A. Rôle de l’homologation judiciaire dans une société moderne
L’homologation est une procédure judiciaire qui réglemente la transmission de la richesse après le décès. Elle établit la validité des testaments et investit les personnes responsables de l’administration d’une succession du pouvoir de le faire. Les régimes d’homologation judiciaire existaient bien avant que le Statute of Frauds soit promulgué en 1677[4]. Le premier tribunal successoral a été créé en Ontario (Haut-Canada) en 1793, un an seulement après l’établissement de la nouvelle province[5]. De nos jours, les régimes d’homologation sont la norme au sein du Commonwealth et aux États-Unis.
Un régime d’homologation judiciaire remplit un certain nombre de fonctions. Il aide à la bonne administration des biens du défunt, ce qui permet de préserver la paix au sein de la collectivité et la stabilité dans le milieu commercial[6]. Il procure aux bénéficiaires et aux créanciers une certaine protection contre la mauvaise administration ou la fraude et informe le fiduciaire de la succession de ses responsabilités juridiques. En outre, il fournit un registre public des fiduciaires de la succession qui administrent des successions en Ontario.
Au fil des ans, les régimes d’homologation ont essuyé des critiques, particulièrement aux États-Unis, parce qu’ils causent des retards inutiles dans le règlement des successions, sont trop onéreux et manquent de confidentialité[7]. Les spécialistes en plans de succession ont commencé à organiser les biens de leurs clients afin de réduire au minimum ou d’éviter l’homologation.
Certains commentateurs américains soutiennent également que les régimes d’homologation sont en déphasage par rapport aux formes de richesses modernes ainsi qu’aux moyens de transférer ces richesses. De nos jours, les principaux biens composant une succession sont plus susceptibles d’être des biens personnels que des biens immeubles, ce qui était le cas, autrefois. Et il est plus probable que les biens personnels soient en la possession d’une institution financière. Selon une affirmation souvent citée par Roscoe Pound, [traduction] « À une époque mercantile, la richesse est en grande partie constituée de promesses[8] ». Les polices d’assurance-vie, les régimes de pension et les régimes enregistrés d’épargne peuvent tous être transférés directement au moment du décès en nommant un bénéficiaire désigné. Les biens peuvent également être détenus conjointement de sorte que, là encore, ils sont transférés directement au moment du décès. Ces transferts contournent le régime d’homologation, et la représentation juridique n’est pas habituellement nécessaire. C’est pourquoi certains types de transferts soustraits à l’homologation sont appelés [traduction] « testaments du pauvre[9] ».
La fréquence à laquelle ces biens sont soustraits à l’homologation et la facilité avec laquelle ils peuvent être transférés ferait oublier la nécessité et l’efficacité d’un régime d’homologation officiel[10]. Même si une quantité importante des richesses est transférée par le biais de ces instruments, ceux-ci ne sont pas assujettis au mécanisme officiel de protection de l’homologation[11]. Néanmoins, ces transferts sont tout aussi vulnérables à la fraude ou à l’exploitation financière que les transferts de succession. Les enfants adultes sont tout aussi susceptibles d’exercer une influence indue sur un parent pour le convaincre de placer ses biens en tenance conjointe que pour le convaincre de signer un testament[12].
Certains commentateurs font également valoir qu’une autre fonction des régimes d’homologation judiciaire, soit la protection des créanciers, est déphasée par rapport aux pratiques commerciales modernes. Les processus améliorés de sélection des données qui permettent de calculer et d’attester de la dette à la consommation ainsi que l’élaboration de pratiques d’octroi des prêts garantis indiquent que les créanciers comptent moins sur l’homologation pour recouvrer des créances[13]. De plus, une grande part de la richesse d’un défunt qu’un créancier peut attendre pour régler une dette risque d’être transférée en dehors du régime d’homologation de toute façon[14].
Ces préoccupations ont incité certaines personnes à mettre en question le caractère convenable du processus judiciaire pour surveiller l’administration des successions. Selon John Langbein :
[Traduction]
Comme la tradition procédurale anglo-américaine s’intéresse aux valeurs de l’accusation et du litige, la décision d’organiser une fonction sous la forme d’une procédure judiciaire est incompatible avec les intérêts auxquels les gens ordinaires attachent la plus haute importance lorsqu’ils pensent à la transmission de leurs biens à leur décès : la distribution, la simplicité, le coût bas et la confidentialité[15].
De façon similaire, John H. Martin fait valoir qu’un régime d’homologation judiciaire n’est pas justifié en l’absence d’une plainte d’une partie intéressée. Il rapporte les propos de Robert Stein et d’Ian Fierstein dans un article antérieur :
[Traduction]
Il semble peu judicieux d’exiger que des dizaines de milliers de successions engagent le temps et les dépenses associés à un examen judiciaire parce qu’un ou deux milliers de successions pourraient présenter un problème particulier[16].
M. Martin fait également remarquer qu’un régime d’homologation judiciaire obligatoire peut inspirer un faux sentiment de sécurité étant donné que sa capacité de prévenir l’exploitation financière est en quelque sorte limitée[17].
B. Fondement stratégique des procédures pour l’administration des petites successions
Le mouvement amorcé aux États-Unis en vue de simplifier, voire d’éliminer l’homologation judiciaire met l’accent sur le régime d’homologation dans son ensemble plutôt que sur le problème particulier des petites successions. Les procédures pour l’administration des petites successions sont considérées comme des mesures partielles destinées à améliorer la procédure d’homologation, au profit des petites successions tout spécialement. Les procédures d’administration des petites successions sont utiles en ce qu’elles permettent de réduire les délais et les dépenses associés au régime d’homologation. On pourrait même soutenir qu’elles préservent la légitimité de l’homologation en offrant un terrain d’entente entre les exigences du régime d’homologation intégral et l’absence de surveillance associée aux transferts soustraits à l’homologation. Les procédures d’administration des petites successions comportent certains risques, bien entendu, étant donné qu’elles assouplissent certains mécanismes de protection destinés à prévenir la fraude ou l’exploitation financière[18]. Cependant, ces risques doivent être examinés dans leur contexte. Le régime d’homologation ne fait rien pour prévenir la fraude ou l’exploitation financière dans les cas où les biens sont transférés en dehors de la succession. De plus, les procédures d’administration des petites successions pourraient, en fait, réduire l’exploitation financière en encourageant les représentants de la succession à les utiliser dans des situations où ils n’auraient pas déposé une demande en vue d’obtenir l’homologation. L’un des objectifs de ce projet consiste à examiner l’étendue des risques associés à l’instauration d’une procédure pour l’admini