S’appuyant sur les approches énoncées dans le chapitre I et sur les contextes et les thèmes mentionnés dans le chapitre II, le présent chapitre déterminera et définira les principes qui serviront de fondement au cadre d’évaluation pour le droit touchant les personnes handicapées, et dégagera certains points à considérer pour l’application de ces principes. Comme il a été souligné dans le chapitre précédent, le terme « droit » désigne non seulement les lois et les règlements, mais également les politiques et les pratiques utilisées pour les mettre en œuvre. Il doit donc être interprété dans son sens large.

A.              Adopter une démarche fondée sur des principes

Comme on l’a vu au chapitre I, la CDO a choisi au début du présent projet de fonder son cadre sur un ensemble de principes[192]. 

Les principes sont normatifs et peuvent jouer un rôle de catalyseur en vue de sensibiliser la population aux réalités des personnes handicapées et de changer les attitudes envers celles-ci. Par leur nature, les principes sont également ambitieux et peuvent nous aider à déterminer les objectifs que devraient viser les lois et les politiques relativement aux personnes handicapées. Une démarche fondée sur des principes peut contribuer à garantir que les objectifs du droit cadrent avec les aspirations des personnes handicapées, tout en reconnaissant que ces aspirations (et le droit en soi) sont en constante évolution. 

Comme il en a été fait mention dans le chapitre précédent, le droit touchant les personnes handicapées est vaste, diversifié et parfois contradictoire[193]. Des douzaines de lois ciblent directement certaines personnes handicapées ou l’ensemble d’entre elles. Plusieurs de ces lois, notamment celles qui régissent l’éducation spécialisée et le Programme ontarien de soutien aux personnes handicapées (POSPH), vont de pair avec des ensembles de politiques et de processus vastes et complexes et une bureaucratie étouffante. De plus, il va sans dire que toutes les lois d’application générale, par définition, touchent les personnes handicapées, parfois de manière différente ou disproportionnée par rapport aux personnes qui ne sont pas atteintes d’une incapacité. Comme on pourrait s’y attendre, si le droit touchant les personnes handicapées est souvent fragmentaire et difficile à comprendre, il est encore moins simple de s’y retrouver. Une démarche fondée sur des principes pourrait présenter un moyen clair et cohérent, quoique souple, d’évaluer ce large éventail de lois.

En outre, une démarche fondée sur des principes prend appui sur le travail considérable réalisé au cours des dernières décennies. Les personnes handicapées, en collaboration avec les organismes qui les représentent, les servent ou les défendent, ont entrepris de définir des principes qui tiennent compte de leurs expériences et de leurs aspirations, puis de veiller à leur intégration dans les lois et les politiques publiques. La Charte canadienne des droits et libertés (la Charte) et le Code des droits de la personne de l’Ontario (le Code) (et la jurisprudence connexe), les lois telles que la Loi de 2005 sur l’accessibilité pour les personnes handicapées de l’Ontario (LAPHO), les documents de politiques publiques comme À l’unisson et les documents internationaux comme la Convention relative aux droits des personnes handicapées (la Convention ou CDPH) reflètent tous ces principes fondamentaux, à divers degrés et selon le contexte qui leur est propre. Une démarche fondée sur des principes permet donc de s’assurer que le travail de la CDO repose sur tout ce qui a déjà été fait et vient s’y ajouter, et qu’il peut contribuer à l’évolution constante de ce domaine. L’annexe B du présent rapport final donne un aperçu des sources de première importance pour l’affirmation des principes de la CDO. 

Puisque les principes sont abstraits, le cadre qui en découle doit relever un défi de taille qui consiste à ancrer ces principes dans des expériences tangibles et à s’assurer que leurs répercussions et leurs interprétations sont suffisamment concrètes pour permettre leur application dans la vie quotidienne. Ce défi est exposé en détail plus loin dans le présent chapitre et il est examiné dans le contexte de lois particulières dans les exemples présentés dans l’ensemble du rapport final ainsi que dans l’exemple étendu sur l’application du cadre au chapitre V.

 

B.              L’égalité réelle : une valeur prépondérante

Certains documents évoqués ci-dessus incluent l’égalité parmi les valeurs ou les principes. Plus particulièrement, l’égalité et la non-discrimination sont des éléments centraux de la Charte et du Code.

Plutôt que de faire de l’égalité un principe distinct, la CDO a conclu qu’il était plus approprié de décrire l’égalité réelle comme étant « une valeur sous-jacente » ou un objectif que le respect des principes permettrait d’atteindre et qui devrait guider l’interprétation des principes.

L’interprétation du concept d’égalité est source de discussions et de débats constants, et la jurisprudence concernant l’égalité ne cesse d’évoluer. De même, sa signification en tant que valeur sous-jacente des principes évoluera.

L’« égalité » est souvent liée à la « non-discrimination », et, à certains égards, toutes deux visent à atteindre des résultats similaires. Le concept de la non-discrimination s’étant confondu peu à peu avec la notion d’égalité, même la définition générale de l’égalité inclut l’idée que certains groupes (et pas nécessairement d’autres) ont subi un traitement inégal et méritent d’être traités également. Il existe toutefois une différence majeure entre ces deux notions. La « non-discrimination » suppose une comparaison entre une personne qui s’est fait refuser un avantage ou une possibilité, par exemple, et d’autres personnes qui n’ont pas les mêmes caractéristiques distinctives. Il existe une présomption implicite selon laquelle la façon dont le groupe de comparaison est traité ou les possibilités qui lui sont offertes représentent la norme à respecter. Autant le demandeur que le groupe de comparaison peuvent être « mal » traités, mais de manière égale et sans discrimination, même si la façon dont ils sont traités correspond à une norme peu élevée. Par conséquent, les gouvernements qui doivent accorder des avantages à un groupe qui n’en bénéficiait pas auparavant parce que l’exclusion constitue de la discrimination peuvent décider de ne plus offrir ces avantages plutôt que d’en étendre la portée. 

L’approche de la CDO concerne l’égalité réelle plutôt que formelle. Dans une affaire récente portant sur les critères fondés sur l’âge, la Cour suprême du Canada affirmait ceci :

L’égalité réelle, contrairement à l’égalité formelle, n’admet pas la simple différence ou absence de différence comme justification d’un traitement différent. Elle transcende les similitudes et distinctions apparentes. Elle demande qu’on détermine non seulement sur quelles caractéristiques est fondé le traitement différent, mais également si ces caractéristiques sont pertinentes dans les circonstances. L’analyse est centrée sur l’effet réel de la mesure législative contestée et tient compte de l’ensemble des facteurs sociaux, politiques, économiques et historiques inhérents au groupe. Cette analyse peut démontrer qu’un traitement différent est discriminatoire en raison de son effet préjudiciable ou de l’application d’un stéréotype négatif ou, au contraire, qu’il est nécessaire pour améliorer la situation véritable du groupe de demandeurs[194].

L’égalité réelle exige des intervenants du gouvernement et du secteur privé qu’ils prennent les mesures nécessaires pour que tous les citoyens aient accès aux avantages, aux mesures de soutien, aux programmes et aux biens et services d’une manière qui tient compte de leurs besoins particuliers. Son objectif pourrait également être vu comme une « citoyenneté » à part entière au sein de la société. L’égalité réelle comprend notamment la non-discrimination, ce qui signifie que les personnes défavorisées ne doivent faire l’objet d’aucune distinction ayant pour but ou effet d’empêcher ou de limiter leur accès à des possibilités, à des avantages ou à la protection de la loi, ou de leur imposer des fardeaux, des obligations ou des désavantages qui ne sont pas imposés à d’autres. Cela signifie aussi, cependant, que les personnes handicapées ne se définissent pas par les obstacles auxquels elles font face, et qu’elles sont reconnues comme des membres de la société capables d’apporter une contribution et d’avoir des obligations, tout comme les autres membres. Si l’égalité réelle concerne des concepts intangibles tels que la dignité et la valeur, elle comporte aussi des possibilités concrètes pour les personnes handicapées, comme la participation, la prise en compte de ses besoins et le développement d’une société dont les structures et les organismes n’excluent pas les personnes handicapées.

 

C.              Principes concernant le droit et les personnes handicapées

La CDO a défini six principes concernant le droit et les personnes handicapées : 

  1. le respect de la dignité et de la valeur des personnes handicapées;
  2. la reconnaissance de la diversité des aptitudes et des autres caractéristiques humaines;
  3. l’amélioration de l’autonomie et de l’indépendance;
  4. la promotion de l’inclusion sociale et de la participation;
  5. l’avancement du droit à la sécurité;
  6. la reconnaissance de l’appartenance à la société.

Ces six principes sont étroitement liés les uns aux autres. Ils ne peuvent pas être examinés ou mis en œuvre de façon isolée. Dans une certaine mesure, leurs concepts sous-jacents se chevauchent. Par souci de clarté, les principes sont examinés séparément dans le présent document, mais le cadre les applique en bloc afin de refléter leur interdépendance.

Comme on l’a décrit dans le chapitre I, les consultations menées par la CDO ont permis de comprendre la signification pratique des principes. De plus, la CDO a financé six rapports de recherche commandés et a mené des recherches internes approfondies sur le droit et les moments de transition dans la vie des personnes handicapées afin de déterminer les répercussions des principes et leurs différentes interprétations possibles.

1.               Le respect de la dignité et de la valeur des personnes handicapées

Définition : Ce principe reconnaît la valeur inhérente, égale et inaliénable de tous, y compris celle de toutes les personnes handicapées. Tous les membres de la famille humaine sont des personnes à part entière, qui ont le droit d’être estimées, respectées et appréciées, et de faire reconnaître leurs contributions et leurs besoins.

Le principe et les expériences des personnes handicapées

Comme l’aborde brièvement le chapitre II du présent rapport, Au Canada, les attitudes négatives envers les personnes handicapées ne datent pas d’hier. Par exemple, jusqu’à ce que les dispositions concernées en soient retirées à la suite d’une contestation judiciaire, la Loi de 1997 sur le Programme ontarien de soutien aux personnes handicapées refusait expressément ses mesures de soutien et ses avantages aux personnes dont la déficience et les principales limitations résultaient uniquement d’une dépendance à l’alcool ou à une drogue[195]. Le Tribunal de l’aide sociale a déterminé que cette disposition défavorisait certaines personnes atteintes de ce type précis de handicap en se fondant sur des caractéristiques présumées ou injustement attribuées, entraînant ainsi un déni de leur valeur humaine fondamentale. La Cour divisionnaire de l’Ontario a conclu que cette exclusion n’était pas conforme à l’objet de la loi et qu’elle était plutôt basée sur [traduction] « des caractéristiques présumées ou injustement attribuées » aux personnes aux prises avec une déficience liée à l’abus d’alcool ou d’autres drogues, et qu’elle entraînait un déni de la « valeur humaine fondamentale » des personnes atteintes de ce type de handicap[196]. Cette décision a été confirmée par la Cour d’appel de l’Ontario[197].

Le défaut de considérer la valeur et les aptitudes des personnes handicapées peut également avoir une incidence sur la façon dont les travailleurs du système de justice et les fournisseurs de services, entre autres, appliquent les lois. Par exemple, des parents handicapés se sont dits inquiets que des perceptions négatives entraînent un contrôle et des interventions accrus de la part des organismes de protection de la jeunesse[198]. De façon similaire, au cours des consultations publiques menées au printemps 2010 par la CDO, de nombreuses personnes handicapées ont fait part de leurs préoccupations quant au traitement ou aux processus humiliants qu’elles doivent subir pour obtenir des prestations et de l’aide aux termes du POSPH. Par exemple, un participant a déclaré ce qui suit :

[Traduction]
Pour obtenir de l’argent, il faut vous départir de la toute dernière parcelle de dignité qu’il vous reste […], vous devez, en quelque sorte, renoncer à votre dignité et vous mettre entièrement à nu, même si cela peut vous exposer à des conséquences sur le plan juridique. Je me demande si l’on pourrait utiliser cette information dans les cas d’agression, de violence, de mauvais traitements et toutes les situations semblables, si cette information que vous finissez par donner pour obtenir l’aide dont vous avez besoin pour vous protéger contre vous-même, pour acquérir votre dignité et votre indépendance, pourrait éventuellement être utilisée contre vous.
Groupe de discussion de la CDO, organismes, Toronto, 11 mai 2010

Interprétation du principe

Le principe du respect de la dignité et de la valeur des personnes handicapées cible directement les stéréotypes et les attitudes négatives à l’endroit de celles-ci. Il met l’accent sur le fait que notre dignité nous appartient, car nous sommes des êtres vivants : ce n’est pas quelque chose que nous gagnons ou que nous recevons, et qui peut être ignoré ou amoindri de plein droit. La dignité ne varie pas en fonction de notre état de santé ou de nos aptitudes. Toute personne mérite qu’on se soucie d’elle et a droit à un traitement respectueux.

Cela signifie que les personnes responsables de l’élaboration ou de la mise en œuvre des lois et des politiques doivent s’assurer que celles-ci, dans leur contenu comme dans leur mise en œuvre, ne sont pas entachées d’attitudes négatives ou méprisantes à l’endroit des personnes handicapées, par exemple, parce qu’elles comportent des processus humiliants ou des traitements insultants. Puisque les personnes handicapées se heurtent à des obstacles qui tendent à les marginaliser sur le plan social et économique, elles affichent un taux de faible revenu disproportionné[199]. Les attitudes négatives envers les personnes handicapées à faible revenu méritent donc une attention particulière.

Cela signifie également que nous devons considérer les personnes handicapées comme des individus à part entière, c’est-à-dire, entre autres, comme des employeurs et des employés, comme des parents, des fournisseurs de soins et des bénéficiaires de soins, comme des bénévoles et des citoyens pleinement engagés et comme des êtres sexués, plutôt que de les réduire à la somme de leurs déficiences et de les percevoir comme des êtres dépendants de la charité des autres. Pour ce faire, nous devons voir les personnes handicapées dans leur contexte social global et comme des personnes ayant des identités multiples et des parcours de vie changeants. 

L’exemple suivant illustre de quelle façon les attitudes qui ne reconnaissent pas les personnes handicapées comme des personnes à part entière ayant l’ensemble des caractéristiques et des besoins des personnes qui ne sont pas atteintes d’une incapacité peuvent avoir une incidence sur les lois, les politiques et les pratiques, et s’y refléter.

________________________________________________________________________________________________ 

EXEMPLE : LE RESPECT DE LA DIGNITÉ ET DE LA VALEUR

La sexualité, les personnes handicapées, les services auxiliaires et le droit

L’Organisation mondiale de la santé a reconnu l’importance de la sexualité pour la santé et le bien-être des personnes et elle aborde la sexualité à la fois comme un besoin essentiel et un droit fondamental :

[traduction]
La sexualité fait partie intégrante de la personnalité de tous : hommes, femmes et enfants. Il s’agit d’un besoin essentiel et d’un aspect de l’être humain qu’on ne peut dissocier des autres aspects de la vie… Puisque la santé est un droit fondamental, la santé sexuelle doit aussi être perçue comme un droit fondamental de la personne[200].

On a fait remarquer que, en règle générale, [traduction] « la grande majorité des gens naissent avec des besoins d’ordre émotionnel et sexuel et personne, en principe, ne songe à remettre en question l’exercice de ces droits en soi, tant qu’il s’agit de pratiques sexuelles légales et que les bonnes mœurs sont préservées[201] ». 

Cependant, traditionnellement, la culture occidentale perçoit les personnes handicapées comme asexuées ou considère que la sexualité de ces personnes est déviante. Bien que ces attitudes aient quelque peu évolué, elles continuent de toucher les vies des personnes handicapées[202]. Elles peuvent avoir une incidence particulièrement considérable sur la vie des femmes handicapées. En effet, les femmes sont, d’une façon générale, associées à leur rôle de mère, leur attrait sexuel et leur capacité de reproduction[203]. On peut voir les attitudes négatives ou méprisantes à l’endroit de la sexualité des personnes handicapées comme une forme de capacitisme :

[Traduction]
Lorsqu’il est question de sexualité, le capacitisme comprend la conviction selon laquelle les personnes handicapées ne sont pas attirantes ni sensuelles et qu’elles ne sont pas capables d’avoir une vie sexuelle saine ni de relations épanouies, précisément du fait de leur incapacité. Le capacitisme implique de ne pas reconnaître que les personnes handicapées sont systématiquement marginalisées et qu’elles font l’objet de discrimination, ce qui fait en sorte qu’il leur est plus difficile d’exprimer et d’explorer leur sexualité, de trouver des partenaires sexuels et d’avoir de saines relations[204].

L’effet d’une telle mentalité peut être aggravé par la tendance générale d’adopter une attitude paternaliste envers les personnes handicapées. Pour cette raison, même lorsque les attitudes à l’égard de la sexualité des personnes handicapées ne sont pas, en soi, négatives, le paternalisme peut nuire à l’appui de l’expression de la sexualité puisqu’il suppose que les personnes ayant certains types d’incapacité ne devraient pas avoir de relations sexuelles ou que les risques l’emportent nécessairement sur les avantages ou sur le libre arbitre. Comme il l’est expliqué dans la discussion portant sur le principe favorisant l’autonomie et l’indépendance présentée ultérieurement dans le présent chapitre, le paternalisme peut constituer un obstacle considérable à l’égalité réelle et à l’indépendance des personnes handicapées. Pour respecter la dignité et l’autonomie de celles-ci, il importe de respecter leur droit de prendre des risques[205].

Certaines personnes handicapées auront besoin d’aide pour exprimer leur sexualité, à l’instar d’autres activités quotidiennes. Elles peuvent recevoir de l’aide relativement à leurs activités quotidiennes en milieu institutionnel ou par l’intermédiaire de services auxiliaires dans la collectivité. Le Rapport final : Cadre du droit touchant les personnes âgées, Promotion d’une égalité réelle pour les personnes âgées par les lois, les politiques et les pratiques étudie certaines questions liées à la sexualité des personnes âgées handicapées dans un foyer de soins de longue durée[206]. Cet exemple mettra l’accent sur les personnes handicapées qui vivent dans la collectivité et qui reçoivent des services auxiliaires.

Le chapitre V du présent rapport final décrit de façon générale les lois relatives à la prestation de services auxiliaires en Ontario. Essentiellement, il est possible de recevoir l’aide de fournisseurs de services auxiliaires par l’intermédiaire d’agences; les personnes handicapées peuvent également en embaucher au moyen de programmes de financement direct. Leur rôle consiste à aider les personnes handicapées à accomplir de nombreuses activités de la vie quotidienne, par exemple manger, se vêtir, prendre un bain et faire sa toilette. L’un des principes clés du rôle de l’auxiliaire est que les personnes handicapées doivent garder le contrôle et leur pouvoir décisionnel sur leurs propres soins. Les auxiliaires les aident afin qu’elles puissent vivre de façon plus indépendante et autonome. La relation entre les bénéficiaires et les fournisseurs de services auxiliaires est nécessairement très intime, compte tenu de la nature des services en question et du fait qu’ils sont fournis au domicile de la personne handicapée. La dynamique entre le fournisseur de services et le bénéficiaire peut être complexe; bien que ce dernier dirige le fournisseur de service, il dépend en fait des services auxiliaires afin de demeurer dans la collectivité. 

Les questions (surtout celles de nature juridique) soulevées par la prestation de services d’aide à la sexualité par les fournisseurs de services auxiliaires font très rarement l’objet de discussions, en partie en raison des attitudes négatives mentionnées précédemment. Dans l’ensemble, il existe très peu de ressources, de formation et d’infrastructures pour orienter les fournisseurs de services et les personnes handicapées en ce qui concerne les besoins sexuels de ces dernières[207]. Bien que les organismes de services auxiliaires fournissent bel et bien de l’aide à la sexualité, rares sont ceux qui disposent de politiques à cet égard. Ainsi, l’aide fournie passe inaperçue[208]. Cette forme d’aide n’est guère mentionnée comme problème dans les descriptions de travail, les contrats et les ententes de services[209]. Une étude sur les obstacles à l’expression de la sexualité des personnes qui ont recours à la communication améliorée et alternative[210] a révélé que, dans certaines agences, il n’existe pas de réel consensus sur ce que les services auxiliaires comprennent, et ne comprennent pas, lorsqu’il s’agit d’aider les personnes dans le cadre d’activités sexuelles[211]. Il n’est donc pas surprenant que les personnes utilisant les services auxiliaires aussi bien que celles qui les fournissent aient indiqué qu’elles ne disposaient pas des connaissances et des renseignements concrets nécessaires à propos des droits et des obligations juridiques relativement à la prestation de services d’aide à la sexualité par des auxiliaires[212].

Puisque la documentation et les politiques organisationnelles gardent le silence à ce sujet, ce sont les auxiliaires et les bénéficiaires de services auxiliaires qui abordent la question individuellement. Bien que l’OMS reconnaisse l’importance de la sexualité, nombreux sont ceux pour qui le sexe et la sexualité constituent un sujet dont ils discutent rarement de façon ouverte et qu’ils peuvent hésiter à aborder. Les auxiliaires et les bénéficiaires peuvent être mal à l’aise de parler des questions liées à la sexualité.

En outre, en l’absence de formations ou de politiques pour établir des normes, les bénéficiaires dépendent de l’attitude personnelle des auxiliaires. Il n’est pas étonnant, compte tenu de l’attitude générale de la société à l’égard de la sexualité et de l’incapacité, que certaines études démontrent que les auxiliaires peuvent réagir négativement en ce qui concerne les activités sexuelles des personnes handicapées. Il se peut que certains ne se sentent pas à l’aise d’aider quelqu’un à accomplir des activités sexuelles qui s’écartent de leurs propres normes[213]. Les personnes handicapées peuvent raisonnablement s’inquiéter du fait que les auxiliaires pourraient les juger de manière négative en raison de leurs intérêts sexuels, ce qui pourrait miner ce qui est, pour eux, un soutien essentiel[214].

Lorsque des politiques et des mécanismes officiels de soutien concernant la sexualité et les personnes handicapées sont en place, ils mettent le plus souvent l’accent sur la violence et la victimisation sexuelles. Des lignes directrices sur ces enjeux sont primordiales, mais elles n’abordent pas l’ensemble des questions et des besoins relatifs à la sexualité[215]. En raison du silence général sur les questions liées à l’incapacité et à la sexualité, le fait de mettre exclusivement l’accent sur la violence et la victimisation sexuelles peut favoriser l’adoption d’une mentalité protectrice, plutôt que facilitatrice, à l’égard de la sexualité et de l’autonomie des personnes handicapées. Silverberg et Odette indiquent : 

[Traduction]
De nombreux auxiliaires considèrent qu’il est de leur devoir de protéger les personnes avec lesquelles ils travaillent. Dans les témoignages des auxiliaires et des bénéficiaires, nous avons constaté que de nombreuses relations de travail s’accompagnent d’une attitude paternaliste, et que la notion de protection peut aisément mener à une surprotection[216].

Il existe de surcroît des préoccupations à propos de la responsabilité légale. D’après un article, [traduction] « même s’ils sont tout à fait légaux en théorie, les services d’aide personnelle pour des activités sexuelles constituent un sujet épineux pour les décideurs », surtout en raison des questions de responsabilité légale liées à la possibilité de plaintes contre le harcèlement sexuel[217].

Les discussions à propos de l’aide à la sexualité sont particulièrement difficiles, car elles ont lieu au travail, un milieu où il s’agit normalement d’un sujet tabou. Il existe des préoccupations selon lesquelles le fait de mentionner la question de l’expression de la sexualité pourrait être perçu comme du harcèlement ou de la violence de nature sexuelle ou pourrait faire en sorte que l’autre personne ne se sente pas en sécurité dans la relation de travail. En l’absence de lignes directrices claires, il se peut que les auxiliaires et les bénéficiaires ne sachent pas s’ils doivent soulever la question, ni à quel moment le faire, ni si le fait de demander de l’aide à la sexualité pourrait être considéré comme du harcèlement[218].

Ces facteurs font en sorte que l’on ne parle pas de la sexualité des bénéficiaires de services auxiliaires, ce qui peut renforcer l’idée selon laquelle les personnes handicapées ne sont pas désireuses d’exprimer leur sexualité ou ne devraient pas l’être. Une étude menée auprès des auxiliaires et des bénéficiaires a révélé que chacune des deux parties est souvent réticente à être la première à parler d’aide à la sexualité; ainsi, même les personnes qui reconnaissent que cette forme d’aide fait partie des fonctions des auxiliaires peuvent hésiter à aborder le sujet[219].

Le principe de la dignité souligne qu’il est important d’admettre que les personnes handicapées possèdent l’ensemble des caractéristiques et des besoins humains, y compris la sexualité, et de contrer les stéréotypes voulant que ces personnes soient asexuées et que toute expression de leur sexualité est inappropriée. Le fait que les lois et les politiques concernant les services auxiliaires ne reconnaissent pas le fait que les personnes handicapées sont sexuées peut miner le principe de la dignité et de la valeur en limitant la capacité de celles-ci à exprimer tous les aspects de leur humanité et à en profiter.

________________________________________________________________________________________________

2.               La reconnaissance de la diversité des aptitudes et des autres caractéristiques humaines

Définition : Ce principe exige de reconnaître deux dimensions de la diversité et d’y être sensible, à savoir que l’étendue des aptitudes varie selon les domaines, les personnes et les périodes de la vie, que chaque personne handicapée a une identité, des besoins et une situation uniques, et que les identités multiples et croisées des personnes handicapées peuvent contribuer à accroître ou à réduire la discrimination et les désavantages auxquels elles font face.

Le principe et les expériences des personnes handicapées

L’étendue des aptitudes varie d’une personne à l’autre, et l’« incapacité » peut être perçue comme faisant partie intégrante de cette variation normale. Dans cet ensemble variable d’aptitudes, des obstacles sociaux et environnementaux peuvent entraîner des expériences invalidantes pour certaines personnes[220]. Certaines déficiences ne constituent pas une incapacité comme on l’entend d’un facteur ayant une incidence sur les activités quotidiennes d’une personne. La vision constitue l’exemple le plus éloquent : en effet, de nombreuses personnes atteintes d’un trouble de la vision peuvent porter des lunettes qui compensent leur déficience à un point tel qu’elles sont à même de fonctionner dans la plupart des sphères de la vie comme si elles n’avaient aucun problème de vision. Sans lentilles correctrices, cependant, leur trouble de vision pourrait constituer une véritable incapacité. Ainsi, les progrès de la technologie et les changements dans les environnements physique et social peuvent modifier ce qui constitue une « incapacité »[221].

En outre, certaines conditions communément considérées comme des déficiences peuvent avoir des répercussions positives qui sont souvent ignorées : par exemple, certaines études réalisées récemment démontrent un lien entre la dyslexie, un trouble qui complique l’apprentissage de la lecture et de l’écriture, et des aptitudes supérieures à la moyenne dans d’autres domaines, comme la perception spatiale[222]. Ainsi, les différences découlant de l’incapacité peuvent s’avérer aussi bien positives que négatives. Les personnes handicapées ne sont pas « l’autre »; elles font partie de la diversité humaine.

On considère généralement les personnes handicapées comme un groupe homogène, défini en fonction de la déficience. Or, cette perception ne reflète aucunement l’énorme diversité de la collectivité des personnes handicapées. L’expérience du handicap varie considérablement selon la nature de la déficience : si les personnes handicapées vivent couramment l’exclusion et la marginalisation, leurs besoins et leurs réalités sont uniques[223]. Par exemple, les personnes atteintes d’incapacités de nature épisodique, comme la fatigue chronique ou une déficience mentale, vivront des expériences particulières tandis qu’elles acquièrent le statut social ou juridique de « personne handicapée » ou, au contraire, le perdent. Étant donné qu’il peut être nécessaire, pour être admissible aux programmes ou aux services, de satisfaire au critère d’« incapacité », les personnes atteintes d’incapacités de nature épisodique pourraient faire face à un fardeau administratif additionnel, car elles pourraient devoir présenter une nouvelle demande de services chaque fois que leur situation change. Certains programmes ou services exigent que les demandeurs démontrent qu’ils ont une incapacité « permanente », ou bien le système connexe peut ne pas avoir été conçu pour traiter des personnes dont le statut peut changer à plusieurs reprises[224]. En outre, les employeurs peuvent être réticents à faire face à l’incertitude liée aux accommodements pour des personnes dont les besoins peuvent changer de façon imprévisible; dans le cas d’incapacités invisibles (comme les déficiences mentales), une telle attitude peut être aggravée par la tendance à mettre en doute la véracité des incapacités qui ne sont pas manifestes.

Les conséquences d’une incapacité peuvent également différer selon que la personne habite en milieu urbain, où davantage de services et de mesures de soutien sont offerts, ou dans une région rurale ou éloignée[225], selon qu’elle bénéficie ou non du soutien sa famille ou de son entourage, en fonction de son statut socioéconomique, etc. Cela dit, la vie, les besoins et les expériences de chacun sont foncièrement différents, même parmi les personnes ayant la même déficience, ce que la loi faillit parfois à reconnaître et à prendre en considération efficacement. 

Comme on l’a mentionné précédemment, l’une des réalités dont il faut tenir compte est le taux disproportionné de personnes handicapées à faible revenu. Le statut socioéconomique des personnes handicapées, que ce soit à cause de leur environnement, de leur déficience ou, dans la plupart des cas, d’une combinaison des deux, est généralement inférieur à celui de leurs pairs non handicapés. En moyenne, leurs revenus sont moins élevés[226], leur niveau d’instruction est plus bas[227] et elles sont davantage exposées à la violence et à la victimisation[228]. Cela est particulièrement évident chez certains groupes de personnes handicapées, dont les femmes et les Autochtones[229]. Le niveau et le type de préjudice subi peuvent également varier en fonction de l’incapacité. Par exemple, les personnes ayant une déficience intellectuelle affichent le plus faible taux de participation au marché du travail de tous les groupes de personnes handicapées, tandis que les personnes malentendantes ou à mobilité réduite réussissent beaucoup mieux à cet égard[230]. Les préjudices peuvent aussi s’accumuler au fil de la vie. Ainsi, une personne confrontée à des obstacles au chapitre de l’éducation en raison d’une incapacité atteindra des niveaux d’alphabétisation et de scolarité moins élevés au cours de sa vie. Par conséquent, elle aura plus de difficulté à entrer sur le marché du travail et à y rester, et, par le fait même, à avoir un revenu stable et un logement convenable.

On s’est également beaucoup penché sur la façon dont l’expérience du handicap varie en fonction du sexe, de l’origine raciale, de l’orientation sexuelle et d’autres aspects de l’identité d’une personne. Les femmes handicapées, par exemple, éprouvent des inquiétudes particulières en ce qui concerne la reproduction et le rôle parental[231]. Les Autochtones handicapés peuvent avoir de la difficulté à obtenir des services de soutien adaptés à leur culture et à leur histoire. Tous ces aspects de l’identité façonnent à leur façon le parcours de vie des personnes handicapées. 

[Traduction]
Malheureusement, les gens ont tendance à dissocier les différents aspects de notre identité. Ainsi, vous savez, j’ai constaté que de nombreux organismes voués aux personnes handicapées ne parlent pas des questions liées à la situation sociale ou aux identités multiples. Ils ne s’intéressent pas aux enjeux des personnes racialisées, ni à ceux des « queers » qui font partie de la collectivité des personnes handicapées. De façon similaire, les organismes spécialisés dans les enjeux complexes des GLBT et des personnes racialisées tiennent rarement compte du fait que des personnes handicapées pourraient faire appel à leurs services.
Groupe de consultation de la CDO, organismes, Toronto, 11 mai 2010

Interprétation du principe

La reconnaissance du caractère quasi universel de la déficience fait notamment naître le besoin d’élargir l’éventail d’aptitudes humaines considérées comme « normales » et de concevoir des structures sociales, politiques et physiques plus souples et plus inclusives[232]. Dans l’application de ce principe, la conception universelle ou inclusive, avec un engagement concomitant envers l’accessibilité, joue un rôle clé pour assurer une inclusion maximale de toutes les personnes en fonction de l’infinie variété de leurs capacités[233]. La CDPH impose, à titre d’obligation générale, la promotion de la conception universelle pour l’élaboration des normes et des lignes directrices; il doit s’agir de la démarche « par défaut » qui « n’exclut pas les appareils et accessoires fonctionnels pour des catégories particulières de personnes handicapées là où ils sont nécessaires[234] ».

Aux termes du Code[235], la conception inclusive fait partie intégrante de l’obligation d’accommodement. Comme l’a souligné la Commission ontarienne des droits de la personne (CODP), « [l]’adaptation avec dignité appartient à un principe plus général selon lequel notre société devrait être structurée et conçue pour favoriser l’appartenance[236] ». La conception inclusive, avec les accommodements individuels nécessaires appropriés, est essentielle pour assurer la pleine reconnaissance de la diversité des aptitudes humaines.

Pour en arriver à l’intégration et à la pleine participation des personnes handicapées, on devra promouvoir un design inclusif et éliminer les obstacles actuels. Prévenir et éliminer les obstacles signifie que les personnes handicapées devraient pouvoir accéder à leur environnement et faire face aux mêmes obligations et aux mêmes exigences que les autres personnes, avec dignité et sans empêchement. Si, à un moment précis dans le temps, certains obstacles n’ont pu être éliminés, on mettra tout en œuvre pour tenir compte des besoins de la personne handicapée, dans la mesure où cela ne cause pas de préjudice injustifié[237].

Le document À l’unisson 2000 met en évidence le caractère multidimensionnel de la diversité :

À l’unisson reconnaît également qu’il est important de mettre au point des solutions souples afin de répondre aux besoins individuels. Chaque personne handicapée est unique et ses besoins, ses aspirations et les défis qu’elle doit relever sont influencés par la nature de l’incapacité, la période de la vie, le contexte familial, communautaire et culturel et d’autres caractéristiques. Les Autochtones handicapés, par exemple, envisagent les enjeux de l’incapacité selon des cadres qui reflètent leurs propres principes culturels[238].

La conception inclusive et les mesures d’adaptation doivent tenir compte des multiples aspects de l’identité des personnes handicapées.

Le principe de la reconnaissance de la diversité des aptitudes et des autres caractéristiques humaines fait ressortir le fait que les personnes handicapées sont, d’abord et avant tout, des individus. Pour de nombreuses personnes, et dans bien des cas, le handicap n’est pas l’aspect le plus important de l’identité. Reconnaître cela nous aide à aller au-delà des stéréotypes et à lutter contre le capacitisme et le paternalisme.

L’exemple suivant porte sur la façon dont les personnes racialisées peuvent vivre une expérience du système de santé mentale différente des autres personnes et illustre le principe de la diversité.

________________________________________________________________________________________________  

EXEMPLE : LA RECONNAISSANCE DE LA DIVERSITÉ

Les personnes racialisées et le système de santé mentale

La diversité ethnique, raciale et linguistique de l’Ontario est importante. En effet, plus de la moitié des « minorités visibles » du Canada vivent dans cette province[239]. Selon le Recensement 2006, 2,7 millions de personnes vivant en Ontario sont membres d’une minorité visible, ce qui représente 23 % de la population ontarienne. Environ 80 % (2,2 millions) d’entre elles vivent dans la région métropolitaine de Toronto, soit 43 % de la population de celle-ci[240]. Au sein du Réseau local d’intégration des services de santé (RLISS) du Centre-Toronto, les immigrants représentent jusqu’à 41 % de la population, et, dans ce groupe, 20 % sont de nouveaux immigrants arrivés entre 2001 et 2006. On parle plus de 160 langues à Toronto et 4,5 % des habitants ne parlent ni l’anglais ni le français[241]. 

Les personnes issues de collectivités ethnoraciales sont plus susceptibles d’être atteintes d’une déficience mentale[242]. Plusieurs facteurs contribuent à accroître ce risque. Dans le cas des nouveaux venus au Canada issus d’une telle collectivité, l’arrivée au pays peut être accompagnée de difficultés économiques, d’isolement et de la perte d’une carrière ou d’une position sociale[243]. Ils sont peut-être loin de leurs réseaux familiaux et sociaux établis. En outre, certains ont pu vivre des expériences traumatisantes dans leur pays d’origine.

[Traduction]
L’un des problèmes auquel nous devons faire face est le fait que bon nombre de clients venant de pays pauvres subissent un stress post-traumatique. Qui sait quelles ont été les relations entre ces personnes et, disons, les forces de l’ordre de leur pays d’origine? Alors, elles se font arrêter, arrivent au tribunal et, voyez-vous, elles revivent alors leurs traumatismes. On perçoit leur réaction comme une agression, un manque de conformité ou un problème d’intégration, plutôt que de comprendre les conséquences de la maladie mentale, la façon dont elle peut se manifester et ce dont on doit s’occuper lorsque ces personnes se présentent au tribunal. Il s’agit de lacunes. Et il devient de plus en plus difficile de s’occuper de ces personnes et de travailler avec elle, car on les traite de façon punitive.
Groupe de consultation de la CDO, Toronto, organismes, 11 mai 2010

La discrimination raciale systémique peut également entraîner des problèmes de santé mentale ou le diagnostic erroné d’une déficience mentale[244].

Les minorités ethnoraciales sont en outre particulièrement vulnérables à la pauvreté ainsi qu’à ses conséquences néfastes sur la santé mentale[245]. De telles circonstances sont aggravées en milieu rural, où les grandes distances et l’absence de moyens de transport font obstacle à l’accès aux soins de santé. Par exemple, l’Ontario accueille environ 18 000 travailleurs agricoles migrants du Mexique et des Caraïbes. D’après ces travailleurs vulnérables, leurs deux principales préoccupations en matière de santé sont la dépression et l’accès aux soins de santé[246].

Les minorités ethnoraciales peuvent avoir une expérience de la déficience mentale différente de la population en général. Les différences peuvent être physiques, culturelles ou comportementales. Certains groupes ethnoraciaux ont des caractéristiques physiques qu’il importe de prendre en considération pour leur traitement[247]. Par exemple, les membres des groupes ethniques d’Asie ont tendance à avoir une plus grande sensibilité aux antipsychotiques[248].

Il est important que les fournisseurs de services de santé mentale disposent d’un solide savoir-faire culturel afin d’offrir aux personnes issues de collectivités ethnoraciales des services efficaces. Certaines personnes peuvent ne pas accepter un diagnostic de maladie mentale en raison des croyances culturelles de la collectivité dont ils font partie. D’autres peuvent comprendre la nature de la santé mentale en différents termes[249]. De plus, il se peut que différentes cultures emploient une terminologie à propos des problèmes de santé mentale que les fournisseurs de soins de santé, d’une façon générale, ne reconnaîtront pas[250]. Des recherches révèlent que des membres de minorités ethnoraciales évitent parfois le système de santé mentale à cause de la stigmatisation liée à la maladie mentale au sein de leur collectivité[251]. Selon le directeur exécutif du Hong Fook Mental Health Association, certaines personnes peuvent se sentir mal à l’aise de faire appel à un système qu’elles ne connaissent pas et sont plus susceptibles de se tourner vers leur propre collectivité :

Dans la culture asiatique, la famille demeure le soutien le plus important, mais les préjugés qui se rattachent à la santé mentale recoupent toutes les cultures. Est-il plus fort dans la culture asiatique? Je n’en suis pas sûr. Ils ne sont pas bien informés. Je peux vous garantir qu’il y a des patients qui ne sont ni évalués ni traités parce que la famille craint que l’on apprenne qu’un de ses membres est malade[252].

Ainsi, les personnes racialisées ont tendance à intégrer le système de santé mentale plus tardivement que la population générale et font plus souvent l’objet d’un diagnostic erroné[253]. En outre, elles sont moins susceptibles de prendre part aux programmes publics de prévention et de promotion de la santé[254].

Même une fois que les membres d’une minorité ethno-raciale sont entrés dans le système de santé mentale, plusieurs facteurs peuvent les empêcher de recevoir les meilleurs soins possibles. Ces facteurs comprennent : le manque de connaissances culturelles de certains professionnels de la santé mentale, les obstacles linguistiques et la peur ou la méfiance envers un système de santé mentale créé et exploité par la culture dominante[255].

Les obstacles linguistiques sont vraiment importants pour les nouveaux arrivants ethno-raciaux atteints d’une déficience mentale[256]. Le manque d’accès aux interprètes est un problème omniprésent au sein des systèmes de soins de santé et juridiques et d’autres services du gouvernement de l’Ontario[257]. Même une recherche doctorale portant précisément sur l’expérience des minorités ethno-raciales avec des ordonnances de traitement en milieu communautaire à Toronto a été menée exclusivement en anglais à cause d’un manque de fonds[258]. Malgré l’engagement de l’Ontario à l’égard des deux langues officielles, les collectivités minoritaires francophones font, elles aussi, face à des difficultés considérables pour avoir accès à des services de santé mentale dans leur langue[259]. Ce problème est aggravé par la nature privée des problèmes de santé mentale. Ainsi, dans de petites collectivités, une personne atteinte de déficience mentale est moins susceptible de compter sur un interprète vivant dans la même collectivité[260]. 

Les personnes ethno-raciales ayant une déficience mentale sont doublement touchées par la stigmatisation – premièrement parce qu’elles font partie d’une collectivité racialisée, deuxièmement en raison de leur déficience mentale. Des attitudes racistes aussi bien que capacitistes peuvent nuire à leur accès aux soins de santé, même au sein du système de santé mentale. Par exemple, les personnes ayant une déficience mentale ont souvent de la difficulté à se trouver un médecin de premier recours disposé à les accepter comme patients.

De plus, les personnes issues de minorités ethno-raciales sont plus susceptibles de ne pas respecter les traitements de santé mentale. Il s’agit souvent du résultat de leur mauvaise expérience du système de santé mentale et du manque de connaissances culturelles des fournisseurs de services[261].

Il existe une pénurie générale de ressources à l’intention des personnes ayant une déficience mentale, ce qui est d’autant plus vrai en ce qui concerne les ressources et les services de santé mentale visant à répondre aux besoins des collectivités ethno-raciales. Par exemple, malgré la proportion élevée de personnes issues de minorités ethno-raciales dans la région du Grand Toronto et l’expérience unique de celles-ci avec la déficience mentale, le financement accordé aux services de santé mentale pertinents sur le plan culturel ou s’adressant particulièrement à ce groupe est disproportionnellement faible[262].

Le ministère de la Santé et des Soins de longue durée (MSSLD) a pris plusieurs mesures pour que le système de santé mentale soit mieux à même de fournir des renseignements et des services pertinents sur les plans linguistique et culturel. Par exemple, il finance des services conçus spécialement pour les groupes d’immigrants, racialisés et ethnoculturels[263]. L’outil d’évaluation de l’impact sur l’équité en matière de santé mis au point par le Ministère place au premier plan les questions d’équité dans l’élaboration et la mise en œuvre de politiques et de programmes[264].

L’expérience du système de santé mentale vécue par les personnes issues de collectivités ethno-raciales met en lumière l’importance que revêt le principe de la diversité.

En nous penchant sur celui-ci, nous pouvons déterminer de quelle façon cette expérience se distinguera de celle de la population générale. Pour toutes sortes de raisons, y compris l’incidence systémique du racisme et de la discrimination raciale, les personnes faisant partie de ce groupe sont plus susceptibles d’intégrer le système de santé mentale. Le principe de la diversité a par conséquent une incidence disproportionnée sur celles-ci. Si ces personnes sont des immigrants, leur parcours de vie aura eu une incidence sur leur statut socioéconomique, leurs rapports avec la collectivité et leur capacité à comprendre le système de santé mentale et à se repérer dans celui-ci. Ainsi, si les processus et les politiques conviennent bien à autrui, ce ne sera peut-être pas le cas de ces personnes. La langue et la culture peuvent influer sur la façon dont une personne interagit avec le système. 

Le principe de la diversité souligne l’importance de s’assurer que les lois et les politiques sont suffisamment souples pour tenir compte de la diversité des personnes qu’elles peuvent toucher. Dans ce cas, il importe de s’assurer que le système peut fournir des renseignements et des services appropriés sur les plans linguistique et culturel, établir le contact avec les collectivités ethno-raciales et les nouveaux immigrants, tout en tenant compte des conséquences du racisme et de la discrimination raciale sur la santé mentale.

________________________________________________________________________________________________  

3.               L’amélioration de l’autonomie et de l’indépendance

Définition : Ce principe préconise l’établissement de conditions qui permettent aux personnes handicapées de faire des choix qui ont une incidence sur leur vie et de s’occuper d’elles-mêmes autant qu’elles le peuvent ou le souhaitent en bénéficiant des mesures de soutien adéquates requises. 

Le principe et les expériences des personnes handicapées

Comme l’a exposé le chapitre II.D.2, les interventions à l’égard du handicap sont souvent empreintes de paternalisme qui se manifeste par une tendance à empêcher les personnes handicapées de prendre des décisions « pour leur bien[265] ». Cette tendance est particulièrement marquée en ce qui concerne les personnes ayant une déficience intellectuelle ou mentale. Celles-ci peuvent être privées de la capacité de prendre les décisions qui les concernent parce que l’on tient pour acquis que, comme elles ont besoin de soutien, elles ne sont pas en mesure de prendre des décisions, ou bien en raison des exigences des vastes systèmes bureaucratiques en matière d’efficacité[266]. En réaction au paternalisme, on a mis l’accent sur l’importance de la capacité des personnes handicapées à prendre des décisions les concernant – ce qui comprend le droit de faire des choix que d’autres personnes peuvent considérer comme mauvais ou risqués. La prise de décisions constitue un moyen d’exprimer, de façon fondamentale, nos valeurs et nos aspirations. Nous apprenons et nous nous épanouissons en constatant les résultats de ces décisions, qu’ils soient bons, mauvais ou négligeables.

La capacité de faire des choix est liée à la capacité de s’occuper de soi-même, c’est-à-dire de subvenir à ses besoins financiers, de vivre de manière indépendante et de bénéficier, dans la mesure du possible, des mêmes possibilités qui s’offrent aux personnes non handicapées. Dans l’affaire Via Rail, la Cour suprême du Canada a déterminé que le principe d’indépendance constituait un motif primordial permettant de conclure que Via Rail contrevenait au droit des personnes à mobilité réduite de jouir de leur indépendance en n’offrant pas de mesures d’adaptation aux utilisateurs de fauteuil roulant personnel[267]. Dans certains cas, l’indépendance est difficile à atteindre en raison d’obstacles physiques, sociaux ou institutionnels. Par exemple, la discrimination de la part des locateurs et la pénurie de logements accessibles entravent la capacité des personnes handicapées à vivre de façon indépendante[268]. De plus, le nombre restreint de services de transport accessibles peut limiter les possibilités de travailler ou de faire des études[269]. Certaines personnes handicapées peuvent avoir besoin de mesures de soutien pour accéder à l’indépendance. Par exemple, donner aux personnes handicapées des outils d’autonomie sociale peut réduire leur dépendance envers des membres de leur famille ou des fournisseurs de services et renforcer leurs compétences et leur confiance en elles[270].

Interprétation du principe

Le principe de l’amélioration de l’autonomie et de l’indépendance englobe à la fois le droit de faire des choix et de s’occuper de soi-même, et constitue une forme de riposte aux diverses formes de paternalisme pouvant toucher les personnes handicapées.

L’OMS a défini l’« autonomie » comme l’« aptitude perçue à maîtriser, affronter et prendre des décisions personnelles relatives à sa vie quotidienne dans le respect de ses propres règles et préférences[271] ». Aux termes de l’article 7 de la Charte, la Cour suprême du Canada a énoncé que le principe d’autonomie englobe le droit de prendre des « décisions d’importance fondamentale pour sa personne », particulièrement en ce qui a trait à l’intégrité corporelle[272]. Disability Rights Promotion International (DRPI) définit ainsi l’autonomie :

[Traduction]
Le droit d’une personne de faire ses propres choix. L’autonomie, ou l’autodétermination, signifie que la personne est au cœur de toutes les décisions qui la concerne et peut décider des formes de prise de décision assistée auxquelles elle souhaite avoir recours[273].

Dans certaines circonstances, l’autonomie des personnes handicapées peut sembler entrer en conflit avec d’autres principes. Par exemple, le fait de limiter les choix des personnes handicapées ou de permettre à d’autres de prendre des décisions en leur nom est parfois jugé justifié pour parvenir à d’autres fins, comme celle d’assurer la sûreté et la sécurité des personnes handicapées ou des autres membres de la société. En outre, certaines lois sont mises en œuvre en raison des vulnérabilités ou des risques particuliers auxquels les personnes handicapées sont exposées parce qu’elles ne disposent pas des mesures de soutien appropriées. Bien que l’imposition de certaines limites puisse être jugée conforme à d’autres principes, il est essentiel d’accorder une attention prioritaire au respect de l’autonomie des personnes handicapées, dans la mesure du possible, et de s’assurer que les limites imposées ne traduisent pas une attitude paternaliste.

Il est bon de se rappeler qu’une personne acquiert l’autonomie dans le contexte de ses relations, et cela s’applique non seulement aux personnes handicapées, mais à chacun d’entre nous. Jennifer Nedelsky fait valoir que c’est ce rapport de proximité avec les autres qui permet aux gens d’acquérir leur autonomie; que les relations avec [traduction] « les parents, les enseignants, les amis et les êtres chers […] offrent le soutien et l’orientation nécessaires au développement et à l’autonomie[274] ». Cette démarche est axée sur la [traduction] « structuration des relations de manière à promouvoir l’autonomie[275] ». L’autonomie relationnelle reconnaît que personne ne prend ses décisions seul, mais que nous les prenons tous en consultation avec les autres, et que d’aider les personnes handicapées à prendre des décisions ne mine pas leur autonomie.

L’OMS définit l’indépendance comme « la capacité à s’acquitter des tâches quotidiennes, c’est-à-dire à vivre de manière indépendante dans son environnement habituel sans aide extérieure ou avec une aide extérieure minime[276] ». À l’unisson 2000 souligne que la promotion de l’indépendance ou de la « citoyenneté » et des autres principes définis par la CDO est liée à l’objectif d’améliorer les mesures de soutien pour les personnes handicapées :

Les mesures de soutien pour les personnes handicapées sont des outils d’inclusion. Elles jouent un rôle essentiel lorsqu’il s’agit d’aider les personnes handicapées à mener des vies enrichissantes et à s’intégrer pleinement à la collectivité. Sans elles, de nombreuses personnes handicapées seraient incapables d’exploiter leur potentiel socio-économique[277].

Par conséquent, le principe de l’indépendance requiert que les personnes handicapées bénéficient des niveaux de soutien dont elles ont besoin pour s’occuper le plus possible d’elles-mêmes. 

Le principe de l’autonomie et de l’indépendance s’applique à tous les domaines de la vie des personnes handicapées. Il englobe les décisions personnelles fondamentales et contribue grandement à l’amélioration des services d’aide et des mesures de soutien du revenu destinés aux personnes handicapées. En outre, le principe de l’autonomie et de l’indépendance est lié à l’obligation d’accommodement, car pour maximiser la capacité des personnes handicapées à faire des choix et à s’occuper d’elles-mêmes, il faut mettre en place des mesures d’adaptation.

La notion de conception universelle, selon laquelle les personnes qui élaborent ou promulguent des lois, des politiques, des programmes ou des services doivent tenir compte, dès le départ, de la diversité, est liée au principe de l’autonomie et de l’indépendance. En effet, lorsqu’elle est adéquatement mise en application, la conception universelle lève le fardeau qui pèse sur les personnes handicapées de passer par de pénibles processus d’accommodement et de négocier les accommodements et le soutien dont elles ont besoin pour mener une vie autonome et indépendante. De cette façon, le principe de l’autonomie et de l’indépendance est étroitement lié à celui de la participation et de l’inclusion.

L’exemple suivant illustre quelques aspects clés du principe de l’autonomie et de l’indépendance en abordant certaines des questions relatives aux ordonnances de traitement en milieu communautaire pour les personnes ayant une déficience mentale.

________________________________________________________________________________________________  

EXEMPLE : L’AMÉLIORATION DE L’AUTONOMIE ET DE L’INDÉPENDANCE

Ordonnances de traitement en milieu communautaire pour les personnes ayant une déficience mentale

Comme c’est généralement le cas en occident, le système de santé mentale de l’Ontario a adopté une politique de désinstitutionnalisation au cours des cinquante dernières années. Alors que les personnes ayant une déficience mentale considérable étaient systématiquement internées dans des hôpitaux psychiatriques, la plupart de ces personnes sont aujourd’hui traitées dans la collectivité. La désinstitutionnalisation vise à fournir aux personnes atteintes d’une déficience mentale des services, des ressources, des programmes de réadaptation communautaire et une intervention précoce dans le milieu le moins limitatif possible, un objectif en harmonie avec plusieurs principes de la CDO concernant le droit touchant les personnes handicapées, y compris les principes d’inclusion, de participation et d’amélioration de l’autonomie et de l’indépendance.

Cet engagement à l’égard des soins dans la collectivité s’est heurté, cependant, à une pénurie des ressources communautaires à l’intention des personnes atteintes d’une déficience mentale. Le vérificateur général a constaté en 2008 qu’« il n’y a peut-être pas encore un soutien communautaire adéquat pour les personnes qui reçoivent leur congé des hôpitaux psychiatriques en raison de la suppression de lits[278] ». Compte tenu de cette absence de soutien communautaire, les personnes ayant une déficience mentale doivent donc avoir recours à des services au coût plus élevé, comme les salles d’urgence et les hôpitaux[279]. Le vérificateur général a également cité un rapport du CAMH daté de 2004 selon lequel plus de la moitié des personnes atteintes d’une déficience mentale grave vivant dans la collectivité ne recevaient pas les soins appropriés[280]. Les taux de réadmission à l’hôpital et de retour de patients (le « syndrome de la porte tournante ») dénotent l’écart entre le système d’institutionnalisation et le système communautaire[281]. Comme l’a expliqué le vérificateur général :

Il y a trop de personnes qui retournent dans les hôpitaux pour obtenir des soins en raison d’une mauvaise intégration des services, d’un suivi insuffisant dans la collectivité, d’une utilisation des ressources inefficace ou inadéquate, d’une mauvaise planification ou organisation du congé et d’une aide insuffisante pour les personnes qui tentent de rester dans la collectivité plutôt que d’aller en milieu institutionnel[282].

Le Comité permanent des comptes publics de l’Assemblée législative de l’Ontario, dans son examen du rapport du vérificateur général, a insisté sur le fait que l’objectif était de mettre en place un système axé sur le patient pour assurer une transition sans heurt des clients d’un fournisseur de services à l’autre et veiller à leur éviter les situations d’urgence et à les guider vers des services et des mesures de soutien communautaires[283].

Les initiatives visant à améliorer les traitements dans la collectivité comprennent des équipes de traitement communautaire dynamique, la gestion de cas intensive et des services d’intervention en cas de crise. Les équipes de traitement communautaire dynamique sont des équipes mobiles et multidisciplinaires[284]. qui s’occupent de la gestion de cas intensive et des services d’intervention en cas de crise. Elles fournissent un soutien intensif en permanence aux personnes atteintes de graves maladies mentales dans le but de leur éviter l’hospitalisation[285]. La gestion de cas intensive fait intervenir un gestionnaire de cas qui coordonne les mesures de soutien et les services communautaires appropriés pour les clients. Il les dirige vers divers traitements et services de réadaptation, y compris des services de loisirs sociaux, des programmes d’emploi et des programmes de logement[286]. Les services d’intervention en cas de crise se présentent sous différentes formes (services téléphoniques, visites, services résidentiels, urgences, etc.) et sont offerts aux personnes atteintes de graves maladies mentales vivant une crise psychiatrique dans la collectivité. Ils visent à atténuer immédiatement les symptômes, à empêcher la situation d’empirer et à régler la crise, de même qu’à mobiliser les ressources de la collectivité de manière à aider l’individu et à prévenir une hospitalisation inutile[287]. Ces services sont offerts en coordination avec les mesures de soutien communautaire[288]. 

Les ordonnances de traitement en milieu communautaire (OTMC) ont été instaurées en 2000[289] afin que les médecins soient en mesure d’ordonner qu’un patient autorisé à quitter l’hôpital poursuive son traitement dans la collectivité pour éviter une nouvelle hospitalisation et le « syndrome de la porte tournante » qui fait en sorte que des patients ayant obtenu leur congé d’un hôpital psychiatrique interrompent leur traitement dans la collectivité et doivent être de nouveau admis à l’hôpital par la suite. Les ordonnances, dont la durée est d’au plus six mois, peuvent être renouvelées. Elles nécessitent l’élaboration d’un plan de traitement en milieu communautaire qui doit être approuvé par le médecin qui prescrit l’OTMC, le patient ou son mandataire spécial et les organismes communautaires chargés de fournir les services décrits dans le plan. Toutefois, dans les faits, le consentement à l’OTMC représente parfois une condition pour obtenir l’autorisation de quitter l’hôpital, ce qui incite fortement plusieurs patients à l’accorder. Un patient qui ne respecte pas le plan établi peut être tenu de retourner à l’hôpital. Il existe une disposition pour contester une OTMC, de même qu’un processus d’examen[290].

Un examen des OTMC peut révéler à quel point il est parfois difficile d’interpréter et de respecter le principe d’amélioration de l’autonomie et de l’indépendance. Les ordonnances peuvent être des outils bien utiles pour favoriser le retour de personnes ayant une déficience mentale dans la collectivité, qui est un milieu bien moins restrictif que l’hôpital, et pour que celles-ci conservent une santé leur évitant de devoir être de nouveau hospitalisées. Ainsi, les OTMC correspondent au principe de l’autonomie et de l’indépendance. En outre, le plan de traitement est élaboré en consultation avec la personne en question (ou son mandataire spécial), ce qui souligne l’importance de faire participer les personnes à la prise de décisions les concernant.

Les OTMC peuvent cependant être perçues comme des mesures coercitives. En effet, elles imposent des conditions que la personne visée doit respecter pour éviter de retourner à l’hôpital. Bien que ces conditions doivent se conformer aux exigences prévues par la Loi sur la santé mentale et que la personne en question ou son mandataire spécial doive y avoir consenti, certains s’inquiètent du fait que ces conditions peuvent parfois être intrusives et imposer des restrictions considérables sur les activités menées par cette personne[291]. Les OTMC peuvent aussi avoir des conséquences sur l’intimité de la personne visée[292]. C’est pourquoi elles font l’objet de controverse. 

Une enquête sur 24 personnes qui ont été visées par une OTMC a mis en lumière cette situation ambiguë[293]. Dans l’ensemble, l’enquête brossait un portrait relativement positif des OTMC. En effet, d’une façon générale, les participants ont signalé qu’ils tiraient profit de leur expérience. Avant leur hospitalisation, la plupart d’entre eux bénéficiaient de peu de soutien et de services communautaires, voire pas du tout. En fait, à la suite d’hospitalisations ou d’incarcérations antérieures, plusieurs d’entre eux avaient obtenu leur congé sans qu’aucune disposition de soutien communautaire n’ait été prise[294]. Ce n’est qu’une fois qu’ils ont été visés par une OTMC qu’ils ont commencé à recevoir un soutien régulier des gestionnaires de cas, des travailleurs sociaux et des psychiatres. Dans la plupart des cas, ils s’entendaient bien avec leurs travailleurs sociaux et leur faisaient confiance. En outre, ils estimaient que la régularité du soutien et la supervision de leurs médicaments étaient dans leur meilleur intérêt. Ils croyaient que l’OTMC contribuait à stabiliser leur état et les aidait à entretenir une routine, à s’occuper de leurs enfants et, dans un cas, à trouver un emploi. L’incertitude qu’ils avaient ressentie dans un premier temps après avoir été visés par l’OTMC s’est dissipée au fur et à mesure qu’ils commençaient à faire confiance aux fournisseurs de services et à les respecter[295].

D’un autre côté, plusieurs participants ont affirmé qu’ils estimaient que l’OTMC était contraignante et paralysante. Ils étaient nombreux à avoir consenti à l’ordonnance simplement pour sortir de l’hôpital. Ils avaient toujours l’impression d’être des patients et n’aimaient pas être surveillés. Ils craignaient d’être tenus de retourner à l’hôpital s’ils ne se conformaient pas au plan de traitement[296]. 

Le ministère de la Santé et des Soins de longue durée a entrepris deux examens sur les OTMC conformément à l’article 33.9 de la Loi sur la santé mentale. Le premier a été effectué par Dreezer & Dreezer en 2005[297], tandis que le deuxième, effectuée par R. A. Malatest & Associates, a été terminé très récemment, vers la fin de mai 2012[298]. Ces examens ont analysé de façon approfondie bon nombre des tensions et des difficultés mentionnées dans le présent document. Le Ministère étudie actuellement le rapport produit par R. A. Malatest, y compris les recommandations à propos des mesures de contrôle pour les clients, et mettra au point un plan d’action adapté. 

Les tensions concernant l’application du principe de l’autonomie et de l’indépendance aux OTMC soulignent quelques-uns des aspects importants de celui-ci.

Premièrement, il est étroitement lié aux autres principes. Le principe de l’inclusion et de la participation est important, étant donné que la possibilité d’intégrer la collectivité ou d’y rester (plutôt que de rester à l’hôpital) est considérée comme favorable à l’autonomie et à l’indépendance et que l’on veille à faire participer le plus possible la personne handicapée à la prise de décisions au sujet de ses ordonnances de traitement. Ce principe est aussi lié au droit à la sécurité, étant donné que les OTMC visent notamment à garantir que les personnes ayant une déficience mentale sont en mesure de rester en santé, suffisamment pour leur permettre de demeurer en toute sécurité dans la collectivité.

De plus, l’exemple expose l’importance des mesures de soutien pour rendre l’autonomie et l’indépendance possibles. L’un des points centraux des OTMC est la difficulté vécue par certaines personnes ayant une déficience mentale à accéder au soutien communautaire, et son rôle consiste à en favoriser l’accès. 

De surcroît, les préoccupations concernant la nature potentiellement coercitive des OTMC mettent en lumière l’importance de s’assurer que les personnes handicapées sont en mesure de faire des choix éclairés, de même que les risques du paternalisme, particulièrement pour les personnes ayant une déficience mentale.

________________________________________________________________________________________________  

4.               La promotion de l’inclusion sociale et de la participation

Définition : Ce principe invite à bâtir une société qui favorise la participation active de toutes les personnes handicapées à la collectivité en facilitant leur inclusion et en éliminant les obstacles physiques, sociaux, comportementaux et systémiques qui les empêchent d’exercer leur citoyenneté.

Le principe et les expériences des personnes handicapées

Comme il est expliqué au chapitre II.D.1, les personnes handicapées sont souvent marginalisées dans la sphère publique, de sorte que, pour les personnes qui élaborent, mettent en application ou examinent les lois, les politiques et les pratiques, leurs valeurs, leurs priorités, leurs préoccupations et leur existence même peuvent passer inaperçu. Ce phénomène souligne l’importance de l’inclusion et de la participation active des personnes handicapées dans les organismes de défense des droits et les processus décisionnels des gouvernements afin que les processus et les structures en place tiennent compte de leur expertise et de leur point de vue.

[Traduction]
Les lois sont rédigées par des gens bien portants. Vous savez, ils ne passent pas les lois au crible. J’imagine qu’ils font appel à certains experts, mais, vous savez, j’ai longtemps travaillé pour le gouvernement de l’Ontario, et j’ai vu comment cela fonctionne. J’ai essayé de souligner où se trouvaient les lacunes, en fait, dès le processus de présentation au Cabinet. C’est comme le monde à l’envers. Nous sommes trop peu nombreux à prendre vraiment ces choses au sérieux. Vous savez, je crois que ça se trouve un peu partout dans la législation et que c’est la façon de voir les choses qui est en cause.
Groupe de consultation de la CDO, organismes, Toronto, 12 mai 2010 

La participation est importante, tant sur le plan individuel qu’à l’échelle de la société. Par exemple, Mona Paré s’est penchée sur la capacité des élèves handicapés et de leurs parents d’intervenir dans les décisions qui déterminent leur aptitude à participer de manière équitable au milieu de l’éducation, et a conclu qu’en raison de divers obstacles, dont le manque d’information, la complexité des systèmes et le déséquilibre des pouvoirs, cette participation est minimale, malgré les lois et les politiques qui visent à la favoriser[299].

La participation est étroitement liée au concept de l’inclusion. Les personnes handicapées font souvent face à l’exclusion physique ou sociale ou à la marginalisation, que ce soit en raison d’obstacles comportementaux, physiques, sociaux ou institutionnels. Le placement des personnes handicapées en établissement, une pratique qui a eu cours pendant longtemps, est un exemple particulièrement frappant de l’exclusion. Cependant, on a encore tendance à repousser les personnes handicapées en marge de nombreuses sphères de la société, y compris l’emploi, l’éducation et la vie communautaire. Le principe d’inclusion a pour but de pallier cette situation et de faire des personnes handicapées des membres à part entière de leur collectivité et de la société en général.

Interprétation du principe

Le principe de la promotion de l’inclusion sociale et de la participation comporte de nombreux aspects. Il vise notamment à s’assurer que les personnes handicapées peuvent participer à la collectivité et être entendues au même titre que les autres citoyens sur les enjeux qui les concernent. Le document À l’unisson 2000, par exemple, met ce principe sur le même pied d’égalité que le concept de la citoyenneté, lequel englobe « la capacité de participer activement aux activités de la collectivité. La citoyenneté à part entière passe par l’égalité, l’inclusion, les droits et responsabilités, la responsabilisation et la participation[300] ».

De plus, comme l’a décrit Frédéric Mégret, le terme « participation » comme l’entend la CDPH constitue [traduction] « une revendication plus vaste, adressée non seulement à l’État, mais aussi à la société, dont le but consiste à faire en sorte que les personnes handicapées deviennent des membres à part entière de la société et des diverses collectivités auxquelles elles appartiennent[301] ». Ainsi, le principe de l’inclusion et de la participation favorise l’intégration des personnes handicapées dans la société, dans la mesure souhaitée, et s’efforce de reconnaître, d’éviter et d’éliminer les différents obstacles à cette intégration. De tels obstacles comprennent les stéréotypes, les préjugés infondés, les jugements négatifs et les attitudes capacitistes à l’égard des aptitudes des personnes handicapées. Ce principe peut également exiger un respect particulier des différentes cultures qui existent au sein de la collectivité des personnes handicapées. L’éducation et les diverses méthodes de sensibilisation sont souvent considérées comme des moyens d’appliquer ce principe de manière efficace.

La Cour suprême a fait du principe d’inclusion planifiée un aspect central de son approche à l’égard des lois sur les droits de la personne[302]. Un élément de l’inclusion se traduit par l’accessibilité aux structures, aux programmes et aux services. L’importance de cet élément est mise en évidence par la Loi de 2005 sur l’accessibilité pour les personnes handicapées de l’Ontario (LAPHO)[303]. Cette dernière a comme objectif d’élaborer, de mettre en œuvre et d’appliquer des normes en matière d’accessibilité afin d’éliminer les obstacles et de permettre aux personnes handicapées de l’Ontario d’avoir accès à divers contextes d’ici 2025. Elle définit un obstacle comme étant « toute chose qui empêche une personne handicapée de participer pleinement à toutes les facettes de la société en raison de son handicap et qui s’entend notamment d’un obstacle physique, d’un obstacle architectural, d’un obstacle au niveau de l’information ou des communications, d’un obstacle comportemental, d’un obstacle technologique, ou d’une politique ou d’une pratique[304] ».

Les obstacles à la participation peuvent avoir des répercussions différentes sur divers sous-groupes. Par exemple, les personnes atteintes d’une déficience intellectuelle, cognitive ou mentale qui sont déclarées inaptes à exercer leur capacité juridique peuvent se voir exclues de la participation aux décisions qui ont une incidence sur leur vie de tous les jours. Les personnes à mobilité réduite peuvent éprouver de la difficulté à accéder aux programmes sociaux et récréatifs ou à voter si les immeubles ne sont pas physiquement accessibles. Les facteurs à prendre en considération pour assurer la participation des personnes handicapées varient donc en fonction de leur expérience particulière du handicap. 

Il importe de noter que ce principe peut revêtir un sens différent pour chaque sous-groupe au sein de la collectivité des personnes handicapées. Pour les personnes culturellement sourdes, par exemple, l’inclusion désigne le respect témoigné envers cette collectivité linguistique et culturelle particulière et la place qui lui est accordée pour assurer sa continuité[305]. Pour d’autres sous-groupes de la collectivité des personnes handicapées, comme les personnes atteintes d’une déficience intellectuelle, le principe de l’inclusion peut comprendre l’intégration des personnes handicapées dans toutes les sphères de la société dominante[306]. Ces points de vue ne sont pas nécessairement incompatibles; cependant, le moyen de parvenir à l’inclusion peut varier parmi les différents groupes de personnes handicapées, en fonction de leur perception bien précise de l’inclusion.

5.               L’avancement du droit à la sécurité

Définition : Ce principe évoque le droit des personnes handicapées de vivre dans un milieu où elles n’ont pas à craindre d’être victimes de mauvais traitements ou d’exploitation et où elles peuvent recevoir le soutien dont elles ont besoin pour prendre des décisions qui peuvent influer sur leur sécurité. 

Le principe et les expériences des personnes handicapées

Les personnes handicapées sont plus vulnérables à la violence et aux mauvais traitements infligés par un étranger ou par une personne en qui elles ont confiance. Les personnes les plus à risque sont les personnes handicapées vivant en établissement, celles qui sont atteintes d’un grave handicap et celles qui sont atteintes d’une déficience mentale[307]. Les personnes handicapées à faible revenu sont plus à risque de subir de la victimisation avec violence[308].

[Traduction]
Les personnes ayant des problèmes de santé mentale sont forcées de vivre dans la pauvreté. Dans le domaine du travail social, il existe un modèle nommé la hiérarchie des besoins de Maslow. M. Maslow a déterminé que les besoins à satisfaire en vue d’être en bonne santé physique et mentale suivent une certaine hiérarchie. Il s’agit d’une pyramide : si les besoins situés au palier inférieur ne sont pas comblés, la satisfaction de ceux des paliers supérieurs ne sert à rien. Cela n’apportera pas le bien-être. Les besoins au bas de la pyramide sont essentiels. Au tout premier palier se trouve le besoin de sécurité. Une personne vivant dans la pauvreté ne peut pas se sentir en sécurité. La pauvreté nous rend fous. Ce n’est pas qu’elle nous maintient dans cet état; elle en est la cause. Si nous ne nous attaquons pas à la pauvreté, le nombre de personnes ayant des problèmes de santé mentale ne cessera d’augmenter et la proportion de celles-ci passera bientôt d’une personne sur cinq à une personne sur deux.
Groupe de consultation de la CDO, personnes atteintes d’une déficience mentale, Toronto, 11 juin 2010.

Malgré le risque de victimisation accru, l’Enquête sur les services aux victimes de 2006 de Statistique Canada a révélé que seulement 24 % des organismes canadiens d’aide aux victimes étaient en mesure de fournir des services aux personnes handicapées[309]. À cet égard, DAWN Canada a déclaré ce qui suit à la CDO : 

[traduction]
Il est important de noter que les femmes ayant un handicap (une déficience physique, mentale ou sensorielle, ou encore une maladie chronique) affichent un taux de mauvais traitements en tous genres beaucoup plus élevé que leurs congénères non handicapées et que les hommes handicapés. Il faut garder à l’esprit que les femmes handicapées éprouvent souvent de la difficulté à sortir d’une situation d’abus, et encore plus à intenter une poursuite contre leur agresseur. Les maisons de refuge et de transition destinées aux femmes sont souvent inaccessibles pour les femmes handicapées. Par conséquent, il leur serait encore plus difficile d’obtenir une forme quelconque d’assistance juridique, en particulier si elles n’ont pas réussi à trouver d’abord un refuge sûr[310].

En outre, les institutions publiques ne disposent pas toujours de tous les outils nécessaires pour respecter les personnes handicapées qu’elles servent et assurer leur sécurité. Par exemple, les personnes handicapées sont moins satisfaites de l’accueil réservé à leurs plaintes par les services de police et ont une opinion moins favorable du système de justice pénale[311].

[traduction]
Il y a environ dix ans, j’ai fait l’objet d’une formule 1, ce qui signifie que je pouvais représenter un danger pour moi-même ou pour les autres. Je n’étais pas un danger pour les autres, mais pour moi, oui. Lorsqu’un policier est venu m’arrêter, il m’a ordonné de me mettre à genoux devant lui et de me mettre les mains derrière le dos. Il m’a menotté, puis il s’est mis devant moi et m’a aspergé les yeux de gaz poivré pendant environ trois secondes. La sensation du gaz poivré dans les yeux, c’est comme lorsqu’on monte un taureau : chaque seconde semble durer une éternité. Les policiers veulent jouer à la fois le rôle de juge, de jury et de bourreau sur le terrain. Je ne sais pas ce qui les motive à maltraiter et à exploiter les personnes handicapées vulnérables. Je ne vois pas vraiment d’où vient cette mentalité.
Groupe de consultation de la CDO, organisations autochtones, Thunder Bay, 16 juin 2010

Au cours des dernières années, plusieurs initiatives visaient à améliorer la relation entre les personnes handicapées et le système de justice pénale. Par exemple, le ministère du Procureur général a mis en place un Fonds d’aide aux victimes vulnérables et à leurs familles (FAVVF) en vue de fournir de l’aide financière et des soutiens judiciaires aux victimes d’actes criminels et aux familles de victimes d’homicide. Cela comprend la couverture des frais liés aux mesures de soutien pour les personnes handicapées, comme des services d’interprétation gestuelle ou de sous-titrage en temps réel, afin de permettre à ces personnes de participer pleinement au système de justice pénale[312]. Tout récemment, la ministre de la Sécurité communautaire et des Services correctionnels de l’Ontario a annoncé que le Ministère entreprendrait un examen de la façon dont les policiers réagissent par rapport aux personnes atteintes d’une maladie mentale et des pratiques exemplaires afin de formuler des recommandations[313].

La CDO a examiné les résultats des enquêtes du coroner sur la mort de 121 personnes handicapées entre 1989 et 2010. L’examen a fait ressortir le fait que certaines des personnes handicapées les plus vulnérables font face à des risques pour la sécurité accrus, notamment l’usage inapproprié ou excessif de moyens de contention, le manque de supervision ou de consignes de sécurité adéquates dans les établissements, de même qu’une planification des sorties inappropriée pour les personnes atteintes d’une déficience mentale qui quittent un milieu institutionnel pour aller vivre dans la collectivité[314].

Les personnes handicapées peuvent ne pas se sentir outillées pour affronter une situation d’abus ou d’exploitation en établissement. Il existe souvent un rapport de forces très inégal entre la personne handicapée et la personne ou l’organisme qui administre la loi ou le programme. En effet, l’ARCH Disability Law Centre fait valoir que certaines personnes atteintes d’une déficience intellectuelle dépendent de mesures de soutien et de services pour accomplir de nombreuses activités de la vie quotidienne, comme manger, se vêtir, prendre un bain, faire sa toilette, gérer ses finances ou se retrouver à travers les méandres de l’aide sociale :

[traduction]
Cette dépendance rend les personnes handicapées vulnérables; elles doivent s’efforcer d’entretenir de bonnes relations avec les travailleurs de soutien, les membres de leur famille et les autres personnes dont elles dépendent pour s’assurer qu’elles continueront de recevoir les soins dont elles ont besoin et que leurs besoins fondamentaux seront comblés. Présenter une plainte contre un travailleur de soutien ou faire part de ses préoccupations à l’égard d’un service risque de menacer ou de mettre un terme à ces relations, ce qui peut avoir des conséquences désastreuses sur la personne handicapée[315].

Il n’est pas surprenant de constater que les personnes handicapées ont un sentiment de sécurité plus faible que la moyenne[316]. 

Interprétation du principe

Ce principe tire son origine des dispositions de la CDPH qui énoncent les droits à la liberté et à la sécurité de la personne; de ne pas être soumis à la torture ni à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants; de ne pas être soumis à l’exploitation, à la violence et à la maltraitance; à un niveau de vie adéquat et à une protection sociale; ainsi que de jouir du meilleur état de santé possible[317]. La CDPH reconnaît particulièrement les risques plus élevés d’abus et d’exploitation auxquels les femmes et les filles handicapées font face[318]. Le droit à la sécurité de la personne conféré en vertu de l’article 7 de la Charte et la mention selon laquelle il ne peut être porté atteinte à ce droit qu’en conformité avec les principes de justice fondamentale s’appliquent également. Le principe reconnaissant le droit à la sécurité suppose la prise en considération des obstacles socioéconomiques auxquels font face les personnes handicapées, de leurs taux de mauvais traitements et d’exploitation plus élevés que la moyenne[319], ainsi que des défis auxquels les personnes handicapées victimes de mauvais traitements ou d’exploitation sont confrontées lorsqu’elles cherchent à obtenir des services et des mesures de soutien[320].

Les restrictions imposées par le passé aux personnes handicapées à la suite des interventions des autres, qu’elles soient bien intentionnées ou non, rendent ce principe controversé. Il existe un risque que le principe du droit à la sécurité soit interprété de manière à favoriser les interventions paternalistes dans la vie des personnes handicapées. Néanmoins, la conception des lois et des politiques et les interventions du secteur privé ne doivent pas compromettre la sécurité des personnes handicapées. Il est possible de se protéger contre l’usage abusif de ce principe par l’application des autres principes, comme celui de l’amélioration de l’autonomie et de l’indépendance. La section D.3 du présent chapitre suggère un moyen de régler les conflits éventuels entre l’avancement du droit à la sécurité et les autres principes, notamment le principe d’amélioration de l’autonomie et de l’indépendance ou du respect de la dignité et de la valeur.

6.               La reconnaissance de l’appartenance à la société

Définition : Ce principe reconnaît que les personnes handicapées sont des membres de la société qui ont des droits et des responsabilités, au même titre que les autres membres de la société.

Le principe et les expériences des personnes handicapées

Chacun de nous a de multiples identités, entretient de nombreux liens et appartient à diverses collectivités. Pour les personnes handicapées, la déficience ne constitue qu’une partie de ces aspects. En effet, les personnes handicapées font partie de la collectivité plus vaste au sein de laquelle elles entretiennent divers liens et ont des droits et des obligations réciproques. Le bien-être des personnes handicapées – en tant que citoyens, parents et membres de la famille, travailleurs et bénévoles, contribuables et bénéficiaires de services – est étroitement lié au bien-être de la société dans son ensemble. Bien entendu, le contraire est aussi vrai. Les personnes handicapées et le droit qui les concerne font partie de ce contexte plus vaste.

Interprétation du principe

Dans son préambule, la CDPH reconnaît que « l’individu, étant donné ses obligations envers les autres individus et la société à laquelle il appartient, est tenu de faire son possible pour promouvoir et respecter les droits reconnus dans la Charte internationale des droits de l’homme[321] ». Le document À l’unisson définit la citoyenneté comme « une affaire de droits et de responsabilités. Elle implique la participation et la contribution aux systèmes et aux services de base auxquels tous les Canadiens peuvent participer et auxquels la plupart des Canadiens ont accès[322]. »

Un principe qui tient compte des diverses collectivités auxquelles appartiennent les personnes handicapées est susceptible de renforcer la reconnaissance de la différence et de la diversité et d’ajouter de nouvelles dimensions au droit à la participation et à l’inclusion. Il pourrait également se révéler utile pour définir et analyser les conflits qui risquent de survenir entre les droits des personnes handicapées et ceux des autres membres de la collectivité.

Ce principe reconnaît également que les gouvernements et les intervenants du secteur privé ne sont pas toujours en mesure de répondre aux multiples demandes qui leur sont adressées. Ces demandes présentent souvent un lien avec le but de l’inclusion sociale, entre autres. Ce principe ne vise pas à négliger les revendications des personnes handicapées à la faveur de celles des autres, mais plutôt à admettre que les revendications et les droits des personnes handicapées ont parfois une incidence sur les autres membres de la société, tout comme le contraire est aussi vrai. Pour évaluer ces diverses revendications, il faudra tenir compte des autres principes afin de s’assurer que les besoins des personnes handicapées ne sont pas considérés comme ayant une importance moindre que ceux des autres et de reconnaître les situations où ces besoins sont, au contraire, plus importants.

L’exemple suivant illustre la façon dont les lois, les politiques et les programmes touchant les personnes handicapées doivent être pris en considération dans le contexte plus vaste du rôle que ces personnes jouent dans leur collectivité et dont ces politiques peuvent être liées à celles-ci et les toucher.

________________________________________________________________________________________________

EXEMPLE : LA RECONNAISSANCE DE L’APPARTENANCE À LA SOCIÉTÉ

Personnes âgées autochtones handicapées, accès aux soins communautaires et collectivités dans les réserves

Les personnes âgées autochtones[323] représentent une proportion relativement restreinte de leur collectivité, étant donné que, en moyenne, la population autochtone est plus jeune que le reste de la population canadienne. En 2006, 242 495 Autochtones vivaient en Ontario, et les personnes âgées autochtones représentaient environ 5 % de ce groupe (ce qui correspond à la proportion à l’échelle canadienne)[324]. La population autochtone est relativement jeune en raison de ses taux de fécondité et de natalité plus élevés. On s’attend toutefois à ce que le nombre de personnes âgées double d’ici 2017, notamment du fait de la hausse de l’espérance de vie[325]. Les personnes âgées autochtones représenteront une portion de plus en plus grande de la population autochtone.

Les personnes âgées autochtones sont plus susceptibles d’être handicapées que les personnes âgées non autochtones et de le devenir à un plus jeune âge. La majorité des personnes âgées issues de collectivités des Premières nations ou inuites ont vécu dans des conditions insalubres et ont eu une moins bonne santé pour la plus grande partie de leur vie[326]. Le taux d’incapacité des Inuits et des membres des Premières nations vivant dans les réserves, chez les adultes, est d’environ 28 %. Cette proportion est presque une fois et demie plus élevée que le taux d’incapacité du reste de la population canadienne[327]. Les personnes handicapées de plus de 60 ans issues des Premières nations sont plus susceptibles de qualifier leur état de santé de passable ou de mauvais que les personnes non handicapées[328]. L’état de santé inférieur des peuples autochtones fait en sorte que les personnes âgées autochtones deviennent des personnes à charge plus jeunes que leurs homologues non autochtones.[329]

De nombreuses cultures autochtones mettent l’accent sur la famille élargie et les groupes de parents qui attachent beaucoup d’importance au partage et aux soins pour l’ensemble des membres de la collectivité. C’est pourquoi ils favorisent souvent les soins continus des personnes âgées autochtones dans la collectivité plutôt que les soins institutionnels dans un foyer de soins de longue durée. La majorité des personnes âgées autochtones préféreraient recevoir des soins à domicile prodigués par des fournisseurs de soins rémunérés ou des membres de leur famille, plutôt que dans un foyer de soins de longue durée[330]. De même, la plupart des enfants de ces personnes âgées préféreraient que leurs parents reçoivent des soins à domicile prodigués par des fournisseurs de soins rémunérés ou des membres de la famille[331]. Une étude menée en Nouvelle-Écosse a révélé que, parmi les facteurs ayant une incidence sur l’accès des Autochtones aux soins de longue durée :

[traduction]
Les gens sont convaincus qu’il est culturellement inacceptable qu’un membre de la famille soit placé dans un établissement de soins de longue durée, même si cela était préférable en ce qui concerne les soins de santé. Un répondant a précisé que les membres de la collectivité auraient une piètre opinion d’une famille qui agirait ainsi. Plusieurs collectivités ont souligné l’importance de la langue et indiqué que les résidents potentiels, particulièrement les personnes âgées atteintes de démence, ne seraient pas en mesure de communiquer avec le personnel de l’établissement ou avec les autres résidents. En outre, les répondants ont indiqué que ni les familles ni les résidents potentiels ne souhaitent se retrouver dans un établissement, entourés de personnes non autochtones[332].

Toutefois, dans de nombreuses réserves, il existe d’importantes difficultés à la prestation de soins dans la collectivité, y compris, par exemple, la pénurie grave de logements accessibles et adéquats dans bon nombre de collectivités des Premières nations. Or, cette pénurie dans les réserves est en partie responsable du statut socioéconomique inférieur des personnes âgées des Premières nations. Souvent, les logements existants dans la réserve sont de qualité inférieure et surpeuplés[333]. La structure, la plomberie, le système de chauffage et le système électrique de nombreux domiciles doivent faire l’objet de réparations importantes[334]. Plus d’un tiers des adultes issus des Premières nations vivent dans un domicile exigeant des travaux de réparation considérables[335]. L’accessibilité dans les maisons et les immeubles des réserves laisse souvent à désirer et peut contribuer à pousser des personnes âgées handicapées et fragiles des Premières nations à déménager dans des établissements, notamment des foyers de soins de longue durée, qui sont adaptés à leur incapacité[336].

Comme on peut s’y attendre, il est plus difficile d’accéder aux services de santé communautaires dans le Nord ou dans les collectivités éloignées[337]. Bien que le ministère de la Santé et des Soins de longue durée finance les services de soutien communautaire et d’aide familiale pour bien des collectivités des Premières nations, les endroits éloignés comprennent des difficultés additionnelles. Ainsi, dans certaines collectivités reculées, les infirmières sont régulièrement disponibles, tandis que les médecins s’y rendent mensuellement en avion[338]. Pour 35 % des Premières nations, les médecins de premier recours sont situés à plus de 90 km[339]. Certaines collectivités plus petites ne peuvent pas, pour des motifs économiques, disposer d’une installation médicale[340] et risquent en outre d’éprouver de la difficulté à embaucher et à conserver un personnel soignant qualifié[341]. Nombreuses sont les collectivités qui n’ont pas de fournisseurs de soins adéquats ni de représentants en santé communautaire en mesure de fournir des services de soutien communautaire aux fragiles personnes âgées autochtones[342]. Selon l’Enquête régionale longitudinale sur la santé, il y a un écart important entre les besoins en matière de soins à domicile des personnes âgées autochtones et les services qu’elles reçoivent en réalité, et ce, pour un large éventail de services[343]. En 2011, le ministère de la Santé et des Soins de longue durée a mis en place un Comité trilatéral des hauts fonctionnaires sur la santé des Premières nations composé de hauts représentants de l’Ontario, du gouvernement fédéral et des Premières nations. Ce comité avait pour objectif de cerner les lacunes des services de santé à l’intention des membres des Premières nations vivant dans les réserves et d’améliorer l’intégration et la coordination des services de santé financés par les gouvernements fédéral et provincial[344].

Les questions de compétence peuvent créer des obstacles à l’élaboration de services de soutien communautaire efficaces pour les personnes âgées autochtones qui deviennent handicapées. C’est l’Ontario qui a la compétence sur l’administration des services de santé dans la province, sauf en ce qui concerne les populations relevant de la compétence fédérale, ce qui comprend les « Indiens » et les réserves[345]. Le gouvernement fédéral adopte la position selon laquelle sa responsabilité à l’égard des réserves ne comprend pas la mise en place de foyers de soins de longue durée. Le gouvernement de l’Ontario a financé de tels établissements dans 4 des 126 collectivités des Premières nations de l’Ontario : à Akwesasne, à Southwold, à Ohsweken et à Wikwemikong[346]. 

Le Programme de soins à domicile et en milieu communautaire des Premières nations et des Inuits (PSDMCPNI) du gouvernement fédéral à l’intention des collectivités des réserves offre des soins communautaires de longue durée de niveau inférieur conçu pour fournir une assistance minimale dans le cadre d’activités quotidiennes et des services de soins de santé appropriés, mais ne fournit pas les soins plus intensifs prodigués par les établissements de soins de longue durée[347]. L’Ontario a élaboré un programme axé sur les soins de santé aux Autochtones : la Stratégie de ressourcement pour le mieux-être des Autochtones (SRMA). Celle-ci a été mise en place en 1994 dans le but de favoriser les soins et la guérison des peuples autochtones et d’accroître la pertinence culturelle des services de soins de santé offerts aux Autochtones de la province. La SRMA fournit du financement pour de nombreux programmes, y compris des centres de santé, des centres de santé maternelle et infantile, des centres de soins, des travailleurs communautaires, des programmes de sensibilisation à la santé, des refuges, des pavillons de ressourcement, des centres de traitement, des services de traduction et juridiques[348]. Les soins de longue durée ne font toutefois pas partie de son mandat. Ainsi, il existe très peu de soins de longue durée à la disposition des Autochtones au sein de leur collectivité. Comme on l’a mentionné précédemment, les établissements de soins de longue durée situés dans les collectivités des Premières nations sont très rares[349]. Par conséquent, les personnes âgées des Premières nations vivant dans les réserves ont le choix entre déménager dans un établissement, parfois très éloigné, à l’extérieur de leur collectivité, ou rester au sein de celle-ci, mais sans recevoir de soins adéquats[350].

Les personnes qui décident de présenter une demande pour recevoir des soins de longue durée n’ont aucune garantie qu’elles pourront trouver une place dans un foyer de soins de longue durée dans leur collectivité ou à proximité. Actuellement, les régions urbaines et rurales du Canada manquent singulièrement de foyers de soins de longue durée[351]. En 2011, le temps d’attente médian pour obtenir un lit pour soins de longue durée en Ontario était de 103 jours, ce qui est beaucoup plus élevé qu’en 2005[352]. Même après une longue attente, les personnes âgées autochtones n’obtiendront pas nécessairement une place dans le foyer de soins de longue durée de leur choix (par exemple, un foyer situé à proximité de leur collectivité). En 2011, seulement 40 % des personnes placées pour la première fois dans un foyer de soins de longue durée de l’Ontario ont obtenu leur premier choix[353]. Les longues attentes font en sorte que les personnes âgées subissent une forte pression pour accepter la première place disponible, même dans un foyer ne leur convenant pas sur le plan géographique ou culturel.

En outre, l’information sur les foyers de soins de longue durée est souvent axée sur les personnes non autochtones et est rarement disponible en langue autochtone[354]. Cet obstacle à l’accès à l’information est aggravé par l’ambiguïté qui plane sur la compétence des services de santé à l’intention des Autochtones. Il se peut que les personnes âgées autochtones ne sachent pas exactement si des foyers de soins de longue durée leur sont disponibles et, le cas échéant, auxquels ils ont accès[355].

Compte tenu de tous ces facteurs, les Autochtones handicapés peuvent être obligés de quitter leur collectivité pour obtenir des soins et des services de soutien adéquats. Une telle situation peut entraîner un bouleversement majeur pour ces personnes. Ces dernières sont plus susceptibles que leurs homologues non autochtones d’avoir vécu un événement traumatisant, comme de la violence sexuelle durant leur enfance, des expériences au pensionnat ou le déménagement de leur collectivité loin de leurs territoires ancestraux[356]. L’expérience des personnes âgées autochtones dans les pensionnats, exploités conjointement par le gouvernement fédéral et l’église des années 1920 jusqu’au milieu des années 1990, constitue un facteur important susceptible d’avoir une incidence sur leur transition dans des foyers de soins de longue durée. Environ 43 % des adultes des Premières nations de plus de 60 ans et 47 % de ceux entre 50 et 59 ans ont fréquenté ces écoles[357]. D’une façon générale, l’expérience des pensionnats a eu des effets permanents sur la santé et le bien-être des personnes âgées autochtones[358]. De plus, on a fait observer que cette expérience pourrait en partie expliquer la moins bonne santé des Autochtones par rapport à leurs homologues non autochtones[359]. Les survivants sont particulièrement susceptibles d’avoir une faible estime de soi et une plus grande dépendance à cause du dénigrement de leur culture et de la perte de leurs modes de vie traditionnels[360]. Pour ces personnes, tout particulièrement celles qui ont développé une forme de démence ou une déficience mentale ou cognitive à un âge avancé, le fait de devoir habiter dans un établissement de soins de longue durée de la collectivité majoritaire peut être singulièrement traumatisant.

Les personnes âgées autochtones peuvent aussi éprouver de la solitude sur le plan spirituel lorsqu’elles n’ont pas la possibilité de pratiquer leur foi ou qu’elles sont coupées de leurs racines culturelles[361]. Ce sentiment peut être exacerbé lorsqu’elles s’établissent dans un foyer de soins de longue durée ne disposant pas d’installations spirituelles, comme des pavillons de ressourcement, et qu’elles n’ont pas accès à des chefs spirituels ni aux cérémonies[362].

En outre, le départ des personnes âgées pour les foyers de soins de longue durée à l’extérieur de leur collectivité peut avoir une incidence considérable sur la collectivité elle-même. Les personnes âgées autochtones jouent parfois le rôle le plus important dans le transfert des connaissances traditionnelles et de la langue aux générations plus jeunes, puisque leur groupe d’âge représente la proportion la plus élevée d’Autochtones qui parlent une langue autochtone[363]. Dans les cultures autochtones d’hier et d’aujourd’hui, les aînés jouent un rôle de premier plan dans la vie familiale. Ils sont considérés comme une source primordiale de discipline, d’orientation spirituelle, de savoirs culturels et traditionnels, qu’ils transmettent aux plus jeunes membres de la collectivité[364]. Bien qu’il ne suffit pas d’atteindre un certain âge pour être considéré comme un aîné, puisqu’il s’agit d’un statut obtenu après des années de formation et de perfectionnement, les personnes âgées sont très respectées dans la plupart des cultures autochtones[365]. Le fait que les personnes âgées autochtones doivent quitter leur collectivité afin d’obtenir les soins et les services de soutien dont elles ont besoin a donc une incidence considérable, non seulement sur les personnes en question, mais aussi sur leur collectivité. 

Cet exemple souligne le fait que, comme chacun d’entre nous, les personnes handicapées ont des responsabilités aussi bien que des droits : envers leur famille, leur collectivité et la société dans son ensemble. Les lois, les politiques et les pratiques doivent donc en tenir compte et, s’il y a lieu, veiller à ce que ces personnes puissent s’en acquitter. L’exemple est présenté dans le contexte d’une histoire, d’une culture et d’une collectivité particulières, mais il s’applique aussi bien à d’autres contextes et à la société en général.

Bien que l’on puisse saisir les questions relatives au manque de services de soutien pour les personnes âgées autochtones handicapées sous l’angle de leur incidence sur les personnes handicapées, il peut être également pertinent de l’examiner en tenant compte de l’incidence sur la famille et la collectivité de celles-ci. Tandis que les personnes âgées handicapées ne reçoivent pas le soutien dont elles ont besoin dans leur collectivité, elles ne sont pas en mesure de soutenir leur famille et de remplir leur rôle au sein de la collectivité, qui sont aussi perdantes dans une telle situation.

De surcroît, les droits et les responsabilités des personnes handicapées doivent être compris dans le contexte de leur collectivité : dans ce cas, en prenant en considération l’histoire, la culture et les ressources des collectivités autochtones.

Selon le principe de la reconnaissance de l’appartenance à la société, les personnes handicapées, en qualité de membres de la société, ont des responsabilités et des obligations réciproques. Il existe ainsi une relation de concessions mutuelles entre ces personnes et leur famille, leur collectivité et la société dans son ensemble. Cette relation peut être reconnue et soutenue par les lois, les politiques et les pratiques.

________________________________________________________________________________________________

D.             De l’aspiration à l’application : Le défi de l’application des principes

Comme on l’a mentionné précédemment dans ce chapitre, puisque les principes sont, par nature, abstraits et ambitieux, leur transposition dans un cadre fournissant des directives précises et concrètes aux législateurs et aux décideurs peut présenter des difficultés. La présente section décrit certaines démarches adoptées par la CDO pour relever les défis de l’application des principes.

 1.               Tenir compte des expériences des personnes handicapées

Bien qu’il soit très important de définir des principes concernant le droit et les personnes handicapées, on ne peut pas se fonder uniquement sur ceux-ci pour élaborer un cadre d’évaluation applicable à ce domaine du droit. Les principes doivent être solidement ancrés dans les expériences des personnes handicapées. Autrement, leur application entraînera l’élaboration de programmes, de politiques et de lois inefficaces. Les exemples de la CDO et l’analyse approfondie du chapitre V du présent rapport final illustrent, par divers exemples, comment le fait de porter une attention particulière aux expériences des personnes handicapées peut guider l’application des principes et y contribuer. 

À cette fin, il importe de comprendre la façon dont les expériences des personnes handicapées sont façonnées par leur parcours de vie. Pour chacun d’entre nous, la manière d’affronter chaque étape de la vie dépend grandement des ressources et des points de vue acquis à ce moment. Les obstacles ou les possibilités qui se présentent à un moment de notre vie auront des répercussions sur le reste de notre existence. Par exemple, les obstacles que rencontre une personne handicapée qui tente d’obtenir une éducation adéquate peuvent avoir des conséquences à long terme sur ses perspectives d’emploi et, par conséquent, sur sa situation socioéconomique, ce qui risque, par le fait même, d’avoir de nombreuses répercussions sur son état de santé, son accès au logement, sa capacité d’accéder au droit, et bien d’autres aspects de sa vie. 

Les lois sont généralement élaborées pour aborder un enjeu précis, lorsqu’un problème particulier surgit ou est décelé. Bien entendu, les gens ne voient pas leur vie comme un ensemble d’enjeux distincts ou d’aspects indépendants de leur identité. Par exemple, une personne peut être à la fois mère et handicapée : elle ne cesse pas d’être une mère lorsqu’elle a recours à des services pour personnes handicapées, et sa déficience ne disparaît pas lorsqu’elle cherche des services de garde ou de loisirs pour ses enfants. La personne handicapée qui souhaite s’instruire n’est pas distincte de celle qui, plus tard, est à la recherche d’un emploi. Il s’agit de deux étapes différentes d’un même parcours de vie. Les catégories sous lesquelles nous abordons le droit – notamment la famille, l’emploi, le logement, le soutien au revenu et les droits de la personne – ne reflètent pas nécessairement les interactions qu’ont les personnes handicapées avec le droit. Il est donc utile d’adopter une approche centrée sur la personne afin de comprendre le droit et d’appliquer les principes, et de concevoir le droit globalement, plutôt que comme une série de systèmes distincts.

2.               L’écart entre la visée et la mise en œuvre du droit – adoption d’une vision globale du droit

Il existe des lois dont les dispositions ont des répercussions négatives sur les personnes handicapées, soit parce que leur contenu reflète des attitudes capacitistes, soit parce qu’elles ne tiennent pas compte des réalités des personnes handicapées. Dans bien des cas, toutefois, le droit est rigoureux sur papier, mais problématique dans les faits. Les lois, les politiques et les pratiques qui semblent avoir un effet neutre ou même favorable sur les personnes handicapées peuvent faillir à leurs objectifs ou avoir des conséquences négatives non désirées. Cette situation peut être attribuable à de nombreux facteurs, présentés au chapitre II, dont les attitudes négatives des responsables de la mise en œuvre de la loi ou de la politique, le défaut de rendre les programmes et les services accessibles aux personnes handicapées, les processus contradictoires adoptés pour la mise en œuvre des programmes, les ressources limitées, ainsi que le manque de surveillance, de transparence et de reddition de comptes.

Cette réalité souligne l’importance d’adopter une vision globale « du droit » lorsqu’on applique les principes. Il est tout aussi nécessaire de mener une analyse approfondie du libellé des lois et des politiques que d’acquérir une bonne compréhension des conséquences du droit tel qu’il est mis en œuvre. Par conséquent, pour les besoins du cadre, la CDO a employé le terme « droit » dans son sens large, lequel englobe non seulement les lois et les règlements, mais aussi leurs politiques d’application ainsi que les stratégies et les pratiques par lesquelles ils sont mis en œuvre.

Il est évident que pour comprendre les conséquences du droit, nous devons prêter l’oreille à ceux qui sont directement touchés par celui-ci, c’est-à-dire les responsables de sa mise en œuvre et les personnes handicapées dont la vie est façonnée par le droit. Ainsi, la nécessité de combler l’« écart entre la visée et la mise en œuvre du droit » souligne encore une fois l’importance d’inclure les personnes handicapées au processus d’élaboration et de réforme du droit et de respecter leurs points de vue.

3.               Liens entre les principes

Comme le démontrent les quelques survols ci-dessus, les principes ne peuvent être séparés nettement les uns des autres, et ils ont entre eux de multiples relations. Par exemple, on ne peut acquérir la dignité et l’indépendance sans la sécurité. La sécurité est elle-même fondée sur le respect de la valeur et de la dignité inhérentes des personnes handicapées.

Toutefois, il peut aussi y avoir des conflits entre les principes. Dans certains cas, deux principes peuvent s’opposer relativement à une même personne. Parmi les enjeux fréquemment soulevés, mentionnons le traitement involontaire des personnes atteintes d’une déficience mentale. La capacité de prendre des décisions à propos de son propre traitement médical est fondamentale à l’autonomie et à l’intégrité physique. D’un autre côté, certains défendent le « droit d’être bien portant » et font valoir que permettre aux personnes atteintes d’une déficience mentale de refuser un traitement peut compromettre leur atteinte des autres principes, comme ceux du droit à la sécurité et de l’inclusion sociale. De tels conflits ne comportent pas nécessairement de solutions simples, mais il est important de les reconnaître et de les aborder.

Il y a aussi des cas où des principes peuvent s’opposer relativement à deux personnes ou à deux collectivités différentes. Par exemple, les personnes sourdes peuvent préférer, comme choix d’établissement d’enseignement, les écoles destinées à la collectivité des sourds, où les cours sont donnés en langage gestuel, afin d’assurer la perpétuation de leur langue et de leur culture, tandis que la collectivité des personnes atteintes d’une déficience intellectuelle peut pencher pour l’intégration des élèves atteints d’une déficience intellectuelle dans les écoles ordinaires. Dans cet exemple, les principes de la reconnaissance de la différence et de la diversité, d’une part, et de l’inclusion et la participation, d’autre part, sont en conflit.

En évaluant les différents conflits qui surviennent entre des principes, on doit absolument être sensible aux contextes dans lesquels la situation s’est produite[366]. Quels droits ou résultats précis sont en jeu dans cette situation particulière? Qui pourrait en être touché? Quelle incidence l’application partielle d’un principe peut-elle avoir sur la réalisation d’autres principes? Bref, il faut examiner les conflits d’un point de vue global et nuancé.

De plus, un examen des conflits existants, particulièrement entre le principe de la sécurité et celui de l’indépendance et de l’autonomie, devrait tenir compte du contexte social général dans lequel ces conflits surviennent. Dans l’exemple ci-dessus sur le traitement involontaire, l’un des facteurs en jeu pourrait être le manque d’autres types de mesures de soutien pour les personnes atteintes d’une déficience mentale découlant de décisions en matière de politiques et de ressources. Dans un tel cas, le véritable enjeu n’est pas nécessairement le conflit entre les principes de l’autonomie et de la sécurité, mais plutôt les répercussions, sur ces deux principes, du manque de ressources adéquates pour maximiser leur réalisation. Bref, on ne devrait pas réduire trop rapidement ce type de difficulté à un conflit entre des principes.

Une piste possible pour résoudre les conflits qui surviennent entre des principes est de créer une hiérarchie des principes afin de déterminer lequel devrait prévaloir dans l’éventualité d’une opposition avec un autre principe. L’un des avantages d’une telle approche est la prévisibilité et la simplicité de son application. Cependant, la nature quelque peu mécanique de ce procédé ne tient pas compte de la diversité des enjeux dans lesquels ces conflits se manifestent[367]. Elle ne tient pas compte non plus de l’interdépendance des principes. En mettant le principe de dignité, par exemple, au-dessus des autres principes, on exclut la possibilité que des restrictions à la réalisation d’autres principes, comme l’autonomie ou la participation, puissent contribuer à une diminution globale du respect de la dignité des personnes handicapées. Pour cette raison, les approches hiérarchiques ont généralement été écartées dans le domaine des droits. Par exemple, le préambule de la CDPH réaffirme « le caractère universel, indivisible, interdépendant et indissociable de tous les droits de l’homme et de toutes les libertés fondamentales ». La Commission ontarienne des droits de la personne a terminé il y a peu l’élaboration d’une Politique sur les droits de la personne contradictoires exhaustive qui insiste sur le fait qu’aucun droit n’est absolu, mais comporte des limites inhérentes découlant des droits et libertés d’autrui et que « les droits méritent tous le même respect et il faut éviter une approche qui placerait certains droits au-devant d’autres[368] ».

Les concepts de « conciliation » ou d’« équilibre », qui ont été étudiés relativement aux droits concurrents, pourraient être utiles dans ce contexte[369]. La conciliation désigne la tentative d’accorder une reconnaissance adéquate aux deux principes dans la plus grande mesure possible[370]. L’équilibre peut consister à pondérer un principe par rapport à un autre. Le recours à la pondération peut avoir pour inconvénient de donner l’impression que les principes sont en fait concurrents et qu’ils doivent être vus d’un point de vue hiérarchique[371]. D’après la Politique sur les droits de la personne contradictoires : « En cas de conflit apparent entre des droits, les principes de la Charte exigent d’adopter une approche qui respecte le plus possible l’importance des deux catégories de droits concernés […] Des compromis potentiels aux deux catégories de droits, décrits récemment par la Cour d’appel de l’Ontario comme des “compromis constructifs”, sont des solutions possibles dans le cadre de l’effort de conciliation. » Il existe toutefois des situations où la conciliation est impossible et où un droit doit céder la place à un autre[372].

Pour résoudre les conflits qui surviennent entre des principes, il est bon de se rappeler que ceux-ci ont d’abord été élaborés en vue de réagir à la marginalisation, à l’exclusion et à l’oppression des personnes handicapées. Autrement dit, lorsqu’on examine les moyens de résoudre les conflits entre des principes, on doit considérer les types particuliers d’obstacles que les principes avaient pour but de résoudre, et l’incidence qu’une approche précise destinée à résoudre les conflits pourrait avoir sur la réalisation des objectifs généraux d’une démarche anticapacitiste dans le domaine du droit[373].

Il est aussi important de réaliser qu’il ne faut pas examiner les principes en conflit de façon isolée : lorsqu’on tente de résoudre des conflits, il est souvent utile de se demander de quelle manière les autres principes, dont l’implication n’est pas nécessairement évidente, peuvent contribuer à la résolution.

4.               Tenir compte des réalités changeantes et reconnaître les contraintes

L’application des principes ne peut pas être figée dans le temps. Les réalités des personnes handicapées continueront de changer à mesure que les lois, les attitudes, les tendances démographiques et les autres aspects de l’environnement plus vaste évolueront. En outre, la compréhension du handicap ne cesse d’évoluer et de nouveaux points de vue sur le sujet se font entendre. Ce qui pourrait être considéré comme favorable à la réalisation des principes à un moment pourrait sembler inutile ou inapproprié l’instant d’après.

Bien entendu, même si l’on souhaite appliquer ces principes le plus intégralement possible, on peut parfois se heurter à certaines contraintes, comme des ressources limitées, des besoins conflictuels ou des priorités stratégiques.

Par conséquent, on peut adopter une démarche progressive à l’endroit des principes, en visant l’amélioration continue. Les efforts pour améliorer le droit devraient être constants et être entrepris à mesure qu’évoluent les façons de concevoir les expériences des personnes handicapées, que les ressources se libèrent ou que le contexte s’y prête. Lorsqu’il existe des contraintes, on doit mettre en œuvre au départ le plus d’éléments possible des principes, puis déterminer et prévoir sans cesse des mesures concrètes en vue de faire progresser encore davantage la réalisation de ceux-ci.

Dans le domaine du droit international en matière de droits de la personne, le cadre sur « la protection, le respect et la mise en œuvre des droits » sert à analyser et à favoriser l’exécution des obligations en matière de droits de la personne. Selon cette analyse, les États doivent aborder leurs obligations en matière de droits de la personne de trois façons[374] :

  1. L’obligation de respecter les droits – Les États parties doivent s’abstenir d’entraver la réalisation des droits.
  2. L’obligation de protéger les droits – Les États parties doivent prendre des mesures immédiates afin d’empêcher la violation de ces droits par des tiers et fournir un accès aux recours légaux lorsque des violations surviennent.
  3. L’obligation de mettre en œuvre les droits – Les États parties doivent prendre des mesures législatives, administratives, financières, judiciaires ou autres en vue d’assurer le plein exercice de ces droits. 

Cette approche peut s’avérer utile pour analyser et faciliter l’application des principes concernant le droit et les personnes handicapées ou, en fait, tout autre groupe. Les gouvernements sont tenus minimalement de s’abstenir de violer les principes (c’est-à-dire qu’ils doivent les respecter et les protéger), mais ils peuvent mettre ceux-ci en application graduellement, à mesure que la compréhension des questions touchant les personnes handicapées évolue et que les ressources, y compris les ressources financières et la technologie, deviennent disponibles.

 

Précédent Suivant
D’abord Bout
Table des matières