Actuellement en Ontario, le même processus d’homologation s’applique à l’ensemble des successions sans égard à leur valeur; par contre l’impôt sur l’administration des successions varie en fonction de la valeur de la succession. Par conséquent, il n’existe aucun concept juridique désignant la petite succession en Ontario. Dans le cadre du présent projet, la CDO s’est penchée sur la définition qu’il faudrait donner à la notion de petite succession aux fins de l’accès à une procédure simplifiée, en supposant qu’un tel processus sera introduit en Ontario.

Plusieurs facteurs doivent donc être pris en compte. Ce chapitre porte d’abord sur ce que les membres du milieu de l’administration des successions considèrent actuellement comme une petite succession. Ensuite, la variabilité de la notion de petite succession et la difficulté de mesurer cette notion sont abordées. Nous considérons aussi la valeur limite établie et les autres critères d’admissibilité qui conviennent le mieux à la nouvelle procédure d’administration des petites successions en Ontario. Enfin, nous concluons en recommandant que toute nouvelle procédure d’administration des petites successions soit accessible aux successions dont la valeur brute est d’au plus 50 000 $, peu importe le type de biens qu’elles comportent.

 

A.  Idées courantes sur la signification de « petite succession »

Si on retient une idée qui a été répétée tout au long des consultations, c’est bien le fait qu’il n’y a aucune petite succession type définie aux fins de l’homologation. La complexité d’une succession ne se détermine pas simplement par sa valeur pécuniaire. L’homologation peut être requise pour une succession de 5 000 $, mais peut-être pas pour une succession de 100 000 $. Lors des consultations, des spécialistes ont raconté plusieurs cas où de très petites successions ont été homologuées, et ce, pour diverses raisons. Par exemple, un spécialiste a homologué une succession de 2 000 $ afin d’éviter le risque qu’un testament antérieur soit reconnu.

C’est cet écart entre la valeur et la complexité qui explique pourquoi le coût de l’homologation des petites successions peut être disproportionné par rapport à leur valeur. L’éventuelle complexité des successions, même dans le cas des successions très petites, soulève des préoccupations chez certains intervenants qui ne souhaitent pas l’adoption d’une procédure d’administration des petites successions comportant des protections procédurales réduites. Un spécialiste a indiqué ceci :

[Traduction]
Les difficultés liées aux demandes d’homologation ne concernent pas que les petites successions. Cependant, leur faible valeur crée une perception d’iniquité quant à la nécessité de se conformer aux procédures pour protéger les bénéficiaires, les créanciers, les tierces parties et les autres pouvant avoir un intérêt dans la succession[42].

Par ailleurs, bien que les spécialistes reconnaissent les complexités que peuvent comporter les petites successions, ils ont aussi souligné que de nombreuses petites successions sont simples et qu’elles profiteraient d’une procédure simplifiée. La plupart des spécialistes, de même que le personnel des tribunaux, ont soutenu l’objectif d’amélioration de l’accès au processus d’homologation pour ces petites successions « simples ».

Lorsqu’on leur a demandé de fixer une valeur en dollars pour définir ce que constitue une petite succession, les intervenants ont exprimé des opinions très variées. Certains spécialistes en milieu urbain ont proposé 100 000 $ comme valeur significative, étant d’avis qu’il est plus facile de justifier une demande d’homologation à leurs clients si la valeur de la succession est égale ou supérieure à ce montant. Ils ont indiqué que les clients sont moins susceptibles de revenir après une première rencontre avec le spécialiste si la valeur de la succession ne dépasse pas les 80 000 $ à 90 000 $[43].

Un membre du personnel des tribunaux a suggéré un montant de 100 000 $, afin de respecter la procédure simplifiée en vertu de la Règle 76 des Règles de procédure civile[44]. Cependant, d’autres membres du personnel des tribunaux ont proposé 25 000 $ comme valeur limite établie adéquate pour la procédure d’administration des petites successions, indiquant que ce montant ne présenterait pas un aussi grand risque de responsabilité que les gros montants. Ce montant était aussi considéré comme raisonnable, car il correspond au montant maximal d’une demande introduite devant la Cour des petites créances.

Les représentants de la succession de particuliers ont aussi exprimé différentes opinions quant à la valeur que doit avoir une succession pour être considérée comme une petite succession, cette valeur variant de 5 000 $ à 1 000 000 $. La valeur limite établie la plus fréquemment proposée était de 100 000 $. Cependant, plusieurs particuliers étaient d’avis que pour être considérée comme petite, la succession devait valoir moins de 25 000 $[45].

Le large éventail d’opinions sur la notion de petite succession s’observe clairement dans les réponses suivantes fournies par les intervenants :

  • 1 000 $
  • un actif modeste, par exemple quelques milliers de dollars en banque, un véhicule, un RÉER ou autre bien semblable
  • 10 000 $
  • un montant de 10 000 $ en banque, mais aucun bien immobilier
  • 25 000 $ à 30 000 $
  • une valeur nette de 50 000 $ (le calcul fait selon la valeur brute pousse un plus grand nombre de successions dont les ressources sont limitées vers le volet courant)
  • une valeur de 50 000 $ sans biens immeubles
  • quelques milliers dollars ou, s’il y a une police d’assurance-vie, de 50 000 $ à 100 000 $
  • 75 000 $
  • 100 000 $
  • 100 000 $ sans aucun bien valant à lui seul plus de 25 000 $
  • 100 000 $ sans biens immeubles, mais 50 000 $ dans les régions rurales de l’Ontario
  • 500 000 $, en tenant compte des biens immeubles
  • toute succession sans biens immeubles – la valeur pécuniaire n’est pas pertinente
  • un bien, un bénéficiaire – la valeur pécuniaire n’est pas pertinente
  • une personne qui est à la fois l’exécuteur et l’unique bénéficiaire, ou encore l’exécuteur est une personne veuve et il n’y a qu’un enfant – la valeur pécuniaire n’est pas pertinente.

Clairement, il n’y a aucun consensus sur ce qui constitue actuellement une petite succession en Ontario. En plus de la valeur pécuniaire de la succession, des facteurs comme le type de biens que contient la succession, la présence de biens immeubles ainsi que le nombre de bénéficiaires et leur identité peuvent aussi s’avérer pertinents.

Les intervenants ont aussi présenté plusieurs exemples de cas où l’homologation était problématique pour les petites successions, d’une manière ou d’une autre. Ces exemples étaient très variés quant à la valeur pécuniaire et aux autres attributs, comme le montrent clairement les exemples suivants :

  • La défunte n’avait pas de testament; elle possédait une voiture (en copropriété avec son conjoint de fait) et un compte bancaire dont le solde s’élevait à 1 400 $. La banque a dit à la fille de la défunte que, pour obtenir les 1 400 $, elle devait contacter un avocat et être nommée fiduciaire.
  • La succession du défunt était principalement constituée de comptes d’épargne libres d’impôt d’une valeur de 33 000 $. Le défunt n’avait pas compris qu’il pouvait nommer son épouse à titre de bénéficiaire des comptes. La banque a insisté pour que la succession soit homologuée. Les barrières linguistiques que devait surmonter la cliente venaient compliquer la situation.
  • Un testament fourni pour la succession du testateur prévoyait la distribution des biens « par souche » (chaque branche de la famille reçoit un montant équivalent et si l’héritier est décédé avant le testateur, cette part est répartie également entre ses enfants). Le testateur avait neuf enfants, dont trois sont décédés avant lui. De ces trois enfants décédés, deux avaient eux-mêmes des enfants : l’un en avait deux et l’autre, cinq. Le spécialiste n’a été en mesure de localiser que deux enfants de ce dernier groupe de cinq petits-enfants. Au total, il y avait 13 bénéficiaires à trouver et il a été difficile de retrouver deux d’entre eux. La valeur de la succession en question était estimée à environ 70 000 $.
  • Un testateur dont la succession valait 60 000 $ avait préparé son propre testament en remplissant une formule obtenue sur Internet. Malgré les recherches effectuées, aucun témoin testamentaire n’a été trouvé. L’affidavit d’un banquier a été produit en remplacement de l’affidavit de passation, mais il a été refusé par le greffe comme preuve insuffisante de l’authenticité du testament. Il a donc été nécessaire d’embaucher un enquêteur privé qui a demandé 6 000 $ pour retrouver les témoins testamentaires. Un témoin a été trouvé en Angleterre; il a fallu obtenir un affidavit assermenté dans ce pays. Au total, il en a coûté 30 000 $ pour homologuer une succession de 60 000 $.
  • Le défunt avait laissé un testament dans lequel il nommait un enfant adulte à titre d’exécuteur. La succession valait environ 20 000 $ et était constituée d’un compte bancaire, de la prestation de décès du Régime de pensions du Canada (RPC), d’un petit compte de placement et d’un droit à pension. Il y avait au moins sept autres bénéficiaires, y compris des mineurs. La banque a refusé de libérer les biens sans homologation, même si l’exécuteur était le procureur aux biens du défunt depuis plusieurs années avant sa mort. L’exécuteur a retenu les services d’un avocat pour obtenir l’homologation. Même si l’exécuteur n’était pas content de devoir payer les honoraires d’un avocat (2 000 $), il a indiqué que le processus global était « facile ». L’exécuteur a expliqué ceci : [traduction] « comme il ne restait pas beaucoup d’argent, je n’ai eu aucun problème avec ma famille ». L’exécuteur n’avait pas d’objection à utiliser le régime d’homologation, mais il était frustré que la banque exige l’homologation[46].

Manifestement, la perception qu’ont les intervenants de ce qu’est une petite succession varie largement, tout comme l’éventail de situations considérées comme problématiques.


B.              Définition de « petite succession » aux fins du présent projet

Comme il n’y a pas d’acceptation commune ou préétablie de ce qu’est une petite succession en Ontario, la définition choisie pour les besoins du présent projet doit faire état de l’objectif premier du projet qui consiste à améliorer l’accès à l’homologation pour les petites successions tout en préservant les protections juridiques qu’elle confère. Par conséquent, la définition de petite succession doit cibler les successions pour lesquelles le coût est susceptible de constituer un obstacle pour l’accès au régime actuel.

De façon générale, le coût ne constitue pas un obstacle à l’homologation des grandes successions. Lorsque l’homologation est requise pour récupérer les biens nécessaires à l’administration d’une grande succession, le représentant de la succession peut contester le coût de l’homologation, peut-être avec raison, mais il se résignera à soumettre la demande d’homologation et à payer les coûts connexes à même la succession. Toutefois, dans le cas des petites successions, le coût de l’homologation peut s’approcher de la valeur de la succession, voire la dépasser, de sorte qu’il n’est pas financièrement avantageux d’homologuer ladite succession. Un intervenant a défini ce seuil comme le point de « renonciation », c’est-à-dire le point où le représentant de la succession et les bénéficiaires sont prêts à renoncer aux biens plutôt que de demander l’homologation. Cette définition englobe l’idée d’une petite succession, mais sa portée est trop étroite pour les besoins de notre projet. Certaines petites successions seront homologuées, même s’il n’est pas avantageux de le faire sur le plan financier. Par exemple, le représentant de la succession peut homologuer et administrer la succession par sens du devoir et par loyauté à l’égard du défunt. L’homologation peut aussi être demandée pour vérifier la validité du testament, s’il existe un risque qu’un tiers puisse ultérieurement contester le testament. Par conséquent, pour les besoins du présent projet, la définition d’une petite succession doit comprendre les petites successions qui sont homologuées, mais seulement à un coût démesuré par rapport à leur valeur. Elles comprendront les successions qu’il vaut la peine d’homologuer strictement sur le plan pécuniaire, mais qui en laisse si peu aux bénéficiaires qu’il n’est pas justifiable de le faire pour des raisons d’intérêt public.

Le point où le coût de l’homologation devient un obstacle pour l’accès à l’homologation (que l’on cherche à produire une demande d’homologation ou non) est un concept relatif qui variera tant en fonction de la valeur de la succession que du coût de l’homologation. Ce point sera différent selon la nature de la succession, les biens qu’elle comprend et ses bénéficiaires, qu’il y ait testament ou non, ainsi que selon le coût requis pour satisfaire à ces exigences et les nombreux autres facteurs potentiels. Ce point où le coût devient un obstacle est aussi partiellement subjectif. Il dépendra notamment des ressources économiques du représentant de la succession et des bénéficiaires, ainsi que de leur système de valeurs personnelles quant aux finances et à la frugalité. Certains représentants de la succession peuvent décider de demander l’homologation et d’administrer une petite succession si la valeur nette de la succession dépasse seulement le coût total de l’homologation de quelques centaines de dollars. Comme il a été mentionné précédemment, certains représentants de la succession choisissent d’homologuer et d’administrer une petite succession pour des raisons sentimentales ou autres, même si le coût dépasse la valeur de la succession. En revanche, un représentant de la succession peut estimer qu’il est plus facile de renoncer à une succession dont la valeur nette n’est que de quelques centaines, voire quelques milliers de dollars, s’il rencontre des obstacles de nature linguistique, éducative ou autre qui gênent son accès au régime d’homologation.

Une récente décision de la Cour suprême vient faire un peu de lumière sur la détermination du point où le coût devient un obstacle pour l’accès à l’homologation[47]. La Cour a conclu que des frais d’audience imposés par le tribunal seraient inconstitutionnels dans la mesure où ils empêchent les personnes à faible revenu de revendiquer leur demande devant le tribunal. La juge en chef McLachlin a soutenu que cette négation des droits survient lorsque les frais d’audience en question sont si élevés qu’ils causent des difficultés excessives à un plaideur qui souhaite obtenir un jugement. La juge en chef a précisé que les difficultés excessives pouvaient non seulement toucher les plaideurs moins nantis, mais aussi les plaideurs qui doivent engager d’importantes dépenses pour faire valoir leur droit[48].

Il existe deux distinctions importantes entre les frais d’audience imposés par le tribunal dont il est question dans la décision Trial Lawyers et les questions visées par ce projet. D’abord, le coût de l’homologation n’est pas perçu par l’État comme c’est le cas des frais d’audience visés dans cette affaire (bien que l’impôt sur l’administration des successions fasse partie du coût de l’homologation). Ensuite, le régime d’homologation ne suppose pas les mêmes préoccupations relatives à la primauté du droit que l’accès aux contentieux des affaires civiles. Néanmoins, selon le raisonnement de la Cour, il se peut effectivement que le coût de l’homologation soit considéré comme un obstacle pour l’accès au régime, même lorsque ce coût ne dépasse pas la valeur de la succession, mais demeure disproportionné par rapport à sa valeur, et même lorsque le représentant de la succession décide d’homologuer la succession malgré les coûts déraisonnables.

Par conséquent, pour être efficace, le processus d’administration des petites successions doit viser les successions pour lesquelles le coût de l’homologation constitue un frein à l’homologation,

  • que les coûts dépassent ou non la valeur de la succession,
  • que le représentant de la succession décide ou non d’homologuer la succession malgré les coûts excessifs,
  • et sans égard à la richesse personnelle du représentant de la succession et des bénéficiaires.

Étant donné qu’il est impossible de définir un point où le coût nuit précisément à l’accès, la valeur limite établie pour la procédure d’administration des petites successions doit pencher en faveur de l’inclusion.

En plus de cette définition conceptuelle de ce qu’est une petite succession, il existe d’autres facteurs à prendre en considération pour établir une valeur limite propre à un éventuel processus d’administration des petites successions. Ces facteurs font l’objet de la prochaine section.


C.    Établir la valeur limite pour le processus d’administration des petites successions

Même s’il est évident qu’il n’y a pas de consensus sur une valeur limite établie définissant la petite succession en Ontario, la CDO vise à promouvoir les objectifs politiques dans ce projet plutôt que de simplement refléter l’opinion publique. La valeur pécuniaire que nous proposons comme limite est de 50 000 $. Ce montant a été choisi comme représentant le meilleur équilibre entre l’objectif qu’est la promotion de l’accessibilité à l’homologation et la préservation des protections juridiques que confère le régime.


1.     Définir la petite succession en regard de la valeur pécuniaire

Comme il en est question dans le document de consultation, la CDO a déterminé qu’une petite succession doit être définie en relation avec sa valeur pécuniaire plutôt qu’en fonction d’autres facteurs, comme sa simplicité relative[49]. Le projet de la CDO est motivé par un souci à l’égard des représentants de la succession et des bénéficiaires qui doivent payer des coûts démesurés pour jouir des avantages qu’offre le régime d’homologation. La meilleure façon d’évaluer les difficultés que peuvent rencontrer les représentants de la succession pour accéder à l’homologation (ou choisir de ne pas le faire) est de considérer la valeur pécuniaire de la succession en regard du coût de l’homologation. La valeur pécuniaire en tant que critère d’admissibilité vient aussi établir une limite claire qui est importante dans l’élaboration d’une procédure d’administration des petites successions dans laquelle il est facile de naviguer et dont l’utilisation est par conséquent plus abordable.

Cette démarche se distingue de celle adoptée en Colombie-Britannique lors du remaniement exhaustif de la loi successorale de la province, qui a donné lieu à une nouvelle loi, à savoir la Wills Estates and Succession Act (WESA)[50]. Le gouvernement de la Colombie-Britannique n’a pas accepté l’idée d’une procédure pour les « petites successions », mais a plutôt choisi de mettre en place un processus simplifié pour homologuer les « petites successions ».

Plus tôt dans le processus de réforme de la province, le British Columbia Law Institute (BCLI) a préparé un rapport provisoire intitulé Interim Report on the Summary Administration of Small Estates, dans lequel il recommande l’adoption d’une procédure d’administration des petites successions accessible aux successions d’une valeur de moins de 50 000 $ sans biens immeubles, qu’il y ait testament ou non[51]. Cependant, le Ministère a ultimement décidé de ne pas mettre en œuvre cette procédure, et ce, pour plusieurs raisons[52]. Au moment de concevoir les formules, il semble que celle des petites successions n’était pas beaucoup plus succincte que la formule ordinaire, et ce n’est pas étonnant. L’information que le BCLI estimait devoir inclure dans la déclaration de petite succession était, à certains égards, tout aussi détaillée que ce qu’exige actuellement le régime d’homologation de l’Ontario. Le gouvernement de la Colombie-Britannique n’était pas à l’aise avec l’idée de simplifier le processus dans une mesure telle qu’elle aurait été beaucoup plus facile à utiliser. Il a trouvé un équilibre entre l’accessibilité et la protection qui se situe beaucoup plus près de l’élément de protection du spectre. On s’inquiétait aussi du fait que les banques puissent s’appuyer sur la valeur limite établie de 50 000 $ pour exiger l’homologation dans les cas où elles auraient autrement dérogé à l’exigence d’homologation[53].

Les procédures d’administration des petites successions dans d’autres provinces et pays tendent à définir la petite succession en regard de la « démarcation très nette » que définit la valeur limite pécuniaire, laquelle s’applique, peu importe que la succession comporte un testament ou non[54]. Par exemple, le Manitoba dispose d’une procédure d’administration des petites successions établie par les tribunaux, offerte aux successions dont la valeur totale est de 10 000 $ et qui sont constituées de biens meubles ou de biens immeubles[55]. La Saskatchewan dispose d’une procédure semblable, mais elle est offerte aux successions d’au plus 25 000 $ constituées exclusivement de biens meubles[56]. Les Territoires du Nord-Ouest envisagent actuellement la mise en place d’une procédure d’administration des petites successions qui serait offerte aux successions dont la valeur nette est inférieure à 35 000 $[57]. Même si ce n’est pas encore clair, la formule provisoire des Territoires du Nord-Ouest suppose que la disposition s’applique aux successions qui ne contiennent que des biens meubles[58].

Des procédures d’administration de petites successions sont également en place partout aux États-Unis et sont incluses dans l’Uniform Probate Code[59]. Elles définissent de façon semblable les petites successions en fonction d’une valeur limite pécuniaire qui varie selon les États de 10 000 $ US à 275 000 $ US. Les valeurs limites les plus courantes sont de 100 000 $ US ou d’environ 50 000 $ US[60].

L’Australie dispose de plusieurs formules pour la procédure d’administration de petites successions et elle a récemment amorcé des projets de réforme dans ce domaine[61]. Le montant le plus fréquemment utilisé dans ce pays comme valeur limite est 100 000 $ AU (à la date de rédaction des présentes, ce montant équivalait approximativement 95 000 $ CA).

Bien sûr, il existe plusieurs obstacles possibles à l’évaluation de la véritable valeur d’une petite succession. La valeur de certains biens n’est pas nécessairement évidente et elle peut changer avec le temps. Il se peut aussi qu’on ne dispose que d’une estimation de la valeur de la succession au moment de la demande d’homologation, l’évaluation n’étant conclue qu’une fois les lettres d’homologation délivrées. De la même façon, il peut arriver que l’on découvre ultérieurement de nouveaux biens ou des responsabilités supplémentaires. De futures réclamations fondées en droit à l’encontre de la succession peuvent aussi affecter la valeur de cette dernière.

Il est également difficile de dissuader les testateurs et les planificateurs successoraux de structurer artificiellement des successions plus grandes afin qu’elles s’inscrivent à l’intérieur de la valeur limite. Pour contrer cette tendance, on peut maintenir la valeur limite à un niveau suffisamment bas pour que seules les véritables petites successions se situent en deçà de ce seuil.

En vertu du processus d’homologation de l’Ontario, le certificat de nomination à titre de fiduciaire de la succession confère le pouvoir d’agir sur l’ensemble des biens des successions, sans égard à leur valeur ni au moment où ils ont été découverts. Selon la pratique habituelle, six mois après la délivrance du certificat de nomination à titre de fiduciaire de la succession, le personnel des tribunaux assurait le suivi des certificats délivrés en regard des évaluations estimatives afin de confirmer ces évaluations. Toutefois, le personnel des tribunaux n’avait aucun moyen de savoir si de nouveaux biens avaient été découverts entre temps[62]. Maintenant que les représentants de la succession sont tenus de produire des déclarations de renseignements sur la succession directement auprès du ministère des Finances, cette pratique changera[63]. Bien qu’en vertu de l’actuel régime d’homologation, les questions d’évaluation puissent avoir des conséquences sur l’administration de la succession et le montant de l’impôt sur l’administration des successions exigible, ces questions n’ont aucune incidence sur la légitimité du pouvoir que détient le fiduciaire de la succession.

En revanche, dans le cas des procédures d’administration de petites successions fondées sur une valeur limite pécuniaire, les questions d’évaluation peuvent avoir une incidence sur la légitimité du pouvoir du représentant de la succession. Par exemple, le représentant d’une succession peut demander l’autorisation d’administrer une succession de 40 000 $ en vertu de la procédure d’administration des petites successions si la valeur limite est de 50 000 $. Une fois l’autorisation obtenue, si des biens d’une valeur de 20 000 $ sont ultérieurement découverts, la valeur totale de la succession dépassera la valeur limite pour l’admissibilité à la procédure d’administration des petites successions. Dans de tels cas, le pouvoir du représentant de la succession peut être contesté.

En Australie, plusieurs projets de réforme ont abordé cette préoccupation concernant les augmentations subséquentes de la valeur des petites successions. Ces projets prévoient une valeur limite pécuniaire (100 000 $ AU), mais comportent aussi une disposition de sécurité qui exige une homologation officielle s’il est ultérieurement découvert que la succession dépasse la valeur limite de 120 % ou de 150 %[64]. Dans d’autres provinces et pays, on a surmonté la difficulté liée à l’évaluation des petites successions à l’étape de l’homologation en limitant les pouvoirs du représentant de la succession aux biens déclarés dans la procédure de requête pour petite succession[65]. Si d’autres biens sont découverts par la suite, le représentant de la succession doit produire une nouvelle demande d’autorisation pour administrer ces biens supplémentaires.

En outre, il ne faut pas oublier la question de savoir s’il convient d’utiliser la valeur brute ou la valeur nette d’une succession pour déterminer l’admissibilité de cette dernière à la procédure d’administration des petites successions. Ces deux mesures sont employées dans différentes procédures d’administration des petites successions dans d’autres provinces et pays. Lors des consultations, l’opinion qui prévalait était que la valeur brute de la succession doit être utilisée pour s’assurer que la procédure d’administration des petites successions reste aussi simple et rationnelle que possible. Cela permet également d’éviter la manipulation des grandes successions afin qu’elles se situent en deçà de la valeur limite[66].

Une nouvelle méthode pour définir une petite succession a été proposée par le Bureau de l’avocate des enfants. Abordant la question du point de vue de bénéficiaires mineurs, le Bureau de l’avocate des enfants a soutenu que ce n’est pas la valeur de la succession dans son ensemble qui est pertinente, mais plutôt la valeur de l’intérêt bénéficiaire particulier dans la succession. Un processus d’administration des petites successions fondé sur la valeur totale de la succession signifierait que les bénéficiaires mineurs ayant un intérêt financier équivalent dans différentes successions recevraient des niveaux de protection juridique différents. C’est logique du point de vue des bénéficiaires vulnérables; toutefois un programme d’administration des petites successions fondé sur la valeur des intérêts bénéficiaires ne serait pas réalisable sur le plan pratique. Plus particulièrement, la valeur des intérêts bénéficiaires n’est pas toujours connue au moment où la demande d’homologation est soumise.

 

2.     Autres critères d’admissibilité possibles

Toute caractéristique d’une succession qui tend à rendre celle-ci plus complexe, augmentant ainsi le coût de l’homologation, s’applique éventuellement à l’évaluation de l’admissibilité à une procédure d’administration des petites successions. Cependant, des facteurs qui viennent compliquer la situation n’indiquent pas nécessairement, d’une façon ou d’une autre, si une petite succession doit être admissible ou non à une procédure d’administration des petites successions. D’un côté, une complexité accrue se traduit par un plus grand nombre d’obstacles pour l’accès à l’homologation; les successions devraient alors être admissibles à la procédure d’administration des petites successions pour s’assurer que la succession soit administrée. D’un autre côté, une plus grande complexité signifie un potentiel de fraude ou de mauvaise administration accru; les successions ne devraient alors pas être admissibles à la procédure d’administration des petites successions, mais devraient jouir des protections que confère le processus d’homologation complet.

Par exemple, l’absence de testament (succession non testamentaire) contribuera à accroître la complexité et le coût de l’homologation[67]. Lors des consultations, le personnel des tribunaux a mentionné que les demandes de petites successions non testamentaires présentaient plus de problèmes. Même pour les successions non testamentaires évaluées à des montants aussi bas que 5 000 $ ou 10 000 $, avant de libérer les biens, les institutions financières renvoient les membres de la famille au palais de justice afin qu’ils puissent obtenir la « paperasse » nécessaire. Dans de nombreux cas, ces membres de la famille du défunt n’ont qu’une faible compréhension de l’importance de l’homologation, et la succession est clairement trop petite pour justifier une telle procédure. Il se peut donc que ces successions obtiennent la protection juridique de l’homologation en fonction du degré de complexité que suppose l’administration de ces successions, mais à un coût carrément disproportionné. Dans certains cas, on peut soutenir que la complexité s’applique en faveur de l’admissibilité à une procédure d’administration des petites successions, malgré les pertes que cela suppose sur le plan de la protection juridique.

La plupart des provinces, pays et États, à l’exception de quelques États américains comme le New Jersey et la Louisiane, ne font pas la distinction entre les successions testamentaires et non testamentaires dans leurs procédures d’administration des petites successions[68]. Cela s’explique peut-être par le fait que, comme c’est le cas pour de nombreux éléments des petites successions, il y a trop de variantes possibles pour définir de manière généralisée ce qu’est une petite succession « type ».

Quelques provinces, pays et États ont aussi prévu d’autres critères d’admissibilité. Certaines procédures d’administration des petites successions déterminent l’admissibilité notamment en fonction du type de propriété que comprend la succession. Par exemple, en Saskatchewan, en Iowa et au Michigan, les procédures d’administration des petites successions sont réservées aux successions qui ne contiennent que des biens meubles[69]. La procédure d’administration des petites successions proposée par le BCLI aurait également exclu les biens immeubles, probablement parce que la Land Titles Act de la Colombie-Britannique exige expressément l’homologation pour la transmission de biens immeubles après le décès du propriétaire[70]. La Loi sur l’enregistrement des droits immobiliers de l’Ontario ne prévoit pas une telle exigence législative, bien que l’homologation soit requise à titre de mesure administrative[71].

Quelques provinces, pays et États ont deux valeurs limites qui s’appliquent selon l’identité des bénéficiaires. Par exemple, le Maryland dispose d’une procédure pour l’administration des petites successions de moins de 50 000 $, mais cette valeur limite augmente à 100 000 $ si l’époux est l’unique bénéficiaire[72].

Toutes ces considérations illustrent bien la complexité de la notion de « petite succession » ainsi que les divers facteurs qui s’ajoutent à la valeur pécuniaire et qui peuvent s’appliquer au moment de déterminer l’admissibilité au processus d’administration des petites successions.

 

3.     Valeur limite pour le processus d’administration des petites successions : conclusion

Bien que l’on ait répondu à la question de l’admissibilité au processus d’administration des petites successions par des montants très variés et d’autres critères, pour être efficace, ledit processus doit en soi être simple et convivial. La discussion qui précède montre qu’il n’existe aucun ensemble logique de critères d’admissibilité qui permet de délimiter clairement une catégorie de successions pour lesquelles l’accès à l’homologation est indûment compromis. La valeur est relative et les autres facteurs, comme le type de biens ainsi que le nombre de bénéficiaires et leur identité, peuvent avoir une incidence sur le coût de l’homologation de la succession. Dans de telles circonstances, la CDO conclut qu’une valeur limite pécuniaire nette pour l’admissibilité à un processus d’administration des petites successions constitue l’élément qui permet le meilleur équilibre entre les objectifs de l’admissibilité et de la protection juridique.

Une question plus problématique concerne la définition de la valeur limite pécuniaire qui convient le mieux pour l’Ontario. L’accent du présent projet sur l’admissibilité nous mène à la conclusion suivante : la valeur limite doit être modeste et englober les successions pour lesquelles l’homologation est réellement compromise, tout en excluant les grandes successions pour lesquelles le processus d’administration des petites successions serait principalement choisi pour des raisons pratiques.

Pour cette raison, nous avons conclu que les limites pécuniaires relativement élevées qui s’appliquent dans certaines procédures d’administration des petites successions aux États-Unis ne conviennent pas à une procédure d’administration des petites successions pour l’Ontario[73]. Dans la majorité des cas, l’homologation aux États-Unis exige la tenue d’une audience et peut constituer une procédure coûteuse par rapport aux normes de l’Ontario[74]. Si les coûts sont plus élevés, ils constitueront un obstacle pour les successions de valeur supérieure.

La CDO a conclu que la valeur limite de 50 000 $, représentant la valeur brute de la succession au moment du décès, devrait permettre d’atteindre l’équilibre optimal entre l’accessibilité et la protection juridique pour le plus grand nombre de successions en Ontario. Plusieurs raisons justifient le choix du montant de 50 000 $. D’abord, si l’on considère que les honoraires d’un avocat pour obtenir l’homologation varient de 1 000 $ à 5 000 $, la valeur limite de 50 000 $ devrait suffire amplement pour couvrir presque toutes les successions de l’Ontario pour lesquelles les coûts constituent un obstacle pour l’accès à l’homologation, et aussi pour tenir compte de l’inflation.

Ensuite, une valeur limite de 50 000 $ devrait être suffisamment basse pour dissuader les grandes successions de recourir à des stratégies de planification successorale afin de contourner l’homologation et de s’inscrire dans le processus d’administration des petites successions. Dans la plupart des cas, les frais juridiques que suppose la restructuration d’une grande succession pour en réduire la valeur en deçà de 50 000 $ dépasseraient les économies potentielles visées par de tels efforts.

De plus, une limite de 50 000 $ permettrait d’englober la plupart des transferts de véhicules en Ontario. Les véhicules automobiles sont des biens qui se retrouvent généralement dans les petites successions. Une limite de 50 000 $ exclurait aussi pratiquement la plupart des biens immeubles en Ontario. Les biens immeubles ne figurent généralement pas dans les petites successions et leur transfert suppose d’autres procédures prévues dans le Système d’enregistrement immobilier électronique (E-LRS) de l’Ontario, lesquelles nécessitent généralement une représentation juridique[75]. Quoi qu’il en soit, la CDO a conclu que les biens immeubles que comprennent les petites successions ne doivent pas empêcher l’accès à la procédure d’administration des petites successions.

En outre, une valeur limite de 50 000 $ s’inscrit également dans la portée d’autres valeurs limites analogues prévues dans les lois de l’Ontario. Par exemple, en vertu de la Loi de l’impôt sur l’administration des successions, le montant d’impôt exigible par rapport à la valeur de la succession passe de 0,5 % à 1,5 % lorsque la valeur de la succession dépasse les 50 000 $[76]. De plus, la Cour des petites créances de l’Ontario n’a compétence que sur les montants d’au plus 25 000 $. Ce montant a été établi il y a plusieurs années, en 2010, et il s’applique à des créances particulières plutôt qu’à la valeur totale de la propriété d’un particulier[77]. Par conséquent, une valeur limite de 50 000 $ pour la valeur totale d’une petite succession est, au moins, raisonnable par rapport à la limite de 25 000 $ établie pour les petites créances.

La CDO a également considéré la meilleure façon d’aborder le risque qu’une petite succession, évaluée à 50 000 $ ou moins au moment de la demande d’homologation en vertu de la procédure d’administration des petites successions, soit subséquemment réévaluée à une valeur supérieure à 50 000 $. Nous avons conclu que le certificat de petite succession devait être limité aux biens particuliers précisés dans la demande, plutôt que de constituer une autorisation générale par rapport à la succession totale, comme c’est actuellement le cas dans le régime d’homologation de l’Ontario. Si de nouveaux biens étaient découverts dans la petite succession et que la valeur révisée demeurait en deçà de 50 000 $, le représentant de la succession pourrait produire une modification sommaire au certificat, de sorte que son pouvoir soit élargi et qu’il englobe les nouveaux biens. Une seule modification serait permise par succession. Si de nouveaux biens étaient découverts et que la valeur révisée de la succession dépassait la valeur limite de 50 000 $, le représentant de la succession devrait produire une demande de certificat de nomination à titre de fiduciaire de la succession dans le volet d’homologation ordinaire. Dans ce dernier cas, les mesures déjà prises en vertu du certificat de petite succession demeureraient valides en vertu du par. 47(1) de la Loi sur les fiduciaires.[78].

La CDO est d’avis que cette méthode de gestion des biens découverts subséquemment est préférable à celle de l’Australie, selon laquelle deux valeurs limites sont établies, une première et une deuxième plus élevée constituant une disposition de sécurité. Le recours à deux valeurs limites viendrait compliquer un processus que l’on veut le plus simple possible. En outre, un processus d’administration des petites successions qui n’est pas associé à l’octroi de pouvoirs visant des biens particuliers n’offrirait pas les moyens nécessaires pour s’assurer que les représentants de la succession qui sous-évaluent la succession respectent les valeurs limites.

 

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