S’appuyant sur les approches énoncées dans le chapitre I et sur les contextes et les thèmes mentionnés dans le chapitre II, le présent chapitre déterminera et définira les principes qui serviront de fondement au cadre d’évaluation pour le droit touchant les personnes handicapées, et dégagera certains points à considérer pour l’application de ces principes. Comme il a été souligné dans le chapitre précédent, le terme « droit » désigne non seulement les lois et les règlements, mais également les politiques et les pratiques utilisées pour les mettre en œuvre. Il doit donc être interprété dans son sens large.

A.              Adopter une démarche fondée sur des principes

Comme on l’a vu au chapitre I, la CDO a choisi au début du présent projet de fonder son cadre sur un ensemble de principes[192]. 

Les principes sont normatifs et peuvent jouer un rôle de catalyseur en vue de sensibiliser la population aux réalités des personnes handicapées et de changer les attitudes envers celles-ci. Par leur nature, les principes sont également ambitieux et peuvent nous aider à déterminer les objectifs que devraient viser les lois et les politiques relativement aux personnes handicapées. Une démarche fondée sur des principes peut contribuer à garantir que les objectifs du droit cadrent avec les aspirations des personnes handicapées, tout en reconnaissant que ces aspirations (et le droit en soi) sont en constante évolution. 

Comme il en a été fait mention dans le chapitre précédent, le droit touchant les personnes handicapées est vaste, diversifié et parfois contradictoire[193]. Des douzaines de lois ciblent directement certaines personnes handicapées ou l’ensemble d’entre elles. Plusieurs de ces lois, notamment celles qui régissent l’éducation spécialisée et le Programme ontarien de soutien aux personnes handicapées (POSPH), vont de pair avec des ensembles de politiques et de processus vastes et complexes et une bureaucratie étouffante. De plus, il va sans dire que toutes les lois d’application générale, par définition, touchent les personnes handicapées, parfois de manière différente ou disproportionnée par rapport aux personnes qui ne sont pas atteintes d’une incapacité. Comme on pourrait s’y attendre, si le droit touchant les personnes handicapées est souvent fragmentaire et difficile à comprendre, il est encore moins simple de s’y retrouver. Une démarche fondée sur des principes pourrait présenter un moyen clair et cohérent, quoique souple, d’évaluer ce large éventail de lois.

En outre, une démarche fondée sur des principes prend appui sur le travail considérable réalisé au cours des dernières décennies. Les personnes handicapées, en collaboration avec les organismes qui les représentent, les servent ou les défendent, ont entrepris de définir des principes qui tiennent compte de leurs expériences et de leurs aspirations, puis de veiller à leur intégration dans les lois et les politiques publiques. La Charte canadienne des droits et libertés (la Charte) et le Code des droits de la personne de l’Ontario (le Code) (et la jurisprudence connexe), les lois telles que la Loi de 2005 sur l’accessibilité pour les personnes handicapées de l’Ontario (LAPHO), les documents de politiques publiques comme À l’unisson et les documents internationaux comme la Convention relative aux droits des personnes handicapées (la Convention ou CDPH) reflètent tous ces principes fondamentaux, à divers degrés et selon le contexte qui leur est propre. Une démarche fondée sur des principes permet donc de s’assurer que le travail de la CDO repose sur tout ce qui a déjà été fait et vient s’y ajouter, et qu’il peut contribuer à l’évolution constante de ce domaine. L’annexe B du présent rapport final donne un aperçu des sources de première importance pour l’affirmation des principes de la CDO. 

Puisque les principes sont abstraits, le cadre qui en découle doit relever un défi de taille qui consiste à ancrer ces principes dans des expériences tangibles et à s’assurer que leurs répercussions et leurs interprétations sont suffisamment concrètes pour permettre leur application dans la vie quotidienne. Ce défi est exposé en détail plus loin dans le présent chapitre et il est examiné dans le contexte de lois particulières dans les exemples présentés dans l’ensemble du rapport final ainsi que dans l’exemple étendu sur l’application du cadre au chapitre V.

 

B.              L’égalité réelle : une valeur prépondérante

Certains documents évoqués ci-dessus incluent l’égalité parmi les valeurs ou les principes. Plus particulièrement, l’égalité et la non-discrimination sont des éléments centraux de la Charte et du Code.

Plutôt que de faire de l’égalité un principe distinct, la CDO a conclu qu’il était plus approprié de décrire l’égalité réelle comme étant « une valeur sous-jacente » ou un objectif que le respect des principes permettrait d’atteindre et qui devrait guider l’interprétation des principes.

L’interprétation du concept d’égalité est source de discussions et de débats constants, et la jurisprudence concernant l’égalité ne cesse d’évoluer. De même, sa signification en tant que valeur sous-jacente des principes évoluera.

L’« égalité » est souvent liée à la « non-discrimination », et, à certains égards, toutes deux visent à atteindre des résultats similaires. Le concept de la non-discrimination s’étant confondu peu à peu avec la notion d’égalité, même la définition générale de l’égalité inclut l’idée que certains groupes (et pas nécessairement d’autres) ont subi un traitement inégal et méritent d’être traités également. Il existe toutefois une différence majeure entre ces deux notions. La « non-discrimination » suppose une comparaison entre une personne qui s’est fait refuser un avantage ou une possibilité, par exemple, et d’autres personnes qui n’ont pas les mêmes caractéristiques distinctives. Il existe une présomption implicite selon laquelle la façon dont le groupe de comparaison est traité ou les possibilités qui lui sont offertes représentent la norme à respecter. Autant le demandeur que le groupe de comparaison peuvent être « mal » traités, mais de manière égale et sans discrimination, même si la façon dont ils sont traités correspond à une norme peu élevée. Par conséquent, les gouvernements qui doivent accorder des avantages à un groupe qui n’en bénéficiait pas auparavant parce que l’exclusion constitue de la discrimination peuvent décider de ne plus offrir ces avantages plutôt que d’en étendre la portée. 

L’approche de la CDO concerne l’égalité réelle plutôt que formelle. Dans une affaire récente portant sur les critères fondés sur l’âge, la Cour suprême du Canada affirmait ceci :

L’égalité réelle, contrairement à l’égalité formelle, n’admet pas la simple différence ou absence de différence comme justification d’un traitement différent. Elle transcende les similitudes et distinctions apparentes. Elle demande qu’on détermine non seulement sur quelles caractéristiques est fondé le traitement différent, mais également si ces caractéristiques sont pertinentes dans les circonstances. L’analyse est centrée sur l’effet réel de la mesure législative contestée et tient compte de l’ensemble des facteurs sociaux, politiques, économiques et historiques inhérents au groupe. Cette analyse peut démontrer qu’un traitement différent est discriminatoire en raison de son effet préjudiciable ou de l’application d’un stéréotype négatif ou, au contraire, qu’il est nécessaire pour améliorer la situation véritable du groupe de demandeurs[194].

L’égalité réelle exige des intervenants du gouvernement et du secteur privé qu’ils prennent les mesures nécessaires pour que tous les citoyens aient accès aux avantages, aux mesures de soutien, aux programmes et aux biens et services d’une manière qui tient compte de leurs besoins particuliers. Son objectif pourrait également être vu comme une « citoyenneté » à part entière au sein de la société. L’égalité réelle comprend notamment la non-discrimination, ce qui signifie que les personnes défavorisées ne doivent faire l’objet d’aucune distinction ayant pour but ou effet d’empêcher ou de limiter leur accès à des possibilités, à des avantages ou à la protection de la loi, ou de leur imposer des fardeaux, des obligations ou des désavantages qui ne sont pas imposés à d’autres. Cela signifie aussi, cependant, que les personnes handicapées ne se définissent pas par les obstacles auxquels elles font face, et qu’elles sont reconnues comme des membres de la société capables d’apporter une contribution et d’avoir des obligations, tout comme les autres membres. Si l’égalité réelle concerne des concepts intangibles tels que la dignité et la valeur, elle comporte aussi des possibilités concrètes pour les personnes handicapées, comme la participation, la prise en compte de ses besoins et le développement d’une société dont les structures et les organismes n’excluent pas les personnes handicapées.

 

C.              Principes concernant le droit et les personnes handicapées