À la source des lois se trouve généralement un enjeu, mineur ou majeur, qu’on considère comme une question préoccupante à régler. L’objet d’une loi peut être défini explicitement, par exemple dans son préambule, ou être inscrit implicitement dans ses dispositions. Si une loi peut ou non atteindre ses buts en pratique, son objet et les présupposés sous-jacents déterminent sa conception générale. La présente section traite des questions à considérer lors de l’évaluation de l’objet d’une loi par rapport aux principes.

Appliquer les principes à l’étape 3

Remarque : Aux présentes, le terme « droit » fait référence aux lois, aux politiques et aux pratiques, suivant le cas.

Le but général ou l’objet d’une loi oriente profondément chaque aspect de cette loi et subit lui-même l’influence d’un ensemble de présupposés ou de valeurs sous-jacents. Dans le cas des lois qui visent directement les personnes handicapées, plusieurs de ces présupposés et valeurs concernent directement le handicap. Dans le cas des lois d’application générale, les présupposés et les valeurs ont un lien moins direct avec le handicap, mais ils contribuent néanmoins aux effets d’une loi sur les personnes handicapées. Les présupposés et les valeurs peuvent être positifs pour les personnes handicapées ou être influencés par des attitudes et des préjugés capacitistes. C’est pourquoi il est très important d’évaluer attentivement l’objet d’une loi et les attitudes sous-jacentes à la lumière des principes.

Il arrive fréquemment qu’une loi mette en jeu plusieurs principes, notamment à cause de l’interdépendance de ceux-ci. Généralement, les principes s’appuient mutuellement. Par exemple, les initiatives qui augmentent l’inclusion et la participation des personnes handicapées favorisent également le respect de leur dignité et de leur valeur. Cependant, il arrive parfois que des principes entrent en conflit les uns avec les autres. Par exemple, une mesure visant à favoriser l’avancement du droit à la sécurité peut être structurée de manière à diminuer l’indépendance ou l’autonomie des personnes handicapées. Dans un tel cas, il faut réfléchir à la façon d’analyser et de résoudre ce conflit. L’analyse des liens entre les principes peut s’avérer pertinente à toutes les étapes du processus d’évaluation.

QUESTIONS À CONSIDÉRER À L’ÉTAPE 3

1. Comment l’objet de la loi tient-il compte des variations d’aptitudes et de capacités entre les personnes, ainsi qu’à différents moments de la vie?

2. Quels présupposés concernant les personnes handicapées sous-tendent l’objet de la loi? Comment la loi reconnaît-elle la valeur des personnes handicapées et de leurs contributions de la même façon que les autres membres de la société?

3. Comment la loi tient-elle compte des besoins et de la situation véritables des personnes handicapées, et y répond-elle adéquatement?

4. Comment la loi tient-elle compte des différences entre les personnes handicapées qui découlent du parcours de vie ou de l’expérience distincte du handicap, ou encore du croisement des divers aspects de leur identité, comme le sexe, l’origine raciale, l’orientation sexuelle, l’appartenance à un groupe autochtone, l’âge, la citoyenneté, le statut socioéconomique, l’état matrimonial ou la situation de famille?

5. Comment l’objet de la loi permet-il d’améliorer la capacité des personnes handicapées à participer pleinement à leur collectivité, à s’engager comme citoyen et à faire entendre leur voix à propos des questions qui les concernent?

6. Comment l’objet de la loi s’attaque-t-il aux mauvais traitements, à l’exploitation ou à la persécution que peuvent subir les personnes handicapées?

7. Comment l’objet de la loi améliore-t-il la capacité des personnes handicapées à faire des choix par elles-mêmes, notamment en prévoyant la prestation de mesures de soutien appropriées?

8. Comment l’objet de la loi améliore-t-il l’indépendance financière ou l’autonomie des personnes handicapées et prévoit-il des mesures de soutien à cet égard?

9. Comment l’objet de la loi reconnaît-il les personnes handicapées comme des membres à part entière de la société et soutient-il leur capacité à assumer les responsabilités associées à cette appartenance à la société?

10. Existe-t-il des conflits entre les principes qui font en sorte que la mise en œuvre de l’un nuit à la réalisation de l’autre? Dans l’affirmative, les questions ci-dessous ont-elles été prises en considération?

a. Existe-t-il des problèmes contextuels plus vastes (comme le manque de ressources appropriées) qui causent le conflit entre les principes et, le cas échéant, est-il possible de remédier à ces problèmes pour résoudre le conflit?

b. Existe-t-il des approches permettant de mettre en œuvre intégralement ou du moins partiellement les principes concurrents?

c. Laquelle des approches potentielles serait la plus efficace pour faire progresser l’égalité réelle des personnes handicapées?

d. Est-ce que les personnes handicapées ont été consultées pour déterminer la façon de résoudre le conflit?

 

 

APPLIQUER LE CADRE : EXEMPLES DE MISE EN RELATION DES PRINCIPES AVEC L’OBJET DE LA LOI

Le capacitisme et les lois concernant la capacité juridique

Le droit ontarien comporte un ensemble complexe de lois visant à traiter les situations où une personne est déclarée inapte à prendre certains types de décisions importantes en raison d’une déficience. Ce cadre législatif est fondé sur un système de prise de décision au nom d’autrui qui intervient dans l’intérêt supérieur d’une personne dépourvue de la capacité juridique. Ces lois soulèvent des questions difficiles et suscitent de multiples réactions. D’une part, certaines personnes considèrent que ces lois offrent un juste équilibre entre la sécurité et l’autonomie des personnes handicapées qui, si elles sont bien mises en œuvre, peuvent favoriser le bien-être des personnes dont la capacité juridique est réduite. D’autre part, plusieurs personnes handicapées remettent en question depuis longtemps les présupposés sur lesquels leur contenu et leur mise en œuvre sont fondés. Comme le soulignent Michael Bach et Lana Kerzner, certains estiment que la loi renferme des préjugés sur les aptitudes des personnes ayant des déficiences intellectuelles ou cognitives qui reposent sur des hypothèses non vérifiées et nuisent à la reconnaissance de ces personnes en tant qu’individus à part entière, et donc à la réalisation du principe du respect de la dignité et de la valeur. Comme la loi retire la capacité de prendre certaines décisions aux personnes déclarées inaptes à exercer leur capacité juridique, cela a une incidence considérable sur l’indépendance et l’autonomie des personnes handicapées concernées. Plusieurs personnes handicapées, en particulier celles qui ont une déficience intellectuelle, réclament par conséquent la mise en place d’un système de « prise de décision assistée » qui permettrait de favoriser l’application de ces deux principes en reflétant davantage la façon dont les gens prennent et communiquent des décisions, ainsi qu’en habilitant les personnes handicapées par rapport à des aspects fondamentaux de leur vie.

 

 

Les ordonnances de traitement en milieu communautaire et les conflits entre les principes

Les ordonnances de traitement en milieu communautaire (OTMC) ont été instaurées en 2000 pour que les médecins soient en mesure d’ordonner qu’un patient en santé mentale autorisé à quitter l’hôpital poursuive son traitement dans la collectivité afin d’éviter une nouvelle hospitalisation. Ces ordonnances visent à résoudre le problème du « syndrome de la porte tournante », c’est-à-dire à empêcher qu’une personne atteinte d’une grave maladie mentale interrompe son traitement après sa sortie de l’hôpital et laisse son état se détériorer jusqu’à ce qu’elle soit de nouveau hospitalisée. L’objet de la loi ici cherche à réaliser les principes du droit à la sécurité et de l’inclusion sociale et de la participation (en facilitant la sortie de l’hôpital et le retour dans la collectivité).

L’une des nombreuses conditions de l’émission d’une OTMC est l’élaboration d’un plan de traitement en milieu communautaire qui doit être approuvé par le médecin qui prescrit l’OTMC, le patient ou son mandataire spécial et les organismes communautaires chargés de fournir les services décrits dans le plan. Comme le patient ou son mandataire spécial doit fournir un consentement éclairé, l’OTMC est considérée comme une mesure volontaire. Toutefois, dans les faits, le consentement à l’OTMC représente souvent une condition pour obtenir l’autorisation de quitter l’hôpital, ce qui incite fortement plusieurs patients à l’accorder. En outre, si une personne ne respecte pas l’OTMC émise à son endroit, elle peut être appréhendée et réadmise à l’hôpital contre son gré. Ces conditions visent à faciliter l’exercice du droit à la sécurité et l’atteinte du but ultime, soit l’inclusion sociale et la participation, mais elles ont pour effet d’instaurer un degré important de coercition dans le régime d’OTMC, qui se veut pourtant volontaire. Ainsi, les OTMC peuvent à la fois appuyer la réalisation du principe de l’autonomie et de l’indépendance et y nuire, selon l’interprétation qu’on en fait, ce qui illustre bien certaines des difficultés associées à l’application des principes. Par conséquent, ce régime révèle un conflit entre les principes qui est très répandu dans le droit en matière de santé mentale et qui est source de discussions et de débats constants.

 

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