.C.5, les personnes handicapées sont exposées à un risque plus élevé de violence et de mauvais traitements que les personnes non handicapées. Bon nombre de raisons expliquent cette tendance. Certaines personnes handicapées peuvent être ciblées parce qu’il leur est plus difficile de porter plainte en raison de leur incapacité. Puisque certaines personnes handicapées sont plus susceptibles de gagner un faible revenu, il est également plus probable qu’elles se retrouvent dans des conditions de vie moins saines et moins sécuritaires. L’incapacité dont ces personnes sont atteintes peut également réduire leurs chances de se sortir d’une situation de violence ou de mauvais traitements. Par exemple, certains ont émis des préoccupations relativement au manque de refuges accessibles pour les personnes handicapées qui cherchent à échapper à la violence familiale. Il s’agit de contextes dynamiques que la loi doit prendre en considération, par exemple, dans l’élaboration de mécanismes de présentation des plaintes ou dans l’examen de la dynamique de pouvoir entre les personnes handicapées et les fournisseurs de services. 

Les lois, les politiques et les pratiques qui ne tiennent pas compte de ces réalités, et d’autres, propres aux personnes handicapées sont moins susceptibles d’établir des objectifs valables pour ces personnes ou, dans le cas où elles le feraient, de les appliquer efficacement. L’exemple ci-dessous met en évidence certains des contextes devant être pris en considération lors de l’examen de la transition des jeunes personnes handicapées qui quittent le domicile de leurs parents pour vivre de façon autonome, ainsi que les façons dont les lois ont tenté d’éliminer les obstacles auxquels ces personnes sont confrontées.

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EXEMPLE : COMPRENDRE LE CONTEXTE DANS LEQUEL LES PERSONNES HANDICAPÉES INTERAGISSENT AVEC LE DROIT

Jeunes adultes handicapés et transition vers une vie autonome

Au début de l’âge adulte, on s’attend à ce que les jeunes deviennent de plus en plus indépendants de leurs parents, puisqu’ils « prennent toutes sortes de décisions, c’est-à-dire où ils vivront et avec qui, de quelle façon ils poursuivront leurs études, quel genre de travail les intéresse et s’ils se marieront et auront des enfants[91] ». Le fait de quitter le foyer parental est considéré comme une transition « normale » vers l’âge adulte et l’autonomie. Les jeunes adultes handicapés, tout comme les autres jeunes adultes, aspirent souvent à quitter la résidence de leurs parents et à vivre de façon autonome. Les jeunes adultes doivent fréquemment surmonter divers défis lors de cette transition, mais les jeunes adultes handicapés doivent vaincre des obstacles supplémentaires ou plus graves.

Les jeunes adultes sont souvent victimes de discrimination sur le marché du logement locatif, car ils sont associés à des stéréotypes du genre « irresponsables ou trop fêtards et on dit [d’eux] qu’ils ne paient pas leur loyer ou qu’ils détruisent le bien d’autrui[92] ». Bien que la disposition sur le logement du Code interdise la discrimination fondée sur le handicap[93] et que la Loi de 2006 sur la location à usage d’habitation exige des propriétaires qu’ils se conforment au Code lorsqu’ils choisissent de nouveaux locataires, y compris en ce qui a trait à l’utilisation des renseignements sur le revenu[94], les personnes handicapées font face à d’autres difficultés lorsqu’elles recherchent un logement locatif du fait que les propriétaires s’inquiètent de devoir possiblement leur fournir des mesures d’adaptation ou en raison de la stigmatisation de certaines incapacités[95]. Cela signifie que les jeunes personnes atteintes d’une incapacité apparente pour les propriétaires éventuels peuvent être victimes d’une importante discrimination sur le marché du logement locatif.

Bien qu’il soit plus probable que les jeunes adultes en général touchent un faible revenu, cette situation est plus fréquente chez les jeunes handicapés en raison des obstacles auxquels ils sont confrontés sur le plan de l’éducation et de l’emploi. Par exemple, la jeunesse semble être un inconvénient particulier pour les personnes handicapées à la recherche d’un emploi. Même si les personnes handicapées de tous les âges sont désavantagées sur le marché du travail comme il en a été fait mention précédemment, les jeunes handicapés doivent surmonter d’autres difficultés. Les personnes handicapées âgées de 15 à 24 ans sont plus susceptibles que celles de 45 à 64 ans de se voir refuser une entrevue (10,4 %) ou un emploi (14,4 %) ou de se voir attribuer moins de responsabilités (11,2 %) en raison de leur incapacité[96]. Le taux de participation au marché du travail chez les personnes non handicapées âgées de 15 à 64 ans est d’environ 80 %, alors que, dans le cas des personnes handicapées, ce taux se rapproche davantage de 60 %[97]. Dans le même ordre d’idées, le taux de chômage chez les personnes handicapées de ce groupe d’âge est nettement plus élevé que chez les personnes non handicapées[98]. Par conséquent, de nombreux jeunes handicapés gagnent un faible revenu. Le POSPH offre des mesures de soutien de base aux personnes handicapées, notamment aux jeunes, qui satisfont aux critères d’admissibilité, bien que les faibles taux révèlent qu’il peut être difficile de trouver un logement correspondant au budget disponible. 

On constate dans de nombreuses régions de l’Ontario une pénurie générale de logements abordables, une situation que le gouvernement a reconnu en adoptant la Stratégie à long terme de logement abordable qui comprend un éventail de programmes et d’initiatives relatifs aux logements abordables[99]. Compte tenu de la pénurie de logements abordables et du risque accru pour les jeunes handicapés de gagner un faible revenu, il est probable que ces personnes doivent surmonter un obstacle de taille lorsqu’elles cherchent à louer un logement abordable répondant à leurs besoins[100].

De plus, certains jeunes handicapés peuvent avoir de la difficulté à trouver un logement qui répond à leurs besoins découlant de leur incapacité, par exemple, qui est accessible physiquement (comme il en est fait mention dans l’exemple suivant de la section II.D.3 ci-dessous) ou qui est situé à proximité des mesures de soutien et des services dont ils ont besoin[101]. Cela dit, les jeunes handicapés peuvent être confrontés à des obstacles à la fois sur le plan de l’abordabilité, de l’accessibilité et du comportement à leur égard lorsqu’ils recherchent un logement locatif approprié.

Finalement, il est important de tenir compte de la nature de la transition vécue par les jeunes lorsqu’ils quittent la résidence de leurs parents. Il s’agit d’une période au cours de laquelle les jeunes apprennent à s’occuper d’une maison et à vivre de façon autonome, des aptitudes qui doivent être acquises par l’expérience et au fil du temps. Souvent, les jeunes effectuent cette transition de façon graduelle, par exemple en vivant une partie de l’année dans des résidences collégiales ou universitaires ou en partageant un logement avec des amis. Les jeunes handicapés peuvent avoir un accès limité à ce modèle non structuré hypothétique de transition. Certains organismes tels que CanChild, Easter Seals et March of Dimes ont mis en place des programmes ou des ressources pour faciliter cette transition[102]. 

Ces multiples obstacles peuvent représenter des défis redoutables pour les jeunes handicapés lorsqu’ils doivent effectuer une transition que les autres jeunes peuvent tenir pour acquise. Comme il en a été fait mention précédemment, il existe en Ontario plusieurs lois, politiques et programmes dignes d’intérêt qui reconnaissent certains de ces obstacles et tentent de les éliminer, mais ceux-ci sont fragmentés. De plus, peu de mesures de soutien cohérentes tiennent compte de la nature particulière de cette transition chez les jeunes handicapés.

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D.             Thèmes clés du droit touchant les personnes handicapées

Tel qu’il a été précisé aux fins du présent projet, le droit touchant les personnes handicapées est très large, de sorte qu’il est impossible de réaliser une analyse détaillée dans les limites de ce rapport. Cependant, d’après les recherches décrites à la section I.C.2 et les résultats des consultations publiques tenues par la CDO, cette dernière a relevé certains thèmes clés de ce domaine du droit. Ces thèmes ont orienté le cadre, tout comme la détermination et l’interprétation des principes, et sont décrits brièvement ci-dessous.

1.               La « visibilité » des personnes handicapées au sein du droit

Un thème souvent mentionné durant les consultations publiques tenues par la CDO et dans les ouvrages incontournables est l’invisibilité fréquente des personnes handicapées dans le processus d’élaboration des lois et de leur contenu. Cela s’inscrit dans le prolongement de la marginalisation plus générale des personnes handicapées dans la sphère publique.

Durant les consultations, les personnes handicapées ont souligné avec insistance l’importance d’assurer leur participation à l’élaboration des lois qui les concernent et leur sentiment qu’une telle participation est rarement permise dans une mesure significative, particulièrement lorsqu’il s’agit des lois d’application générale. En l’absence d’une telle participation, les lois pourraient ne pas tenir compte des différentes façons dont les personnes handicapées sont touchées et, par conséquent, désavantager ces personnes ou se révéler inefficaces à répondre à leurs besoins.

On suppose souvent que les personnes handicapées ne sont confrontées qu’à des obstacles en matière d’accessibilité liés à leur incapacité. Les répercussions sociales et économiques découlant d’une incapacité ainsi que la façon dont celles-ci peuvent positionner les personnes handicapées différemment par rapport au droit peuvent être mal comprises. Bien que l’accessibilité des personnes handicapées est essentielle à leur participation et leur inclusion et à l’atteinte de l’égalité réelle, le fait de ne pas accorder la même attention aux obstacles sociaux et économiques à l’inclusion des personnes handicapées met en évidence l’écart qui reste à combler sur le plan de l’égalité et possiblement une tendance constante à accorder la priorité aux aspects fonctionnels de l’incapacité plutôt qu’à une approche sociale plus large ou axée sur les droits de la personne.

De plus, la diversité des identités et des expériences des personnes handicapées, comme l’incidence du sexe, de l’âge, de la racialisation, de l’orientation sexuelle et d’autres aspects de l’identité, peut ne pas être prise en considération. En outre, les législateurs et les décideurs ont généralement tendance à considérer leurs initiatives en vase clos, de sorte qu’ils peuvent ne pas examiner sous tous les angles l’incidence globale de l’ensemble fragmenté des lois et des politiques lorsqu’ils évaluent les conséquences possibles d’une loi ou d’une politique.

Il a été suggéré que, compte tenu de la marginalisation et de l’exclusion constantes dont sont victimes les personnes handicapées au sein de la sphère publique, le mouvement voué à la défense de leurs droits pourrait constituer un « projet de visibilité » :

 [Traduction]
En un mot, l’invisibilité relative ou absolue des personnes handicapées a eu pour effet que les dispositions juridiques introduites pour promouvoir les libertés privées (protection contre l’abus de pouvoir) et publiques (participation à la collectivité majoritaire) n’ont pas été appliquées, ou l’ont été avec bien moins de rigueur dans leur cas.

C’est ainsi qu’est apparue une catégorie d’individus qui, bien que dépendants du secteur public pour survivre, n’ont pas les moyens d’accéder à la politique ni de l’influencer. Ils se voient dénier l’accès aux pouvoirs publics et la maîtrise de leur destinée individuelle. Bref, ils restent en marge de la collectivité majoritaire. Cette absence – ou cette invisibilité – alimente les stéréotypes qui ont encore cours quant à l’inaptitude des personnes handicapées. Elle favorise le manque de respect à leur égard et empêche de voir en elles des détenteurs de droits, à l’instar de leurs congénères[103].

Ainsi, il est important pour les personnes handicapées d’être reconnues, dans toute leur individualité et leur diversité, comme des personnes dont les expériences sont importantes et dont les points de vue sont valorisés. Elles doivent aussi être en mesure de participer activement à l’élaboration des lois. Sans cette reconnaissance et cette participation, les lois qui semblent avoir un effet neutre ou même favorable sur les personnes handicapées pourraient, en réalité, avoir une incidence négative sur leur droit à l’égalité. L’exemple ci-dessous montre une initiative visant à accroître la visibilité et l’inclusion des personnes handicapées et d’autres groupes marginalisés au sein du droit ainsi que des politiques et des pratiques gouvernementales.

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EXEMPLE : VISIBILITÉ DES PERSONNES HANDICAPÉES AU SEIN DU DROIT

Outil d’évaluation en matière d’inclusion de la fonction publique de l’Ontario 

Comme cela a été souligné dans la section II.A, en plus d’être touchées par les lois, les politiques et les pratiques les ciblant précisément, les personnes handicapées sont, par définition, visées par les lois, les politiques et les pratiques d’application générale qui parfois les touchent de manière différente ou disproportionnée par rapport aux autres. Il arrive souvent que les personnes chargées d’élaborer les lois, les politiques et les pratiques d’application générale ne possèdent aucune connaissance ou expertise particulière liée à l’incapacité et qu’elles ne soient pas informées des répercussions éventuelles de leurs choix sur les personnes handicapées. Il est possible que ces personnes ne songent même pas à la nécessité de tenir compte des personnes handicapées dans le contexte de leur travail. Par conséquent, des lois bien intentionnées peuvent avoir des effets négatifs imprévus sur les personnes handicapées. Le cadre de la CDO a pour objet d’aider à combler cet écart pour un large éventail d’organismes et de personnes jouant un rôle dans l’élaboration du droit qui touche les personnes handicapées, à faire mieux connaître les questions liées à l’égalité réelle et à créer un cadre commun aux fins de discussion entre les intervenants.

L’Outil d’évaluation en matière d’inclusion de la fonction publique de l’Ontario constitue une autre initiative récente visant à pallier le manque de visibilité de divers groupes marginalisés. Cet outil a été créé par le gouvernement de l’Ontario afin de soutenir l’adoption des principes de diversité et d’accessibilité lors de l’élaboration ou de l’examen de politiques, de programmes et de services. L’Outil d’évaluation en matière d’inclusion a pour but d’aider les fonctionnaires de l’Ontario :

  • à être mieux informés au sujet de la diversité, de l’inclusion et de l’accessibilité;
  • à repérer les obstacles liés aux processus d’élaboration de politiques, de programmes ou de services;
  • à définir et à évaluer des stratégies pour éliminer ou atténuer les obstacles[104].

L’Outil d’évaluation en matière d’inclusion définit 17 aspects de la diversité, notamment l’incapacité, l’âge, le sexe, les croyances, la situation familiale et les responsabilités en matière de soins, la race et l’orientation sexuelle. Il comprend une série de questions d’approfondissement pour chacun des 17 aspects mentionnés.

L’Outil d’évaluation en matière d’inclusion peut être appliqué à un large éventail de politiques, de programmes et de services élaborés et offerts par la fonction publique de l’Ontario (FPO). De plus, il prend appui sur les cycles opérationnels d’élaboration de politiques et de programmes ainsi que de prestation de services. Il s’agit d’un outil en ligne interactif qui comprend des liens vers des ressources, des mises en scène, des exemples d’obstacles et des suggestions pour les vaincre. Cet outil comprend également un guide de formation sur une législation accessible, qui fournit des conseils pratiques pour élaborer des lois et des règlements de manière à respecter et à favoriser l’accessibilité. Par conséquent, la portée de l’Outil d’évaluation en matière d’inclusion est plus large à certains égards que celle du cadre de la CDO, puisqu’il s’applique à de nombreux aspects de l’identité, bien qu’il soit également plus centré sur l’accessibilité dans le contexte précis des lois et des politiques provinciales. En tant que document interne, son objet est différent de celui du cadre de la CDO, dont le but est de servir de fondement pour favoriser la tenue de débats publics au fur et à mesure que la situation évolue.

L’Outil d’évaluation en matière d’inclusion a été mis en œuvre au sein de la FPO en janvier 2011, et une formation a été offerte à tous les ministères. Pour la période de 2009-2012, l’approvisionnement, les ressources humaines ainsi que les nouveaux programmes, politiques et lois sont les secteurs prioritaires dans lesquels cet outil sera implanté. Pour 2013, l’objectif est d’introduire des critères d’accessibilité dans la prise de décisions, la gestion de projets, l’approvisionnement, l’infrastructure technologique, la technologie de l’information et la formation. Il est prévu que l’Outil d’évaluation en matière d’inclusion sera appliqué à toutes les politiques et les pratiques d’ici 2016, et que l’accessibilité sera incluse dans toutes les activités de la FPO[105].

En augmentant la visibilité des groupes marginalisés, dont les personnes handicapées, dans les processus d’élaboration des lois, des politiques et des services, l’Outil d’évaluation en matière d’inclusion de la FPO peut faire mieux connaître les expériences et les besoins des personnes handicapées en matière d’accessibilité ainsi que les bonnes pratiques favorisant l’accessibilité et l’inclusion.

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2.               Attitudes négatives, stigmatisation et droit

Comprendre le capacitisme : Au Canada, les attitudes négatives envers les personnes handicapées ne datent pas d’hier. Les manifestations du capacitisme comprennent l’institutionnalisation involontaire, le contrôle des naissances et la stérilisation obligatoires, la ségrégation du reste de la population et le rejet des droits fondamentaux[106]. Comme il en a été fait mention précédemment, bien que les attitudes à l’égard de l’incapacité aient changé, un rapport récent publié par l’Environics Research Group sur les attitudes des Canadiens envers les questions relatives à l’incapacité a révélé que, même si la plupart des personnes estiment qu’elles sont ouvertes à la participation des personnes handicapées dans leurs activités quotidiennes, de nombreuses personnes ont affirmé que certains aspects de ces questions touchant les personnes handicapées les mettaient très mal à l’aise[107]. Évidemment, de nombreux comportements qui constituent des obstacles pour les personnes handicapées peuvent être adoptés de façon inconsciente.

Certains stéréotypes et préjugés sont associés à des handicaps précis. Par exemple, durant les consultations tenues par la CDO, de nombreuses personnes ayant des déficiences mentales, particulièrement celles qui ont vécu l’itinérance, ont fait part d’expériences qui démontraient qu’elles avaient été victimes de jugements cinglants et de préjugés lorsqu’elles avaient eu affaire avec les systèmes judiciaires. Le manque de services de soutien pour les personnes ayant des déficiences mentales combiné à la stigmatisation et à la peur de ces incapacités peuvent entraîner une augmentation des contacts avec la police et la criminalisation de ces personnes, un problème très préoccupant pour de nombreux participants. Dans d’autres cas, certains peuvent hésiter à reconnaître l’existence réelle de certaines incapacités (et par conséquent à offrir des mesures d’adaptation connexes), une préoccupation soulevée lors des consultations par des personnes ayant des troubles d’apprentissage et de fatigue chronique ou une déficience causée par des facteurs environnementaux.

Le capacitisme peut également se manifester de façons plus subtiles, telles la perception que les personnes handicapées demanderont inévitablement des mesures d’adaptation coûteuses et difficiles d’application, l’hésitation à inclure les personnes handicapées dans les programmes ou les services, qui découle de cette perception[108], ou l’élaboration de stratégies créatives pour refuser les demandes d’inclusion et de mesures d’adaptation.

Durant les consultations tenues par la CDO, de nombreux participants ont mentionné la méfiance et le mépris fréquent avec lesquels les personnes handicapées sont traitées lorsqu’elles tentent d’obtenir des services et des mesures de soutien. Les services ayant pour but d’aider les personnes handicapées à combler leurs besoins fondamentaux ou à favoriser leur autonomie, leur indépendance et leur participation peuvent avoir, en pratique, été mis en place en adoptant une mentalité contradictoire, selon laquelle les personnes qui souhaitent obtenir ces services cherchent à déjouer le système ou à obtenir des avantages auxquels elles n’ont pas droit. Cela est particulièrement vrai dans le cas des personnes handicapées qui touchent un faible revenu[109].

De plus, les mesures prises à l’égard de l’incapacité ont souvent été marquées par le paternalisme, une tendance consistant à empêcher les personnes handicapées de prendre des décisions « pour leur propre bien ». Cette tendance est particulièrement manifeste dans le cas des personnes ayant des déficiences intellectuelles ou mentales.

Plusieurs personnes ayant une importante déficience intellectuelle, cognitive ou psychosociale se heurtent à des obstacles majeurs ou insurmontables lorsqu’elles tentent de prendre des décisions. Elles rencontrent souvent des gens qui présument qu’elles sont incapables de diriger leur propre vie et qu’elles ont besoin d’être « guidées » ou protégées, et qui restreignent leur capacité de prendre des décisions ou la leur retirent entièrement. De nombreuses personnes sont physiquement isolées ou socialement et économiquement exclues et, par conséquent, ne peuvent pas décider de l’orientation qu’elles veulent donner à leur vie ni faire leurs propres choix. La prestation de services aux personnes handicapées ou âgées repose souvent sur des modèles de charité et de protection, ainsi que sur la présomption que, parce que ces personnes ont besoin d’aide et de soutien, il faut décider à leur place. De plus, il n’est pas rare que les fournisseurs de services exigent de se voir confier le pouvoir de prendre des décisions au nom de ceux qu’ils aident afin qu’ils puissent gérer plus efficacement les multiples décisions personnelles liées notamment aux soins, aux médicaments et aux activités[110].

Ces attitudes peuvent influencer l’élaboration ou la mise en œuvre des lois. Comme l’a fait remarquer l’Association du Barreau de l’Ontario :

[Traduction]
Le changement fondamental qui doit être opéré porte donc sur les attitudes et les conceptions. Par conséquent, les législateurs doivent élaborer les lois en partant du principe que l’aide, le soutien et la protection nécessaires pour assurer l’égalité et la participation des personnes handicapées constituent un droit, et non un privilège. Il faut partir du principe que la société tout entière tirera parti du fait que les personnes handicapées sont encouragées et autorisées à participer pleinement à la vie de la communauté, et ce, à tous les niveaux[111].

Les brefs exemples présentés tout au long du présent rapport illustrent la façon dont le capacitisme peut avoir une incidence sur l’élaboration ou la mise en œuvre des lois. L’analyse ci-dessous met brièvement en évidence certains thèmes clés.

Le capaticisme dans l’élaboration des lois : Le capacitisme peut influer sur l’élaboration des lois, des politiques ou des programmes qui touchent les personnes handicapées.

Les lois d’application générale ne reconnaissent habituellement pas l’existence des personnes handicapées ni leur exclusion de « la norme ».

L’exclusion de l’ensemble de la société découle d’une interprétation de la société fondée seulement sur les attributs « de l’ensemble » auxquels les personnes handicapées ne pourront jamais avoir accès. C’est l’omission de fournir des moyens raisonnables et d’apporter à la société les modifications qui feront en sorte que ses structures et les actions prises n’entraînent pas la non-participation des personnes handicapées qui engendre une discrimination à leur égard[112].

Les personnes handicapées peuvent se trouver dans des situations d’exclusion ou d’inégalité, non en raison des attitudes négatives per se, mais parce que les lois, les systèmes, les politiques et les pratiques ont été conçus sans prendre en compte leur existence. On part du principe, souvent inconsciemment, que seules les personnes qui disposent de tous leurs moyens tentent d’accéder aux lois, aux systèmes, aux programmes ou aux politiques. Par conséquent, les choix en matière d’élaboration sont fondés uniquement sur les personnes qui appartiennent à la « norme » et excluent les personnes handicapées n’en faisant pas partie. Le fait de reconnaître que cette démarche crée des obstacles est fondamental dans l’approche sociale du handicap, et l’identification et l’élimination de ces obstacles constituent l’un des principaux objectifs de la défense des droits des personnes handicapées. 

L’affaire Eldridge c. Colombie-Britannique (Procureur général) est un exemple de ce type d’exclusion des personnes handicapées de la « norme ». Dans cette affaire, les parties concernées étaient des personnes sourdes communiquant par langage gestuel. Ayant eu besoin de faire appel à des services de soins de santé par l’intermédiaire d’un hôpital, elles ont découvert que cet hôpital ne proposait pas d’interprétation gestuelle. Autrement dit, contrairement à d’autres membres de la société, ces personnes se trouvaient dans l’impossibilité de communiquer pleinement et efficacement avec les professionnels de soins de santé les soignant. En l’occurrence, le problème n’était pas lié à des attitudes ou à des intentions négatives vis-à-vis des personnes sourdes, mais plutôt au fait que, lors de la conception des soins hospitaliers, leurs besoins n’ont ni été pris en compte ni respectés, ce qui équivaut dans les faits à nier l’existence même des personnes sourdes. La Cour suprême du Canada a jugé que cette omission enfreignait les droits à l’égalité des personnes sourdes en vertu de la Charte, attendu que faute d’interprétation gestuelle, les personnes sourdes ne pouvaient pas véritablement bénéficier des mêmes services de soins de santé que les personnes entendantes. La Cour a énoncé que, lorsque les gouvernements fournissent un service, ils doivent prendre les mesures nécessaires pour que les groupes défavorisés puissent bénéficier de ce service au même titre que les autres groupes de la société[113].

Il est important ici de faire la distinction entre l’« élaboration inclusive (ou universelle) » et ces types de lois d’application générale apparemment neutres. Les lois élaborées de façon inclusive peuvent s’appliquer à la population en général, mais leurs dispositions tiennent compte de l’existence des personnes handicapées et des situations qui leur sont propres (que ce soit explicitement ou implicitement). Les lois qui ne prennent pas en considération les personnes handicapées peuvent garantir une égalité « formelle » (par opposition à une égalité réelle), mais ne peuvent pas être qualifiées d’inclusives.

Dans le cas des lois qui visent précisément les personnes handicapées, il est plus probable qu’elles seront influencées par des stéréotypes ou des attitudes négatives concernant les personnes handicapées ou certains groupes de personnes handicapées. Par exemple, l’Association canadienne pour l’intégration communautaire a émis certaines préoccupations selon lesquelles les lois sur la capacité et la tutelle peuvent être influencées par des attitudes et des stéréotypes négatifs concernant les personnes atteintes d’une déficience intellectuelle ou cognitive[114]. La CDO se penchera sur ces préoccupations et d’autres questions liées à la capacité et à la tutelle dans le contexte d’un projet s’appliquant au présent cadre et au Cadre du droit touchant les personnes âgées.

Il a été allégué que les dispositions de la Loi sur les coroners – en vertu desquelles une enquête est obligatoire dans le cas d’un prisonnier qui meurt en détention, mais discrétionnaire dans le cas d’un décès dans un établissement psychiatrique – contribuent à dévaloriser les personnes ayant des incapacités d’ordre psychiatrique, et n’apprécient pas à sa juste valeur la vulnérabilité réelle des personnes qui sont détenues en établissement psychiatrique contre leur gré[115].

Le capaticisme dans la mise en œuvre des lois : Le capacitisme peut également influer sur la façon dont les lois sont mises en œuvre par le personnel de l’appareil judiciaire, les fournisseurs de services et d’autres intervenants. Tout programme ou loi aussi bien conçu soit-il peut être inefficace pour les personnes handicapées en raison des attitudes capacitistes des responsables de la mise en œuvre de la loi. Par conséquent, ces attitudes pourraient compter parmi les nombreux facteurs responsables de l’« écart entre la visée et la mise en œuvre du droit ». Comme il en est fait mention ailleurs dans le texte, ces attitudes peuvent ne pas être délibérées ou explicites ou cibler des groupes particuliers de personnes handicapées, telles les personnes ayant des déficiences mentales ou les personnes handicapées à faible revenu. Par exemple, des parents handicapés se sont dits préoccupés du fait que les présomptions négatives sur leurs compétences parentales peuvent entraîner un contrôle et des interventions accrus de la part des services d’aide à l’enfance.

[Traduction]
On a peur que les professionnels de la santé appellent la SAE en raison de fausses perceptions ou d’un manque de compréhension au sujet du mode de vie autonome. J’ai planifié la naissance de ma fille en baignant dans cette peur. Au début, je craignais qu’ils appellent la SAE alors que j’étais à l’hôpital avec mon bébé. La SAE représente une véritable menace – les craintes des parents handicapés sont fondées. Deux mois avant mon accouchement, au même hôpital, un nouveau-né a été enlevé à sa mère aveugle dès sa naissance. La perception de ce que doit être un parent crée cette peur dans notre société.
Entrevue individuelle

L’examen réalisé par la CDO sur les enquêtes menées aux termes de la Loi sur les coroners sur des décès de personnes handicapées a mis en évidence les conséquences terribles d’une mise en œuvre inappropriée des lois et des politiques sur les personnes handicapées. Les problèmes cernés comprenaient l’usage inapproprié ou excessif de moyens de contention, le manque de supervision ou de consignes de sécurité adéquates dans les établissements, de même qu’une planification des sorties inappropriée pour les personnes atteintes d’une déficience psychique qui quittent un milieu institutionnel pour aller vivre dans la collectivité.[116]

L’exemple ci-dessous montre certains aspects de l’interaction entre le capacitisme et le droit.

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EXEMPLE : LE CAPACITISME ET LE DROIT

Les personnes handicapées, la décision d’embauche et le droit

L’Enquête sur la participation et les limitations d’activités de 2006 réalisée par Statistique Canada a révélé que les personnes handicapées estimaient être victimes d’une discrimination flagrante sur le marché du travail. Plus de 25 % des personnes handicapées sans emploi et près de 13 % des personnes ne faisant pas partie de la population active ont mentionné qu’elles s’étaient vu refuser un emploi en raison de leur incapacité au cours des cinq dernières années. Même les personnes handicapées occupant un emploi ont affirmé avoir été victimes de discrimination sur le plan de l’embauche (7,6 %)[117].

La discrimination lors de l’embauche a été fréquemment mentionnée lors des consultations menées dans la collectivité par la CDO. 

[Traduction]
Quand j’étais adolescente, j’ai eu de la difficulté à me trouver un emploi dans le domaine du commerce au détail et de la restauration. Tous ces emplois me convenaient parfaitement, car je peux donner le change de façon très convaincante. Être malentendant, c’est en quelque sorte simuler n’est-ce pas? Et, parce que je ne porte pas mon appareil auditif, mon incapacité n’est pas visible, alors je suis choisie comme candidate. Lorsque je suis entrée dans le monde des affaires, dans le domaine juridique, j’ai eu plus de difficulté à donner le change… Par conséquent, je crois que les employeurs estiment que, si vous êtes atteint d’une incapacité, ce sera compliqué et coûteux pour eux de vous offrir des mesures d’adaptation… Peu importe que les employeurs affirment être « déterminés à assurer l’équité », je crois que, s’ils doivent choisir entre plusieurs candidats qualifiés, ils ne retiendront pas nécessairement la personne handicapée, indépendamment de l’engagement qu’ils croient avoir pris.
Groupe de discussion de la CDO, personnes handicapées, Owen Sound, 31 mai 2010

[Traduction]
J’entends parfois des personnes ayant des difficultés d’élocution qui se présentent au bureau pour postuler un emploi se faire dire que l’emploi a été comblé. Cependant, si vous appelez, l’emploi doit toujours être pourvu, mais seulement par une personne qui semble plus apte pour occuper le poste en question.
Groupe de discussion de la CDO, organismes, Ottawa, 15 juin 2010

Une étude menée auprès de Canadiens ayant des troubles d’apprentissage a révélé que la plupart des personnes ayant passé une entrevue pour un emploi avaient choisi de ne pas mentionner leur incapacité à leur éventuel employeur. L’un des participants de l’étude a déclaré : [traduction] « Lorsqu’ils découvrent que vous êtes atteint d’une quelconque incapacité, cela signifie automatiquement que vous n’êtes pas en mesure d’exécuter le travail[118] ». 

Le Code prévoit un traitement égal en matière d’emploi sans discrimination fondée sur le handicap[119]. Cela s’applique également à la décision d’embauche et à la disposition sur les mesures d’adaptation liées à des incapacités durant le processus d’embauche, à condition que celles-ci ne causent aucun préjudice injustifié. Aucune discrimination n’est pratiquée dans le cas où une personne est incapable, en raison de son incapacité, d’exécuter les tâches essentielles liées à son poste, malgré la mise en place de mesures d’adaptation ne causant aucun préjudice injustifié[120]. La CODP a élaboré plusieurs politiques et lignes directrices sur la décision d’embauche, notamment le document Politique et directives concernant le handicap et l’obligation d’accommodement et la Politique concernant les renseignements médicaux liés à l’emploi. La discrimination fondée sur le handicap a pendant de nombreuses années été le principal motif des requêtes entendues par la CODP (dans le cadre du système précédent)[121] et maintenant par le Tribunal des droits de la personne de l’Ontario (TDPO). Au cours de l’exercice 2009-2010, 52 % de toutes les requêtes présentées au TDPO avaient pour motif d’appel l’incapacité. Puisque 75 % de toutes les requêtes se rapportaient au domaine social de l’emploi, il est logique de présumer que la plupart des requêtes ayant pour motif l’incapacité étaient liées à l’emploi, mais le TDPO ne rend pas publique cette statistique particulière[122].

Le règlement intitulé Normes d’accessibilité intégrées pris en application de la LAPHO comprend des normes d’accessibilité à appliquer dans le milieu de travail et comporte certaines dispositions relatives à l’embauche et à d’autres aspects de l’emploi[123]. Les articles 22 et 23 du Règlement exigent des employeurs qu’ils informent les candidats de la disponibilité des mesures d’adaptation durant le processus de recrutement. Quant à l’article 24, il exige des employeurs qu’ils informent les candidats retenus des politiques en matière de mesures d’adaptation. Puisque la LAPHO est axée sur les questions d’accessibilité, elle ne comporte aucune disposition précise sur la décision d’embauche.

Ces protections juridiques sont importantes et constituent des engagements publics concrets au principe d’égalité. Ces protections offrent aux personnes qui invoquent les dispositions d’exécution du Code la possibilité d’être entendues et de demander réparation. Cependant, pour la plupart des personnes handicapées, l’utilité de ces protections sur le plan pratique est limitée. Les décisions en matière d’embauche sont souvent difficiles à comprendre pour les personnes à la recherche d’un emploi. Puisque ces dernières ne sont pas au fait des renseignements concernant les autres candidats et du processus de prise de décision, elles peuvent avoir de la difficulté à déterminer si l’incapacité a joué un rôle dans la décision d’embauche. Par conséquent, il peut être très difficile de prouver qu’il y a eu discrimination[124].

Quoi qu’il en soit, il est possible que de nombreuses personnes handicapées ne soient pas disposées à entreprendre d’interminables procédures contradictoires en lien avec une requête relative aux droits de la personne – particulièrement lorsqu’elles sont encore à la recherche d’un emploi[125]. Les récentes réformes apportées au système des droits de la personne de l’Ontario avaient pour but de simplifier et d’accélérer l’application des droits de la personne et d’offrir plus de possibilités pour les initiatives systémiques[126]. Le système continue de s’adapter et d’explorer son potentiel, et le gouvernement entreprend actuellement un examen du système des droits de la personne tel que l’exige la Loi modifiant le Code des droits de la personne, ce qui pourrait mener à des initiatives visant à renforcer le système actuel[127]. Néanmoins, il n’en demeure pas moins que les personnes handicapées ont exprimé des préoccupations selon lesquelles, dans le cadre de l’ancien et du nouveau système, celles qui sont en quête de justice et qui se trouvent possiblement dans une situation précaire ont de la difficulté à s’y retrouver dans le long processus d’application des droits de la personne. Bien que l’application des droits de la personne soit importante pour établir des précédents ainsi que pour promouvoir et renforcer les changements à apporter au système, cette application, en raison de sa nature ne peut apporter des solutions efficaces qu’à une minorité de personnes handicapées victimes de discrimination en matière d’emploi. 

Durant les consultations publiques tenues par la CDO, des personnes handicapées se sont penchées sur la façon d’améliorer leurs chances durant le processus d’embauche. Certaines personnes ont proposé des procédures de présentation de plaintes et de surveillance simplifiées pour surmonter les obstacles en matière d’emploi. 

[Traduction]
Disons que je me présente et qu’on me dit que le poste a été pourvu, mais que je découvre, par la suite, qu’on m’a menti. Je devrais pouvoir disposer de certains recours. Je devrais pouvoir appeler quelqu’un pour lui faire part de la situation. C’est ce qu’ils ont fait en l’occurrence; ils m’ont menti pour éviter de traiter avec une personne comme moi,et c’est un problème qui doit être réglé.
Groupe de discussion de la CDO, personnes sourdes, devenues sourdes ou malentendantes, Toronto, 21 juin 2010

D’autres personnes ont suggéré de réexaminer les mesures plus proactives, comme l’équité en matière d’emploi.

[Traduction]
Je crois que l’une des choses qui nous manquent le plus est une forme de réelle équité en matière d’emploi dans la province. Sur le plan de l’emploi des personnes handicapées, nous vivons une situation cauchemardesque. Ce n’est pas un exploit pour les personnes non handicapées d’obtenir un emploi, mais, en ce qui concerne les personnes handicapées, elles ont très peu de chances de décrocher et de conserver un emploi dans la province en raison des obstacles à surmonter, dont 95 % sont sans fondement et n’ont aucune raison d’être… Il faut donc se concentrer sur l’équité en matière d’emploi et le besoin de faire les choses comme il le faut dans ce domaine. Si nous ne réglons pas le problème maintenant, de plus de plus de personnes auront besoin d’assistance sociale, et cette situation ne fera qu’empirer.
Groupe de discussion de la CDO, personnes handicapées, Owen Sound, 31 mai 2010

Le capacitisme, qu’il soit conscient ou inconscient, peut avoir une profonde incidence sur la vie des personnes handicapées. Les renseignements dont on dispose révèlent que le capacitisme a des répercussions importantes sur la capacité des personnes handicapées à se trouver un emploi. Bien que, grâce à des dispositions législatives, les employeurs ne peuvent refuser d’employer des personnes en raison d’une incapacité, les personnes handicapées considèrent que, en pratique, la loi est limitée dans sa capacité à produire un effet systémique tangible sur ce problème.

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3.               Complexité, chevauchement et cloisonnement

Le droit touchant les personnes handicapées est souvent fragmenté et extrêmement compliqué. Cette complexité constitue un défi en soi, à la fois pour les personnes handicapées, les fournisseurs de services et les défenseurs des droits qui essaient d’aider les gens à naviguer à travers le système. Malgré leurs intentions louables, certaines lois ne réussissent pas à atteindre leurs objectifs parce qu’elles ne sont pas facilement accessibles aux personnes handicapées qui ne disposent pas des mesures de soutien et des ressources nécessaires pour les comprendre et les utiliser. Il est possible que les personnes handicapées ne soient pas en mesure de faire des choix éclairés parce qu’elles ne sont pas au fait des options qui s’offrent à elles ou qu’elles considèrent qu’il leur est trop difficile d’exercer ces options.

Réglementation de la vie des personnes handicapées : La difficulté à comprendre et à naviguer dans le système législatif s’explique en partie par l’ampleur même de la législation qui s’adresse précisément aux personnes handicapées. Pour des motifs à la fois bons et mauvais, la vie des personnes handicapées est hautement réglementée, et ces dernières sont donc souvent tenues de jongler avec une vaste gamme de lois et de politiques simplement pour répondre à leurs besoins quotidiens. Par exemple, une personne ayant une déficience physique qui souhaite vivre de façon autonome doit connaître un vaste éventail de lois et de programmes, dont le Code du bâtiment, les crédits d’impôt à la rénovation en vue d’accroître l’accessibilité à son logement, les lois sur les droits de la personne relatives au logement locatif et au devoir d’adaptation, ainsi que les programmes de soutien à domicile pour ses soins personnels et ses besoins domestiques, sans compter qu’elle aura à répondre à ceux qui souhaitent que des non-handicapés s’occupent d’obtenir ou d’adapter ledit logement[128]

Complexité des lois : Souvent, certaines lois traitant de problèmes liés à l’incapacité sont elles-mêmes démesurément longues, complexes et techniques, ce qui crée de lourdes structures bureaucratiques et des cadres stratégiques élaborés. Par exemple, les personnes handicapées à faible revenu peuvent recevoir un soutien du revenu grâce au POSPH, lequel offre un montant à l’égard des besoins essentiels et une allocation de logement. Le POSPH, bien qu’il offre un soutien indispensable, est un programme connu pour être complexe en raison de ses nombreux règlements et politiques et de la structure bureaucratique compliquée[129]. Comme l’a souvent entendu la CDO durant les consultations qu’elle a tenues, la compréhension de ces systèmes et la navigation efficace dans ceux-ci exigent des efforts considérables ainsi que des connaissances approfondies, de sorte que les personnes handicapées peuvent être incapables d’accéder aux mesures de soutien qui sont censées leur être profitables ou être rebutées à l’idée de tenter d’y accéder. La complexité peut être attribuable aux efforts déployés pour tenir compte de la diversité des expériences vécues par les personnes handicapées dans le but de s’assurer que les rares ressources sont attribuées aux personnes qui en ont le plus besoin ou d’assurer une équité procédurale. En d’autres termes, la complexité peut s’expliquer par des raisons valables. Il est important toutefois de reconnaître cette complexité comme un obstacle potentiel à l’accès et à l’inclusion des personnes handicapées ainsi que la nécessité de remédier à ce problème par la simplification ou la prestation d’une aide aux personnes qui naviguent dans les systèmes en vue d’y accéder. 

Liens entre les lois : De plus, les lois peuvent se chevaucher ou interagir de façon compliquée – un bon exemple à ce sujet serait le rapport réciproque entre le Code du bâtiment de l’Ontario, le Code des droits de la personne de l’Ontario, la LAPHO et ses règlements connexes. Comme le montre l’exemple présenté à la fin de cette section, tous ces textes législatifs traitent de l’accessibilité pour les personnes handicapées dans le contexte du logement, bien que les normes et les processus diffèrent. 

Lois, politiques et programmes fragmentés : De façon générale, l’évolution des lois visant les personnes handicapées se fait depuis longtemps au gré de questions pressantes à régler dans un contexte particulier. Alors qu’on a parfois cherché à harmoniser les lois, il existe toujours des lacunes ou des incohérences, et l’on a rarement tenu compte de l’expérience vécue par les personnes handicapées d’un point de vue holistique. Les lois, politiques et programmes ne tiennent souvent pas compte du fait qu’une personne puisse être, par exemple, à la fois une mère, une personne souffrant de maladie mentale, une personne ayant une déficience sensorielle et une chercheuse d’emploi. Les lois, programmes et services traiteront souvent de ces caractéristiques séparément, et donc, même si de nombreuses mesures d’aide sont disponibles, cette personne devra combiner une mosaïque de services, dont aucun ne s’intéresse à la personne intrinsèque ou à la particularité des obstacles qu’elle a à franchir. Par exemple, les Autochtones handicapés sont confrontés à des difficultés particulières lorsqu’ils recherchent un logement accessible en raison de la stigmatisation et de la discrimination dont ils sont victimes, de la confusion liée aux questions de compétence, de la probabilité accrue de toucher un faible revenu et des défis particuliers liés à la recherche d’un logement accessible dans des régions éloignées ou dans de nombreuses collectivités des Premières nations[130]. 

Transitions : Une question en lien avec celle de la fragmentation mentionnée ci-dessus touche la façon dont la loi encourage ou entrave les aptitudes des personnes handicapées à effectuer des transitions – un thème important lors des consultations tenues au printemps 2010 et un point central des recherches effectuées par la CDO aux fins du présent rapport. Les personnes handicapées aspirent généralement à vivre leur vie de la même manière que leurs semblables non-handicapés. Comme il en a été fait mention précédemment, les jeunes adultes handicapés souhaitent souvent vivre sans l’aide de leurs parents, mais peuvent être confrontés à de nombreux obstacles en tenant d’y parvenir, notamment lors de la recherche d’un logement et de mesures de soutien appropriés, de fonds suffisants et du fait qu’il existe peu de programmes qui reconnaissent la nature particulière de la transition des jeunes adultes cherchant à vivre de façon autonome et qui appuient les personnes handicapées. Ce manque d’attention porté aux transitions renforce la fragmentation des lois mentionnées ci-dessus.

L’exemple suivant illustre, par l’examen des liens entre les lois régissant l’accessibilité aux logements locatifs, l’un des défis auxquels font face les personnes handicapées qui tentent de comprendre le système législatif et de naviguer dans celui-ci.

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EXEMPLE : LIENS ENTRE LES LOIS

La loi et les logements locatifs accessibles

Le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels reconnaît le droit à un logement adéquat[131] et, aux termes de l’article 28 de la CDPH, les États parties reconnaissent le « droit des personnes handicapées à un niveau de vie adéquat pour elles-mêmes et pour leur famille, notamment une alimentation, un habillement et un logement adéquats ». L’article 9 de la CDPH prévoit qu’« afin de permettre aux personnes handicapées de vivre de façon indépendante et de participer pleinement à tous les aspects de la vie, les États Parties prennent des mesures appropriées pour leur assurer, sur la base de l’égalité avec les autres, l’accès à l’environnement physique […] ». Ces mesures doivent inclure la détermination et l’élimination des obstacles à l’accessibilité et s’appliquer notamment aux logements.

Comme il en a été fait mention précédemment dans ce chapitre, les personnes handicapées peuvent faire face à divers obstacles liés au logement, y compris la pénurie de logements accessibles répondant à leurs besoins. 

En Ontario, l’accessibilité aux logements a été réglementée principalement par le Code des droits de la personne et le Code du bâtiment. La LAPHO peut également avoir un certain rôle à jouer à cet égard du fait de l’application de la Norme d’accessibilité au milieu bâti.

Le Code des droits de la personne exige un traitement égal en matière d’occupation d’un logement sans discrimination fondée sur le handicap[132]. Appliquant la jurisprudence en matière de droits de la personne, la CODP a déclaré : « Les fournisseurs de logements et d’autres parties responsables, dont le gouvernement, doivent s’assurer que le logement qu’ils offrent et les programmes qu’ils administrent reposent sur une conception inclusive[133]. » Les fournisseurs de logements doivent prendre des mesures d’adaptation permettant de combler les besoins liés à une incapacité sans que celles-ci entraînent un préjudice injustifié. Ainsi, les propriétaires devront par exemple apporter des modifications favorisant l’accessibilité à leurs logements locatifs afin de répondre aux besoins des locataires handicapés[134]

Le Code du bâtiment régit la construction des nouveaux immeubles de même que la rénovation, le changement d’usage et la démolition des immeubles existants. La plupart des exigences en matière d’accessibilité sont définies à l’article 3.8 du Code du bâtiment, lequel énonce les exigences concernant l’aménagement pour accès facile, reconnaissant ainsi les besoins des personnes ayant différentes incapacités. Celles-ci comprennent notamment les exigences concernant l’aménagement pour accès facile, de même que des itinéraires, des salles de bain et des entrées de porte dits sans obstacles[135]. Ces normes sont appliquées par les inspecteurs municipaux en bâtiment.

Par conséquent, certains domaines d’application du Code des droits de la personne et du Code du bâtiment se chevauchent. Cela soulève des questions en ce qui concerne les liens qui les relient et la mesure dans laquelle ils sont coordonnés. À titre de loi quasi constitutionnelle, le Code des droits de la personne prévaut sur tout règlement ou loi de l’Ontario, à moins qu’une disposition ne prévoie expressément le contraire[136]. En d’autres mots, en cas de divergence entre le Code du bâtiment et le Code des droits de la personne, ce dernier prévaut. Cela signifie qu’il est possible de contester les éléments de conception satisfaisant aux normes énoncées par le Code du bâtiment en présentant une requête aux termes du Code des droits de la personne. Il est possible qu’un immeuble par ailleurs conforme doive être modifié pour se conformer au Code des droits de la personne[137]. Bien que, en théorie, le lien entre les deux textes législatifs soit clair, il pose, en pratique, de nombreuses difficultés, et la CODP a émis certaines préoccupations au sujet de ce lien depuis plusieurs années[138].

Les deux textes législatifs diffèrent quant au but et à l’approche. Bien que le Code des droits de la personne définisse une norme générale de « traitement égal sans discrimination » dans la mesure où cela ne cause pas de préjudice injustifié, en pratique, les exigences requises pour satisfaire à cette norme varient d’un immeuble à un autre et d’un propriétaire à un autre, puisque la norme de préjudice injustifié est propre à une situation donnée. Comme il en a été fait mention précédemment, le droit à un traitement égal sans discrimination comprend l’obligation d’adopter une conception inclusive et d’éliminer les obstacles fondés sur l’incapacité[139]. Le Code du bâtiment énonce des normes minimales précises et claires qui s’appliquent à tous les types d’immeubles.

Étant donné que les normes énoncées dans le Code du bâtiment sont plus claires et plus précises, les fournisseurs de logements ont tendance, pour montrer leur bonne foi, à se conformer à ce texte législatif plutôt qu’au Code des droits de la personne, malgré le fait qu’il contient des normes minimales et que le Code des droits de la personne peut, dans certains cas, comporter des exigences plus rigoureuses. En fait, la clarté et la précision du Code du bâtiment comptent parmi les avantages de ce texte législatif qui favorise l’accessibilité pour les personnes handicapées. Les difficultés surviennent toutefois lorsque les normes minimales du Code du bâtiment ne répondent pas aux exigences énoncées par le Code des droits de la personne. Par conséquent, les fournisseurs de logements peuvent tout naturellement ne pas parvenir à comprendre leurs obligations en application de ces deux textes législatifs. Par exemple, certains ont émis des préoccupations selon lesquelles les normes actuelles du Code du bâtiment ne permettent pas un accès total aux personnes utilisant des appareils de mobilité plus larges qui sont de plus en plus courants[140]. Le Code du bâtiment exige que la largeur des corridors, des allées et des sorties soit d’au moins 1 100 mm, bien que les fauteuils roulants électriques puissent mesurer plus de 1 300 mm de large. De même, le rayon de braquage des scooters peut excéder la norme minimale indiquée dans le Code du bâtiment[141].

La CODP a fait remarquer que « de nombreux fournisseurs de logements continuent de se fier seulement aux exigences du Code du bâtiment de l’Ontario, sans tenir compte de leurs obligations relatives au Code[142] ». Cela s’explique peut-être par le fait que les fournisseurs de logements ne sont pas au fait du Code et qu’ils « peuvent avoir l’impression erronée qu’en se conformant uniquement aux exigences du Code du bâtiment, elles ont satisfait à toutes leurs obligations légales[143] ». Par conséquent, dans la mesure où les exigences en matière d’accessibilité du Code du bâtiment ne tiennent pas compte des obligations prévues au Code des droits de la personne, les fournisseurs de logements sont plus susceptibles de se retrouver au centre de litiges portant sur les droits de la personne[144], particulièrement lorsqu’ils ne savent pas que les exigences du Code des droits de la personne peuvent différer.

L’application des exigences en matière d’accessibilité soulève également des problèmes. Aux termes du Code du bâtiment, des inspecteurs municipaux réalisent des inspections aux endroits où des permis ont été délivrés pour s’assurer que les nouvelles constructions et les importantes rénovations précisées respectent les normes de ce texte législatif. Par conséquent, le système d’application des normes du Code du bâtiment est proactif. Aux termes du Code des droits de la personne, l’application des normes se fait de manière réactive plutôt que proactive (bien que le Code offre des possibilités pour les requêtes présentées par la CODP). Les personnes handicapées ne peuvent déposer une requête aux termes du Code des droits de la personne que lorsqu’elles estiment que les fournisseurs de logements n’ont pas respecté l’une de ses normes, et toute requête présentée au titre du Code des droits de la personne est entendue par le Tribunal des droits de la personne de l’Ontario. Ces nombreux moyens de régler les problèmes liés à l’accessibilité accroissent la confusion à l’égard de cette question, puisque les fournisseurs de logements peuvent croire que l’approbation par un inspecteur en bâtiment signifie qu’ils sont conformes à toutes les exigences en matière d’accessibilité.

Finalement, les exigences du Code du bâtiment sont principalement prospectives, car elles s’appliquent aux nouveaux immeubles et à certaines rénovations. Ainsi, un large écart se crée par rapport aux anciens immeubles qui ne sont pas accessibles. La CODP a indiqué qu’il s’agissait d’une lacune importante dans les efforts déployés afin de faire de l’Ontario une province sans obstacles d’ici 2025[145], une lacune qui pourrait être considérée comme étant problématique sous l’angle d’une réalisation progressive. Cette situation est particulièrement préoccupante pour les personnes à faible revenu parce que la plupart des logements sociaux de l’Ontario ont été construits entre le milieu des années 1960 et le milieu des années 1990[146]. Les immeubles équipés d’un ascenseur qui appartiennent à la Toronto Community Housing Corporation ont en moyenne 33 ans[147]. Cependant, il serait coûteux pour les propriétaires d’avoir à rendre leurs immeubles plus faciles d’accès, indépendamment de leur âge. Certaines initiatives mises sur pied dans le cadre du Programme d’investissement dans le logement abordable de l’Ontario visent à combler cette lacune, dont le programme Rénovations Ontario qui offre du financement pour les réparations et les rénovations effectuées afin d’assurer l’abordabilité des logements et d’accroître l’accessibilité de ceux-ci pour les personnes à faible revenu[148]. De plus, la Loi de 2011 sur les services de logement prévoit un nombre minimal de logements sociaux devant être modifiés pour les personnes ayant une déficience physique[149].

La LAPHO prévoit l’élaboration, la mise en œuvre et l’application de normes d’accessibilité sur les biens, les services, les installations, le logement, l’emploi, les immeubles, les structures et les locaux[150]. Cette loi s’applique à la fois au secteur public et privé[151]. La LAPHO énonce expressément que « la présente loi ou les règlements n’ont pas pour effet de diminuer les obligations juridiques du gouvernement de l’Ontario ou d’une personne ou organisation à l’égard des personnes handicapées qui sont imposées aux termes de toute autre loi ou par ailleurs par la loi[152] ». Des normes ont été établies pour certains secteurs, notamment l’information et les communications, l’emploi et le transport[153]. Les travaux se poursuivent en ce qui a trait aux normes d’accessibilité au milieu bâti, lesquelles pourraient avoir une incidence sur l’accessibilité aux logements[154].

Le lien entre le Code des droits de la personne et le Code du bâtiment, deux textes législatifs d’importance visant à favoriser l’inclusion des personnes handicapées et leur accessibilité, illustre les complexités pouvant découler des liens entre les lois. Bien que, en théorie, le Code du bâtiment et le Code des droits de la personne visent de différentes façons à atteindre un but commun d’accessibilité, en pratique, le manque d’harmonisation entre les deux textes législatifs et leur manque de clarté entravent la compréhension des personnes handicapées et des fournisseurs de logements en ce qui concerne leurs droits et leurs responsabilités ainsi que l’application efficace des exigences, ce qui nuit à l’atteinte de leurs objectifs communs.

Ce problème souligne également l’importance d’adopter une démarche progressive pour comprendre et dépasser les limites actuelles. Les normes doivent être révisées au fur et à mesure que la technologie et les connaissances sur les besoins d’accessibilité des personnes handicapées évoluent. Les défis sont particulièrement considérables dans le contexte du milieu bâti où les décisions ont des conséquences à long terme et où les modifications peuvent être coûteuses. Tout en reconnaissant l’existence de ces défis, il est essentiel de continuer à chercher et à mettre en œuvre des moyens permettant d’atteindre le but ultime de l’accessibilité complète.

La LAPHO repose sur le concept d’une démarche progressive et en est un exemple typique. Puisque la Norme d’accessibilité au milieu bâti prévue aux termes de la LAPHO n’a pas encore été adoptée, les conséquences de cette nouvelle norme sur l’harmonisation des trois textes législatifs sont encore incertaines. 

4.               Enjeux relatifs à la mise en œuvre des lois et à l’accès à la justice

Comme il en est fait mention ailleurs, il existe un certain nombre de lois dont les dispositions posent problème à cause de leurs effets sur les personnes handicapées, que ce soit parce qu’elles intègrent des attitudes capacitistes envers les personnes handicapées ou parce qu’elles ne tiennent pas compte des réalités de leur existence. Dans bien des cas, toutefois, le droit est rigoureux sur papier, mais problématique dans les faits. Les lois, les politiques et les programmes dont l’intention initiale est d’aider les personnes handicapées peuvent ne pas atteindre leur but ou avoir des conséquences néfastes non prévues.

De nombreuses raisons expliquent cette situation, dont certaines ont été précisées précédemment. D’autres problématiques sont décrites ci-dessous.

Accès à l’information : Si une personne ne connaît pas ses droits et ses responsabilités juridiques ainsi que les mécanismes dont elle dispose pour les exercer, il est fort improbable que celle-ci parvienne à les exercer et à les faire respecter. L’accès à l’information est déterminant pour permettre l’accès à la justice. Le gouvernement de l’Ontario a reconnu cette nécessité de différentes façons, notamment par la création de « Justice Ontario », un site Web et une ligne téléphonique qui se veulent un centre de ressources à guichet unique complet offrant de l’information simple et facile à comprendre dans des formats accessibles sur un large éventail de questions juridiques[155]. 

Les personnes handicapées doivent surmonter de nombreux obstacles pour obtenir de l’information, et ce fait a été souvent mentionné durant les consultations publiques menées par la CDO. Certains problèmes découlent du manque d’information accessible aux personnes handicapées, par exemple les sites Web qui affichent de l’information uniquement en PDF ou les organismes qui fournissent de l’information seulement en format papier[156] D’autres obstacles sont attribuables à la complexité des lois et des systèmes, qui a été abordée dans la section précédente. Lorsque les fournisseurs de services eux-mêmes ont de la difficulté à naviguer dans les systèmes, il n’est pas surprenant que les personnes, particulièrement celles à faible revenu, éprouvent beaucoup de difficultés à trouver de l’information complète et précise sur les lois qui les concernent. Les obstacles à l’accès à l’information peuvent aussi être liés à des niveaux disproportionnés de faible revenu chez les personnes handicapées, puisque les personnes à faible revenu auront un accès plus limité à la technologie et aux services (comme des conseils juridiques) pouvant les aider à comprendre leurs droits et leurs responsabilités. De plus, les personnes qui ont besoin d’information sont souvent en crise, et il est probable que, dans de tels moments, ces personnes soient moins aptes à naviguer sans aide dans les appareils administratifs d’envergure qui comporte plusieurs niveaux. Vue sous cet angle, l’autonomie des personnes handicapées peut être brimée, du fait que celles-ci sont incapables de faire des choix éclairés en ce qui concerne les lois, les politiques et les programmes qui les touchent.

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EXEMPLE : ACCÈS À L’INFORMATION SUR LA LÉGISLATION

Accès à l’information pour les personnes culturellement sourdes

La compréhension des lois et des processus connexes est essentielle à l’accès à celles-ci. Les obstacles à l’accès à l’information étaient un thème souvent mentionné durant les consultations publiques tenues par la CDO en 2010. Plusieurs participants des groupes de discussion de la CDO formés de fournisseurs de services et de défenseurs des droits des personnes handicapées ont affirmé qu’ils avaient eux-mêmes de la difficulté à trouver de l’information pour leurs clients en raison du cloisonnement et de la fragmentation des lois et des programmes et de la nature toujours changeante des programmes.

Bon nombre de personnes handicapées ont indiqué à la CDO qu’elles avaient beaucoup de difficulté à trouver de l’information sur leurs droits et leurs responsabilités aux termes de la loi parce qu’elles ne savaient pas où aller pour trouver cette information, parce que les lois et les systèmes connexes sont par nature complexes et qu’il est difficile d’y naviguer pour toute personne ou parce que l’information accessible est insuffisante[157]. Comme l’a mentionné un participant des groupes de discussions de la CDO : 

[Traduction]
Je crois que l’un des problèmes pour ceux d’entre nous qui sommes aveugles ou qui avons une déficience visuelle est la paperasserie, c’est-à-dire accéder aux formulaires et les obtenir dans un format que nous pouvons utiliser. Si ces formulaires sont en ligne, il est probable que je ne pourrai pas les obtenir parce que mon lecteur d’écran ne peut pas afficher toutes les images et les icônes qui y figurent. Il me faut alors demander l’aide d’un membre du personnel qui sera disposé à m’aider parce qu’il y a habituellement un conflit d’intérêts, en ce sens que cette personne ne peut pas remplir le formulaire parce qu’elle agit en mon nom et qu’elle est censée représenter l’organisme. Alors, que suis-je censé faire pour obtenir la version papier du formulaire, le remplir et m’assurer qu’il est dûment rempli étant donné je ne peux pas le revoir, puisqu’il se trouve en format papier? Cela n’a pas de fin.
Groupe de discussion de la CDO, personnes handicapées, Owen Sound, 31 mai 2010 

Le Code énonce des exigences pour fournir des services (y compris des services gouvernementaux) de manière égale et sans discrimination fondée sur le handicap[158]. Cela comprend l’obligation de prendre des mesures d’adaptation permettant de combler les besoins liés à une incapacité à moins que celles-ci entraînent un préjudice injustifié[159]. Les fournisseurs de services doivent donc s’assurer que les personnes handicapées sont en mesure d’accéder à l’information sur leurs règlements, politiques ou services de la même manière que les personnes non handicapées, à moins que cela ne cause un préjudice injustifié.

La LAPHO prévoit également des normes pour la transmission d’informations aux personnes handicapées par l’intermédiaire du règlement intitulé Normes d’accessibilité intégrées[160]. Par exemple, aux termes de l’article 12, les organisations assujetties doivent fournir ou faire fournir à la personne handicapée qui le demande des formats accessibles et des aides à la communication en temps opportun et d’une manière qui tient compte des besoins en matière d’accessibilité de la personne qui découlent de son handicap, et ce, à un coût qui n’est pas supérieur au coût ordinaire demandé aux autres personnes. Les organisations doivent informer le public de la disponibilité de formats accessibles et consulter l’auteur de la demande lors de la détermination de la pertinence d’un format accessible ou d’une aide à la communication. D’autres exigences se rapportent à l’accessibilité des sites Web et de leur contenu[161].

Les personnes culturellement sourdes et dont la langue première est le langage gestuel (ASL ou la langue des signes québécoise [LSQ]) peuvent être confrontées à des obstacles majeurs lorsqu’elles tentent d’accéder à de l’information sur la législation. Bien que l’on suppose souvent que la transmission d’informations écrites sur les lois, les politiques et les programmes répondra aux besoins des personnes culturellement sourdes, il est possible que l’anglais ou le français soit la langue seconde de ces personnes, de sorte que celles-ci peuvent avoir de la difficulté à glaner l’information dont elles ont besoin dans des documents écrits complexes.

[Traduction]
Supposons que vous lisez un sujet traité en anglais. Vous lisez un avis d’emploi vacant qui comporte un long verbiage et des descriptions détaillées en anglais. Il devrait être rédigé dans un langage clair et utiliser des mots simples. Il y a beaucoup de nouveaux Canadiens ici qui pourraient également en bénéficier. Il s’agit d’un problème. Lorsque vous faites des recherches sur Internet au sujet des lois et du gouvernement, les sites contiennent du verbiage, beaucoup de brochures et des termes anglais complexes. Il faudrait changer cette habitude en utilisant un langage clair et en exigeant que cela soit toujours le cas; cela nous aiderait beaucoup.
Groupe de discussion de la CDO, personnes sourdes, devenues sourdes ou malentendantes, Toronto, 10 juin 2010

Par conséquent, la communication d’informations sur les lois et les services principalement sous forme de documents apparaissant sur les sites Web, qui correspond à une tendance croissante, n’est peut-être pas un moyen adéquat pour transmettre à ce groupe des renseignements essentiels sur ses droits et ses responsabilités.

[Traduction]
Vous savez lorsqu’ils ont tenu la rencontre du G-20 et qu’ils prévoyaient les mesures d’urgence. Les systèmes d’avertissement et de communication n’étaient équipés d’aucune aide visuelle à notre intention. Certaines personnes ont une connaissance de l’anglais très limitée et elles ne savent pas quoi faire de toute façon, hormis de communiquer avec la police. Si un agent de police voit une personne sourde, il peut faire des suppositions et l’arrêter, même si cette personne n’a rien fait et qu’elle ne comprend pas la situation. De nos jours, les personnes sourdes n’ont toujours pas accès à toute l’information parce qu’elle ne leur est pas présentée visuellement. Pensez-y. La rencontre du G-20 est sur le point d’avoir lieu, et nous ne disposons toujours pas de toute l’information à ce sujet. Ce que je veux dire c’est que la TTC et le réseau GO n’ont prévu aucun moyen de communication qui nous est accessible. Il est possible que d’autres personnes aient accès à cette information, mais pas nous.
Groupe de discussion de la CDO, personnes sourdes, devenues sourdes ou malentendantes, Toronto, 10 juin 2010

Étant donné que le nombre d’interprètes gestuels qualifiés est limité et que leurs services sont souvent retenus longtemps à l’avance, il est difficile de répondre aux besoins urgents. Cette pénurie est particulièrement grave à l’extérieur des principales agglomérations et dans le nord de l’Ontario où il peut être très difficile d’obtenir des services d’interprétation gestuelle ou de sous-titrage en temps réel, même si l’on s’y prend bien en avance. La mise au point de technologies telles que le sous-titrage à distance ou l’interprétation à distance par vidéo pourrait au fil du temps permettre d’atténuer ces difficultés, mais, pour le moment, le besoin est criant.

De plus, certains fournisseurs de services peuvent s’abstenir de fournir des services d’interprétation gestuelle comme mesure d’adaptation, préférant utiliser la communication écrite même lorsqu’une personne a fait une demande contraire :

[Traduction]
Lorsque nous disons que nous avons besoin d’un interprète, de ceci ou de cela, ils nous répondent : « Ah non! Nous pouvons nous débrouiller sans y avoir recours ». Non. De grâce, si je vous demande quelque chose, veuillez me fournir cette mesure d’accessibilité. Si une demande est faite, ils devraient la satisfaire sans poser de questions. Lorsque je demande à utiliser un appareil de prise de notes ou à bénéficier des services de sous-titrage en temps réel ou d’un interprète ou que je fais toute autre demande, je ne devrais pas avoir à argumenter avec eux lorsqu’ils me disent qu’ils n’ont pas les moyens de m’offrir ces services et qu’il suffit de s’échanger des notes écrites. Non, cela ne suffit pas.
Groupe de discussion de la CDO, personnes sourdes, devenues sourdes ou malentendantes, Toronto, 10 juin 2010

De plus, lorsque les personnes sourdes doivent faire affaire avec les institutions juridiques officielles comme les cours et les tribunaux, elles disposent de très peu d’interprètes connaissant très bien les termes ou les procédures juridiques et étant qualifiés pour travailler dans ces milieux. La Société canadienne de l’ouïe s’est dite préoccupée par le nombre limité d’examens à l’intention des interprètes gestuels travaillant dans les milieux juridiques ou leur manque de qualifications[162]. Durant les consultations, plusieurs personnes sourdes ont relaté certaines expériences vécues en salle d’audience où l’interprète gestuel assigné n’était de toute évidence pas qualifié pour traiter des questions en jeu.

[Traduction]
Je travaille avec de nombreux clients chargés de la gestion de cas. Je suis donc souvent à l’extérieur du bureau et souvent présent en cour, et je dois insister au nom des clients pour que les services d’un interprète leur soient fournis. Nous assistons à l’audience et l’interprète se présente, mais il n’est pas qualifié. Il ne possède pas les qualifications nécessaires. Il est interprète, mais n’est pas qualifié pour travailler à la cour. Alors, nous sommes présents à l’audience et je ne peux pas poursuivre l’affaire. Il est important que le client comprenne; alors, je lui demande s’il comprend ce qui se passe. Si le client formule une objection, je parle en son nom… Je souhaite donc que des services d’interprétation soient offerts et qu’on saisisse la réalité du contexte dans lequel ses services sont offerts ainsi que les compétences requises. Certains interprètes sont qualifiés pour travailler dans d’autres milieux, mais non dans ces milieux de première importance. Il est donc nécessaire de se pencher sur les qualifications et les compétences des interprètes dans les milieux de première importance.
Groupe de discussion de la CDO, personnes sourdes, devenues sourdes ou malentendantes, Toronto, 10 juin 2010

Dans un rapport de décembre 2008 sur l’accès linguistique et rural, la Fondation du droit de l’Ontario a indiqué que de nombreux fournisseurs de services juridiques et certains tribunaux administratifs ne fournissent tout simplement pas de services d’interprétation gestuelle aux personnes sourdes et que certains fournisseurs de services juridiques ont exprimé leur frustration à l’égard du manque de fonds pour offrir de tels services[163]. Par conséquent, les personnes sourdes peuvent se retrouver au cœur de procédures judiciaires pouvant avoir de fortes répercussions sur leur vie, dont elles n’ont qu’une compréhension partielle.

Ces types d’obstacles à l’accès à l’information peuvent considérablement nuire à la capacité des personnes handicapées de comprendre et d’exercer leurs droits et leurs responsabilités aux termes de la loi et être, de ce fait, fortement responsables de l’écart entre la visée et la mise en œuvre du droit.

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Incapacité à offrir des mesures d’adaptation pour répondre aux besoins liés à une incapacité : Comme il en a été fait mention précédemment, les services et les programmes pouvant concerner les personnes handicapées ainsi que les mécanismes leur permettant d’accéder à leurs droits et de les exercer peuvent ne pas tenir compte des besoins liés à une incapacité et ne pas parvenir à offrir les mesures d’adaptation appropriées. Bien que le Code garantisse un traitement égal en matière de services sans discrimination (dans la mesure où cela ne cause aucun préjudice injustifié) et qu’il soit prévu que les normes énoncées dans la LAPHO permettront de réaliser d’importants progrès, le changement s’opère au fil du temps, et de nombreux obstacles physiques, comportementaux, systémiques, communicationnels ou autres subsistent actuellement.

Ne dépendre que de soi‐même pour défendre ses droits dans un environnement complexe : Comme cela a été précédemment expliqué, la législation touchant les personnes handicapées est souvent fragmentée et complexe, ce qui fait que les personnes handicapées ont de la difficulté à naviguer dans les méandres des systèmes. La nature de certaines déficiences peut rendre cette navigation particulièrement difficile – ainsi, une personne atteinte d’une déficience mentale qui se trouve en situation de crise n’est pas en mesure, lorsqu’elle est en crise, de trouver et d’obtenir seule l’aide dont elle a besoin. Les personnes vivant dans la pauvreté tentent de survivre au jour le jour, et sont donc moins en mesure de concentrer leurs ressources personnelles à traiter avec un appareil administratif d’envergure. Cependant, la plupart des systèmes s’attendent aujourd’hui à ce que les personnes handicapées fassent valoir leurs droits elles‐mêmes et qu’elles défendent leurs propres intérêts, en tenant pour acquis qu’elles disposent de tous les renseignements, des systèmes d’aide et des ressources personnelles pour y parvenir.

Déséquilibres de pouvoirs : Il existe aussi souvent un déséquilibre important entre le pouvoir de la personne handicapée et celui de l’organisme ou de la personne qui gère la loi ou le programme. Par exemple, l’ARCH souligne que les personnes ayant une déficience intellectuelle peuvent compter sur de l’aide et des services développementaux pour un grand nombre d’activités quotidiennes comme manger, s’habiller, prendre un bain, faire sa toilette, gérer ses finances ou naviguer à travers les méandres des services sociaux, et affirme que :

Cette dépendance rend les personnes handicapées vulnérables; elles doivent s’efforcer d’entretenir de bonnes relations avec les travailleurs de soutien, les membres de leur famille et les autres personnes dont elles dépendent pour s’assurer qu’elles continueront de recevoir les soins dont elles ont besoin et que leurs besoins fondamentaux seront comblés. Présenter une plainte contre un travailleur de soutien ou faire part de ses préoccupations à l’égard d’un service risque de menacer ou de mettre un terme à ces relations, ce qui peut avoir des conséquences désastreuses sur la personne handicapée[164].

Ressources restreintes : Dans certains cas, on ne dispose pas de ressources humaines ou financières suffisantes pour garantir l’exécution efficace d’une loi ou d’un programme, de sorte que l’accès aux droits et aux avantages est, en fait, limité. Comme le faisait remarquer une personne consultée :

[Traduction]
Le plus grand écart que j’ai constaté est en matière de financement et c’est le soutien aux programmes existants. Je veux dire que nous tous dans cette pièce, j’imagine, croyons que le maintien à domicile fait partie intégrante des mesures d’inclusion des personnes ayant des déficiences intellectuelles ou développementales, et toute autre déficience également, mais quand les mesures d’aide ne sont pas là, lorsqu’on ne peut pas obtenir l’aide dont on a besoin pour pouvoir participer à la collectivité, alors, vous savez, ça reste lettre morte. Lorsqu’il manque d’argent pour effectuer la transition de l’école secondaire à la vie dans la collectivité, vous savez, ou lorsqu’il manque d’argent pour, je ne sais pas moi, payer les préposés vous permettant de maîtriser votre propre vie, faire des choix, prendre des décisions. Lorsque les programmes sont sous‐financés, ils perdent toute leur valeur.
Groupe de discussion de la CDO, organismes, Toronto, 13 mai 2010

Les tribunaux ont éprouvé de la réticence à imposer aux gouvernements l’obligation expresse d’accorder de l’aide aux personnes handicapées, ce qui fait que les mesures d’aide dépendent de la discrétion gouvernementale[165].

Manque de surveillance et de transparence : Très souvent, il est difficile de vérifier si une loi, une politique ou un programme donné a les effets escomptés parce qu’il n’existe aucun mécanisme adéquat de surveillance et d’évaluation de son efficacité. Bien souvent, il n’existe aucune donnée sur les effets d’un programme, d’une mesure de soutien ou d’une loi dans la vie des personnes handicapées. Par exemple, comme cela sera expliqué plus en détail ci-dessous, même si les PEI des élèves handicapés doivent comprendre des plans de transition pour les élèves sur le point de quitter l’école, des préoccupations ont été émises en ce qui a trait à l’efficacité des exigences limitées relatives au suivi ou à l’évaluation de ces plans de transition[166]. Des normes claires et mesurables permettraient d’assurer un suivi efficace. Par exemple, les normes du ministère de l’Éducation se rapportant aux plans d’enseignement individualisé des élèves en difficulté décrivent en détail les normes provinciales que les conseils scolaires doivent respecter lorsqu’ils élaborent, appliquent et surveillent ces plans[167]. L’un des principaux avantages de la LAPHO est qu’elle précise clairement ce que les employeurs, les fournisseurs de services et les autres intervenants doivent faire pour s’assurer que leurs activités répondent mieux aux besoins des personnes handicapées. L’exemple ci-dessous montre l’importance de surveiller la mise en œuvre des lois et des programmes pour s’assurer qu’ils satisfont aux objectifs qu’ils se sont fixés.

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EXEMPLE : SURVEILLANCE ET TRANSPARENCE

Planifier la transition de l’école au travail au moyen des plans d’enseignement individualisé

La transition de l’école au marché du travail est un moment crucial pour tous les jeunes qui atteignent l’âge adulte alors qu’ils acquièrent une plus grande autonomie et commencent à avoir une plus grande maîtrise de leur vie. L’obtention d’un emploi est un aspect important de ce virage. Le fait d’occuper un emploi permet à toute personne de contribuer à la collectivité et d’avoir le sentiment d’appartenir à celle-ci. De plus, cela favorise l’engagement social et l’estime de soi. Il s’agit d’un facteur important sur le plan de l’autodétermination et de l’indépendance financière. L’article 27 de la CDPH vise à reconnaître « aux personnes handicapées, sur la base de l’égalité avec les autres, le droit au travail, notamment à la possibilité de gagner leur vie en accomplissant un travail librement choisi ou accepté sur un marché du travail et dans un milieu de travail ouverts, favorisant l’inclusion et accessibles aux personnes handicapées[168] ».

Comme cela a été expliqué en détail ailleurs dans le présent chapitre, les taux de chômage sont plus élevés que la moyenne chez les jeunes, et la situation est pire pour les jeunes handicapés. La transition de l’école au marché du travail peut se révéler difficile pour ce groupe de personnes. Un rapport récent de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) a conclu que, bien que les jeunes handicapés disposent de plus en plus de moyens pour accéder aux études supérieures et réussir leurs études, cette formation additionnelle avait peu d’incidence sur leur accès au marché du travail[169].

Bien qu’il existe de nombreux programmes pour soutenir les élèves handicapés qui sont aux études[170] et qui envisagent de faire partie de la population active et que le système ontarien d’éducation spécialisée ait réalisé beaucoup de progrès pour inclure les élèves handicapés et leur offrir des mesures d’adaptation, le système d’éducation comporte toujours des obstacles majeurs et il est possible que la planification de la transition ne prépare pas adéquatement les personnes handicapées à entrer sur le marché du travail. Les fournisseurs de services d’emploi ont indiqué que la plupart des personnes handicapées qui recherchent de l’aide à l’emploi doivent perfectionner leurs compétences afin de se tailler une place sur le marché du travail. Les employeurs ont également affirmé que jusqu’à 40 % des personnes handicapées qui assistent à des salons de l’emploi ont besoin d’une formation additionnelle avant de se joindre à la population active[171].

Reconnaissant que presque tous les élèves aspirent à poursuivre leurs études, à occuper un emploi productif, assisté ou bénévole et à vivre de façon autonome à l’aide des mesures de soutien nécessaires[172], les exigences de la Loi sur l’éducation de l’Ontario en matière d’éducation spécialisée comprennent une disposition sur la planification de la transition[173].

Aux termes de la Loi sur l’éducation, le ministère de l’Éducation est tenu de s’assurer que tous les « élèves en difficulté » de l’Ontario aient accès à des programmes et des services appropriés d’éducation spécialisée, et ce, gratuitement. Cela comprend la responsabilité de s’assurer que les conseils scolaires mettent en place des procédures pour déterminer les besoins des élèves et établir des normes d’identification des élèves en difficulté[174]. Le Règlement 306 exige des conseils scolaires qu’ils fournissent des programmes et des services d’éducation spécialisée aux élèves en difficulté. Pour ce faire, chaque conseil scolaire doit préparer un plan pour l’enfance en difficulté qui doit être revu tous les ans[175], et mettre sur pied des CIPR et des commissions d’appel en matière d’éducation de l’enfance en difficulté[176].

Les PEI à l’intention des élèves de 14 ans et plus ayant été identifiés doivent comprendre un plan élaboré en consultation avec les parents ou les tuteurs de l’élève. Ce plan doit porter sur la transition vers des activités postsecondaires appropriées, dont la poursuite des études, l’occupation d’un emploi et la vie en collectivité[177]. Seuls les élèves de 16 ans et plus peuvent être consultés directement durant le processus de planification[178], bien que les élèves de 14 ans et plus puissent prendre part au processus de différentes autres façons, notamment par l’élaboration d’un plan annuel de cheminement[179]. De plus, le directeur d’école doit consulter les organismes communautaires et les établissements d’enseignement postsecondaires appropriés[180].

Selon les normes du Ministère, un plan de transition doit inclure :

  • les buts de la transition qui sont propres à l’élève;
  • les mesures permettant l’atteinte des buts indiqués, qui sont également propres à l’élève;
  • la personne ou l’organisme responsable d’aider à la réalisation des mesures indiquées;
  • un échéancier[181].

Bon nombre de personnes et d’organismes prennent part de différentes façons à ce processus, soit en faisant partie de l’équipe de planification de la transition (l’élève, les parents, le personnel de l’école, des représentants communautaires ou du marché du travail appropriés), soit en tirant parti des liens établis par le personnel de l’éducation de l’enfance en difficulté avec le secteur de l’emploi et les organismes de soutien communautaire[182]. Le Ministère souligne également l’importance de fournir un accès facile et approprié aux programmes d’éducation coopérative et de stages de travail[183], qui sont considérés comme un élément important de réussite de la planification de la transition pour certains élèves en difficulté[184]. Les enseignants doivent s’assurer que les mesures d’adaptation décrites dans le PEI de l’élève sont également présentes dans le lieu du stage[185]. 

Malgré les dispositions de la loi et des politiques en matière de planification de la transition dont les objectifs sont louables, il est difficile de déterminer la mesure dans laquelle ces dispositions atteignent leurs objectifs. Bien qu’il soit possible d’interjeter appel des décisions relatives à l’identification et au placement auprès du Tribunal de l’enfance en difficulté de l’Ontario, ce dernier n’a aucune compétence pour déterminer si des mesures de soutien appropriées ont été offertes dans le cadre d’un PEI. Le Tribunal des droits de la personne de l’Ontario a toutefois reconnu que le Tribunal de l’enfance en difficulté de l’Ontario examine le caractère approprié des programmes et des services dans le contexte des décisions en matière de placement et que les requêtes relatives à des mesures d’adaptation appropriées, y compris la convenance des programmes et des services offerts aux demandeurs, seront entendues par lui[186], un recours que bon nombre de personnes handicapées ignorent peut-être.

De plus, dans la pratique, la mesure dans laquelle la planification de la transition est réalisée ainsi que son efficacité varient selon les différentes écoles secondaires et les élèves. Les conseils scolaires se fondent sur leurs propres modèles opérationnels et adoptent différentes approches pour interpréter et appliquer les normes du Ministère. La Commission ontarienne des droits de la personne et Statistique Canada ont tous deux constaté que les programmes et les services d’éducation spécialisée qui ont été élaborés peuvent se révéler inefficaces au moment de leur mise en œuvre[187], et que la planification de la transition n’est pas nécessairement efficace, particulièrement lorsque l’élève vieillit[188].

Finalement, il semble pour le moment que la surveillance de l’efficacité des démarches actuelles en matière de planification de la transition ne soit pas suffisante. Bien que les normes du Ministère comprennent des dispositions pour appliquer et surveiller les PEI, le vérificateur général de l’Ontario a, dans un rapport de 2008 sur l’éducation spécialisée, fait remarquer que, bien que les plans de transition étaient préparés pour les élèves ayant des besoins particuliers comme l’exige le Règlement, il n’existait aucune documentation indiquant si les mesures prévues avaient bel et bien été prises ni dans quelle mesure elles avaient été fructueuses[189]. Dans son rapport de 2010, le vérificateur général a constaté que plusieurs moyens avaient été pris pour combler cette lacune[190]. Par exemple, le ministère de l’Éducation élabore actuellement une note Politique/Programmes sur les transitions pour donner suite aux recommandations du vérificateur général[191], laquelle exigera des conseils scolaires qu’ils surveillent l’efficacité des transitions dans le cadre du processus d’examen des PEI. Lors de l’année scolaire 2011-2012, on a demandé aux conseils scolaires de réaliser un examen officiel des PEI dans l’optique d’échanger les meilleures pratiques et de favoriser l’amélioration. En outre, le ministère de l’Éducation a établi un sondage annuel visant à contrôler la mise en œuvre d’un certain nombre d’éléments ayant une incidence sur les élèves atteints d’un trouble du spectre de l’autisme, notamment les plans de transition.

Par conséquent, il semble que les objectifs louables du plan ne soient que partiellement atteints et qu’il reste encore du chemin à parcourir en vue de réaliser les principes. Cela fait ressortir la grande question de l’« écart entre la visée et la mise en œuvre du droit » qui constitue un défi général pour les législateurs et les décideurs de même que l’utilité et l’importance de la transparence et de la surveillance dans la réalisation progressive des buts ultimes de la loi.

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Ces obstacles doivent être pris en compte et surmontés lors de l’élaboration ou de l’examen des lois afin de s’assurer que le droit est valable et efficace pour les personnes handicapées.

 

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