Compte tenu de l’impopularité de l’impôt sur l’administration des successions ainsi que des efforts et des dépenses requis pour obtenir l’homologation, les représentants de petites successions sont fortement incités à éviter l’homologation et à distribuer les biens de manière informelle. Cependant, outre la perte de la protection juridique, divers défis sont associés à l’évitement de l’homologation. Dans cette section, nous explorons le choix consistant à administrer une petite succession hors du régime d’homologation.

A.  Les petites successions sont-elles souvent administrées sans homologation?
 

Comme noté plus haut, plus des trois quarts des successions, en Ontario, ne sont pas homologués. Cette statistique n’est pas particulièrement utile, car elle englobe des successions plus importantes ayant été attentivement structurées de manière à pouvoir éviter l’homologation. Comme l’a noté un spécialiste, il en résulte un système curieux et incongru dans lequel les successions moyennes tendent à être homologuées, mais où les successions les plus grosses et les plus petites ne le sont pas[182].

Les gens tendent à éviter l’homologation non seulement parce qu’ils ne peuvent pas se la permettre, mais aussi afin de contourner l’impôt ainsi que le processus administratif. Plus d’un intervenant a attribué le problème du régime d’homologation au fait que l’impôt sur l’administration des successions a été triplé dans les années 1990. Avant cette époque, les gens ne semblaient pas faire grand cas de l’homologation. Néanmoins, le processus même peut aussi avoir un effet dissuasif. Comme nous l’avons vu à la section précédente, le processus peut être intimidant et déroutant pour les profanes.

Les spécialistes ont parlé de clients qui déployaient beaucoup d’efforts pour éviter l’homologation, alors même que l’impôt à payer sur l’administration de la succession était relativement faible. Par exemple, un client insistait pour éviter l’homologation afin d’économiser les 6 000 $ de l’impôt sur l’administration des successions, au risque de mettre en péril le plan testamentaire d’une succession de 400 000 $[183]. Un autre spécialiste a évoqué l’obsession « bizarre » qu’avaient plusieurs personnes d’éviter l’homologation, et noté que celles-ci risquaient au bout du compte de dépenser plus d’argent en règlement de litiges que ce qu’elles auraient payé en impôt.

Un intervenant particulier a décrit comment il a administré une succession sans homologation en dépit des obstacles posés par une institution financière :

[Traduction]
Comme je n’ai pas suivi la voie de l’homologation, la banque […] m’a forcé à fournir à la dernière minute toute sorte de renseignements sur mes avoirs financiers personnels avant d’accepter de transmettre les fonds de la succession aux héritiers. Ils ont débloqué des fonds de la succession pour payer les créanciers, mais ensuite, ils ont changé leurs règlements internes, à ce qu’on m’a dit, et ils ont exigé une déclaration personnelle de mes avoirs financiers, qui étaient d’une valeur bien supérieure à celle de la succession en question[184].

Une conséquence de cette tendance à éviter l’homologation autant que possible est l’augmentation du risque d’exploitation financière. De nombreux spécialistes en succession et d’autres professionnels ont dit être au fait de pratiques d’exploitation financière prenant la forme d’une mise en propriété conjointe des biens afin d’éviter l’homologation. Par exemple, un spécialiste a décrit une succession pour laquelle il avait tenu les rôles d’exécuteur et d’avocat. Les membres de la famille avaient convaincu le testateur de mettre les biens en propriété conjointe peu après la signature du testament. Lors du décès du testateur, les membres de la famille ont ainsi pu éviter l’homologation, ignorer les dispositions du testament et éviter de traiter avec l’exécuteur. Contrairement à de nombreux intervenants, ce spécialiste n’approuvait pas la suspension de l’exigence d’homologation par les banques. Son opinion était que cette pratique court-circuitait la protection juridique prévue par le régime :

[Traduction]
Selon mon expérience, les banques se montrent particulièrement irrespectueuses à l’égard du processus lorsqu’elles offrent aux exécuteurs et aux administrateurs d’avoir accès à des fonds d’une valeur pouvant aller jusqu’à 100 000 $ en échange d’une indemnisation mettant la banque à l’abri de toute responsabilité. Elles ne semblent pas se soucier des bénéficiaires, des revendications des conjoints, des créanciers, etc., et les personnes qui signent ces choses n’en connaissent pas les implications juridiques. Je suis également d’avis que ce n’est pas seulement la valeur pécuniaire d’une succession qui est importante, mais aussi les questions juridiques qui l’entourent[185].

Un autre spécialiste a dit être d’avis que les banques ne devraient pas transmettre de biens sans homologation, car cette pratique envoyait un mauvais message aux représentants de la succession. Selon cette personne :

[Traduction]
Un trop grand nombre de représentants de la succession ne prennent pas leur tâche au sérieux. Ils peuvent organiser l’information et s’occuper de tâches d’administration générales, mais ils négligent de rendre des comptes aux bénéficiaires, de remplir les déclarations de revenus ou de chercher les créanciers. Parfois, cela est dû à des querelles familiales de longue date. L’homologation envoie le message que la personne qui prend le rôle de fiduciaire de la succession doit être très soucieuse de faire un bon travail et d’agir de manière raisonnable, et se préparer à accepter d’être personnellement responsable[186].

Les faits anecdotiques suggèrent qu’il existe une pratique établie consistant à éviter l’homologation, tout particulièrement pour les petites successions, mais il n’existe pas de données chiffrées permettant d’en juger. Nous examinerons maintenant l’effet de cette pratique sur les institutions financières et les autres établissements qui détiennent des biens de la succession.

 

 

B.              Le devoir des institutions financières et des autres établissements de protéger les biens
 

Les institutions détenant les biens d’un défunt ont l’obligation juridique (obligation légale ou de common law, ou les deux) de protéger ces biens pour le compte du défunt. Les biens ne peuvent être transférés qu’à un représentant de la succession légalement autorisé à les recevoir pour le compte de la succession[187]. La portée du devoir qu’a l’institution d’établir cette autorisation légale est généralement une question d’interprétation. Comme noté à la section B du chapitre IV ci-dessus, les institutions ont tendance à interpréter ces dispositions de manière stricte.

Par exemple, la Loi sur les banques (Canada) autorise les banques à s’en remettre aux régimes d’homologation provinciaux comme preuve de l’autorisation à recevoir les biens de la personne décédée. En vertu de l’article 460, la remise à la banque d’un affidavit expliquant la demande de paiement accompagné de lettres d’homologation, de lettres d’administration ou d’un « autre document de portée semblable » constitue une preuve suffisante pour que la banque effectue le paiement. Cependant, cet article réserve à la banque le droit de refuser de faire un paiement si des preuves supplémentaires ne sont pas fournies[188].

Cette disposition vise à protéger les banques contre les responsabilités découlant d’une transmission des biens fondée sur un certificat de nomination ou sur un autre document délivré par un tribunal, lorsqu’il se révèle ultérieurement que le bénéficiaire n’avait finalement pas droit aux biens. Elle permet aux banques d’accepter un certificat de nomination comme preuve de l’autorisation, mais elle n’exige pas qu’elles le fassent. En fait, elle les autorise à exiger toute autre preuve qu’elles jugent nécessaire. Cela dit, dans la pratique, les banques se fient à l’article 460 de la Loi sur les banques pour chercher des preuves de l’homologation avant de transmettre les biens. Les banques peuvent exercer ce droit d’exiger l’homologation même pour les biens ayant des bénéficiaires désignés[189].

La législation analogue s’appliquant aux coopératives de crédit de l’Ontario est plus souple que la disposition de la Loi sur les banques. L’article 42 de la Loi de 1994 sur les caisses populaires et les credit unions dégage les coopératives de crédit de toute responsabilité lorsqu’elles transmettent des montants de moins de 50 000 $ aux représentants de la succession sans homologation, pourvu que la coopérative de crédit agisse de bonne foi et cherche des preuves du droit de la personne à recevoir l’argent[190].

Néanmoins, lors des consultations, la CDO a entendu dire que les coopératives de crédit avaient elles aussi tendance à exiger l’homologation avant de transmettre des biens à un représentant de la succession. Lorsqu’elles acceptent de suspendre l’exigence d’homologation, les coopératives de crédit imposent une période d’attente de 30 jours avant de transmettre l’argent de la succession afin de permettre aux autres membres de la famille de faire valoir leur droit[191].

Les coopératives de crédit ont souvent des relations de longue date avec leurs membres. L’organe qui représente les coopératives de crédit en Ontario rapporte que le régime d’homologation peut être [traduction] « excessivement cher et complexe » pour ses membres, et soutient l’idée d’une procédure simplifiée pour les petites successions[192].

Les compagnies d’assurance ont elles aussi le défi de déterminer si un bénéficiaire ou un représentant de la succession est autorisé ou non à recevoir une indemnisation lors du décès d’un assuré. Les exigences législatives pour les compagnies d’assurance-vie sont particulièrement vagues à cet égard. En vertu de l’article 203 de la Loi sur les assurances, un assureur a 30 jours pour verser l’argent de l’assurance après avoir reçu des « preuves suffisantes » de l’événement qui rend les sommes assurées payables et du droit du requérant à recevoir le paiement[193].

Bien que cette disposition ne précise pas ce qui constitue une preuve suffisante pour établir le droit du requérant à recevoir le paiement, la pratique des compagnies d’assurance-vie consiste généralement à exiger de l’exécuteur qu’il fasse homologuer le testament[194]. Cependant, il ne s’agit pas d’une exigence obligatoire[195].

L’article 207 de la Loi sur les assurances donne aussi aux compagnies d’assurance-vie une protection législative contre la responsabilité lorsqu’elles n’ont pas reçu de preuves officielles du droit à recevoir l’argent de l’assurance et ont payé par erreur le produit de l’assurance à la mauvaise personne (sans doute conformément à l’article 203). La disposition protège aussi les droits ou les intérêts de toute personne autre que l’assureur. Le vrai bénéficiaire serait donc en mesure de réclamer le produit directement à la personne l’ayant reçu par erreur[196].

Dans une présentation écrite, l’Association canadienne des compagnies d’assurances de personnes inc. soutient l’idée d’un processus simplifié pour les petites successions [traduction] « puisque la surveillance judiciaire n’est pas économiquement viable pour la majorité des petites successions[197] ».

Des dispositions législatives similaires s’appliquent à d’autres institutions et à des types particuliers de transferts de biens, mais aucune d’entre elles n’est tout à fait claire quant à la portée du devoir de protection de l’institution contre la transmission de biens à une personne non autorisée. En conséquence, dans la perspective de ces institutions, la transmission de biens sans homologation les expose à un risque considérable en matière de responsabilité.

Ce risque a été confirmé par la décision de la Cour d’appel dans l’affaire Monteiro c. Toronto Dominion Bank[198]. Une famille du Koweït contestait devant la justice la validité du testament de la mère, dans lequel elle laissait tous ses biens à sa fille. Avant le règlement de la contestation, et contrairement à ses propres procédures internes, la banque Toronto Dominion avait transmis les biens de la mère à ses fils. Lorsque la validité du testament fut finalement démontrée, la TD fut jugée redevable à la fille des biens manquants. Selon le raisonnement de la Cour :

 

[Traduction]
[L]a situation dans laquelle se trouve la TD découle de ce qu’elle a ignoré ses propres procédures internes et payé la mauvaise partie. À cet égard, la TD est responsable de son propre malheur. Ses procédures internes avaient été conçues pour empêcher cette situation même de se produire, mais, ayant choisi de les ignorer, la TD se trouve maintenant redevable à [la fille] des fonds qui se trouvaient dans le compte. Je ne vois aucune injustice dans ce résultat[199].

Même lorsqu’il y a peu ou pas de directives législatives, les institutions ont développé des politiques pour aborder la question des preuves d’autorisation requises pour la transmission des biens. Il existe une multitude de politiques de ce type pour diverses institutions et différents types de biens. Ces politiques varient généralement selon qu’il y ait ou non un testament.

Par exemple, la transmission d’Obligations d’épargne du Canada peut poser problème, puisqu’il est impossible de désigner un bénéficiaire pour celles-ci. Même pour de petites successions, il peut être impossible de les transmettre sans homologation. Cependant, une politique détaillée a été créée afin de permettre leur transmission en fonction de leur valeur pécuniaire et de l’identité des bénéficiaires de la succession[200].

Le véhicule motorisé d’un défunt peut généralement être transféré à un exécuteur sur présentation d’une copie du testament au ministère des Transports. Lorsqu’il n’y a pas de testament, le véhicule peut être transféré dans certaines circonstances, si le bénéficiaire obtient une lettre d’avocat faisant état de son droit ou, s’il y a plus d’un bénéficiaire, faisant état du fait que les autres bénéficiaires ne revendiquent pas le véhicule. Selon un spécialiste, cela peut être problématique dans certaines circonstances :

[Traduction]
Souvent, le Ministère transfère la propriété à un bénéficiaire en se basant sur une lettre d’opinion d’avocat selon laquelle le bénéficiaire a droit au véhicule s’il y a un testament ou s’il y a un conjoint survivant qui hérite de l’ensemble de la succession comme part préférentielle, mais s’il n’y a ni testament ni conjoint, il est presque impossible de transférer la propriété du véhicule. Comme les personnes qui ont de petites successions et n’ont pas de testament ont généralement des véhicules de valeur moindre, le coût de l’obtention de l’homologation peut être ridiculement disproportionné si elle ne sert qu’à acquérir la propriété d’un véhicule[201].

Les institutions financières ne sont pas seules à se fier à l’homologation. Apparemment, le transfert de comptes de services publics peut aussi représenter un défi s’il n’y a pas de testament[202].

Toutes ces dispositions législatives et ces politiques fournissent des orientations quant à la portée de l’obligation juridique qu’a l’institution de protéger les biens d’une personne après son décès. Cependant, l’obligation juridique reste obscure, et c’est ce qui explique la prudence des institutions ainsi que la frustration des représentants de la succession et des spécialistes.

Les intervenants des institutions financières ont souligné que la décision d’exiger l’homologation dans un cas particulier n’était pas simplement une question d’analyse du rapport coût-avantages. Dans certains cas, il est plus logique de transmettre les biens de faible valeur que de subir l’inconvénient de les détenir jusqu’à ce que l’homologation soit accordée. Néanmoins, selon la loi, l’institution doit protéger les biens et la confidentialité du propriétaire.

L’obligation juridique qu’ont les institutions financières et les autres établissements de protéger les biens des successions est souvent sous-estimée par les représentants de la succession. Les spécialistes considèrent généralement que les banques sont peu coopératives dans les cas de petites successions. Certains ont dit à la CDO que les banques pouvaient exiger l’homologation pour transmettre des biens d’une valeur aussi faible que 10 000 $, et dans des cas où la valeur totale de la succession ne permet pas de payer le coût d’une demande d’homologation.

Lors des consultations, les institutions financières se sont plaintes de l’intense pression à laquelle elles sont soumises de la part des parents de défunts et de leurs avocats pour suspendre l’exigence d’homologation. Au-delà du contexte des successions, il y a aussi un problème dans d’autres situations où les institutions financières doivent établir l’autorisation légale du représentant d’un client. Les représentants d’institutions ont expliqué qu’on leur présentait toute sorte de documents imprimés à partir d’Internet ou préparés par des étudiants en droit, mais que ceux-ci n’étaient pas fiables et que les banques se voyaient généralement obligées de les rejeter.

Les créanciers font eux aussi pression sur les institutions financières pour qu’elles leur transmettent l’argent qui leur est dû. En général, les institutions financières acceptent de payer les frais funéraires ou les impôts dans l’attente de l’homologation, mais elles ne paient pas les autres créanciers parce qu’elles ne veulent pas prendre le risque de favoriser un créancier plutôt qu’un autre.

 

C.    Le devoir des institutions financières et des autres établissements de préserver la confidentialité des renseignements des clients
 

1.     Institutions financières
 

Les institutions financières et autres ont le devoir de préserver non seulement les biens, mais aussi la vie privée de leurs clients. Par exemple, la Loi sur les banques exige que les banques prennent des précautions raisonnables pour empêcher les personnes non autorisées d’accéder aux renseignements qu’elles détiennent ou de les utiliser[203]. La Loi charge aussi les directeurs de banque d’établir des procédures de protection des renseignements confidentiels et de former un comité pour en surveiller l’application[204].

L’idée, ici, est de protéger non seulement la vie privée des clients, mais aussi celle des tierces parties. Par exemple, lorsqu’un représentant de la succession accède au compte d’un client défunt, il accède aussi à toute information supplémentaire contenue dans ce compte quant aux titulaires de comptes conjoints, aux bénéficiaires de fiducies et d’autres instruments, aux personnes avec lesquelles le défunt a interagi dans le cadre de transactions financières (informations contenues dans les livrets bancaires ou les dossiers électroniques), et ainsi de suite.

La loi impose des devoirs similaires aux autres établissements financiers[205]. Ceux-ci s’ajoutent au devoir de confidentialité traditionnellement imposé aux banques dans la common law[206]. Plus récemment, l’introduction de la Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques (LPRPDE) dans la législation fédérale a attiré l’attention sur la question de la protection des renseignements confidentiels[207]. La LPRPDE renforce le devoir qu’ont les institutions financières de garder en lieu sûr les renseignements sensibles de leurs clients.

Ces lois sur la protection de la vie privée ont amené les institutions financières à adopter des politiques restrictives quant à la divulgation de renseignements sur leurs clients à des tierces parties, y compris les représentants de la succession. Lors des consultations, plusieurs intervenants ont noté qu’obtenir des renseignements auprès des banques pouvait représenter un défi. Par exemple, un spécialiste a passé trois mois à envoyer des lettres à une banque pour demander une évaluation, et il recevait toujours la mauvaise information. Un autre spécialiste a décrit un cas où la demande d’homologation n’avait été déposée que huit mois après le décès en raison des délais dans l’obtention de renseignements sur les biens du défunt auprès des institutions financières.

Des membres du personnel des tribunaux ont aussi rapporté que des banques et des compagnies d’assurance refusaient de divulguer des renseignements sur les biens d’un défunt. Les représentants de la succession sont alors incapables de fournir une évaluation précise de la succession pour les besoins de la demande d’homologation. Les institutions financières sont particulièrement strictes quant au respect de la confidentialité lorsqu’il n’y a pas de testament désignant le représentant de la succession à titre d’exécuteur.

D’autres spécialistes ont dit croire qu’il existait des pratiques adéquates pour faire face aux difficultés que présente l’évaluation des biens. De nombreuses personnes déposent un affidavit de la valeur estimée avec la demande d’homologation. Cependant, cette procédure exige de déposer plus tard une déclaration amendée afin de confirmer la valeur des biens. Dans certains cas, les banques acceptent de divulguer des renseignements financiers, mais à un avocat seulement, et uniquement pour les besoins de l’homologation.

Lorsqu’une banque ou un autre établissement exige l’homologation pour divulguer des renseignements sur les biens d’une petite succession, le représentant de la succession peut se trouver dans une position intenable. Premièrement, il devra probablement engager la dépense supplémentaire que constitue le dépôt d’un affidavit de la valeur estimée, puis revenir en arrière et corriger la valeur par la suite. Deuxièmement, sans connaître la valeur des biens, le représentant de la succession peut ignorer si l’homologation de la succession en vaut vraiment la peine.

Certaines provinces ont abordé ce problème dans le cadre d’initiatives de réforme de l’administration des successions. Par exemple, en vertu des nouvelles règles d’homologation de la Colombie-Britannique, lorsqu’un requérant est incapable d’accéder aux renseignements financiers d’une succession dans l’attente d’une demande d’homologation, le tribunal peut délivrer une autorisation d’obtention des renseignements sur la succession[208]. En revanche, l’Alberta Law Reform Institute s’est prononcé contre cette mesure dans son rapport sur l’administration des successions, qui favorise plutôt des initiatives de formation[209].

 

2.     Agence du revenu du Canada
 

Un autre problème relatif à la confidentialité peut survenir lorsque le représentant de la succession tente de remplir la déclaration de revenus finale du défunt auprès de l’Agence du revenu du Canada (ARC). En vertu du paragraphe 241(1) de la Loi de l’impôt sur le revenu, l’ARC ne peut divulguer des renseignements sur un contribuable qu’aux personnes autorisées[210]. Même s’il n’y a pas de biens dans une succession, l’ARC doit s’assurer de faire affaire avec un représentant légal afin de pouvoir envoyer l’Avis de cotisation et toute autre correspondance à la bonne adresse.

L’article 241 est une disposition générale qui vise à protéger les contribuables contre la divulgation de leurs renseignements confidentiels lorsque celle-ci n’est pas autorisée. L’article commence par interdire de manière générale la divulgation de renseignements sur les contribuables par les fonctionnaires s’ils n’en ont pas l’autorisation. Suivent un certain nombre d’exceptions légales qui permettent la divulgation de renseignements dans des circonstances précises, qui sont énumérées. Par exemple, un fonctionnaire peut divulguer des renseignements sur un contribuable si cela est nécessaire pour mettre en œuvre ou appliquer la Loi. Il peut également divulguer des renseignements avec le consentement du contribuable.

L’article 241 ne précise pas les circonstances dans lesquelles des renseignements peuvent être divulgués au « représentant légal » d’un contribuable décédé. [211] Ainsi, en refusant d’accepter la déclaration de revenus finale d’un défunt sans homologation, l’ARC se fie à l’interdiction générale de divulguer des renseignements sans autorisation.

Le guide de l’ARC Déclarations de revenus de personnes décédées 2012 définit le « représentant légal » comme étant l’exécuteur testamentaire, l’administrateur ou le liquidateur (au Québec). L’exécuteur et l’administrateur sont tous deux définis comme devant être confirmés ou nommés par un tribunal[212]. Cependant, d’autres documents disponibles sur le site Web de l’ARC indiquent que l’exécuteur nommé dans le testament peut aussi être un représentant légal, ce qui suggère que l’homologation n’est peut-être pas nécessaire dans tous les cas[213].

Lors des consultations, les membres du personnel des tribunaux ont rapporté qu’ils avaient régulièrement affaire à des représentants de petites successions qui étaient forcés de demander l’homologation même s’il n’y avait pas de biens dans la succession parce que l’ARC leur avait dit qu’ils devaient le faire. Les spécialistes, pour leur part, étaient divisés quant à leurs expériences avec l’ARC lors du dépôt de déclarations de revenus finales. Certains d’entre eux ont indiqué n’avoir jamais eu de problèmes à déposer une déclaration sans homologation. Cependant, la plupart ont reconnu avoir éprouvé des difficultés avec l’ARC en l’absence d’homologation. Plusieurs ont dit être d’avis que l’importance accordée à la confidentialité dans les questions de succession était excessive et qu’elle constituait un obstacle à la justice. Là encore, le problème était considéré comme étant particulièrement important pour les successions non testamentaires.

 

D.   Politiques de suspension discrétionnaires

 

En dépit de l’obligation juridique qu’ont les institutions financières et les autres établissements de protéger les biens et les renseignements personnels des personnes défuntes, le fait est qu’il est impraticable pour elles d’exiger l’homologation dans tous les cas lorsqu’elles ont affaire à un représentant de la succession. Les institutions financières et les autres établissements ont développé des politiques pour les circonstances où le risque associé à la suspension de l’exigence d’homologation est jugé acceptable[214].

De nombreuses variables sont prises en compte par ces institutions lorsqu’elles se penchent sur des demandes de suspension de l’exigence d’homologation. Il peut même y avoir des intérêts divergents au sein des institutions. Par exemple, la succursale de gestion financière d’une banque peut avoir un intérêt commercial à coopérer avec l’avocat du représentant de la succession, tandis que la banque de détail peut entretenir une relation avec la famille et, par conséquent, avoir des motifs différents. Par ailleurs, la banque de détail compte une variété de clients plus ou moins avertis, et comprend des comptes dont les soldes sont moins élevés que ceux de la succursale de gestion financière ou de courtage en placement, par exemple. Chacun de ces facteurs peut influencer l’évaluation du risque.

Ainsi, comme on pouvait s’y attendre, les politiques de suspension adoptées varient grandement d’une institution à l’autre. Il y a aussi des variations au sein même des institutions quant aux politiques adoptées par les différentes succursales et à l’interprétation des politiques par les membres du personnel d’une même succursale. Les membres du personnel ont différents niveaux d’expérience quant aux documents juridiques, ce qui les amène à les examiner différemment.

Cela dit, les politiques de suspension tendent à avoir certains attributs en commun. Premièrement, elles ne s’appliquent en général qu’en présence d’un testament. À quelques exceptions près, l’homologation est nécessaire pour les successions non testamentaires. L’exigence peut être suspendue lorsque de très petites sommes sont en jeu (1 000 $, par exemple), ou avec le consentement des bénéficiaires[215]. Pour les successions non testamentaires, les institutions financières peuvent accepter un certificat de mariage et une indemnisation à la place de l’homologation[216]. Cependant, l’homologation est généralement requise lorsqu’il y a plus d’un bénéficiaire.

Deuxièmement, les politiques de suspension concernent généralement les biens d’une valeur inférieure à un certain seuil. C’est la valeur des biens détenus par une institution en particulier, plutôt que celle de l’ensemble de la succession, qui est alors importante. La valeur limite varie entre les institutions, qui la respectent de manière plus ou moins stricte. Dans une banque, le seuil est de 25 000 $. Dans une autre, il est de 100 000 $[217].

Certaines politiques relatives à l’homologation sont composées en strates. Par exemple, dans une institution financière, les demandes de suspension pour des biens de moins de 25 000 $ sont laissées à la discrétion du directeur de la banque. Pour les biens d’une valeur de 25 000 $ à 100 000 $, les demandes de suspension doivent être approuvées par le service juridique. Au-delà de 100 000 $, les demandes de suspension sont rejetées. Une autre institution financière a la même politique en strates, sauf que ce sont les biens de 30 000 $ et moins qui sont laissés à la discrétion du directeur. Certaines institutions financières n’ont pas de politique établie, mais se fient à la discrétion de leurs gestionnaires.

Troisièmement, les politiques de suspension sont soumises à ce que certaines institutions financières appellent le principe de « connaissance de la clientèle ». Les gestionnaires exercent leur pouvoir discrétionnaire sur la base de leur propre connaissance du défunt, de la succession et de tout facteur de risque apparent. Parmi les facteurs notés lors des consultations, on compte les suivants :

·       la taille de la succession;

·       l’existence d’un testament;

·       la date du testament;

·       le degré de complexité du testament;

·       la présence d’instructions contradictoires de la part des membres de la famille;

·       le nombre de bénéficiaires;

·       la présence d’ex-conjoints;

·       le degré de connaissance du défunt;

·       l’identité de l’exécuteur (s’agit-il du conjoint du défunt, d’un client de la banque, d’un résident canadien ayant des biens au Canada, d’une personne approuvée par les bénéficiaires, d’une personne nommée dans le testament?);

·       le type de biens (enregistrés ou non, bancaires ou de courtage);

·       les questions relatives à la compétence, par exemple si l’exécuteur n’est pas un résident de l’Ontario.

De manière générale, les institutions financières sont plus susceptibles de suspendre l’exigence d’homologation pour les petites successions. Cependant, l’inverse peut aussi être vrai. Les institutions financières sont parfois motivées à suspendre l’exigence d’homologation pour une grosse succession afin de s’assurer que les biens resteront chez elles ou qu’une créance du défunt à leur égard sera recouvrée.

Inversement, une institution financière peut refuser de suspendre l’exigence d’homologation même pour une petite succession si elle se trouve en présence d’un « signal d’alarme » faisant augmenter le risque de problème, comme :

·       un testament olographe ou à 99 $;

·       un testament modifié peu avant le décès;

·       des problèmes relatifs à la capacité;

·       des preuves de conflits familiaux;

·       une situation où la personne nommée comme bénéficiaire désignée n’est pas le conjoint;

·       la présence de comptes conjoints avec toute autre personne que le conjoint;

·       un exécuteur résidant à l’extérieur de la province;

·       un bénéficiaire résidant à l’extérieur de la province;

·       des pressions pour agir rapidement;

·       des exécuteurs qui ne s’entendent pas entre eux;

·       des nièces et des neveux (pas d’attachement émotif à l’égard du défunt).

Les banques ont même le pouvoir discrétionnaire d’exiger l’homologation pour un bien payable à un bénéficiaire désigné (généralement transféré hors de la succession). Si le bénéficiaire n’est pas le conjoint et que le montant est supérieur à 100 000 $, les banques sont susceptibles d’exiger l’homologation.

Les institutions financières et les autres établissements ont développé leurs propres techniques pour réduire les risques associés à la responsabilité en cas de suspension de l’exigence d’homologation. De cette manière, ces institutions se trouvent à imiter pour l’essentiel le processus d’homologation. Par exemple, les requérants sont souvent tenus de remplir une formule fournissant des détails sur la succession afin que l’institution puisse effectuer une évaluation sérieuse des risques. Par ailleurs, des valeurs limites sont adoptées afin de restreindre la responsabilité potentielle de l’institution, et l’exécuteur ou les bénéficiaires (ou les deux) peuvent avoir à fournir une indemnisation[218]. Une autre technique utilisée par certaines institutions financières consiste à imposer une période d’attente après le décès avant que les biens de la succession puissent être transmis[219]. Les bénéficiaires ou toute autre personne souhaitant contester le droit du représentant de la succession à recevoir les biens ont alors l’occasion de le faire.

L’ARC comprend une section d’information sur le représentant du contribuable qui examine des scénarios uniques où des représentants de successions sont concernés. Il y a des politiques internes qui sont appliquées au cas par cas. En plus de la taille de la succession, l’agent examine un certain nombre de facteurs, dont l’existence de querelles au sein de la famille et l’historique fiscal. Pour certaines petites successions, l’agent peut, à sa discrétion, se contenter d’une lettre désignant le représentant et signée par l’ensemble de la fratrie.

Dans l’application de leurs politiques de suspension, les institutions financières font face aux défis inhérents au régime d’homologation lorsqu’il s’agit de rassembler des preuves solides de l’autorisation légale d’une personne. Un exemple souvent mentionné est celui de la difficulté de prouver une relation de conjoints de fait lorsqu’il n’y a pas d’enfant commun. Même les politiques de suspension qui se limitent aux successions dont les seuls bénéficiaires sont le conjoint ou les enfants ou les deux ne sont pas à toute épreuve. Il reste un risque que ces personnes ne soient pas les véritables membres de la famille. Un conjoint peut fournir un certificat de mariage en guise de preuve, mais il n’y a aucun moyen de savoir s’il y a eu un divorce subséquent.

Il est donc important de noter que la décision d’administrer une succession sans homologation n’élimine pas les problèmes associés à l’établissement de l’autorisation légale à représenter la succession. Cette décision ne fait que transférer cette responsabilité, qui passe des tribunaux aux institutions détenant les biens du défunt.

Cette pratique comporte certains aspects préoccupants. Premièrement, dans une perspective sociale, on peut soutenir qu’il est inapproprié qu’il revienne à des institutions privées de trancher sur des questions d’autorisation légale, que ce soit en prenant les décisions elles-mêmes ou en forçant les successions à passer par le régime d’homologation. Deuxièmement, dans une perspective d’accessibilité, on peut se demander pourquoi certains représentants de la succession choisissent d’accéder à la protection juridique offerte par l’homologation, tandis que d’autres représentants de successions ayant la même valeur et les mêmes attributs se contentent d’une évaluation informelle des risques menée par une institution privée. Une troisième source de préoccupation, d’ordre plus pratique, est le manque d’uniformité dans les politiques de suspension. Il est très difficile pour les représentants de la succession et leurs conseillers de prédire dans quelles circonstances une institution financière en particulier est susceptible de suspendre l’exigence d’homologation. Cette imprévisibilité mine les avantages commerciaux d’un régime d’homologation. Elle est également inefficace. Les représentants de la succession peuvent dépenser autant de temps et d’argent pour obtenir un cautionnement et remplir des papiers afin d’éviter l’homologation qu’ils le feraient pour obtenir l’homologation[220].

Un spécialiste a raconté ce qui suit à la CDO :

[Traduction]
J’ai vu des banques transmettre plus de 100 000 $ sans homologation, et refuser de transmettre 12 000 $ alors qu’il y avait un testament et que le conjoint survivant était l’exécuteur et le bénéficiaire désigné[221].

Quelques exemples illustrent le manque d’uniformité entre les décisions de suspension.

Un spécialiste a décrit un dossier récent concernant une succession d’une valeur approximative de 20 000 $. Le testament désignait la fille adulte du défunt comme seule bénéficiaire et exécutrice. Une banque qui détenait 10 000 $ dans le compte du défunt refusait de transmettre ce montant à l’exécutrice sans homologation, et ce, malgré le fait que la fille maintenait ce compte à titre de mandataire de son père depuis plusieurs années avant sa mort. Le dépôt d’une plainte au service des successions de la banque n’a rien donné, car celui-ci refusait de s’ingérer dans les affaires relevant de la discrétion des directeurs de banque locaux.

Dans un autre cas, une banque a refusé de transmettre un certificat de placement garanti (CPG) de 6 000 $ sans homologation parce que le personnel ne connaissait pas bien le défunt ou le représentant de la succession. Pour le spécialiste, il fut plus simple de faire une demande d’homologation (en réduisant ses propres honoraires) que de contester cette décision.

La CDO a entendu dire que le transfert d’actions sans homologation pouvait être particulièrement complexe et chronophage. Dans un cas, une femme âgée avait hérité de cinq actions du capital d’une entreprise de la part de son mari. La valeur de ces actions était très faible. Comme il s’agissait du seul bien de la succession, elle a décidé que les efforts et les dépenses associés à l’administration de la succession n’en valaient pas la peine. Cependant, il lui coûtait personnellement d’abandonner une chose que son mari lui avait laissée.

Les politiques de suspension sont aussi imprévisibles pour les grosses successions. La CDO a entendu parler d’une banque qui avait aidé à restructurer une succession pour que sa valeur tombe sous la limite de 100 000 $ au-delà de laquelle il était impossible d’obtenir une suspension de l’exigence d’homologation, contournant ainsi sa propre politique.

Il y a lieu de croire que les pratiques de suspension informelles des institutions financières et d’autres établissements deviendront de plus en plus problématiques. Les institutions financières ne connaissent pas leurs clients comme autrefois. La tendance des services en ligne fait en sorte qu’il est de plus en plus difficile de se fier à la connaissance de la clientèle locale pour déterminer s’il est sûr de suspendre l’exigence d’homologation. Certains intervenants ont prédit que la tendance serait à la centralisation des pratiques d’homologation. Une banque est déjà en train de créer un système informatique centralisé pour la gestion des demandes d’homologation afin d’uniformiser les pratiques à l’interne. Un effet collatéral d’un tel système sera toutefois de diminuer le pouvoir discrétionnaire des gestionnaires et, fort possiblement, le nombre de demandes de suspension approuvées.

Au niveau de l’industrie, les intervenants des institutions financières sentaient qu’il y avait une limite à ce qu’ils pouvaient faire pour élaborer des politiques cohérentes sur la transmission des biens après le décès. En fait, plusieurs institutions financières ont indiqué que l’industrie accueillerait favorablement des règles conçues pour uniformiser ces pratiques.

 

E.     Conséquences de l’évitement de l’homologation

 

Bien que la décision d’une institution financière de suspendre l’exigence d’homologation pour un bien de la succession en particulier puisse être un soulagement pour le représentant ou le bénéficiaire de la succession, elle soulève son lot de préoccupations. Premièrement, il y a différentes implications sur la manière dont la succession sera administrée par la suite. Deuxièmement, sans la sanction du tribunal, la succession demeure vulnérable à la fraude. Ces préoccupations sont abordées à tour de rôle.

1.     Complications lors de l’administration de la succession
 

Lorsqu’une institution financière accepte de suspendre l’exigence d’homologation, la question de savoir où déposer les biens peut poser un problème pratique. Une institution financière peut être disposée à suspendre l’exigence d’homologation pour un bien en particulier, mais refuser de le faire pour l’ouverture d’un compte de succession[222]. L’institution s’expose à un plus grand risque dans cette dernière situation, parce qu’un compte de succession reste ouvert indéfiniment et que le risque affecte tous les biens qui entrent dans le compte et qui en sortent. Cela pose particulièrement problème lorsqu’il n’y a pas de testament. Selon un spécialiste :

[Traduction]
[C]e n’est pas aux banques de décider de qui elles doivent prendre leurs instructions en l’absence de nomination par un testament ou un [certificat de nomination]. Ce type de diligence raisonnable n’est pas du ressort des banques[223].

Il y a quelques moyens de contourner ce problème. Certains cabinets d’avocats déposent les fonds dans leur propre compte en fiducie et émettent un chèque au représentant de la succession (agissant ainsi comme une institution financière). Dans d’autres cas, l’institution financière transmet les biens non pas à la succession, mais directement au propriétaire bénéficiaire. Sans homologation, le problème est que les biens peuvent essentiellement ne pas être inclus dans la succession, et qu’il n’y a pas de structure pour veiller à ce qu’ils soient administrés conformément au testament ou au droit successoral. En conséquence, il peut être difficile pour les créanciers ou les autres personnes ayant un intérêt dans la succession de faire une réclamation.

Sans homologation, il n’y a pas de dossier public indiquant l’identité des personnes ayant demandé à administrer la succession, la valeur de celle-ci et ses bénéficiaires. Les dispositions relatives au préavis sont importantes en ce qu’elles permettent aux bénéficiaires de suivre l’administration de la succession. Un dossier public permet également aux non-bénéficiaires d’avoir accès aux renseignements sur la succession.

Pour les bénéficiaires mineurs ou frappés d’incapacité, cette question est particulièrement préoccupante. Sans homologation, les personnes à charge mineures sont moins susceptibles d’obtenir des aliments de la succession en vertu de la Loi portant réforme du droit des successions (LRDS)[224]. Par exemple, la petite amie d’un défunt, fiduciaire de la succession conformément au testament de celui-ci, peut arriver à convaincre la banque de lui transmettre le montant auquel elle a droit en vertu du testament. S’il n’y a pas d’autres biens importants dans la succession, il n’y aura probablement pas de demande d’homologation et, par conséquent, pas d’annonce légale de la succession. Le parent d’un enfant mineur du défunt, une personne à charge de la succession du défunt, pourrait ne jamais savoir que la LRDS lui permet de faire une réclamation au nom de l’enfant[225].

Un autre problème relatif à l’absence d’homologation est l’incertitude générale concernant la validité du testament et l’autorisation de la personne prétendant représenter la succession. Sans homologation, il n’y a pas de personne légalement responsable de recueillir les biens, de rembourser les dettes (y compris les impôts) et de protéger les intérêts des bénéficiaires. De nombreux représentants de la succession administrent une succession non homologuée par loyauté à l’égard du défunt ou parce qu’ils en ressentent l’obligation morale, même s’ils n’en sont pas bénéficiaires. Cependant, ces successions ne sont pas réglées à des fins légales et, en l’absence d’un représentant de la succession loyal, elles peuvent ne pas être administrées du tout.

 

2.     L’absence d’homologation augmente-t-elle le risque de fraude?

 

Sans homologation, il y a peu de choses qui peuvent empêcher un imposteur de prendre le contrôle de la succession. Il n’y a pas d’assurance que le testament fourni à une institution financière est le testament final et authentique, que les bénéficiaires seront informés de leur droit ou que le représentant de la succession ne disparaîtra pas avec l’argent.

Les fraudes résultant d’une suspension de l’exigence d’homologation étaient une source d’inquiétude importante pour de nombreux intervenants lors des consultations. Un spécialiste a dit croire que le risque de mauvaise administration était doublé ou triplé lorsque la succession était administrée sans homologation. Cela dit, il y a très peu de preuves réelles de fraudes ayant découlé de la suspension de l’exigence d’homologation. Plusieurs spécialistes ont noté que les fraudes étaient peu communes et qu’elles étaient tout aussi susceptibles d’être commises par un fiduciaire de la succession dûment autorisé que par un « prétendant » non autorisé à s’occuper de la succession. Les représentants d’institutions ont eux aussi nié que la fraude était une source de préoccupation concrète dans la décision de suspendre l’exigence d’homologation, particulièrement pour les successions testamentaires.

[Traduction]
Nos membres considèrent que la fraude n’est pas un problème important pour les petites successions avec les mesures de contrôle actuelles, et ils ne s’attendraient pas à ce qu’une procédure simplifiée ait un impact significatif sur la question[226].

Les fraudes en matière de succession sont exceptionnelles. Une procédure d’administration des petites successions, tout en pouvant théoriquement faire augmenter le risque de fraude, imposerait aussi une limite au montant exposé à la fraude. En outre, une procédure d’administration des petites successions pourrait faciliter et accélérer le règlement des successions[227].

Un spécialiste a suggéré qu’une augmentation des fraudes ne serait pas un problème dans le cas d’un processus d’administration des petites successions, et ce tout simplement parce que [traduction] « la porte est déjà grande ouverte[228] ».

Il ne s’agit pas de dire qu’aucune fraude n’est associée à l’administration de successions sans homologation. Seulement, dans de nombreux cas, ces problèmes se produisent indépendamment du régime d’homologation. Par exemple, des membres de la famille peuvent continuer à utiliser les cartes bancaires du défunt avant de rapporter le décès. Il s’agit d’un acte inapproprié, mais sur lequel le régime d’homologation n’a aucun contrôle.

Le scénario de fraude le plus probable en l’absence d’homologation est celui d’un enfant d’âge adulte qui convainc un parent de mettre un bien en propriété conjointe soi-disant pour éviter l’homologation, mais dans le but réel d’obtenir le contrôle des biens. De nombreux intervenants ont indiqué qu’il s’agissait d’une pratique commune qui semait le chaos dans l’administration des successions. Cependant, là encore, il s’agit d’une pratique sur laquelle le régime d’homologation n’a aucun contrôle direct.

La nécessité d’une solution d’ordre juridique aux abus liés à la propriété conjointe est manifeste, mais il s’agit d’un problème qui dépasse la portée de ce projet. Cependant, la réforme du régime d’homologation pour les petites successions pourrait présenter un avantage indirect. La propriété conjointe est une solution populaire, particulièrement pour éviter l’homologation. La création d’un processus pour l’administration des petites successions qui réduirait le coût de l’homologation pourrait éliminer les incitatifs à éviter le régime d’homologation et faire entrer plus de successions sous la protection du régime d’homologation.

 

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