Le projet est né de préoccupations relatives au fait que le coût de l’homologation pourrait être excessif pour certaines petites successions et que la complexité du processus pourrait faire en sorte que le représentant de la succession renonce à l’homologation et abandonne les biens ou néglige de les distribuer adéquatement. Une question préliminaire consiste à évaluer dans quelle mesure ce problème existe. Dans quelle mesure pouvons-nous dire que les représentants de petites successions en Ontario ont du mal à accéder au régime d’homologation en ce moment, ou que des difficultés les amènent à l’ignorer? Comme expliqué au chapitre précédent, nous entendons par « petite succession » une succession dont la valeur est égale ou inférieure à 50 000 $. Après avoir examiné les éléments probants d’un problème à homologuer de petites successions en Ontario, nous nous pencherons sur la manière dont des aspects particuliers du processus d’homologation actuel peuvent contribuer à ce problème.

 

A.  Ce que nous savons à propos de l’utilisation du régime d’homologation

 
Il n’existe malheureusement pas de données empiriques sur ces questions. L’Ontario recueille très peu de statistiques sur les demandes d’homologation, et il n’existe aucune statistique sur l’administration des successions hors du régime d’homologation. Nous savons qu’entre 2009 et 2012, il y a eu chaque année environ 17 000 demandes d’homologation avec testament et 3 000 demandes sans testament déposées en Ontario[79]. Nous ne connaissons pas la valeur des successions qui faisaient l’objet de telles demandes, et nous ignorons si ces demandes ont été déposées par des particuliers ou par des avocats agissant en leur nom. Une enquête très informelle menée auprès des membres du personnel des tribunaux des successions à travers l’Ontario révèle que de 10 à 40 pour cent des demandes d’homologation ont été faites pour des successions d’une valeur de moins de 100 000 $[80].

Il existe encore moins de statistiques sur le nombre de successions administrées sans homologation. On peut en avoir une idée en comparant le nombre de demandes d’homologation au nombre de décès survenus en Ontario pendant la même période. Entre 2009 et 2012, il y a eu environ 90 000 décès par année dans la province[81]. Nous pouvons donc présumer que moins du quart des successions y sont homologuées. Un bon nombre de celles qui ne le sont pas sont des successions de grande valeur faisant l’objet de techniques de planification successorale permettant d’éviter l’homologation. Il n’y a aucun moyen de savoir combien de petites successions sont administrées sans homologation en Ontario. De manière semblable, il n’y a aucun moyen de savoir combien de petites successions ne sont pas administrées du tout.

Il existe cependant des données empiriques dans d’autres provinces ou pays. Le British Columbia Law Institute (BCLI) rapporte ainsi qu’en 2004-2005, 44 pour cent des demandes d’homologation dans la province étaient évaluées à moins de 100 000 $[82]. En 2011, la Law Commission of England and Wales a publié un rapport sur la succession non testamentaire et les réclamations relatives aux dispositions familiales au décès (Intestacy and Family Provision Claims on Death). La Commission a découvert que plus de la moitié des successions étaient administrées sans homologation officielle et que celles-ci étaient plus susceptibles d’être non testamentaires[83]. Les successions non testamentaires sont généralement de plus faible valeur que les autres[84].

Bien qu’il n’existe pas en Ontario de données empiriques confirmant que les représentants de petites successions n’accèdent pas au régime d’homologation, les consultations, et tout particulièrement les discussions avec le personnel des tribunaux et les représentants du gouvernement, ont révélé un nombre considérable de faits anecdotiques de l’existence d’un problème. Les membres du personnel des tribunaux sont en première ligne pour ce qui est des petites successions. Ils relatent de nombreuses situations où des parents endeuillés se font dire par des institutions financières ou d’autres organismes qu’ils doivent remplir une formule au greffe afin que l’institution financière puisse transmettre les biens du défunt. Ces parents ne sont pas au fait de l’importance de l’homologation, et les biens de la succession sont insuffisants pour couvrir le coût d’une demande d’homologation. Le personnel des tribunaux ne peut pas donner de conseils juridiques, mais il essaie généralement d’expliquer en quoi consiste l’administration d’une succession, et suggère parfois aux personnes d’essayer de négocier avec la banque.

La plupart des spécialistes en succession s’entendent pour dire qu’une réforme des petites successions est nécessaire en Ontario. Bien que certains d’entre eux ne voient aucun problème, particulièrement compte tenu du manque de statistiques, la majorité des spécialistes ont eux-mêmes eu affaire à des petites successions dont le coût de l’homologation était démesuré ou ont entendu parler du problème.

Les opinions quant à l’importance des problèmes relatifs aux petites successions divergent toutefois. De nombreux spécialistes en succession croient que le régime d’homologation actuel n’a besoin que de réformes mineures, comme une simplification des formules, pour faciliter l’administration des petites successions. L’un d’entre eux note que le problème n’est pas la procédure en soi, mais la question de savoir s’il est économiquement viable de s’y engager[85]. Un autre affirme que [traduction] « le système n’est pas défaillant. Il est lourd[86]. »

D’autres spécialistes en succession estiment que le régime d’homologation présente des problèmes, mais que ceux-ci ne se limitent pas aux petites successions. Ils suggèrent que l’étendue du projet est artificiellement étroite, et que le régime devrait être considéré dans son ensemble :

[Traduction]
Le régime actuel n’est pas si mauvais. Il présente des problèmes, mais ceux-ci existent pour la plupart des successions. Dans la plupart des cas, il est possible d’obtenir une homologation à un coût abordable pour les petites successions. Certains des problèmes qui existent surviennent lorsque les défunts ont négligé la planification de base. Je suis donc réticent à ce que l’on dépense temps et argent pour résoudre seulement une partie d’un problème plus vaste, alors qu’une réforme générale pourrait profiter à un plus grand éventail de successions[87].

[Traduction]
Le régime est laborieux et difficile à expliquer; les délais pour l’obtention de l’homologation sont excessivement longs, et les restrictions et les demandes imposées par les banques font en sorte qu’il est presque impossible de l’éviter. À ma connaissance, il ne protège pas vraiment les créanciers[88].

D’autres spécialistes en succession rapportent toutefois avoir éprouvé des problèmes lors de l’homologation de petites successions et appuient l’idée d’un nouveau processus simplifié spécialement conçu pour les petites successions.

La CDO a également entendu de la part de personnes ayant agi comme représentants de la succession le récit de problèmes liés à l’obtention d’une homologation pour des petites successions ainsi qu’à l’administration de celles-ci sans homologation[89]. Cependant, il y a aussi des cas d’homologations obtenues sans trop de problèmes.

Il est difficile de voir dans quelle mesure l’homologation des petites successions en Ontario est problématique, non seulement à cause du manque de données empiriques sur le régime d’homologation, mais aussi parce qu’il n’y a pas de consensus sur ce qui constitue une « petite succession » en Ontario. Bien que la plupart des intervenants s’entendent pour dire qu’une réforme est nécessaire sous une forme ou une autre, leurs suggestions quant à la nature et à la portée de cette réforme varient grandement selon leur définition personnelle de ce qui constitue une « petite succession ».

 

B.              Preuves d’un problème systémique dans l’homologation des petites successions

 
En plus des faits anecdotiques de l’existence d’un problème, il existe des preuves de défis systémiques quant à la manière dont les institutions financières et d’autres établissements détenteurs de biens traitent les petites successions, tant dans le cadre du régime d’homologation qu’à l’extérieur de celui-ci. Les institutions publiques et privées comptent sur l’homologation pour s’assurer qu’un représentant de la succession détient bien l’autorisation légale de représenter le défunt. En l’absence d’un tel sceau, elles risquent d’être tenues responsables si elles remettent les biens de la succession au mauvais représentant ou font affaire avec la mauvaise personne. Les intervenants de certaines institutions expliquent avoir l’obligation juridique d’exiger l’homologation dans ces circonstances, et ce même lorsque le coût de l’homologation est supérieur à la valeur de la succession.

Par exemple, certains intervenants au sein des institutions financières se disent préoccupés par la gestion des risques associés à la responsabilité, tout en étant réceptifs aux demandes de suspension dans les circonstances appropriées. D’autres institutions financières voient le problème non pas tant dans l’optique de la gestion des risques que dans celle de leur obligation juridique de ne traiter qu’avec les représentants dûment autorisés. Un troisième problème souvent formulé est celui de l’imprévisibilité et de l’insatisfaction des clients causées par des politiques de suspension qui divergent d’une institution financière à l’autre, et parfois au sein d’une même institution.

L’Agence du revenu du Canada (ARC) est un exemple d’institution qui est légalement obligée d’exiger l’homologation des successions dans certaines circonstances. Le représentant de la succession est tenu de produire la dernière déclaration de revenus du défunt auprès de l’ARC. En vertu du paragraphe 241(1) de la Loi de l’impôt sur le revenu, l’ARC est tenue de ne traiter qu’avec le représentant légalement autorisé d’un contribuable décédé[90]. Ainsi, l’ARC considère l’homologation comme une exigence juridique plutôt que comme une question d’analyse du rapport coût-avantages, particulièrement dans le cas des successions non testamentaires. Cependant, dans des cas limités où il peut être prouvé que le processus poserait des difficultés indues, l’ARC peut à sa discrétion suspendre l’exigence d’homologation[91].

D’autres organismes gouvernementaux doivent faire face à des situations ambiguës similaires. Par exemple, en vertu de l’alinéa 515(2)d) du Code criminel, un accusé peut fournir personnellement une caution en espèces[92]. En règle générale, ce montant ne dépasse pas 5 000 $. Une fois la cause réglée, l’argent est retourné s’il n’y a pas d’ordonnance de confiscation. Lorsque l’accusé décède entre-temps, les membres de sa famille peuvent réclamer l’argent à sa place. Cependant, la question des preuves exigibles par les administrateurs gouvernementaux pour établir que le requérant est légalement autorisé à recevoir l’argent n’est pas claire. Jusqu’à présent, aucune règle n’a été élaborée pour aborder ce problème[93].

Les preuves de l’existence d’un problème systémique se font sentir de manière particulièrement aiguë pour les administrateurs de régimes de retraite qui tentent de verser des prestations de décès lorsque le bénéficiaire est la succession de l’employé. En vertu de l’article 45 de la Loi sur les régimes de retraite, les administrateurs de régimes de retraite ont l’obligation légale d’exiger que la personne admissible à une prestation fournisse les renseignements nécessaires au calcul et au paiement de la prestation. Si l’administrateur demande ces renseignements, il ou elle peut s’y fier pour déterminer qui est légalement autorisé à recevoir la prestation[94]. Cependant, l’administrateur n’est pas libéré de ses obligations s’il existe une connaissance de fait que la personne n’a pas droit au paiement ou s’il existe [traduction] « une inexactitude ou une impropriété quant aux renseignements fournis »[95]. Ainsi, les administrateurs exigent généralement l’homologation avant de verser des prestations de décès à une succession. En présence d’un testament, certains régimes de retraite ont adopté des politiques de suspension de l’exigence d’homologation, par exemple pour les prestations d’une valeur de moins de 50 000 $. Cependant, lorsqu’il n’y a pas de testament, le requérant n’a pas le pouvoir présumé d’agir au nom de la succession, et l’administrateur n’a rien à quoi se fier pour indiquer avoir respecté l’obligation d’origine législative mentionnée à l’article 45[96].

 

Cela peut poser problème au point de vue institutionnel pour les régimes de retraite comptant de nombreux petits comptes[97]. Les représentants de la succession sont souvent peu disposés à présenter une demande d’homologation pour ces petits montants, qu’ils préfèrent abandonner. Lors de ses consultations, la CDO a entendu dire que cela arrivait dans un « nombre substantiel » de cas, même lorsque la prestation s’élève à 2 000 $ ou 3 000 $. Le problème, pour ces représentants de la succession n’en est pas seulement lié au coût, mais également aux contrariétés du processus d’homologation ainsi qu’au temps et à l’énergie qu’il requiert.

Malgré l’absence de données empiriques sur l’ampleur des problèmes auxquels sont confrontées les petites successions dans le régime d’homologation de l’Ontario, il semble clair qu’un problème existe. Il y a un problème pour les représentants de la succession de particuliers qui doivent payer pour un processus judiciaire dont ils ne comprennent pas l’utilité, mais dont l’effet pourrait bien être d’avaler une part substantielle de leur héritage. La nature et la portée exactes de ce problème dépendent de la manière dont on définit la notion de « petite succession ». Il existe aussi un problème systémique du fait que l’homologation est la manière communément acceptée d’établir l’autorisation légale en vertu de différents régimes législatifs, à la fois provinciaux et fédéraux. Lorsque, dans les faits, l’argent de la succession ne permet pas de payer l’homologation ou de faire en sorte que celle-ci en vaille la peine, cela crée des failles dans ces régimes et de l’incertitude quant à savoir qui est autorisé à recueillir les biens de la succession.

 

C.    Exigences relatives à l’homologation qui peuvent représenter un défi pour les petites successions
Afin de déterminer la pertinence d’un processus particulier pour les petites successions en Ontario et, le cas échéant, la meilleure manière de le concevoir, il faut comprendre les difficultés particulières rencontrées par les représentants de petites successions dans le régime d’homologation actuel.

En interrogeant les spécialistes, la CDO a entendu différentes opinions quant au degré de difficulté auquel font face les petites successions en vertu du régime actuel. Quelques spécialistes ont affirmé catégoriquement que les formules actuelles étaient faciles à remplir et qu’il n’y avait aucun problème avec le processus. D’autres ont rapporté avoir du mal à justifier les coûts de l’homologation auprès de leurs clients ayant de petites successions. Les spécialistes travaillant en milieu rural, en particulier, ont parlé de clients qui se trouvaient pris entre les exigences de la banque, qui demandait l’obtention d’une homologation, et le coût démesuré du processus.

Ces points de vue des spécialistes sont utiles, mais ils ne nous disent pas tout, car les représentants de très petites successions ne vont pas consulter un avocat. Ils sont plus susceptibles de chercher conseil auprès de leur institution financière ou du personnel des tribunaux. Lors de ses consultations avec ces intervenants, la CDO a obtenu une image plus globale de la question des petites successions. Pour la plupart d’entre elles, le processus d’homologation est inaccessible sur le plan pratique.

Qu’est-ce qui, dans le régime actuel, complique le processus d’homologation pour les petites successions et augmente les coûts? Différents facteurs peuvent entrer en jeu et certains d’entre eux (pas tous) sont abordés ci-dessous. Certains de ces facteurs touchent particulièrement les petites successions, mais la plupart sont des problèmes qui peuvent survenir dans toute demande d’homologation, quelle qu’en soit la valeur. Des relations tendues entre parents survivants, par exemple, compliqueront même un processus d’homologation idéal.

 

1.     Absence de testament

 
Environ 50 pour cent des Canadiens n’ont pas de testament, et 30 pour cent d’entre eux s’en justifient en disant qu’ils n’ont pas assez de biens pour que cela en vaille la peine[98]. Malheureusement, il n’y a pas de statistiques sur la valeur relative des successions avec et sans testament en Ontario. On peut supposer que les successions sans testament sont généralement de valeur moindre, mais ce n’est pas nécessairement le cas, particulièrement lorsqu’il y a un testament, mais que celui-ci a été perdu (ou caché).

Lors des consultations, les spécialistes en succession ont tous dit avoir moins de dossiers relatifs à des successions non testamentaires. C’est peut-être que les représentants de successions non testamentaires sont moins susceptibles de recourir aux services d’un avocat pour le processus d’homologation. Encore une fois, cela ne signifie pas nécessairement que les successions sans testament sont de valeur moindre.

Quelles que soient la fréquence et la valeur des petites successions non testamentaires en Ontario, l’absence de testament est un facteur clé (peut-être le facteur clé) qui tend à compliquer le processus d’homologation. Un testament qui désigne un exécuteur établit les intentions du testateur, et le rôle du tribunal se limite alors à authentifier le testament et à s’assurer que le requérant est bien l’exécuteur désigné par le testateur[99]. Cependant, lorsqu’il n’y a pas de testament, les intentions du défunt sont inconnues, et le tribunal doit exercer son pouvoir discrétionnaire pour nommer un fiduciaire de la succession approprié, conformément au cadre législatif de la Loi sur les successions[100]. Cette responsabilité supplémentaire du tribunal fait en sorte que le requérant doit fournir des renseignements additionnels, dont la renonciation de toute autre personne ayant un droit antérieur au rôle de fiduciaire de la succession, le consentement des bénéficiaires ayant droit à la majeure partie de la valeur des biens de la succession et une preuve que le requérant a obtenu un cautionnement de l’administrateur[101].

La présentation d’une demande d’homologation pour une succession non testamentaire peut être particulièrement compliquée lorsque le défunt vivait en union de fait. Bien qu’un conjoint de fait puisse être fiduciaire d’une succession non testamentaire, il n’est pas considéré comme un « conjoint » aux fins de la Loi portant réforme du droit des successions et n’a donc pas droit à la succession en vertu du plan de répartition présenté à la Partie II de la Loi[102].

Les exigences supplémentaires pour l’obtention de l’homologation dans le cas d’une succession non testamentaire peuvent également poser des problèmes pratiques au requérant et à son avocat. Par exemple, selon les spécialistes, il est plus souvent nécessaire de retrouver des personnes dans les cas de successions non testamentaires. En règle générale, personne, pas même le client, ne détient tous les renseignements nécessaires pour remplir la demande d’homologation.

Par ailleurs, comme c’est le cas pour toute affirmation négative, il peut être difficile d’établir qu’il n’y a pas de testament. Il arrive souvent que les membres de la famille n’aient pas ce type de renseignement personnel au sujet du défunt. Une enquête a révélé que seulement 54 pour cent des Canadiens avaient parlé à leur famille de leurs intentions quant à leur testament[103]. Le fait que le représentant de la succession n’ait pas entendu parler d’un testament ne signifie pas qu’il n’en existe pas. Un fait plus préoccupant, et qui constitue une brèche importante dans le régime d’homologation actuel, est la possibilité qu’un membre de la famille dissimule un testament qui ne va pas dans le sens de son intérêt supérieur.

La formule 74.14 à la Règle 74 des Règles de procédure civile exige que la personne présentant une demande d’homologation dans le cas d’une succession sans testament prête le serment suivant :

J’ai recherché consciencieusement un testament ou autre document testamentaire, mais sans résultat. Je crois que le défunt n’a laissé ni testament ni autre document testamentaire.

Même les spécialistes en droit successoral en Ontario ne peuvent expliquer clairement la portée de l’obligation de ce qu’on entend par « recherché consciencieusement ». Les requérants représentés par un avocat peuvent payer de 400 $ à 800 $ pour publier un avis dans un journal ou une revue spécialisée pour chercher de l’information sur l’existence d’un testament. Cependant, il est difficile de dire si ces avis sont bien lus. La CDO a entendu dire que certaines communautés de spécialistes en succession avaient mis en place des systèmes informels pour s’avertir mutuellement par courriel des nouvelles successions et recherches de testaments. Aucune de ces pistes n’est susceptible d’être à la portée d’un représentant d’une petite succession non testamentaire qui n’a pas les moyens de retenir les services d’un avocat.

Ces facteurs tendent à compliquer le processus d’homologation et à augmenter les coûts pour toutes les successions non testamentaires. Mais pour les petites successions non testamentaires, les coûts élevés sont plus susceptibles de décourager les représentants de la succession d’accéder au régime d’homologation. Les conséquences peuvent être particulièrement graves en l’absence de testament. L’existence d’un testament apparemment valide suffit généralement à convaincre les institutions financières de suspendre l’exigence d’homologation pour les petites successions[104]. Cependant, en l’absence de testament, les institutions financières refusent généralement de suspendre l’exigence d’homologation, même pour les petites successions, ce qui est compréhensible. Les institutions financières sont confrontées au même dilemme que les tribunaux dans de telles circonstances. En l’absence de testament, il n’y a aucun indice des intentions du testateur, et le représentant de la succession ne détient aucun pouvoir présumé. L’institution doit se fonder essentiellement sur sa propre évaluation des risques pour déterminer qui est légalement autorisé à administrer la succession. En l’absence de testament, la plupart des institutions financières refusent de prendre ce risque. Souvent, il en découle que le représentant de la succession se trouve coincé. Cette personne n’a pas nécessairement les moyens ou la volonté d’assumer le coût de l’homologation, et elle ne peut pas avoir accès aux biens de la succession sans homologation. Au bout du compte, les biens sont abandonnés.

Nous verrons ci-dessous que les difficultés auxquelles sont confrontées les petites successions non testamentaires dans le régime d’homologation de l’Ontario constituent le problème le plus urgent abordé dans le cadre de ce projet. Idéalement, une procédure propre aux petites successions amènerait ces petites successions non testamentaires dans le régime d’homologation, faisant en sorte que les biens des successions ne croupissent pas dans des comptes institutionnels, mais se retrouvent entre les mains des bénéficiaires, comme prévu dans la Loi portant réforme du droit des successions en Ontario[105].

 

2.     Présence d’un testament

 
Lorsqu’il y a un testament, il est nécessaire de présenter des preuves de sa légitimité et du fait qu’il s’agit bien du testament final du défunt avec la demande d’homologation. L’original du testament ainsi que tout codicille doivent être joints à la demande[106]. Des preuves supplémentaires sont fournies dans une série de formules annexées à la demande.

Un point qui pose parfois problème, quelle que soit la valeur de la succession, est l’exigence voulant qu’un témoin de la signature du testament dépose un affidavit de passation du testament (formule 74.8)[107]. Idéalement, cet affidavit est signé lors de la signature du testament et il est rangé avec le testament. Cependant, il n’est pas rare que l’affidavit soit manquant et que les témoins soient décédés ou ne puissent pas être retrouvés. Dans de tels cas, le requérant doit trouver d’autres preuves de la « passation régulière » du testament. Traditionnellement, on demandait aux banques de fournir un affidavit en se fondant sur la carte de spécimen de signature du testateur. Cependant, elles sont de plus en plus réticentes à le faire, car depuis l’avènement des services bancaires en ligne, elles sont moins susceptibles de connaître leurs clients. Un spécialiste a ainsi évoqué un cas où le testateur avait signé sa carte de spécimen de signature à l’âge de 16 ans. À son décès, à l’âge de 57 ans, sa signature avait changé, et la banque avait refusé de fournir un affidavit.

Même lorsqu’il est possible d’obtenir un affidavit, celui-ci peut ne pas suffire à convaincre le tribunal que le testament est légitime. Les facteurs suivants peuvent faire augmenter le coût de l’homologation : la recherche de témoins de la signature du testament, la collecte de nouvelles preuves de la passation régulière du testament et l’obtention de conseils juridiques lorsque le processus de demande ne se passe pas comme prévu.

Le processus d’homologation sera également plus compliqué si le testament est olographe (entièrement rédigé à la main par le testateur) ou s’il a été modifié. Dans ces conditions, le risque que le testament ne soit pas authentique ou qu’il ne représente pas les intentions véritables du testateur est augmenté. La demande d’homologation doit donc inclure des éléments supplémentaires. Dans le cas d’un testament olographe, le requérant doit déposer un affidavit (formule 74.9) attestant que l’écriture et la signature sont celles du défunt[108]. Si le testament a été modifié, la demande doit inclure un autre affidavit (formule 74.10) comparant le testament actuel à son état lors de la signature[109].

La formule 74.9 exige du souscripteur d’affidavit qu’il atteste ce qui suit : « Je connaissais bien le défunt et j’ai souvent vu sa signature et son écriture. » L’effet de cette exigence sur le coût de l’homologation dépendra des difficultés rencontrées dans la recherche d’une personne pouvant satisfaire à ces conditions. La formule 74.10 doit être déclarée sous serment par une personne ayant été témoin de la signature du testament.

En pratique, tout testament, particulièrement s’il n’a pas été rédigé par un professionnel, peut susciter des soupçons et faire augmenter le coût de l’homologation. Sans assistance juridique, les représentants de la succession peuvent avoir du mal non seulement à remplir les formules, mais aussi à s’orienter parmi tous les facteurs pouvant compliquer le processus.

Quelles seraient les conséquences si une procédure propre aux petites successions était accessible aux petites successions incapables d’assumer les coûts pour recueillir des preuves de la validité du testament? L’élimination de certains des éléments de preuve voulus ferait vraisemblablement baisser le coût des demandes et permettrait à plus de petites successions d’accéder à l’homologation. Cependant, réduire la norme de preuve de la validité du testament augmenterait le risque que la succession soit administrée en vertu du mauvais testament. Il y a manifestement un conflit entre l’accessibilité et la justesse du processus, et tout processus propre aux petites successions devra chercher à atteindre un équilibre entre les deux.

 

 

 

3.     Dynamique familiale
 

Les conflits familiaux peuvent être une source de complications diverses lors de l’homologation d’une succession, quelle qu’en soit la valeur. Ils peuvent entraîner des difficultés à obtenir un exemplaire du testament et à identifier les biens de la succession. L’union de fait ou les mariages subséquents font augmenter la probabilité de conflits, surtout lorsqu’il n’y a pas de testament. Des conflits sont plus susceptibles de survenir lorsque le défunt est le dernier membre d’un groupe familial et que l’héritage sort de la voie habituelle qu’est la transmission d’un conjoint à l’autre ou d’un parent à ses enfants.

Il s’agit là de difficultés auxquelles peut faire face toute succession, quelle qu’en soit la valeur. Le fait que la valeur pécuniaire d’une succession soit faible ne signifie pas que les membres de la famille ne se disputeront pas à son sujet. Comme l’a indiqué un représentant du gouvernement [traduction] : « [l]es gens peuvent se fâcher et devenir amers autant pour 1 000 $ que pour 100 000 $ lorsqu’il s’agit de la “famille”[110] ».

Les complications causées par les conflits familiaux touchent l’ensemble du processus d’administration de la succession et, dans de nombreux cas, elles sont tout simplement insolubles. Lorsqu’un conflit est porté devant les tribunaux, les biens de la succession sont rapidement rongés par les frais de justice. Les parties sont émotives, et il arrive qu’elles poursuivent leur lutte bien au-delà du point où il est encore financièrement raisonnable de le faire. Cependant, selon la forme qu’il pourrait prendre, un processus propre aux petites successions pourrait permettre qu’un plus grand nombre de ces conflits se déroulent dans la structure et sous la protection du système judiciaire.

 

4.     Recherche d’un requérant
 

Plutôt que de se battre pour obtenir le contrôle d’une succession, certaines familles ne souhaitent tout simplement pas avoir à administrer une succession. Il peut être difficile, particulièrement pour les petites successions, de trouver une personne qui soit prête à prendre en charge les coûts et les responsabilités associés au rôle de représentant de la succession. Les membres de la famille peuvent ne pas être en mesure de payer les frais initiaux de la demande d’homologation, ou ils peuvent être réticents à prendre des responsabilités si le montant prévu pour l’exécuteur testamentaire ne constitue pas un incitatif financier suffisant. Lorsqu’une succession est si petite qu’elle pourrait être insolvable, les avocats peuvent recommander aux représentants de la succession de renoncer à leur rôle afin de ne pas devoir être responsables du remboursement des créanciers si la succession ne permet pas de couvrir les dettes du défunt[111].

En vertu de la Loi sur l’administration des successions par la Couronne, le Bureau du Tuteur et curateur public (BTCP) de l’Ontario a le pouvoir de demander à être le représentant de la succession lorsque personne d’autre ne peut tenir ce rôle[112]. Cependant, il n’exerce cette compétence qu’en dernier recours, et seulement pour des successions d’une valeur nette de 10 000 $ ou plus[113].

Lorsque personne n’est volontaire pour tenir le rôle de représentant de la succession, il peut être difficile de faire face aux problèmes immédiats tels que les arrangements funéraires. Une préoccupation à plus long terme est celle de savoir si la succession sera administrée ou non.

 

5.     Problèmes relatifs à la capacité

 

Lorsque des problèmes relatifs à la capacité touchent un ou plusieurs bénéficiaires, la demande d’homologation s’en trouve nécessairement compliquée, quelle qu’en soit la valeur. Les mineurs et les personnes frappées d’incapacité qui ont un intérêt dans une succession sont protégés par la Règle 74, qui exige qu’un avis soit fourni au BTCP, au Bureau de l’avocate des enfants (BAE) ou aux deux endroits pour toute demande d’homologation[114]. Le BTCP, le BAE ou les deux instances supervisent le processus d’homologation, leur degré d’implication étant déterminé par la nature des intérêts en jeu.

 Par exemple, lorsqu’un mineur a des droits à titre de bénéficiaire d’une succession, le BAE veille à ce qu’il soit payé conformément aux modalités du testament, et il peut chercher à obtenir une reddition de comptes lorsqu’il n’y a pas de testament ou que le testament ne comporte pas de dispositions relatives à la fiducie. Lorsque la part de la personne mineure dépasse 10 000 $, le BAE veille à ce qu’elle soit consignée au tribunal, comme l’exige l’article 51 de la Loi portant réforme du droit de l’enfance (LRDE)[115]. Si le BAE a des inquiétudes quant à l’administration de la succession, il exige que le représentant de la succession dépose une demande de nature judiciaire pour faire approuver les comptes de la succession.

Il est important de noter que le BTCP et le BAE ne sont avisés de l’existence de bénéficiaires vulnérables relativement à une succession que si une demande d’homologation a été déposée[116]. Dans le régime d’homologation actuel, où il semble que de nombreux représentants de petites successions ne déposent pas de demande d’homologation, il se peut que des bénéficiaires vulnérables n’obtiennent pas cette protection. L’un des arguments favorables à l’introduction d’un processus d’homologation simplifié pour les petites successions en Ontario est que cela encouragerait davantage de représentants de petites successions à déposer une requête de certificat de petite succession. Ces petites successions seraient alors protégées par le régime d’homologation, ce qui déclencherait des protections juridiques telles que les avis aux bénéficiaires (incluant le BTCP et le BAE en ce qui concerne les bénéficiaires vulnérables). Cependant, l’argument inverse peut aussi être avancé, à savoir que les petites successions comportant des bénéficiaires vulnérables ne devraient pas être admissibles à un processus propre aux petites successions parce que le régime d’homologation judiciaire actuel offre une protection cruciale à ces bénéficiaires. C’est cette position que le BCE a adoptée dans sa contribution à la CDO[117]. Cependant, encore une fois, cet argument part de l’hypothèse que le représentant de la succession fait une demande d’homologation malgré les coûts démesurés du processus.

 

6.     Obligation de verser un cautionnement
 

Certaines demandes d’homologation sont considérablement compliquées par l’exigence pour le représentant de la succession de verser un cautionnement avec la demande. Cette exigence s’applique :

·       lorsqu’il n’y a pas de testament[118];

·       lorsqu’il y a un testament, mais que le requérant n’est pas nommé comme exécuteur testamentaire dans le testament[119];

·       lorsqu’il y a un testament, mais que le requérant n’est pas un résident du Commonwealth[120].

Selon la Loi sur les successions, le montant du cautionnement doit correspondre au double de la valeur de la succession (à la discrétion du tribunal)[121].

L’exigence de verser un cautionnement sert de garantie contre la mauvaise administration de la succession lorsque le testateur ne s’est pas porté garant du représentant de la succession dans le testament ou lorsque le représentant de la succession se trouve hors de l’étendue de la compétence des tribunaux. Plusieurs intervenants ont insisté pour dire que bien que la tendance actuelle soit de demander une dispense de l’obligation de cautionnement, celle-ci continue d’offrir une protection importante contre l’appropriation illicite des biens de la succession dans de nombreux cas, et tout particulièrement lorsqu’il y a des bénéficiaires mineurs ou frappés d’incapacité. Dans le cas des petites successions, toutefois, l’obligation de cautionnement actuelle est généralement considérée comme étant impraticable. Lors des consultations, le personnel des tribunaux a indiqué que l’un des principaux problèmes par rapport aux petites successions concernait le respect de l’exigence de cautionnement lorsqu’il n’y a pas de testament. Les représentants de la succession peuvent ne pas savoir où obtenir un cautionnement, ou ne pas détenir les biens personnels nécessaires. Pour les successions d’une valeur de moins de 100 000 $, la Règle 74.11 permet l’utilisation d’une caution personnelle telle qu’un parent ou un ami, mais le montant du cautionnement doit toujours correspondre au double de la valeur de la succession[122]. Comme ils sont soumis à des frais annuels, les cautionnements sont aussi un incitatif à terminer l’administration rapidement.

Lorsqu’un représentant de la succession est incapable d’obtenir un cautionnement, il est possible que personne d’autre ne puisse présenter de demande d’homologation. Les conséquences sont alors particulièrement préjudiciables aux bénéficiaires mineurs ou frappés d’incapacité, qui ne sont pas en mesure de protéger leur propre intérêt dans la succession[123].

Il est devenu courant de présenter une requête de dispense de l’obligation de cautionnement dans le cadre de la demande d’homologation[124]. Cette procédure, qui se fait sur papier, est souvent couronnée de succès[125]. Cependant, il n’existe pas de formule type pour présenter une telle requête, et il s’agit d’un domaine où les représentants de la succession sans représentation juridique peuvent être particulièrement désavantagés.

 

7.     Identification, recherche et notification des bénéficiaires et des créanciers
 

La Règle 74 exige qu’un avis de la demande d’homologation soit signifié à « toutes les personnes qui ont droit à une partie de la succession[126] ». Il n’existe pas de directives quant à la manière dont ce droit doit être déterminé, et l’identification des personnes concernées peut sans doute représenter un défi considérable pour de nombreux requérants sans assistance juridique.

Une fois qu’ils ont été identifiés, les bénéficiaires doivent être retrouvés. Avec la mondialisation, les bénéficiaires sont plus susceptibles d’habiter loin de l’Ontario que par le passé. Cependant, avec la croissance d’Internet, les recherches électroniques sont de plus en plus efficaces pour les retrouver. D’autres outils modernes comme les tests d’ADN peuvent aussi entrer en jeu. Des complications lors de l’identification et de la recherche des bénéficiaires peuvent survenir autant pour les petites successions que pour les grosses successions, mais pour les premières, les coûts seront démesurés.

Une fois les bénéficiaires retrouvés, les règles veulent que le représentant de la succession remplisse une formule particulière pour l’avis de requête. Selon qu’il y ait ou non un testament, la formule à remplir ne sera pas la même (formules 74.7 et 74.17, respectivement). L’envoi se fait par courrier ordinaire à la dernière adresse connue de la personne[127]. L’avis doit également être envoyé au BTCP et au BAE lorsqu’il y a des bénéficiaires mineurs ou frappés d’incapacité[128].

Lors des consultations, plusieurs intervenants ont indiqué ne pas avoir eu de problème à communiquer avec les bénéficiaires, même lorsqu’il y avait sept bénéficiaires ou plus ou que l’un des bénéficiaires habitait à l’étranger, par exemple. Un spécialiste a mentionné qu’en 17 ans d’exercice, il avait rarement eu à faire des efforts particuliers pour retrouver des bénéficiaires. Certains membres du personnel des tribunaux s’entendent eux aussi pour dire que la recherche de bénéficiaires ne pose généralement pas de problèmes.

Cependant, cette exigence peut représenter un défi particulier pour les représentants de la succession qui n’ont pas d’assistance juridique. Comme le note Mme Hakim :

[Traduction]
Il est d’une importance capitale de rappeler que l’Ontarien moyen a peu ou pas d’expérience en ce qui a trait aux formules des tribunaux et aux affidavits. Dans mon expérience concrète, et dans celle des spécialistes avec qui j’ai parlé, la tâche de préparer l’avis, de décrypter qui exactement devrait le recevoir, de comprendre et de respecter le mode de signification prescrit, de bien préparer un affidavit et de le signer adéquatement revêt un caractère intimidant pour la plupart des gens, et elle constitue l’un des plus gros obstacles à l’accès au régime d’homologation[129].

Là encore, ces difficultés peuvent être encore plus grandes pour les petites successions, car le représentant de la succession est moins susceptible de bénéficier d’une assistance juridique.

 

8.     Évaluation des biens
 

Une autre exigence de la formule de demande d’homologation est l’évaluation des biens de la succession[130]. En Ontario, l’évaluation doit séparer les biens immeubles (après déduction des charges) et les biens meubles. Toutefois, jusqu’à récemment, il n’était pas nécessaire de décomposer la valeur en biens particuliers[131]. L’évaluation sert à calculer l’impôt sur l’administration des successions qui doit être payé[132]. Si le représentant de la succession n’est pas en mesure d’en déterminer la valeur lors de la demande, il peut fournir une estimation ainsi qu’un engagement à fournir un montant définitif dans les six mois suivant l’émission du certificat de nomination[133].

Lors des consultations, les avis étaient mitigés quant aux difficultés rencontrées lors de l’évaluation des biens aux fins de la demande d’homologation. Certains spécialistes trouvaient que l’évaluation de biens fonciers ruraux pouvait être problématique. D’autres trouvaient que les rapports d’évaluation professionnels étaient fiables, et que le processus fonctionnait bien.

Mme Hakim écrit :

[Traduction]
Selon mon expérience concrète, il peut être long d’identifier l’ensemble de l’actif et du passif d’un défunt et de les faire évaluer. Si les institutions financières doivent divulguer des renseignements pour que l’évaluation ait lieu, ou si la succession du défunt nécessite l’évaluation d’actions ou de biens personnels, ou si le représentant de la succession a un faible niveau de littératie financière, l’exigence d’évaluation ou d’inventaire peut être un frein à l’accessibilité, comme elle peut présenter des difficultés telles que le représentant de la succession est incapable d’agir sans l’aide d’un professionnel[134].

Les difficultés relatives à l’évaluation ne sont pas le propre des grosses successions. Les petites successions ne sont pas nécessairement faciles à administrer. Elles peuvent contenir des biens qui sont difficiles à évaluer tout en étant de faible valeur.

Les membres du personnel des tribunaux se sont dits préoccupés par le degré de fiabilité des montants inscrits dans les demandes d’homologation. Par exemple, il semblerait que certains spécialistes aient l’habitude d’évaluer systématiquement les biens immeubles à 50 000 $, sans s’engager à corriger ce chiffre. Les membres du personnel des tribunaux examinent minutieusement les demandes pour déterminer s’il y a lieu de douter de l’évaluation fournie, mais ils ne peuvent pas vérifier cette évaluation. Auparavant, lorsqu’une valeur estimée était fournie, le personnel des tribunaux faisait généralement le suivi auprès du fiduciaire de la succession après le délai de six mois[135]. Cependant, il n’existait aucun moyen de prendre en compte les biens découverts par la suite. Les nouvelles règles en matière de vérification instaurées par le ministère des Finances ont vraisemblablement pour but d’apaiser certaines inquiétudes à ce sujet. Il en est question dans la prochaine section de ce texte.

Tant les petites successions que les grosses successions peuvent être confrontées à des problèmes d’évaluation des biens, en fonction des biens dont il est question. Ce projet s’y intéresse uniquement dans la mesure où ils peuvent faire augmenter le coût de l’homologation au-delà des ressources dont disposent les représentants de petites successions.

9.     Impôt sur l’administration des successions et Déclaration de renseignements sur la succession
 

Si l’évaluation des biens pouvait déjà poser des difficultés aux représentants de la succession qui ne sont pas représentés par un avocat, la nouvelle réglementation en matière de vérification instaurée par le ministre des Finances en janvier dernier risque de compliquer encore plus les choses[136]. Cette réglementation ajoutera une étape de plus au processus d’homologation en exigeant des fiduciaires de la succession qu’ils remplissent et déposent une formule énumérant les détails de chacun des biens de la succession. Cette formule doit être soumise au Ministère dans les 90 jours suivant la délivrance d’un certificat de nomination.

Cette nouvelle réglementation complète le régime d’imposition de l’administration des successions de l’Ontario, qui est en cours d’élaboration depuis 1992. Cette année-là, le gouvernement a triplé le montant des frais d’homologation[137]. Il en a découlé une contestation judiciaire, et en 1998, la Cour suprême du Canada a jugé que ce qui avait été qualifié de « frais » était en fait un impôt[138]. Selon la Cour, « les frais d’homologation ne produisent pas “accessoirement” des recettes générales additionnelles, mais au contraire visent précisément cet objectif. Les recettes tirées des frais d’homologation sont affectées à une fin d’intérêt public, soit le financement des coûts de l’administration des tribunaux en général, et ils ne servent pas seulement à couvrir les coûts de délivrance des lettres d’homologation[139]. » L’Ontario a adopté cette même année la Loi de l’impôt sur l’administration des successions afin d’avoir l’autorisation légale de percevoir cet impôt[140]. Cependant, cet impôt était encore perçu dans le cadre du processus d’homologation et consigné au tribunal. Pour cette raison, les sommes reçues étaient peu surveillées.

En 2011, le Ministère a finalement obtenu le contrôle direct de l’impôt et il a conçu la nouvelle Déclaration de renseignements sur la succession afin de pouvoir disposer des renseignements lui permettant de faire mieux appliquer le paiement de l’impôt[141]. Cette nouvelle déclaration exige de donner de nombreux détails quant à chacun des biens de la succession, à leur valeur, à leur emplacement, etc. Bien que les représentants de la succession puissent la trouver rébarbative, un représentant du Ministère a fait remarquer qu’elle était bien moins compliquée à remplir que la déclaration de revenus de l’Agence du revenu du Canada. Le Ministère a également publié un guide à l’intention des profanes pour les aider à remplir la déclaration[142].

La nouvelle déclaration doit être remplie pour toutes les successions, quelle qu’en soit la valeur. Le représentant du Ministère a expliqué que cela était nécessaire pour recueillir des renseignements de base sur les biens de la succession.

Certains spécialistes en succession ont contesté l’idée selon laquelle la nouvelle déclaration serait facile à remplir et accessible aux représentants de la succession. Selon un spécialiste en succession :

[Traduction]
Cela va vraiment faire augmenter les coûts — juridiques et autres — associés à l’administration d’une succession. Il y aura des coûts supplémentaires pour la préparation de la déclaration ainsi que pour l’obtention des évaluations, par exemple dans les cas où des évaluations en bonne et due forme n’ont pas été demandées par le passé et que les fiduciaires de la succession se basaient sur leurs recherches pour l’évaluation[143].

Barry Corbin a critiqué le nouveau régime de vérification en laissant entendre qu’il pouvait notamment entraîner des retards dans la distribution des biens et dissuader des gens de se porter volontaires pour être fiduciaires de la succession[144].

Le nouveau régime de vérification est entré en vigueur en janvier dernier seulement; il reste donc à voir dans quelle mesure l’exigence de remplir la Déclaration de renseignements sur la succession sera un obstacle supplémentaire à l’obtention de l’homologation en Ontario.

Lors des consultations, plusieurs intervenants ont laissé entendre que le régime d’imposition de l’administration des successions devrait être modifié au profit des petites successions. Certains ont suggéré que le montant minimal à partir duquel l’impôt s’applique (1 000 $ actuellement) soit augmenté afin d’exempter toutes les petites successions de l’impôt. D’autres ont suggéré d’imposer un impôt uniforme aux petites successions. Un spécialiste a suggéré d’abolir carrément l’impôt sur l’administration des successions afin d’économiser les ressources et d’ajouter une surtaxe à la déclaration d’impôt provinciale finale du défunt. La question de savoir s’il faudrait diminuer l’impôt sur l’administration des petites successions dépasse le cadre de ce projet, qui se concentre sur le processus d’homologation. Les implications sur le revenu d’une diminution de l’impôt sur l’administration des successions ne sont tout simplement pas connues. Cela dit, l’impact de la nouvelle Déclaration de renseignements sur la succession sur l’accessibilité du processus d’homologation est directement visé par ce projet et sera abordé plus en détail au chapitre VII ci-dessous.

 

10.  Biens immeubles

 

Presque tous les biens immeubles de l’Ontario ont été transférés du régime d’enregistrement des actes au régime d’enregistrement des droits immobiliers, et, selon certains spécialistes en succession, ils en seraient devenus plus difficiles à transférer[145]. En vertu du régime d’enregistrement des droits immobiliers, la plupart des successions contenant des biens immeubles doivent déposer une demande d’homologation, car le directeur des droits immobiliers exige un certificat de nomination dans le cadre du transfert de propriété du défunt à la succession et de la succession au propriétaire bénéficiaire[146]. Le directeur des droits immobiliers a établi une politique qui dispense de cette exigence les biens immeubles d’une valeur de moins de 50 000 $ lorsqu’il y a un testament qui indique qui a droit au bien et lorsque d’autres exigences sont respectées, dont l’inclusion d’une convention d’indemnisation[147].

Pour les successions non testamentaires, il est impossible d’obtenir une suspension de l’exigence d’homologation pour le transfert des biens immeubles du défunt. Pour la plupart des petites successions, ce n’est pas un problème. Compte tenu de la valeur moyenne des biens immeubles en Ontario, il n’y a tout simplement pas beaucoup de petites successions qui contiennent des biens immeubles. Cependant, dans certaines zones rurales, les biens immeubles peuvent être d’une valeur assez faible pour que le propriétaire soit considéré comme ayant une petite succession. Lorsqu’il n’y a pas de testament, un certificat de nomination est actuellement exigé pour le transfert de ces biens.

 

11.  Formules et procédures judiciaires

 

Un obstacle important à l’accès des petites successions au régime d’homologation est le coût de la représentation juridique. Cette dernière se révèle pourtant souvent nécessaire pour s’y retrouver dans les formules et les procédures menant à la délivrance d’un certificat de nomination. Une assistance juridique peut être nécessaire pour décrypter le langage utilisé dans les formules ainsi que pour comprendre les responsabilités qui découlent d’une demande acceptée.

Il existe 65 formules différentes en vertu de la Règle 74, et la plupart d’entre elles sont au moins potentiellement applicables à une demande d’homologation non contestée. Même une personne ayant une formation juridique peut être déroutée en essayant de distinguer toutes ces formules afin de déterminer lesquelles se rapportent à une demande particulière.

Une fois les formules pertinentes trouvées, le profane doit comprendre le sens des mots utilisés dans chacune. Même lorsque les questions sont claires et directes, de nombreux profanes ne comprennent pas la signification juridique de leurs réponses. Plusieurs des questions invitent le requérant à expliquer sa réponse, mais sans fournir de contexte quant au type de renseignements demandés. Par exemple, si le requérant est le conjoint du défunt, la formule demande s’il a choisi de jouir du droit prévu à l’article 5 de la Loi sur le droit de la famille. Si la réponse est oui, la formule prévoit de l’espace pour que le requérant explique « pourquoi le conjoint a le droit de présenter une requête ». Ce type de questions présume que le requérant possède les connaissances juridiques nécessaires pour fournir une réponse. On peut dire sans craindre de se tromper que la majorité des Ontariens ne sont pas au fait des principes juridiques qui déterminent le « droit » d’une personne dans ce contexte.

Certains problèmes clés en ce qui a trait aux formules actuelles ont été décrits lors des consultations. La section de la formule portant sur les divorces du défunt peut poser des problèmes pratiques. Lorsque l’exécuteur est l’enfant du défunt, il peut ignorer ces détails et devoir les obtenir auprès du tribunal de la famille.

Certains ont fait remarquer que l’exigence de signer un affidavit avec la demande de certificat de nomination posait problème à certaines personnes. Le greffe offre aux requérants qui ne sont pas représentés par un avocat de faire signer leurs affidavits pour 13 $, mais, selon plusieurs spécialistes, cette pratique semble méconnue.

Même si un profane peut se retrouver dans les exigences juridiques relatives aux demandes d’homologation, le temps et les efforts qu’il faut consacrer au processus peuvent constituer un obstacle pour certaines personnes[148].

Malgré plusieurs suggestions d’améliorations à apporter aux formules, les intervenants considèrent généralement que chacune de ces formules a son utilité et ne devrait donc pas être éliminée. Le personnel des tribunaux a fait remarquer que le régime d’homologation de l’Ontario était reconnu à travers le monde comme faisant autorité. Contrairement à ce que l’on aurait pu croire, même les intervenants particuliers ne se sont pas plaints des formules.

 

12.  Manque de connaissances du public quant à l’homologation

 

Il a déjà été question ci-dessus de l’apparente abondance des fausses perceptions du public quant à l’utilité de l’homologation. Ce manque de connaissances du public touche aussi le processus d’homologation en soi. De nombreux représentants du gouvernement, entre autres intervenants, ont exprimé leurs inquiétudes quant au fait que les représentants de la succession pourraient ne pas comprendre leurs responsabilités, ou la signification du processus qu’ils suivent. Les gens ne lisent pas le guide en ligne; ils se contentent d’imprimer les formules et de les remplir. Il existe aussi des aspects sur lesquels les gens sont particulièrement mal informés. Par exemple, de nombreuses personnes croient à tort que toutes les successions non testamentaires sont prises en charge par le BTCP.

Cette confusion touche également les questions de fond en matière de droit légal. Selon un intervenant :

 [Traduction]
[D]e nombreuses personnes plutôt honnêtes arrivent à des conclusions erronées au sujet de qui a droit à quoi et de ce qui devrait arriver avec l’argent, ou ont tendance à ignorer les créanciers. Ou encore, elles sont réticentes à faire quoi que ce soit parce qu’elles croient qu’elles devront rembourser les dettes elles-mêmes[149].

Les renseignements erronés et le manque de connaissances peuvent sans doute compliquer le processus d’homologation, quelle que soit la valeur de la succession. Cependant, là encore, le problème est plus préoccupant dans les cas de petites successions, où l’argent ne permet pas toujours de recourir aux services d’un avocat.

 

13.  Obstacles personnels

 

Il existe une documentation abondante sur les obstacles d’ordre racial, ethnique, linguistique, de genre et autres qui peuvent empêcher les gens d’accéder au système judiciaire en général[150]. Certains des commentaires formulés lors des consultations laissent entendre qu’au moins quelques-uns de ces obstacles touchent également le régime d’homologation. Par exemple, certains intervenants particuliers ont mentionné que des problèmes pratiques comme la distance, la maladie et l’âge, entre autres, constituaient des entraves au processus. Une personne a mentionné que le personnel du tribunal ne communiquait pas par téléphone ou par courriel et qu’elle a donc dû se rendre au greffe plusieurs fois, ce qui représentait un voyage d’une heure et demie à partir de son domicile[151]. Une autre personne a expliqué que le processus pouvait être particulièrement pénible pour les couples de même sexe, qui avaient souvent du mal à prouver leur droit[152].

Une procédure propre aux petites successions conçue pour améliorer l’accès au régime d’homologation ne sera réussie que si elle améliore l’accès à tous les représentants de petites successions, quels que soient leurs obstacles personnels.

 

14.  Collectivités rurales

 

Dès le début du projet, il est apparu que les habitants de collectivités rurales pouvaient avoir une expérience du régime d’homologation très différente de celle des habitants de collectivités urbaines. Pour cette raison, la CDO a rejoint des intervenants d’une variété de collectivités.

Selon les spécialistes et les membres du personnel des tribunaux consultés, les habitants de collectivités urbaines comme Toronto ont tendance à faire homologuer des successions plus grosses et plus complexes[153]. Il peut y avoir des testaments primaires et secondaires, et des biens sophistiqués. Le représentant de la succession est plus susceptible de recourir aux services d’un avocat.

Dans les collectivités rurales, les successions sont susceptibles d’être plus petites et plus simples. Comme l’affirme un spécialiste, [traduction] « lorsqu’on sort de la bulle de l’argent », la pratique de l’homologation est moins protocolaire et plutôt basée sur les relations. Un spécialiste travaillant en milieu rural a fait remarquer que les gens qui possèdent moins de richesses sont reconnaissants des petites rentrées d’argent imprévues et se préoccupent moins des avis aux bénéficiaires et des risques de fraude. Ils sont plus susceptibles d’abandonner les biens que d’assumer le coût de l’homologation.

Il existe plusieurs différences entre les collectivités urbaines et rurales qui peuvent avoir un impact sur l’expérience de l’homologation, dont les suivantes :

·       La valeur des biens immeubles est typiquement plus faible dans les collectivités rurales, où elle peut être inférieure à 50 000 $ dans certains cas, ce qui fait que même des successions comprenant des biens immeubles peuvent être de faible valeur.

·       Les biens immeubles peuvent être difficiles à évaluer dans les collectivités rurales. Il existe de nombreuses propriétés uniques, et une propriété peut rester plusieurs mois sur le marché. Sans évaluation ferme, le personnel des tribunaux est plus susceptible de rejeter la demande.

·       Les collectivités rurales comptent plus de grandes familles. L’abondance de bénéficiaires complique la demande d’homologation et en fait augmenter le coût.

·       Certaines collectivités rurales ont été fondées par une seule famille, ce qui fait que de nombreuses personnes portent le même nom de famille. L’identification et la recherche des bénéficiaires peuvent en être compliquées.

·       Dans certaines petites collectivités, les bénéficiaires peuvent avoir du mal à obtenir un avis juridique indépendant avant de signer un accord d’indemnisation en faveur d’une institution financière. Cela peut s’expliquer par le fait qu’il y ait moins d’avocats dans cette collectivité, ou que les avocats soient inaptes à agir en raison d’un conflit d’intérêts d’ordre professionnel.

·       Dans les régions rurales, l’accès à l’information est relativement limité. Les gens n’ont pas nécessairement accès au service Internet à large bande. Ils sont plus susceptibles de se fier aux avocats ou à d’autres professionnels pour obtenir des renseignements juridiques, sans être nécessairement représentés par un avocat pour autant.

·       Dans les collectivités rurales, les testateurs et les représentants de la succession sont plus susceptibles d’avoir une relation personnelle avec leur institution financière. Lorsque c’est le cas, l’institution financière est plus susceptible d’accepter de suspendre l’exigence d’homologation.

 

Il s’agit bien sûr de généralisations, et des demandes d’homologation de petites successions ont tout autant de chances d’être déposées à Toronto qu’à Kenora. Une procédure accessible pour les petites successions devrait être offerte partout de manière égale.

 

15.  Ressources publiques
 

Les programmes gouvernementaux offrant des services publics auront toujours à composer avec des problèmes de financement et des ressources limitées. Le régime d’homologation ne fait pas exception. Le personnel au comptoir des greffes doit constamment relever le défi d’aider les personnes qui ont de petites successions et qui demandent une homologation sans savoir de quoi il s’agit ou sans comprendre le processus complet que cela implique. Ces personnes n’ont pas d’argent pour payer un avocat. Le personnel doit s’efforcer de les aider sans dépasser certaines limites ni donner des avis juridiques.

Les contraintes en matière de ressources sont également perceptibles dans les délais nécessaires pour traiter les demandes d’homologation, qui varient selon le greffe et la période de l’année. De nombreux intervenants ont offert une estimation approximative des délais de traitement dans divers emplacements à travers la province. Les retards étaient généralement considérés comme problématiques à Toronto. Dans de plus petits centres comme Kingston et Windsor, l’homologation était effectuée en aussi peu que deux semaines, selon des intervenants. À Brampton, une demande serait traitée en deux mois et demi, contre seulement trois semaines à Milton. À Ottawa, le délai estimé était de six semaines. Dans l’attente d’un certificat de nomination, rien ne peut être fait. Les dettes ne peuvent pas être remboursées, ce qui peut être stressant pour les représentants de la succession.

Le BTCP a fait part de ses propres limitations en matière de ressources. Il prend en charge l’administration des successions et effectue de 200 à 250 demandes d’homologation par année environ. En tout temps, il s’occupe d’environ 1 100 demandes. La plupart d’entre elles concernent des successions non testamentaires. La valeur moyenne des successions dont s’occupe le BTCP s’approche tranquillement d’environ 100 000 $, et il n’est pas rare que le bureau administre des successions non testamentaires d’une valeur pouvant aller jusqu’à 1 M$. Il n’administre pas de successions insolvables ou de successions d’une valeur inférieure à 10 000 $. Le BTCP n’administre une succession qu’en dernier recours, et il n’a pas les ressources nécessaires pour jouer un rôle plus important.

Afin d’être réalisable, un processus d’administration des petites successions devra prendre en compte la réalité de la limitation des ressources.

 

D.   Fonctionnement actuel du régime d’homologation
 

Dans l’ensemble, la plupart des spécialistes et des employés du greffe trouvaient que le processus d’homologation actuel était raisonnablement satisfaisant comme moyen d’établir la validité d’un testament et d’attester du pouvoir d’un représentant de la succession pour la majorité des successions en Ontario. Les exigences actuelles en matière de présentation d’une demande étaient généralement considérées comme étant appropriées pour protéger à un coût raisonnable les successions importantes. Bien que de nombreuses complications puissent survenir au cours du processus de demande selon qu’il y ait ou non un testament et selon le nombre et l’identité des bénéficiaires et leur lieu de résidence, le type de biens et ainsi de suite, cela ne mine pas la valeur du processus en général.

Cependant, de nombreux intervenants de chacun des groupes ont dit croire que la situation était différente dans le cas des petites successions pour lesquelles le coût de l’homologation constitue un obstacle à l’accès au processus même. Il s’agit des successions dont les biens suffiraient tout juste à ce que l’homologation en vaille la peine si ce n’était du coût d’un avocat, ou de celles qui ne comportent effectivement pas d’argent, mais dont l’homologation est requise pour une raison ou pour une autre, comme pour remplir la déclaration de revenus finale du défunt, ou même pour des raisons sentimentales. Pour ces successions-là, les difficultés d’accès au régime d’homologation ne sont pas tant liées à une faille dans le processus qu’à des obstacles financiers purs et simples.

Dans ces circonstances, il n’est pas utile d’insister pour suivre le processus d’homologation actuel. Il devrait exister un autre moyen de faire augmenter la probabilité que ces successions soient protégées par l’homologation et administrées au profit des personnes intéressées. Au chapitre VII ci-dessous, nous formulons des recommandations quant à ces petites successions.


E.     Homologation de petites successions sans l’aide d’un avocat

 

Les frais de l’avocat engagé pour présenter une demande d’homologation représentent généralement une part importante du coût total de l’homologation. Plus la valeur d’une succession est faible, plus les frais juridiques risquent d’être démesurés par rapport au coût total. L’une des questions les plus importantes et les plus controversées par rapport à ce projet concerne la mesure dans laquelle une assistance juridique est ou devrait être nécessaire pour préparer une demande d’homologation, particulièrement dans le cas des petites successions.

 

1.     Actuellement, la plupart des représentants de la succession (mais pas tous) ont recours aux services d’un avocat
 

Nous ne savons pas combien de représentants de la succession déposent une demande d’homologation sans assistance juridique actuellement. Certains des spécialistes consultés n’avaient jamais entendu parler d’un profane dont la demande aurait été acceptée. Cependant, à en croire le personnel des tribunaux et d’autres intervenants, il est clair que des demandes présentées par des profanes sont acceptées. Lors des consultations, nous avons entendu de nombreuses estimations officieuses du pourcentage de demandes d’homologation présentées par le requérant même. Aucune n’est fiable à elle seule, mais prises ensemble, elles suggèrent que, tout en étant minoritaires, les demandes d’homologation présentées par le requérant même ne sont pas négligeables.

Par exemple, plusieurs membres du personnel des tribunaux ont suggéré qu’environ 90 pour cent des demandes d’homologation étaient présentées par des avocats, mais que le nombre de parties non représentées augmentait chaque année[154]. Apparemment, les demandes soumises par des profanes sont devenues plus fréquentes depuis que les formules ont été mises en ligne, en 1995, et que la règle exigeant que le personnel aide les personnes ayant une succession de moins de 1 000 $ a été abrogée[155]. L’estimation de 90 pour cent est également appuyée par un examen informel d’une pile aléatoire de dossiers des tribunaux.

Treize des 24 réponses au questionnaire reçues par la CDO concernaient les demandes d’homologation. Sept d’entre elles avaient été déposées par des particuliers sans l’aide d’un avocat. Ces particuliers avaient utilisé divers outils pour obtenir de l’aide. Ils avaient notamment eu recours au personnel des tribunaux, lu le guide du Barreau du Haut-Canada et parlé à des amis qui avaient passé à travers le processus.

 Les spécialistes travaillant en milieu rural ont rapporté que les représentants de petites successions sans biens immeubles ne recouraient généralement pas aux services d’un avocat, mais cherchaient plutôt conseil auprès de leur banque ou d’une autre institution financière. Cette pratique n’est pas idéale, puisque les institutions financières sont généralement motivées à ce que les biens de la succession restent chez elles.

Dans les collectivités rurales, il est également courant que les avocats offrent des consultations initiales gratuites pour les questions de succession. On estime que seulement 55 à 60 pour cent des représentants de successions ayant profité de consultations gratuites avaient recours aux services d’un avocat par la suite.

Il est donc raisonnable de supposer que, bien que la plupart des demandes d’homologation soient effectuées avec une assistance juridique, un nombre appréciable de demandes sont actuellement effectuées par des profanes.

 

2.     Défis actuels pour obtenir une homologation sans l’aide d’un avocat
 

Actuellement, un particulier tentant de suivre le processus d’homologation sans l’aide d’un avocat est confronté à de nombreux obstacles.

La terminologie utilisée dans le régime d’homologation de l’Ontario est lourde et contre-intuitive. Le mot le plus susceptible d’être reconnu par un profane, « homologation », a été pratiquement éliminé des règles 74 et 75 en 1994 et remplacé par l’expression moins facilement reconnaissable de « certificat de nomination à titre de fiduciaire de la succession »[156]. Vingt ans plus tard, la législation de base continue toutefois à parler de lettres d’homologation et de lettres d’administration[157]. Par ailleurs, le terme « homologation » continue d’être largement utilisé par les spécialistes en succession ainsi que par les représentants de la succession[158].

Certaines des règles pour l’obtention de l’homologation sont techniques et peuvent être déroutantes pour les profanes. Par exemple, bien qu’il ne soit pas toujours nécessaire d’obtenir un certificat de nomination, il n’y a pas de règles claires quant aux circonstances où une demande est nécessaire ou non[159]. Les règles quant à l’endroit où la demande doit être déposée sont, elles aussi, plutôt obscures. C’est-à-dire que la demande doit être déposée au tribunal du comté ou du district où se trouve la propriété du défunt ou à celui du comté ou du district où le défunt habitait, selon les circonstances[160].

La simple quantité de formules à remplir pour une demande complique les choses, et il n’est pas facile de savoir quelles formules s’appliquent à une succession en particulier[161]. Par ailleurs, bien qu’il existe une formule pour presque toutes les éventualités, il n’existe pas de formule pour présenter une demande de dispense de l’obligation de cautionnement de l’administrateur. Les requérants non représentés doivent rédiger cette demande eux-mêmes de A à Z.

Les formules des tribunaux sont disponibles en ligne, où il est possible de les remplir directement. Cependant, une fois remplies, elles doivent être imprimées, attestées et déposées en personne. Il est donc encore nécessaire de se présenter au palais de justice.

Pour les profanes, il n’existe pas de moyen facile de s’informer des successions et des demandes d’homologation en Ontario, si ce n’est de téléphoner périodiquement au greffe pour avoir des nouvelles.

Enfin, il n’existe pas de guide officiel pour préparer une demande d’homologation, et pas de point d’accès Internet unique pour obtenir des renseignements et accéder aux formules qui s’appliquent au processus d’obtention d’un certificat de nomination. La page « Foire aux questions concernant les successions » du site Web du ministère du Procureur général contient des renseignements utiles et des liens vers les formules des tribunaux[162]. Elle contient aussi un lien vers un document sur les erreurs courantes qui surviennent au moment de remplir les requêtes[163]. Ces renseignements sont toutefois incomplets, et ils ne guident pas le lecteur étape par étape à travers le processus de demande. Le Barreau du Haut-Canada (BHC) a pour sa part créé des guides en ligne qui fournissent de tels renseignements étape par étape[164]. Cependant, ces guides sont conçus pour les avocats, et ils ne sont pas rédigés en langage clair. Par exemple, un « testament » y est défini comme un « acte testamentaire qui doit être fait par écrit », sans que le terme « acte testamentaire » soit défini.

Au-delà des sources du MPG et du BHC, il y a un manque particulier de renseignements destinés au public quant au régime d’homologation de l’Ontario. Les fournisseurs de renseignements juridiques établis comme Éducation juridique communautaire Ontario (EJCO) n’offrent pas de renseignements sur l’homologation, mais se concentrent plutôt sur des domaines plus prioritaires tels que le droit criminel, le droit des réfugiés et le droit de la famille[165]. Par exemple, il n’y a pas de documents portant spécifiquement sur l’homologation sur le site Your Legal Rights de l’EJCO[166]. On trouve sur le site LegalLine un article au sujet de l’homologation, mais celui-ci est trop bref pour être utile à lui seul[167]. Le service en ligne Votre droit du BHC comprend des renseignements sur les testaments et les successions, mais il ne semble pas contenir d’information sur la présentation de demandes d’homologation[168]. Pro Bono Law Ontario (PBLO) ne s’occupe pas des questions d’homologation[169], et son site Web ne contient pas de renseignements sur l’homologation[170].

Les sources d’information publiques existantes mettent l’accent sur la complexité du processus d’homologation plutôt que de le démystifier et, dans certains cas, elles découragent le profane d’agir sans l’aide d’un avocat. Par exemple, le site Que faire lorsque quelqu’un décède de Service Ontario affirme : « S’il n’y a pas de testament, la succession est répartie selon la loi. La démarche peut être complexe. Si vous êtes dans cette situation, il serait bon de consulter une avocate ou un avocat. » Le lecteur est invité à communiquer avec le Service de référence d’avocat[171]. De manière semblable, le site Foire aux questions concernant les successions du ministère du Procureur général indique qu’un avocat est la personne la mieux à même de fournir des avis juridiques quant à la nécessité d’obtenir une homologation. Lorsqu’on encourage le lecteur à obtenir une assistance juridique dès le début du processus d’homologation, celui-ci peut raisonnablement conclure qu’une assistance juridique est généralement recommandée[172].

La plupart des autres provinces canadiennes n’arrivent pas davantage à offrir un régime d’homologation navigable sans assistance juridique.

La Colombie-Britannique a récemment révisé ses formules d’homologation pour améliorer les instructions sur la manière de les remplir[173]. Cependant, il n’existe pas de guide général expliquant le processus ou la manière dont chaque formule s’inscrit dans l’ensemble du processus[174]. Il y a un guide de l’usager, mais celui-ci ne fournit que des renseignements techniques sur la manière de remplir les formules[175]. Le site Web du ministère de la Justice comprend des renseignements généraux sur les successions, mais il invite le lecteur à consulter un avocat ou un guide pratique pour en savoir davantage[176]. Le site Web mentionne comme ressources les services Clicklaw et Dial-A-Law. Clicklaw offre un guide légèrement meilleur, quoique bref, au sujet des formules[177]. La loi de la Colombie-Britannique intitulée Wills, Estates and Succession Act et les règles d’homologation qui l’accompagnent sont encore nouvelles, et il se pourrait que de nouveaux documents deviennent disponibles. À cette étape, cependant, il semble que la Colombie-Britannique n’est pas encore arrivée à [traduction] « établir un régime d’homologation plus convivial[178] ».

Les renseignements sur la procédure pour les petites successions en Saskatchewan sont peut-être encore plus difficiles à trouver[179]. Bien que la Cour du Banc de la Reine de la Saskatchewan ait une page Web sur les demandes d’homologation, il ne semble pas y avoir de renseignements portant spécifiquement sur la procédure d’administration sommaire[180]. Le site Web de la Cour comprend un lien vers la page Web sur les testaments et les successions de la Public Legal Education Association of Saskatchewan (PLEA), qui fournit au public des renseignements juridiques de base sur le processus d’administration sommaire en Saskatchewan. [181] Cependant, on n’y trouve pas de renseignements sur la manière de suivre la procédure sommaire.

Le Manitoba a fait plus d’efforts pour offrir des renseignements publiquement accessibles sur sa procédure pour les petites successions. Il en est question à la section B du chapitre VII ci-dessous.

Une procédure d’administration des petites successions, aussi bien conçue soit-elle et aussi attentive soit-elle à trouver un juste équilibre entre la protection juridique et l’accessibilité, ne sera entièrement efficace que si les représentants de la succession peuvent obtenir des renseignements à son sujet et s’y retrouver sans avoir à payer pour obtenir une assistance juridique. Un objectif clé de ce projet est donc de faciliter l’utilisation du régime d’homologation par les profanes qui administrent de petites successions.

La loi qui sous-tend le régime d’homologation est complexe, et une simplification excessive du processus risquerait de miner les protections juridiques qu’elle fournit. Cependant, toute inquiétude quant à une simplification excessive de l’homologation en Ontario est hautement hypothétique en ce moment. Aucun effort significatif n’a été fait pour rendre le système plus accessible aux profanes, du moins depuis 1995, lorsque les formules ont été mises en ligne. Et, dans les faits, le régime d’homologation de l’Ontario reste mal compris, alambiqué et trop technique pour les profanes. Il existe de nombreuses manières de rendre le régime plus accessible aux profanes sans engager d’importantes dépenses publiques. Les moyens de contourner ces obstacles et d’améliorer l’accès au régime d’homologation pour les petites successions sont abordés au chapitre VII ci-dessous.

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