Actuellement en Ontario, le même processus d’homologation s’applique à l’ensemble des successions sans égard à leur valeur; par contre l’impôt sur l’administration des successions varie en fonction de la valeur de la succession. Par conséquent, il n’existe aucun concept juridique désignant la petite succession en Ontario. Dans le cadre du présent projet, la CDO s’est penchée sur la définition qu’il faudrait donner à la notion de petite succession aux fins de l’accès à une procédure simplifiée, en supposant qu’un tel processus sera introduit en Ontario.

Plusieurs facteurs doivent donc être pris en compte. Ce chapitre porte d’abord sur ce que les membres du milieu de l’administration des successions considèrent actuellement comme une petite succession. Ensuite, la variabilité de la notion de petite succession et la difficulté de mesurer cette notion sont abordées. Nous considérons aussi la valeur limite établie et les autres critères d’admissibilité qui conviennent le mieux à la nouvelle procédure d’administration des petites successions en Ontario. Enfin, nous concluons en recommandant que toute nouvelle procédure d’administration des petites successions soit accessible aux successions dont la valeur brute est d’au plus 50 000 $, peu importe le type de biens qu’elles comportent.

 

A.  Idées courantes sur la signification de « petite succession »

Si on retient une idée qui a été répétée tout au long des consultations, c’est bien le fait qu’il n’y a aucune petite succession type définie aux fins de l’homologation. La complexité d’une succession ne se détermine pas simplement par sa valeur pécuniaire. L’homologation peut être requise pour une succession de 5 000 $, mais peut-être pas pour une succession de 100 000 $. Lors des consultations, des spécialistes ont raconté plusieurs cas où de très petites successions ont été homologuées, et ce, pour diverses raisons. Par exemple, un spécialiste a homologué une succession de 2 000 $ afin d’éviter le risque qu’un testament antérieur soit reconnu.

C’est cet écart entre la valeur et la complexité qui explique pourquoi le coût de l’homologation des petites successions peut être disproportionné par rapport à leur valeur. L’éventuelle complexité des successions, même dans le cas des successions très petites, soulève des préoccupations chez certains intervenants qui ne souhaitent pas l’adoption d’une procédure d’administration des petites successions comportant des protections procédurales réduites. Un spécialiste a indiqué ceci :

[Traduction]
Les difficultés liées aux demandes d’homologation ne concernent pas que les petites successions. Cependant, leur faible valeur crée une perception d’iniquité quant à la nécessité de se conformer aux procédures pour protéger les bénéficiaires, les créanciers, les tierces parties et les autres pouvant avoir un intérêt dans la succession[42].

Par ailleurs, bien que les spécialistes reconnaissent les complexités que peuvent comporter les petites successions, ils ont aussi souligné que de nombreuses petites successions sont simples et qu’elles profiteraient d’une procédure simplifiée. La plupart des spécialistes, de même que le personnel des tribunaux, ont soutenu l’objectif d’amélioration de l’accès au processus d’homologation pour ces petites successions « simples ».

Lorsqu’on leur a demandé de fixer une valeur en dollars pour définir ce que constitue une petite succession, les intervenants ont exprimé des opinions très variées. Certains spécialistes en milieu urbain ont proposé 100 000 $ comme valeur significative, étant d’avis qu’il est plus facile de justifier une demande d’homologation à leurs clients si la valeur de la succession est égale ou supérieure à ce montant. Ils ont indiqué que les clients sont moins susceptibles de revenir après une première rencontre avec le spécialiste si la valeur de la succession ne dépasse pas les 80 000 $ à 90 000 $[43].

Un membre du personnel des tribunaux a suggéré un montant de 100 000 $, afin de respecter la procédure simplifiée en vertu de la Règle 76 des Règles de procédure civile[44]. Cependant, d’autres membres du personnel des tribunaux ont proposé 25 000 $ comme valeur limite établie adéquate pour la procédure d’administration des petites successions, indiquant que ce montant ne présenterait pas un aussi grand risque de responsabilité que les gros montants. Ce montant était aussi considéré comme raisonnable, car il correspond au montant maximal d’une demande introduite devant la Cour des petites créances.

Les représentants de la succession de particuliers ont aussi exprimé différentes opinions quant à la valeur que doit avoir une succession pour être considérée comme une petite succession, cette valeur variant de 5 000 $ à 1 000 000 $. La valeur limite établie la plus fréquemment proposée était de 100 000 $. Cependant, plusieurs particuliers étaient d’avis que pour être considérée comme petite, la succession devait valoir moins de 25 000 $[45].

Le large éventail d’opinions sur la notion de petite succession s’observe clairement dans les réponses suivantes fournies par les intervenants :

  • 1 000 $
  • un actif modeste, par exemple quelques milliers de dollars en banque, un véhicule, un RÉER ou autre bien semblable
  • 10 000 $
  • un montant de 10 000 $ en banque, mais aucun bien immobilier
  • 25 000 $ à 30 000 $
  • une valeur nette de 50 000 $ (le calcul fait selon la valeur brute pousse un plus grand nombre de successions dont les ressources sont limitées vers le volet courant)
  • une valeur de 50 000 $ sans biens immeubles
  • quelques milliers dollars ou, s’il y a une police d’assurance-vie, de 50 000 $ à 100 000 $
  • 75 000 $
  • 100 000 $
  • 100 000 $ sans aucun bien valant à lui seul plus de 25 000 $
  • 100 000 $ sans biens immeubles, mais 50 000 $ dans les régions rurales de l’Ontario
  • 500 000 $, en tenant compte des biens immeubles
  • toute succession sans biens immeubles – la valeur pécuniaire n’est pas pertinente
  • un bien, un bénéficiaire – la valeur pécuniaire n’est pas pertinente
  • une personne qui est à la fois l’exécuteur et l’unique bénéficiaire, ou encore l’exécuteur est une personne veuve et il n’y a qu’un enfant – la valeur pécuniaire n’est pas pertinente.

Clairement, il n’y a aucun consensus sur ce qui constitue actuellement une petite succession en Ontario. En plus de la valeur pécuniaire de la succession, des facteurs comme le type de biens que contient la succession, la présence de biens immeubles ainsi que le nombre de bénéficiaires et leur identité peuvent aussi s’avérer pertinents.

Les intervenants ont aussi présenté plusieurs exemples de cas où l’homologation était problématique pour les petites successions, d’une manière ou d’une autre. Ces exemples étaient très variés quant à la valeur pécuniaire et aux autres attributs, comme le montrent clairement les exemples suivants :

  • La défunte n’avait pas de testament; elle possédait une voiture (en copropriété avec son conjoint de fait) et un compte bancaire dont le solde s’élevait à 1 400 $. La banque a dit à la fille de la défunte que, pour obtenir les 1 400 $, elle devait contacter un avocat et être nommée fiduciaire.
  • La succession du défunt était principalement constituée de comptes d’épargne libres d’impôt d’une valeur de 33 000 $. Le défunt n’avait pas compris qu’il pouvait nommer son épouse à titre de bénéficiaire des comptes. La banque a insisté pour que la succession soit homologuée. Les barrières linguistiques que devait surmonter la cliente venaient compliquer la situation.
  • Un testament fourni pour la succession du testateur prévoyait la distribution des biens « par souche » (chaque branche de la famille reçoit un montant équivalent et si l’héritier est décédé avant le testateur, cette part est répartie également entre ses enfants). Le testateur avait neuf enfants, dont trois sont décédés avant lui. De ces trois enfants décédés, deux avaient eux-mêmes des enfants : l’un en avait deux et l’autre, cinq. Le spécialiste n’a été en mesure de localiser que deux enfants de ce dernier groupe de cinq petits-enfants. Au total, il y avait 13 bénéficiaires à trouver et il a été difficile de retrouver deux d’entre eux. La valeur de la succession en question était estimée à environ 70 000 $.
  • Un testateur dont la succession valait 60 000 $ avait préparé son propre testament en remplissant une formule obtenue sur Internet. Malgré les recherches effectuées, aucun témoin testamentaire n’a été trouvé. L’affidavit d’un banquier a été produit en remplacement de l’affidavit de passation, mais il a été refusé par le greffe comme preuve insuffisante de l’authenticité du testament. Il a donc été nécessaire d’embaucher un enquêteur privé qui a demandé 6 000 $ pour retrouver les témoins testamentaires. Un témoin a été trouvé en Angleterre; il a fallu obtenir un affidavit assermenté dans ce pays. Au total, il en a coûté 30 000 $ pour homologuer une succession de 60 000 $.
  • Le défunt avait laissé un testament dans lequel il nommait un enfant adulte à titre d’exécuteur. La succession valait environ 20 000 $ et était constituée d’un compte bancaire, de la prestation de décès du Régime de pensions du Canada (RPC),